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I

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Table des matières

— Vous avez connu le bonheur jusqu’à ce jour, cela vous ennuie; vous voulez ouvrir au malheur la porte de notre maison.

Celui à qui cette réflexion était adressée frappa du pied le tapis, s’arrêta au milieu de sa promenade de salon, croisa les bras et dit:

— Un mariage est donc un malheur? Je vous remercie, madame, c’est très-flatteur pour moi.

— Vous ne voulez pas me comprendre,, reprit brusquement la femme, pourtant rien n’est plus clair; vous vous obstinez à vouloir marier notre fille contre son agrément, eh bien, le malheur viendra signer au contrat.

— Ma pauvre femme, tu as perdu l’esprit; les romans du jour t’ont brouillé la cervelle; tu parles comme un quatrième acte de drame, mais moi qui ne lis que la cote de la Bourse, je suis positif comme un chiffre; je parle et j’agis comme un homme. Je ne reconnais pas à une petite fille le droit de contrôler le choix de son père, lorsqu’il s’agit de mariage. Au reste, tu sais que j’ai des engagements de longue date; une parole donnée par moi Vincent Dimmer à mon ami M. Xavier Molart, le père de Victor. Voilà qui est décisif.

— Voulez-vous que je vous dise une vérité ? reprit la femme en regardant son mari avec des yeux d’un iris orageux.

— Oui, à condition que votre vérité ne sera pas un mensonge.

— Me prenez-vous pour un homme, monsieur mon mari?... Vous allez voir si j’ai deviné le fond de votre pensée...

— Dis-moi le fond de ma pensée.

— Vous voulez faire une alliance avec M. Molart, non pas parce qu’il est votre ami, mais parce qu’il est le plus riche colon de la Guadeloupe, et qu’il donne à son fils six cent mille francs comme épingle de noces.

Après avoir dit cela, Mme Dimmer, qui était assise devant la cheminée, se mit à tisonner pour raviver le feu qui flambait très-bien cependant.

Le mari se promenait avec agitation de l’est à l’ouest du salon; il s’arrêta tout à coup, et dit:

— De qui tenez-vous cela?

— Qu’importe? reprit la femme; ma vérité est-elle un mensonge?

— Eh bien! en admettant que le fait soit vrai, suis-je blâmable si je songe à choisir pour ma fille un mari riche et un héritier à grandes espérances?

— Oui, sans doute, vous êtes blâmable. Notre fille se passe de la fortune de son mari; vous êtes riche comme un fils de la Californie et du Pérou. Qu’avez-vous besoin d’aller chercher de l’argent chez les autres? Ce qu’il faut à notre fille Ànaïs, c’est un mari agréé par elle, fût-il pauvre comme Job.

— Vraiment! s’écria M. Dimmer en croisant ses mains par-dessus sa tête; vraiment! les femmes sont étonnantes! elles ne comprennent rien au siècle présent et à ses exigences tyranniques? Ai-je fait mon siècle, moi? ai-je inventé votre luxe ruineux? ai - je inventé la vie des affaires, moi?... Madame, vous traînez là, dans la cheminée, comme Cendrillon, une robe que j’ai payée huit cents francs! Vous avez un goût effréné pour la toilette, malgré vos trente-huit ans, et vous avez donné ce goût à notre fille, qui fait déjà des rêves de princesse, et voudra mettre dans sa corbeille de noces tout ce que l’Inde produit en châles, Golconde en diamants, Malines en dentelles, Paris en caprices. Je suis riche! je suis riche! vous ne cessez de me jeter ma richesse à la tète, quand vous méditez une folie. Est-ce que quelqu’un est riche aujourd’hui? N’avons-nous pas vu, de notre temps, des millionnaires de la veille, vivre d’emprunt le lendemain? Tant qu’on est dans les affaires, on n’est pas riche. On s’endort sur un coffre-fort, une crise éclate, on se réveille sur un grabat.

— Et qui vous force à rester dans les affaires? interrompit vivement la femme; pourquoi ne liquidez-vous pas demain?

— Ah! bon! en voici d’une autre! croyez-vous que je pourrais me faire à la vie d’oisif, moi qui ne puis vivre que d’activité ? croyez-vous que je puis me résoudre à l’existence obscure, moi qui adore le bruit flatteur que donne la considération? liquider, c’est m’enterrer de mon vivant. Permettez-moi de ne pas ouvrir ma tombe, lorsque je jouis d’une santé florissante, entretenue par les affaires et le travail.

— Ah! il est beau votre travail. Ne dirait-on pas que vous êtes forgeron ou ébéniste? Quel travail! aller tous les jours en coupé à la Bourse; rire et bavarder avec les agents de change; faire écluse de boursiers sur les boulevards; prendre une glace chez Tortoni, jouer au whist à votre club: voilà votre travail, le travail de la paresse et de l’oisiveté.

— Madame, c’est pourtant ce travail qui soutient le crédit de la France, qui fait circuler par mille canaux la vie industrielle, qui... Au reste, je suis bien bon de discuter ces graves questions avec vous; je parle hébreu..... il est tard et j’ai rendez-vous chez mon agent de change de très-bonne heure demain... Bonsoir, madame, j’espère vous retrouver avec un visage plus joyeux.

—Oh! n’espérez pas; je serai triste jusqu’aux larmes tant que ce maudit mariage ne sera pas rompu.

