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I
ITALIE!
ОглавлениеOui, rien ne dégénère au pays où nous sommes!
Toujours sous d’autres noms, naissent les mêmes hommes!
Et quand les esprits forts, contempteurs du présent,
Vaticinent la fin d’un monde agonisant;
Diogènes railleurs vont à la découverte
D’un seul homme, peuplant une France déserte,
Et demandent aux nains qui rampent sous leurs yeux,
S’ils sont vraiment les fils des géants, leurs aïeux,
Un incident surgit; une rumeur immense
Ébranle l’univers; le passé recommence,
Les jours des grands périls reviennent, et des voix
Font un appel lugubre aux héros d’autrefois,
Nomment tous ces guerriers, géants de même taille
Qui semaient la terreur sur le champ de bataille,
Et se sont endormis, dans leur froid panthéon,
Du sommeil de la mort, avec Napoléon.
Où sont-ils? dites-vous. Mais, endormis la veille,
Le premier cri de guerre, aujourd’hui, les réveille.
Déjà, dans la Crimée, ils ont changé de noms
Au baptême de feu, vomi par les canons!
Ainsi, rassurez-vous, ô citadins timides:
Jadis, on les nommait, devant les Pyramides,
Kléber, Desaix, Murat, Lannes et Beauharnais:
Aigle de l’Empereur, quand, pour nous, tu renais,
Ils adoptent ces noms d’illustre renommée,
Burinés sur les rocs de l’ardente Crimée;
Les héros d’Aboukir, du Thabor, du Carmel,
Se nomment Canrobert, Bourbaki, de Lourmel,
De Lourmel qui voulait prendre seul une ville,
Cler, Decaen, Mac-Mahon, Mellinet, d’Allonville,
Et vingt autres encor, qui du second élan,
Bondissent de l’Euxin aux plaines de Milan,
Et vont continuer l’histoire paternelle
Sous ce ciel que notre aigle effleura de son aile,
Sous ce soleil, qui vit nos drapeaux triomphants,
Et propice aux aïeux, va sourire aux enfants!
Aujourd’hui, ce n’est plus pour un arpent de terre,
Que la France se lève et déchaîne la guerre,
L’aigle n’a pas repris son essor souverain
Pour s’agrandir un peu sur l’Escaut ou le Rhin;
La France a dans ses mains, l’Afrique tout entière,
Et partout l’Océan est sa large frontière;
Elle a donc tout un monde à créer, à présent,
De l’Atlas, aux trois mers; ce lot est suffisant.
Et ce n’est pas non plus la France qui mendie
Les impôts de Venise et de la Lombardie,
Et demande aux hameaux, de sang humain rougis,
Son pain quotidien qui lui manque au logis;
La France est assez riche et peut vivre chez elle
Sans emprunter ailleurs, sans exciter le zèle
Des banquiers trop rétifs, dont le prêt hasardeux
Se réserve un florin, quand il en risque deux.
Lorsqu’elle veut remplir ses coffres, elle lance
Son mandat à ses fils; personne ne balance,
Le riche et ses écus, le pauvre et ses liards
Arrivent; dans un jour, on a deux milliards.
En fait de gloire aussi la France est assez riche,
Elle pourrait en vendre un peu, même à l’Autriche,
Sans beaucoup s’appauvrir; elle a des monuments
Élevés de partout à ses vieux régiments;
Des colonnes, des arcs, où l’airain et la pierre
Étalent des exploits à lasser la paupière,
Avec l’aigle de France, et le sphinx de Karnak,
Où l’Empire nous crée un nouvel almanach;
Car la noble Clio, la muse de l’histoire,
Au lieu du saint du jour, y grave une victoire!
Donc, si la France encor se lève, cette fois
On ne met plus en jeu les caprices des rois,
Ou des ambitions la sanglante folie;
Elle va consoler sa mère, l’Italie,
Et pour venir en aide à ceux que nous aimons,
D’un coup de son épée elle aplanit les monts!
Il est passé le temps de ces conquêtes vaines!
Aujourd’hui, notre sang s’allume dans nos veines,
En voyant Niobé versant des pleurs amers,
Et confiant sa plainte aux plaintes des deux mers,
Sans voir venir des ports de France ou d’Angleterre
Le secours attendu par cette noble terre!
Et que lui manque-t-il à ce pays si beau
Qu’entourent le silence et le deuil du tombeau
Pour remonter aux temps où sa mine féconde
Des trésors du génie enrichissait le monde?
A-t-il perdu ses ports, ses beaux fleuves, son nom,
Ses deux mers, son soleil, sa poésie? Oh non!
C’est toujours, c’est toujours l’Italie adorée
Qui créa l’âge d’or de Saturne et de Rhée;
C’est toujours ce soleil qui mit sur l’Aventin
L’auréole d’azur du grand peuple latin,
Et dans ses doux rayons fit resplendir à Rome
La beauté de la femme et la fierté de l’homme!
C’est toujours le pays qui donne des leçons
Dans un calme immobile à nous tous qui passons;
Toujours l’alma parens, la divine Cibèle
Abreuvant l’univers à sa double mamelle,
Et, sur ses vieux débris, sauvés du temps rongeur,
Enseignant l’avenir au monde voyageur:
Dans le flanc de ses monts, c’est toujours cette argile
Dont Dieu fit Raphaël, et Dante, après Virgile,
Humaine trinité qui, sur la terre a lui,
Et ferait croire en Dieu, si l’on doutait de lui!
