Читать книгу Certains: G. Moreau, Degas, Chéret, Wisthler, Rops, le Monstre, le Fer, etc - Joris-Karl Huysmans - Страница 7
WAGNER
ОглавлениеQuelle singulière toile nous révéla la première Exposition des Indépendants qui s’ouvrit, en 1884, dans les baraques des Tuileries!
Dans un jour crépusculaire, ce jour qui éclaire les cauchemars des nuits mauvaises, aux sommeils concassés et sans repos, l’on entrevoyait une moitié de cirque, et des clowns pareils à des ombres jonglaient ou tenaient au bout du bras ces cerceaux de papier que les écuyères crèvent.
Ces clowns vivaient d’une vie fluide, étrange: on eût dit des spectres passant dans un cirque mort; c’était devant ce tableau un malaise d’art qui s’accroissait alors que, contemplant ces figures, on les voyait s’animer et sourire avec des yeux mortellement tristes.
Aucun renseignement sur le catalogue; le tableau ne portait aucun titre à la suite de ce nom: «Wagner». Ni prénoms, ni lieu de naissance, ni adresse, rien.
Je me suis souvent demandé quel pouvait être cet homme qui n’avait jamais exposé jusqu’alors et qui n’a plus jamais exposé depuis. Mais personne, parmi les littérateurs et les peintres, ne le connaissait. Longtemps après, il me fut dit, au hasard d’une conversation, un soir: «A propos, j’ai entendu parler, par un monsieur dont j’ignore jusqu’au nom, de ce Wagner dont l’œuvre vous préoccupe; eh bien! il paraît que ce peintre est un malheureux qui a été et qui est encore, je crois, lutteur dans les foires et clown.» Si c’était vrai, pourtant!
Mais alors, comment expliquer la maladive élégance de cette peinture noyée de rêve, le douloureux et délicat murmure de cet art réalisé par un paillasse qui fait les poids?