Читать книгу L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793 - Joseph Bertrand - Страница 6
L’ORGANISATION DE 1699.
ОглавлениеL’Académie des sciences, en 1699, reçut un grand accroissement; l’organisation nouvelle élevait de seize à cinquante le nombre de ses membres et les partageait en trois classes: celles des honoraires, des pensionnaires et des associés; la première composée de dix membres et les deux autres chacune de vingt. A chaque pensionnaire enfin était attaché un élève qui, formé par lui et instruit près de l’Académie à laquelle il appartenait par avance, devait en s’y dévouant tout entier mériter successivement le titre d’associé et les avantages des pensionnaires. Les membres honoraires étaient en quelque sorte les médiateurs de l’Académie auprès du roi et de ses ministres; ils devaient aider leurs confrères de leur crédit, les honorer par leur présence et les encourager par leur attention. Les plus grands seigneurs recherchèrent ce rôle et tinrent souvent à honneur d’ajouter à leurs titres celui d’académicien. Le règlement affirmait leur intelligence et leur savoir dans les mathématiques et dans la physique, mais une grande bienveillance pour les savants et le désir exprimé d’entrer en commerce familier avec eux étaient souvent la plus grande preuve qu’on leur en demandât et la seule marque qu’ils en pussent fournir. La prééminence leur appartenait de droit dans l’Académie, et le roi chaque année choisissait pour président et pour vice-président deux des membres honoraires.
Les anciens académiciens furent presque tous admis dans la classe des pensionnaires. On les partagea en six sections de trois membres chacune: celles de géométrie, d’astronomie, de mécanique, de chimie, d’anatomie et de botanique. Le secrétaire et le trésorier complétaient le nombre de vingt.
Douze des associés étaient Français et habitaient Paris. Répartis comme les pensionnaires entre les six sections, ils portaient à cinq le nombre de leurs membres. L’Académie, pour attirer à elle toutes les gloires, pouvait choisir les huit autres associés parmi les savants étrangers. On décida par un très-sage conseil que, désignés par l’éclat non par la nature de leurs travaux, ils n’appartiendraient à aucune section. En cas de vacance parmi les honoraires, l’Académie devait proposer un candidat à l’agrément du roi. Pour les places de pensionnaires, elle en présentait trois parmi lesquels deux au moins déjà associés ou élèves. La nomination des associés se faisait comme celle des pensionnaires, et sur les trois candidats présentés, deux au moins devaient être choisis parmi les élèves; mais la règle fut renversée, et en 1716, un règlement nouveau imposa au contraire l’obligation d’inscrire sur la liste présentée au roi un candidat au moins étranger à l’Académie, afin que Sa Majesté pût à chaque élection si elle le jugeait utile rajeunir et fortifier l’Académie par l’adjonction d’un membre nouveau.
Les associés prenaient part à tous les travaux de l’Académie, mais ils n’opinaient que sur les questions de science. En cas de doute sur un de leurs droits, les honoraires et les pensionnaires en décidaient en dernier ressort à la majorité des suffrages.
Chaque pensionnaire choisissait son élève et le faisait agréer par la Compagnie, qui le proposait à la nomination du roi. Plusieurs choix se portèrent, comme on devait s’y attendre, sur des fils, des neveux ou des frères qui furent admis sans opposition. Les élèves ne votaient jamais; ils ne devaient parler que sur l’invitation du président et ne partageaient dans les premières années aucun des droits des académiciens; mais l’apprentissage peu à peu devint un surnumérariat accepté et brigué par des candidats d’une science déjà éprouvée. Galois proposa Ozanam plus que sexagénaire qui conserva, jusqu’à l’âge de soixante-quinze ans, avec le titre d’élève, la situation presque humiliante qu’il lui attribuait dans la compagnie; plusieurs autres, en se distinguant par leurs découvertes, prirent dans l’Académie une légitime influence. Le titre d’élève mettait une trop grande différence entre des savants égaux souvent par le talent comme par la renommée; on le supprima en 1716 en créant douze adjoints auxquels une plus grande part fut accordée dans les délibérations et dans les travaux. L’institution des associés libres est de même date; sans appartenir à aucune section et sans cultiver spécialement une des branches de la science, ils devaient par leurs lumières générales prêter à l’Académie un précieux concours. C’est à cette classe qu’ont appartenu le chirurgien Lapeyronie, l’ingénieur Belidor, le magistrat astronome Dionis du Séjour et l’illustre Turgot, qui cependant aurait si bien tenu sa place parmi les honoraires.
