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IV

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Nous prîmes le plus court, par égard pour l'âne, que madame Rosalie, notre aubergiste, avait chargé comme un mulet d'Espagne. Il portait, en outre, un gamin chargé de le ramener, et l'épervier de pêche de Moreau, qui ne saurait faire un pas sans ce compagnon fidèle.

Ce chemin est insipide, comme tous les bons chemins. Il s'en va tout droit sur un plateau tout nu. Les six kilomètres en plaine nous parurent plus longs que douze en montagne.

Les entomologistes allaient devant, peu surpris de rencontrer de temps à autre le grand Mars, qu'ils avaient signalé dès la veille comme un hôte logique de ces régions, mais se plaignant beaucoup de l'absence de papillons et de l'aridité du sol.

Je fis la conversation avec Moreau. C'est un malin, un sceptique et un railleur; mais c'est un grand philosophe.

– J'ai eu bien du mal depuis que nous ne nous sommes vus, me dit-il. Je ne sais pas, si vous vous souvenez que j'étais marié. J'ai perdu ma femme. J'étais un peu meunier et un peu ouvrier. Mais, seul du village où vous avez laissé hier votre voiture, je n'ai que mon corps et ma maison. Dans nos petits bourgs, tout le monde est propriétaire, et il n'y a point de malheureux. Moi, j'ai bien un roc… À propos, le voulez-vous, mon roc? Vous savez, vous disiez dans le temps que vous voudriez avoir un coin sur la Creuse? Je ne vous vends pas le mien; je vous le donne. Il n'y pousse que de la fougère, et je n'ai pas de quoi y nourrir un mouton. Je paye cinq sous d'imposition pour ce rocher, et voilà tout ce que j'en retire. Dame, il est grand, vous auriez de quoi y bâtir une belle maison, en dépensant d'abord une dizaine de mille francs pour tailler la roche et faire l'emplacement. Allons, vous n'en voulez pas? Vous avez raison. Je n'en veux pas non plus. Aussi il reste là bien tranquille. Y va qui veut … c'est-à-dire qui peut!

– Comment avez-vous pu élever votre famille? Car vous avez des enfants!

– Ils se sont élevés comme ils ont pu, un peu chez moi, un peu chez les autres. Ma fille est une belle fille, vous l'avez vue hier. Elle sait faire la cuisine et parler espagnol.

– Espagnol?

– Oui, elle a suivi en Espagne une bourgeoise d'ici, mariée avec un monsieur de ce pays-là. Mon garçon est au service. C'est un bon enfant, bien doux, fait à tout, comme moi. Vous me demanderez ce que je fais, à présent; je n'en sais rien, une chose et l'autre; je ne peux plus travailler. Voyez: en chassant, j'ai mal tourné mon fusil; j'ai eu la main traversée, et l'autre moitié de la charge m'a caressé la tête. On dit dans le pays qu'il ne m'y est pas resté assez de plomb. Je crois bien! pendant quinze jours, le médecin n'a pas fait autre chose que de m'en arracher. Tous les matins, je l'entendais dire en sortant: «C'est un homme mort!» Et moi, je me dressais sur mon lit pour lui crier, du mieux que je pouvais: «Vous dites des bêtises, je n'en veux pas mourir, et je n'en mourrai pas.» Après que j'en ai été revenu, j'ai recommencé à pêcher et à chasser. J'ai voulu encore un peu travailler; mais le travail m'a porté malheur. Un maladroit m'a démis l'épaule en me jetant à faux un sac de blé du haut d'une voiture. Ça ne fait rien, je marche, je chasse et je pêche toujours. Je conduis les artistes et les voyageurs. Je sais les chemins comme personne, et je vous dirais comment sont faits tous les cailloux de la Creuse. Je fais les commissions du château et de l'auberge, j'approvisionne l'un et l'autre avec mon poisson. Je me passe de tout quand je n'ai rien; je n'use pas les draps, je dors une heure sur douze. Je passe mes nuits dans l'eau à guetter les truites. Dans le jour, si je suis las, je fais un somme où je me trouve. Si c'est sur une pierre ou sur un banc, j'y dors aussi bien que sur la paille. Je ne me soucie point de la toilette. Fêtes et dimanches, j'ai les mêmes habits que dans la semaine, puisque je n'ai que ceux que mon corps peut porter. Je suis toujours de bonne humeur, soit qu'on me donne cinq francs ou cinquante centimes pour mes peines. Le voyageur est toujours aimable, et, pourvu que je coure et que je cause, je suis content de m'instruire. Voilà! Quand je ne serai plus bon à rien, ma famille s'arrangera pour me nourrir, et, si elle me laisse crever comme un chien, ce sera tant pis pour elle au dernier jugement.