Toujours, dans ses vallons, sous son ciel, sur ses marbres
Ce démon de midi qui fait vibrer les arbres,
Darde la flamme au cœur, et dicte tous les vers
Dont le souffle amoureux embrase l’univers!
Toujours, du pied des monts, au golfe de Tarente,
Ce chant aérien, cette brise odorante,
Ce murmure des pins, ces suaves concerts,
Cet éternel duo chanté par les deux mers,
Dans le golfe tranquille, et sur le promontoire,
Forment gratuitement un saint conservatoire
Où l’artiste, écoutant par l’oreille du cœur,
A le soleil pour lustre, et Dieu pour professeur.
Aussi, le monde entier les a-t-il applaudies,
Ces musiques du cœur, ces tendres mélodies,
Que l’orchestre des pins, des vagues et des fleurs
Inspira pour l’amour, le sourire ou les pleurs!
C’est toujours le pays de la lyre féconde!
Et n’aurait-il créé, comme Dieu crée un monde,
Un soleil radieux qui n’a point de couchant,
Que Rossini, son fils, le Virgile du chant,
Il faudrait entourer cette terre bénie
De ce profond respect qu’on accorde au génie
Et traverser les monts pour dresser un autel
A l’auteur de Moïse et de Guillaume Tell!
Eh bien! que manque-t-il à cette zone ardente,
Mère de Raphaël, de Virgile et du Dante,
A ce sol vigoureux encor de puberté?
Il lui manque un rayon perdu! sa liberté!
Oh! tu la reprendras! ton corps attend cette âme,
Italie! et Vesta n’a pas éteint sa flamme!
Oui, nous nous rappelons trop bien ce que tu fis
Dans les terribles jours des belliqueux défis,
Quand, tombé sur l’Europe, au souffle de l’Asie,
Le barbare éteignait l’art et la poésie!
Quand le croissant, vainqueur du Labarum latin,
Brisa, sous ses deux becs, l’atelier byzantin,
Tu reçus dans tes ports et dans tes basiliques
Ces épaves des arts, ces augustes reliques,
Que les flots du Bosphore envoyèrent aux tiens,
Rouges encor du sang des artistes chrétiens.
Mahomet te lança le feu de ses colères;
Gênes, Naples, Venise, apprêtant leurs galères,
Les yeux toujours fixés sur l’horizon romain,
Attendaient le sultan, leurs glaives à la main;
Il ne vint pas; et toi, généreuse Italie,
Bien plus artiste alors que la Grèce amollie,
Digne de ton passé, fille des Antonins,
Tu fondas un refuge au pied des Apennins
Pour tous ces exilés, qui, dans un monde avare,
Demandaient une toile ou le bloc de Carare,
Et tu leur donnas tout; les peintres, les sculpteurs,
Atteignirent de l’art les sublimes hauteurs;
Sur tous les horizons, la Péninsule entière,
De son antiquité se créa l’héritière;
On épuisa Carare; on lança vers les deux
Ces dômes, dont la cime épouvante nos yeux;
On prit des pans de mur pour toiles, et les fresques
Reçurent du pinceau des tailles gigantesques;
On exhuma partout la Rome des Césars,
Avec ses vieux trésors, les merveilles des arts,
Ses colonnes, ses dieux, son peuple de statues,
Reliques, par la main du Vandale abattues,
Et tu devins encor, malgré tant de revers,
Quoique esclave de tous, reine de l’univers!
Il faudrait être Scythe, ou Bulgare, ou Sarmate,
Né d’un flocon de neige, et d’un froid diplomate,
Pour ne pas tressaillir de colère, en pensant
Que ce noble pays a donné tout son sang
Pour nous civiliser, nous tous, tant que nous sommes,
Pour charmer les ennuis de l’enfance des hommes,
Et qu’aujourd’hui la chaîne est rivée à ses pas!
Tout appartient à lui, lui ne s’appartient pas!
Oh! la France lui doit l’aide de sa puissance;
Un rayon florentin fit notre Renaissance,
Nous nous en souvenons; ses cris sont entendus.
Honte au peuple oublieux des services rendus!
France, fais ton devoir et le devoir des autres,
Unis dans le combat ses étendards aux nôtres,
Ton sang avec le sien, tes mains avec ses mains,
Et nous retrouverons ensemble les chemins
Où l’oncle impérial, par un double prodige,
Enchaînait le Danube, et délivrait l’Adige.
La carte du pays porte d’illustres noms
Connus de nos soldats; nous nous en souvenons
Toujours avec orgueil, depuis soixante années;
Ils nous rendront bientôt les mêmes destinées;
Nos soldats y verront passer devant leurs yeux
Les ombres des grands morts, leurs immortels aïeux,
Et voudront leur prouver, en marchant sur leur trace,
Que le même pays revoit la même race!
Allez, puisqu’il le faut, en bataillons épais,
Par cette guerre encor nous conquérir la paix;
Fasse le Dieu du ciel que ce soit la dernière;
Après, nous enfermons Bellone prisonnière
Au temple de Janus, et de la même main,
Nous jetterons ses clefs dans le fleuve romain.