L’Académie renouvelée et agrandie fut solennellement installée au Louvre, et un logement spacieux et magnifique remplaça la petite salle de la bibliothèque du roi. Les séances, comme par le passé, furent fixées au mercredi et au samedi, mais aux recherches en commun condamnées par trente années d’épreuves médiocrement fructueuses devaient succéder les efforts individuels, et la libre inspiration de chacun remplacer les programmes qui, trop exactement suivis, avaient rompu souvent les idées originales. Plusieurs fois déjà, il est vrai, l’ancienne Académie avait réuni en un seul volume les recherches personnelles et isolées de quelques académiciens, en s’excusant alors en quelque sorte d’une dérogation aux vrais principes.
«Quelque application que l’on ait aux desseins principaux que l’on a entrepris, il est difficile, disait Fontenelle, de ne s’en pas laisser détourner de temps en temps pour travailler à d’autres petits ouvrages, selon que l’occasion en fournit de nouveaux sujets et que l’on y est porté par son inclination particulière. Ces interruptions de peu de durée sont toujours permises lorsqu’on s’est occupé de desseins de longue haleine, et il est même important de ne pas laisser échapper les conjonctures favorables pour trouver certaines choses qu’il serait impossible de découvrir en d’autres temps. Il arrive souvent à ceux qui composent l’Académie des sciences de faire de ces petites pièces, pour profiter des occasions qui se présentent et pour se délasser des longs ouvrages à qui ils sont assidûment appliqués.»
Ces petites pièces, rassemblées dans le désordre de leur production, forment la collection des mémoires, monument durable et œuvre par excellence de l’Académie. Chaque académicien, marchant librement dans sa voie sous la seule inspiration de son propre génie, signait son écrit, comme il était juste, et en demeurait responsable. Tout était permis excepté le repos; l’Académie, dépôt non-seulement mais foyer de la science, avait pour maxime que vivant pour elle seule, un savant doit, sans jamais s’en distraire, inventer et perfectionner incessamment et sans fin ni relâche faire paraître au moins de nouveaux efforts. Tout pensionnaire, associé ou élève qui s’éloignait pour un temps de l’étude et du travail, cessait par cela même d’être académicien. Chacun devait communiquer à jours fixes et à tour de rôle le résultat de ses recherches et de ses essais; le président avertissait et pressait les retardataires en les privant en cas de récidive d’une partie de leurs droits académiques. Sans prévoir ni admettre aucune excuse, le règlement, plus d’une fois appliqué dans sa rigoureuse dureté, excluait même à jamais comme infidèles à la science les membres assidus ou non aux séances, qui restaient trop longtemps sans y prendre la parole. Cette loi sévère et aveugle, gardienne du nombre et non de la qualité des productions, semblait dénier aux académiciens le droit de se dévouer à une œuvre de longue haleine et de suivre de grands desseins. On devait heureusement s’en relâcher bien vite, mais plus d’une exclusion fut prononcée et maintenue.
On lit par exemple au procès-verbal du 17 février 1714: «Le roi ayant été informé que quelques-uns d’entre les associés et les élèves de l’Académie ne faisaient aucune fonction d’académicien, que même ils n’assistaient presque point aux assemblées et que, malgré les divers avis qui leur avaient été donnés, ils ne se corrigeaient pas de leur négligence, elle pouvait devenir d’un dangereux exemple. Sa Majesté a cru devoir ne pas différer davantage à prononcer leur exclusion. Vous aurez donc soin au plus tôt de déclarer vacante la place d’associé anatomiste du sieur Duverney le jeune, celle d’élève anatomiste du sieur Auber, celle d’élève géomètre du sieur du Tenor.» Et le 15 décembre 1723: «M. de Camus, adjoint mécanicien, n’ayant satisfait à aucun tour de rôle ordonné par les règlements, ni assisté à aucune assemblée depuis deux ans, le roi a ordonné que sa place soit déclarée vacante et qu’on procédât à la remplir d’un autre sujet.»
