Читать книгу L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793 - Joseph Bertrand - Страница 3
PRÉFACE.
ОглавлениеL’histoire complète de l’Académie des sciences serait une œuvre considérable. Faire connaître la marche de toutes les sciences depuis plus de deux siècles, dire le temps et l’occasion de leurs progrès en France, assigner le génie particulier de plus de deux cents membres qui, avec des mérites divers, ont pris part à l’œuvre commune, montrer leur influence au dehors et l’impulsion qu’ils en reçoivent, rechercher le rôle croissant de l’illustre compagnie dans les grandes questions d’utilité publique, la confiance dont elle se montre digne et qui des particuliers s’étend au gouvernement, et même aux corps les plus jaloux de leurs droits, tel serait le cadre d’un ouvrage dont on trouvera ici quelques chapitres.
L’histoire des sciences n’occupe dans ce volume qu’une place très-restreinte; elle aurait pu, si j’avais adopté un autre cadre, en former la partie la plus considérable. Les mémoires de l’Académie sont en effet l’essentiel de son œuvre; en y joignant le recueil des savants étrangers et la collection des pièces couronnées, on pourrait aisément faire naître de leur analyse, sans développements forcés, l’histoire complète des diverses sciences. Une telle tâche exigerait une érudition à laquelle je ne prétends ni n’aspire; mon but est plus modeste et non moins utile peut-être.
Après avoir lu avec un vif intérêt les procès-verbaux inédits des séances et consulté les pièces officielles conservées par l’Institut, j’ai cru voir apparaître très-clairement l’organisation de l’ancienne Académie, la physionomie des séances, les préoccupations de ses membres, leurs relations entre eux et avec le gouvernement, les ressources régulières dont ils disposaient pour la science, et les appuis extraordinaires qui, lorsqu’il le fallut, ne leur firent jamais défaut. Ce petit tableau forme une page curieuse de l’histoire de la société polie en France. J’ai essayé, à l’occasion d’un savant ouvrage de M. Maury, de l’indiquer dans quelques articles du Journal des Savants. Ce sont ces articles, soigneusement revus, que je présente aujourd’hui au public avec des développements qui en doublent au moins l’étendue.
L’histoire de l’Académie ne se sépare guère de celle des académiciens, et j’ai cru intéressant d’esquisser, à côté des coutumes et des actes de la compagnie, les traits principaux de la vie et du caractère de ses membres. Devais-je me borner aux grandes figures qui dominent leur époque, ou m’étendre jusqu’aux soldats les plus obscurs de l’armée de la science? J’ai repoussé ces deux partis extrêmes, et laissant de côté, forcément parfois faute de documents précis, les académiciens dont la trace est aujourd’hui effacée, j’ai essayé de représenter, dans un cadre proportionné à leur importance, tous ceux qui, par leur talent ou par leur caractère, ont accru la force et le renom de l’Académie. Tel a été du moins mon programme; mais je m’en suis, il faut l’avouer, écarté plus d’une fois. Complétement étranger aux questions de médecine, j’ai dû passer sous silence les travaux, quoique considérables, de la section d’anatomie, et par une conséquence naturelle, j’ai négligé l’histoire de ses membres. Les courtes notices consacrées aux autres membres de l’Académie auraient dû s’étendre ou se resserrer en raison de l’importance du personnage. Dans le plus grand nombre des cas, on verra qu’il en est ainsi; mais il y a des exceptions; plus de sympathie pour quelques-uns, moins de compétence pour juger l’œuvre de quelques autres, et peut-être aussi le hasard de la composition, ont amené des disproportions que le lecteur voudra bien me pardonner.
Toutes les figures de ma petite galerie sont appréciées avec une franchise absolue et une entière liberté. Biographie, quand il s’agit d’académiciens, est, pour bien des lecteurs, synonyme d’éloge. J’ai trop souvent peut-être oublié cette tradition; mais un mot de Voltaire m’a plus d’une fois soutenu dans l’entreprise peu périlleuse de juger équitablement les hommes du siècle passé: «Qui loue tout n’est qu’un flatteur; celui-là seul sait louer qui loue avec restriction.»
Les grands hommes sont rares, il faut bien le savoir, et l’on doit, quand on les rencontre, s’incliner profondément devant eux. Mais lorsqu’un sourire ironique accueille tardivement le souvenir de ceux qui en ont indûment tenu l’emploi, il n’y a à cela ni injustice ni inconvénient.
J’aurais pu souvent, sans infidélité comme sans effort, montrer dans les passions et les ridicules, les partialités et les jalousies du passé, des analogies et des leçons applicables au temps présent. Non-seulement je me suis abstenu de chercher pour ce livre un tel genre d’intérêt, mais chaque fois que l’allusion, s’imposant en quelque sorte, se présentait à moi trop facile et trop claire, je me suis fait une loi invariable de quitter brusquement la plume.
J. BERTRAND.