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J.-L. FORAIN
ОглавлениеM. Forain est maintenant connu; les journaux s’achalandent sur son nom; ses aquarelles s’acquièrent à des prix fermes; il n’est plus besoin de certifier, comme je le fis autrefois, l’apport ignoré de son talent neuf; je n’ai donc que quelques notes à joindre à celles que j’ai réunies dans mon livre: «L’Art Moderne.»
Sorti de l’Ecole des Beaux-Arts et ayant même passé, je crois, par l’atelier de feu Carpeaux, M. Forain n’eut en réalité que deux maîtres, Manet et M. Degas. Bien que la filiation de Manet surtout puisse être soupçonnée dans ses premières œuvres qu’il signait d’un paraphe maintenant aboli, débutant par un L et un F emboîtés, en forme de4, elle est devenue presque aussitôt problématique et quasi nulle. M. Forain eut, en somme, l’inespérable chance de ne ressembler à personne, dès ses débuts.
De ce temps datent des aquarelles étranges; quelques-unes, usant de perspectives japonaises, prêtant, presque toutes, à la créature humaine une certaine roideur ironique, de bon ton, bizarre. Je me rappelle dans un jardin une jeune mère, effilée, droite, aux traits laconiques, au buste sortant d’un paletot mastic, conduisant par la main un enfant dont la très simple attitude du corps tourné sur le poignet était charmante; de la même époque, quelques dessins parus dans La République de Lettres: l’un, un intérieur de salon, avec des messieurs chauves et diserts, aux allures différentes et pourtant pareilles; l’autre, une salle de cabaret, avec des ouvriers tout en barbes et en pipes, et une fille passsionnément vautrée sur un voyou froid; un autre dessin inséré, en1876, dans la Cravache, était merveilleux encore. Il était intitulé «L’Amant d’Amanda» et formait une parodie du groupe «Gloria Victis,» de M. Mercié, avec un gommeux rigide, mi-mort, la tête en arrière, soulevé par une exquise femme qui tenait tout à la fois de la poupée et de la maraudeuse!
Puis cette saveur spéciale, dure, presque naïve, verte, si l’on peut dire, s’effaça; sous l’influence de M. Degas, toute une technique plus compliquée parut. Alors, il fit, en d’extraordinaires aquarelles rehaussées de gouaches, des scènes de coulisses et de cafés-concerts, de bordeaux et de bars; il apprêta des ragoûts de couleurs studieusement épicés, mit à de friandes sauces des nudités, obtint, par des mariages et des heurts inattendus de tons des effets inouïs, atteignit la nuance vraiment exacte, par l’observation attentive des reflets et des ombres, par la science absolue des adjuvants et des fontes.
Ainsi armé, M. Forain a voulu faire ce que le Guys, révélé par Baudelaire, avait fait pour son époque: peindre la femme où qu’elle s’affirme, dans les lieux où elle travaille, et il a naturellement peint aussi l’éternel comparse de la vieille farce, le Hulot moderne ou le jeune jobard en quête d’un renom mondain. A coup sûr, personne n’a mieux que lui, dans d’inoubliables aquarelles, décrit la fille; personne n’a mieux rendu les tépides amorces de ses yeux vides, l’embûche polie de son sourire, l’émoi parfumé de ses seins, le glorieux dodinage de son chignon trempé dans les eaux oxygénées et les potasses; personne, enfin, n’a plus justement exprimé la délicieuse horreur de son masque rosse, ses élégances vengeresses des famines subies, ses dèches voilées sous la gaieté des falbalas et l’éclat des fards.
En sus de ses qualités d’observation aiguë, de son dessin délibéré, rapide, concisant l’ensemble, avivant le soupçon, forant d’un trait jusqu’aux dessous, il a apporté, en art, la sagace ironie d’un Parisien narquois.
C’est grâce, sans doute, à cette orientation d’un esprit net et blagueur, très élagué de toute chimère, qu’il dut d’avoir trouvé, pour les dessins des journaux où il logeait, d’audacieuses légendes, parfois cruelles, souvent même presque comminatoires pour les ridicules gredineries de ces temps fous.