Un autre académicien rayé de la liste par décision du régent fut le financier Law. L’Académie, qui aurait pu faire un meilleur choix, l’avait proposé comme candidat unique à une place d’honoraire. Il fut agréé et siégea plusieurs fois, mais son impopularité rapidement croissante faisant regretter sans doute cette détermination, on s’avisa que, n’étant pas Français, il ne pouvait être membre honoraire et que son élection était nulle. L’Académie eut la dignité et le bon goût de réclamer et de maintenir son choix. On lui envoya la note suivante, qui ne porte aucune signature: «Des jurisconsultes, plus esclairez que MM. de l’Académie des sciences en fait de lois et de formalitez, ont donné avis qu’en nommant M. Law pour académicien honoraire, l’élection estoit nulle. Ces jurisconsultes se fondent sur ce que l’art. 3 du règlement de cette Académie porte en termes formels que les académiciens honoraires seront tous régnicoles; or c’est une qualité qu’on ne scaurait donner audit sieur Law qui, à la vérité, avait obtenu des lettres de naturalité, mais qui, ne les ayant pas fait enregistrer à la Chambre des comptes est toujours réputé étranger, suivant le sentiment des autheurs et la jurisprudence des arrêts.»
A la loi d’exactitude imposée aux académiciens s’ajoutait, dans l’obligation d’examiner les mémoires présentés par les étrangers, une fatigue à laquelle les forces des pensionnaires âgés ne suffisaient pas toujours. Par une faveur rarement refusée, ils obtenaient alors le titre de vétérans. Saurin, Jacques Cassini, Maraldi, Fontenelle, Leymery, Mairan, La Condamine et Grandjean-Fouchy l’obtinrent successivement. Le pensionnaire nommé vétéran devenait libre de tout travail; il perdait, il est vrai, ses droits à la pension, mais l’Académie, par une faveur chaque fois renouvelée, lui assignait sur les fonds destinés à ses travaux une indemnité équivalente.
L’Académie avait interdit à ses membres de prendre sur le titre d’un ouvrage la qualité d’académicien sans s’y être fait autoriser par le jugement d’une commission. Les approbations de ce genre sont extrêmement nombreuses dans l’histoire de l’Académie. La franchise des commissaires, sans aller dans aucun cas jusqu’à déclarer l’œuvre d’un confrère indigne de l’impression, varie et gradue les louanges avec une liberté dont la hardiesse surprend quelquefois. D’Alembert, par exemple, chargé d’examiner le quatrième volume du traité de physique de l’abbé de Molière, se borne spirituellement et sans commentaires, à le déclarer digne de faire suite aux trois premiers.
Lorsqu’il s’agissait d’un écrit de polémique, la loi était surtout étroitement observée, et nul ne pouvait s’y soustraire sans encourir le blâme sévère de ses confrères. On lit par exemple au procès-verbal du 13 décembre 1780: «J’ai dénoncé, c’est Condorcet qui parle, un écrit de M. Sage, imprimé sans l’aveu de l’Académie, dans lequel il se trouve plusieurs passages qui peuvent être désagréables à M. Tillet. M. Sage écrit à la séance suivante pour donner des explications, mais l’Académie décide, après avoir entendu lecture de sa lettre, qu’il n’y sera pas fait de réponse.»
Quelle que fût la contrariété des opinions, les discussions entre confrères devaient être courtoises. L’Académie le rappela plus d’une fois sévèrement à ceux qui semblaient l’oublier. L’astronome Lefèvre, possesseur d’un privilége pour la Connaissance des temps, ayant été repris d’erreur par Lahire, l’avait violemment attaqué et invectivé dans la préface de l’un de ses volumes.