Des anciens chemins périlleux par où l'on arrivait à Châteaubrun, nous ne retrouvâmes plus que l'emplacement. On y descend doucement par le plateau, et la nouvelle route qui côtoie tranquillement le précipice a ôté beaucoup de caractère à cette scène autrefois si sauvage.

La ruine est toujours grandiose. Le marquis de notre village l'a achetée, avec son vaste enclos, pour deux mille cinq cents francs. Il la tient fermée, et il avait bien voulu nous en confier les clefs.

Nous vîmes que ce noble lieu était moins fréquenté qu'autrefois. L'herbe haute et fleurie du préau était vierge de pas humains. Toutes choses, d'ailleurs, exactement dans le même état qu'il y a douze ans: la grande voûte d'entrée avec sa double herse, la vaste salle des gardes avec sa monumentale cheminée, le donjon formidable de cent vingt pieds de haut d'où l'on domine un des plus beaux sites de France, les geôles obscures, et cet étrange débris de la portion la plus belle et la plus moderne du manoir, le logis renaissance que, dans ma jeunesse, j'ai vu intact et merveilleusement frais et fleuri de sculptures, aujourd'hui troué, informe, démantelé et dressant encore dans les airs des âtres à encadrements fleuronnés d'un beau travail.

Le marquis a acheté, dit-il, cette ruine pour la préserver du vandalisme des bandes noires. Il s'y est pris un peu tard.

Telle qu'elle est, c'est un romantique débris où, au clair de la lune, on voudrait entendre l'admirable symphonie de la Nonne sanglante de Gounod, ou mieux encore la Chasse infernale de Weber.

En plein midi, cette solitude avait encore quelque chose de solennel.

Une multitude de tiercelets et de chevêches effarouchés se croisaient dans les airs, sur nos têtes, avec des milliers de martinets glapissants. C'étaient des cris aigus, des râles étranges, une agitation sauvage et des querelles inouïes.

Nous fûmes étonnés de voir des moineaux nichés effrontément au beau milieu de cette société d'oiseaux de proie, toujours en chasse par centaines autour d'eux. Cela faisait penser au petit vassal du temps passé virant dans la caverne des seigneurs féodaux et abritant ses petites rapines sous les grandes.

Nous fûmes témoins d'un drame entre tous ces pillards.

Un pauvre scarabée, échappé, demi-mort, au large bec d'un martinet, fut happé au passage, sur le haut d'une tour, par une femelle de moineau. Survint l'époux à l'air mutin, à la moustache noire, hérissant ses plumes, faisant grand bruit et menace au martinet, qui voulait reprendre sa proie, quand survint à son tour le troisième larron, la crécerelle, attirée par la voix imprudente de ces petites gens. Elle sortit, muette et agile, du sommet d'une tour voisine, n'osa s'attaquer au martinet, qui ne paraissait pas la craindre, et se dirigea sur les moineaux d'une aile si rapide et si sûre, que tout semblait fini pour eux. Mais, s'ils ne l'avaient pas vue guetter, ils l'avaient sentie. Ils disparurent tout à coup. Le brigand tourna d'une manière sinistre autour de la crevasse où ils étaient réfugiés dans leur nid, mais l'entrée était trop petite pour qu'il y pût pénétrer. Il retourna à son guettoir. Les moineaux ressortirent aussitôt, et, plantés sur leur petit seuil, l'accablèrent d'injures et de railleries. Il revint plusieurs fois à la charge. Toujours après avoir lestement battu en retraite, ces audacieux oisillons reparurent pour le provoquer, l'insulter et le maudire.