«Je ne puis me dispenser, disait-il, de répondre aux invectives d’un petit novice, auteur supposé d’une année d’Éphémérides imprimées depuis peu de temps. Ce nouvel auteur, rempli d’un esprit de vanité de présomption et de mensonge, dit dans la préface de ses Éphémérides que le grand nombre d’opérations et de calculs dans lesquels il n’est pas possible qu’il ne se glisse quelque erreur lui fait craindre de ne pouvoir pas répondre à l’attente du public, mais qu’il espère au moins que l’on n’y trouvera pas les éloignements du ciel aussi grands qu’on le voit dans des éphémérides qui sont fort estimées, et dans lesquelles l’auteur se trompe d’une demi-heure sur l’époque de l’éclipse du 15 mars 1699. On répond à ce jeune novice que l’éclipse a été bien calculée, mais qu’on s’est trompé en prenant un logarithme.» La punition fut prompte et sévère. «M. le président, dit le procès-verbal du 17 septembre 1700, a dit que dans la préface de la Connaissance des temps pour 1701, composée par M. Lefèvre, il y avait des choses dures et offensantes pour MM. de Lahire père et fils qui étaient suffisamment désignés, quoiqu’ils ne fussent pas nommés. M. le comte de Pontchartrain, qui avait trouvé cette conduite entièrement contraire au règlement, avait voulu d’abord que M. Lefèvre fût exclu de l’Académie, et cependant à la prière de M. le président, il s’était relâché à permettre qu’il continuât d’y prendre séance à l’avenir, à condition qu’il retirerait aussitôt tous les exemplaires de son livre qui étaient chez l’imprimeur pour en échanger la préface, qu’il en ferait une autre où il rétracterait tout ce qu’il avait dit de MM. de Lahire et que de plus il leur demanderait pardon en pleine assemblée. M. le président a ajouté que M. le chancelier retirerait le privilége qui avait été accordé à M. Lefèvre pour la Connaissance des temps, parce qu’il en avait abusé. L’heure de la séparation de l’assemblée ayant sonné avant que M. le président eût entièrement achevé de parler, M. Lefèvre n’a rien répondu et on s’est séparé.»
Quinze jours après on lit au procès-verbal: «M. le président m’a donné à lire une lettre qui lui a été écrite par M. Lefèvre. Il lui mande que sa santé ne lui a pas permis de se trouver à l’assemblée précédente ni à la suivante, mais qu’il se soumettra plutôt que de renoncer à l’Académie et qu’il viendra au premier jour faire telle réparation qu’on lui ordonnera.
«Comme l’assemblée se séparait, MM. de Lahire et tous les autres académiciens ont été de leur propre mouvement prier M. le président de vouloir bien dispenser M. Lefèvre de demander pardon en pleine assemblée. M. le président s’est laissé fléchir.» Lefèvre cependant ne reparut plus à l’Académie, et dès l’année suivante on lui appliquait rigoureusement le règlement qui prononce l’exclusion de tout membre absent plus d’un an sans congé.
Les médecins et les chirurgiens portèrent aussi plus d’une fois dans l’Académie l’esprit de haine, de dissension et d’envie dont leurs corporations ont été si longtemps affaiblies et troublées. Le triomphe des médecins depuis le milieu du XVIIe siècle paraissait définitif et complet. Dédaigneux autrefois de ce qu’ils appelaient la petite chirurgie, les maîtres chirurgiens, qui dans leurs examens de l’école de Saint-Côme avaient acquis le droit de se dire chirurgiens de robe longue, abandonnaient aux barbiers le soin de saigner, d’appliquer les vésicatoires et les ventouses, de panser les plaies légères, et de soigner enfin les bosses, apostumes et contusions. Il n’était besoin pour cela ni d’une science profonde, ni de culture littéraire, mais les limites étaient vagues et les fraters, plus respectueux et plus soumis aux médecins, étaient souvent aidés par eux à les franchir. On put bientôt malgré les réglements et les maîtrises confondre, sans trop d’affectation, les maîtres en chirurgie praticiens de robe longue avec les étuvistes et les barbiers. Ce fut la ruine de la chirurgie qui, tenue pour une profession manuelle, tomba dans une dure et humiliante sujétion. L’Université, toujours favorable aux médecins, voyait en eux les maîtres et les arbitres de la chirurgie et le prouvait par un argument sans réplique: La chirurgie ne fait partie d’aucune faculté; elle ne peut donc jouir des droits réservés dans l’Université aux facultés qui en dépendent.
La Faculté de médecine s’arrogeait le droit d’être représentée aux examens des chirurgiens à l’école de Saint-Côme et, ce qui envenimait fort la querelle, interdisait aux candidats la robe et le bonnet. Ses prétentions allaient plus loin encore; lorsque Lapeyronie, premier chirurgien de Louis XV, obtint pour l’école de chirurgie la création de cinq démonstrateurs rétribués par le roi, il importe, disait-il, de fortifier l’intelligence des élèves et de ne rien omettre pour éclairer leur esprit. La Faculté de médecine, loin d’en demeurer d’accord, s’y opposait ouvertement et avec énergie; elle alléguait dans l’intérêt même des chirurgiens, que: «le mérite ne consiste pas à savoir plusieurs choses, mais à exceller dans une;» elle les rappelait aux sages règlements, aux arrêts même du parlement qui défendaient de rien enseigner aux chirurgiens en dehors de leur profession: «qui chirurgos docent, hirurgica tantum doceant.» Est-il nécessaire en effet pour bien saigner de connaître la nature du sang? Avec une instruction trop étendue et trop élevée les chirurgiens seraient exposés à mépriser leur art et à le délaisser pour des études spéculatives. La chirurgie d’ailleurs est une profession manuelle, et la raison en est évidente: chirurgie tire son origine d’un mot de la langue grecque qui signifie la main, et celui qui ne travaille que de la main ne doit aussi exercer que la main.
Sans s’arrêter à de tels arguments et malgré les contradictions les plus opiniâtres, le roi autorisa l’Académie de chirurgie à publier ses mémoires, et, ce que la faculté de médecine trouva plus insupportable encore, l’école de Saint-Côme à exiger de ses élèves la maîtrise ès arts, que nous nommons aujourd’hui baccalauréat ès lettres. Depuis longtemps déjà la chirurgie pouvait citer des hommes de grand mérite. Plusieurs chirurgiens avaient siégé à l’Académie des sciences, et leurs confrères en tiraient avantage. On demande, disaient-ils dans leur judicieuse et forte défense, on demande à la Faculté de Paris et à tous les médecins, si les mémoires de MM. Méry, Rohault, Lapeyronie, J.-L. Petit et Morand, imprimés parmi ceux de l’Académie des sciences, ne sont pas en aussi grand nombre que ceux que les médecins ont fournis?
Les chirurgiens et les médecins, divisés par leur humeur discordante et incompatibles ailleurs par leurs incessantes hostilités, siégeaient en effet ensemble à l’Académie des sciences qui, sans se faire l’arbitre de leurs dissensions ni les amener à une paix sincère, sut toujours les apaiser sinon les unir, en modérant l’aigreur de leurs querelles et leur imposant au dehors, avec le titre de confrère, les bons procédés qui doivent en être la suite.
Le médecin Hunault était l’auteur connu et avoué d’un pamphlet anonyme où, non content de traiter avec le dernier mépris la corporation entière des chirurgiens, il s’efforçait de décrier et de ridiculiser le caractère et les travaux du célèbre J.-L. Petit, son confrère à l’Académie. «Quelques personnes, dit-il dans sa préface, trouvent mauvais que j’aie critiqué des mémoires qui sont parmi ceux de l’Académie des sciences. Je sais que dans les temples des dieux les criminels étaient à couvert des poursuites de la justice, mais je n’ai pas cru que l’erreur eût de tels priviléges.»
A l’inconvenance d’une telle publication, Hunault avait ajouté le tort beaucoup plus grave d’en offrir à Petit la suppression à prix d’argent. L’Académie, non moins émue par la violence des attaques que par le récit de ce procédé malhonnête, voulut infliger à Hunault un blâme public et sévère en lui enjoignant «de n’avoir plus à l’avenir aucun procédé semblable contre M. Petit ni aucun académicien, et elle a cru en cela, dit le président, vous traiter favorablement.»
L’Académie, dans une autre rencontre, prend au contraire parti pour Hunault et réprouve la conduite d’un confrère qui, gardien trop zélé des priviléges de sa corporation, avait assisté à la saisie de divers objets d’étude et d’enseignement dont la rigueur des règlements lui interdisait la possession et l’usage. «On a parlé, dit le procès-verbal du ’’ mars 1733, de l’affaire de M. Hunault, chez qui les prévôts des chirurgiens, du nombre desquels était M. Rouhault, membre de cette Académie, ont saisi le 9 de ce mois plusieurs cadavres, des squelettes et des instruments d’anatomie. On a prié M. Bignon, président, d’envoyer chercher M. Rouhault pour lui dire le mécontentement que l’Académie avait de sa conduite en cette occasion à l’égard d’un confrère.»