Que lui fut-il reproché? De quelles représailles le menacèrent-ils? Il faut bien croire que quelques chose de sanglant lui fut dit, car l'oiseau de proie se lassa de les tourmenter, et, quelques moments après, nous vîmes les moineaux, pleins de gaieté, sautiller sur la muraille et picorer dans les plantes pariétaires, sans aucun souci de l'ennemi terrible, et ne manquant jamais d'adresser quelque impertinence aux martinets qui les effleuraient de leur vol, et avec lesquels, du reste, ils ne paraissent avoir qu'une guerre de gros mots.

Les véritables victimes de ces grandes hirondelles noires, aux griffes acérées, sont probablement les lézards, dont les squelettes digérés tout entiers jonchaient les ruines du donjon.

Ainsi les faibles passereaux, dont les moyens de défense seraient nuls contre tant et de si redoutables ennemis, viennent à bout d'élever leur famille au milieu d'eux et de lui enseigner encore le caquet et le sarcasme de la dispute au sein de l'éternel danger. D'où vient cela? De la supériorité d'intelligence apparemment. Michelet nous l'eût expliqué, lui qui a daigné étudier la vie des oiseaux avec presque autant d'amour et d'émotion que celle des hommes.

Nous renvoyâmes le gamin et son âne, et, après un déjeuner copieux dans les ruines, nous eûmes à descendre au fond du ravin pour retourner au village en suivant le bord de la Creuse.

Je n'avais jamais eu le loisir de faire cette marche qui est de quatre heures au moins, la plupart du temps sans chemin frayé sur le roc tranchant ou sur les pierres aiguës. Mais, malgré l'effroyable chaleur engouffrée dans les méandres de la gorge, nous ne songeâmes point à regretter d'avoir entrepris cette dure promenade.

C'est le paradis et le chaos que l'on trouve tour à tour; c'est une suite ininterrompue de tableaux adorables ou grandioses, changeant d'aspect à chaque pas, car la rivière est fort sinueuse, et, comme en bien des endroits elle bat le rocher, il faut monter et descendre souvent, par conséquent voir de différents plans, toujours heureux, ces sites merveilleusement composés et enchaînés les uns aux autres comme une suite de rives poétiques.

La verdure était dans toute sa puissance, et, cette année-ci, elle est remarquablement vigoureuse. C'était l'heure de l'effet, le baisser lent et toujours splendide du soleil.

Ah! monsieur, je ne souhaite au plus méchant homme de la terre que la fatigue de cette course, et, si la vue d'une si belle nature ne le dispose pas à une religieuse bienveillance pour le monde où Dieu nous a mis, je le trouverai assez puni de son ingratitude par la privation du bien-être moral et de la tendre admiration que ce pays inspire à qui ne s'en défend point.

C'est une douceur pénétrante, je dirais presque attendrissante, tant la physionomie de cette région est naïve et comme parée des grâces de l'enfance. C'est de la pastorale antique, c'est un chant de naïades tranquilles, une églogue fraîche et parfumée, une mélodie de Mozart, un idéal de santé morale et physique qui semble planer dans l'air, chanter dans l'eau et respirer dans les branches.

Nous traversions parfois d'étroites prairies, ombragées d'arbres superbes. Pas un brin de mousse sur leurs tiges brillantes et satinées, et dans les foins touffus pas un brin d'herbe qui ne soit fleur.

Sur une nappe de plantes fourragères d'un beau ton violet, nous marchâmes un quart d'heure dans un flot de pierreries. C'était un semis de ces insectes d'azur à reflets d'améthyste et glacés d'argent qui pullulent chez nous sur les saules et qui, de là, se laissent tomber en pluie sur les fleurs. Elles en étaient si chargées en cet endroit et elles s'harmonisaient si bien avec les tons changeants de ces petits buveurs d'ambroisie, que cela ressemblait à une fantaisie de fée ou à une illusion d'irisation dans les reflets rampants du soleil à son déclin.

Notre naturaliste n'avait que faire d'une denrée si connue en France; mais il ne pouvait se défendre d'en remplir ses mains pour les admirer en bloc.

À propos de ces petites bêtes, il me dit tenir d'un naturaliste de ses amis que, dans un moment où ce fut la mode d'en faire des parures, on les achetait à un prix exorbitant. Nos petits bergers de la Creuse ne l'ont pas su! Si la mode revient, il faudra le leur dire. Au prix qui a existé, de soixante à quatre-vingts francs le cent, la prairie où nous étions en contenait bien pour plusieurs millions.

Promenades autour d'un village

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