— Prenez-en votre parti, madame, ce mariage sera fait; les choses sont trop avancées. Mon futur gendre est arrivé de la Guadeloupe avec mon consentement; il nous a déjà fait ses premières visites; j’ai en portefeuille sa lettre de crédit. Aujourd’hui il a payé ses grandes emplettes de noces; vous voyez qu’il est impossible de dire à ce jeune homme: mon ami, vous avez fait quinze cents lieues pour vous marier, eh bien, embarquez-vous et faites-en encore autant pour rester garçon, je me suis moqué de vous..... Madame, vous chargez-vous de lui dire cela?

— Oui.

— En propres termes?

— L’équivalent suffira. Mes expressions seront polies; la forme corrigera le fond.

— Vraiment, madame, vous auriez ce courage?

— Une mère a toujours le courage de sauver son enfant. Voyez celle de Florence.

— Mais notre fille n’est pas dans la gueule d’un lion.

— Elle est bien plus à plaindre; vous la précipitez dans une vie de douleurs, de larmes, et de désespoir.

— Madame, votre obstination n’est pas naturelle, et il m’est permis en vous écoutant de concevoir de graves soupçons. Nous vivons dans un siècle et dans une ville où abondent les mariages de proposition et de convenance; et ce sont les meilleurs ceux-là. Ainsi, je ne crois pas faire acte de tyrannie en donnant à ma fille un jeune mari de vingt-cinq ans, riche, charmant et bien élevé. Ce que je crains maintenant, le voici: votre opposition acharnée m’éclaire; il y a une chose que vous ne dites pas; il y a une amourette mystérieuse, un Arthur de roman, un jeune homme pauvre, mais ennuyé de l’être, et qui, sous prétexte de mariage, tire sur moi la lettre de change d’une dot. Eh bien, madame, que dites-vous de ce soupçon?

— Je dis que je n’aurais jamais cru trouver tant d’imagination chez un homme positif.

— Voilà toute votre réponse?

— Oui, et je la regrette même; il y a des questions qui ne devraient obtenir pour toute réponse que le silence.

— C’est bien, madame; ma simple conjecture se change en conviction.

Mme Dimmer croisa les bras, se renversa sur le dossier de son fauteuil, ferma les yeux, et prit la pose du sommeil.

Son mari la regarda quelque temps, secoua la tête, et fit un geste de menace: puis, allumant un bougeoir, il marcha lentement vers la porte, tourna la tête pour voir si sa femme ne le rappelait pas, et voyant qu’elle gardait toujours sa pose d’immobilité, il sortit.

Cinq minutes écoulées, Mme Dimmer se leva, et se plaçant devant son miroir, elle dit à voix basse: vous avez trente-huit ans! Voilà donc la galanterie conjugale dans les mariages de convenance et de proposition?

Cela dit, elle poussa un soupir et sonna.

Sa femme de chambre, Virginie, jeune ingénue civilisée par l’antichambre, accourut un bougeoir à la main.

— Virginie, lui dit Mme Dimmer, venez me déshabiller.

Les deux femmes entrèrent dans une chambre à coucher richement meublée, et toute décorée d’allégories matrimoniales, qui, dans la lune de miel, font croire à l’éternité des amours.

A l’extrémité du lit, le décorateur, d’après les dessins de M. Dimmer, avait incrusté deux colombes en bois doré. Mme Dimmer appuya une main vigoureuse sur cette allégorie qui n’était plus qu’un ornement, l’arracha, et la jeta au feu.

— Madame, dit Virginie, je vous prie de dire à monsieur que ce n’est pas moi qui ai fait ce dégât.

— Ne craignez rien, Virginie, dit Mme Dimmer en s’asseyant devant sa table de toilette... Vous venez de quitter ma fille?

— Oui, madame.

— Était-elle un peu plus calme?

— Vous me demandez la vérité, n’est-ce pas, madame?

— Sans doute.

— Eh bien, madame, je vous dirai en confidence que mademoiselle s’est couchée en pleurant.

— Ah!.., Vous a-t-elle parlé... ou dit quelque chose... sur...

— Sur quoi, madame?

— Sur... les commérages du moment!

— Non, madame... Ah! oui... elle m’a dit que notre portier parlait beaucoup trop.

— Et sur quoi parle-t-il notre portier?

— Sur le prétendu de mademoiselle, ce petit jeune homme d’Amérique qui est venu bouleverser notre maison.

— Et peut-on savoir ce que dit le portier? car c’est une autorité dans le voisinage, et tout le monde doit dire ce qu’il dit.

— Madame... je suis bien embarrassée... Si le portier savait que...

— Il ne saura rien, Virginie, Comptez sur ma discrétion.

— Eh bien! madame, il dit que vous avez tort de marier une demoiselle si belle avec un petit collégien d’Amérique, qui est pâle, maigre, fier, laid, muet, provincial, et qui ne salue pas les concierges. Il dit que mademoiselle sera malheureuse avec ce nain d’Amérique, et que tous les portiers sont du même avis.

— Et il ne dit rien de plus, Virginie?

— Mais, madame, il me semble qu’il y en a déjà pas mal comme ça.

— Cherchez bien, Virginie.

— Madame... il me semble... que j’ai tout dit.

—Virginie, vous manquez de confiance envers votre maîtresse... Je vois votre visage dans mon miroir de toilette, et je lis un secret dans vos yeux.

— Mais... madame... c’est que... il y a des choses si délicates... On ne peut rien vous cacher, à vous, madame.

— Allons... il est tard... Virginie, parlez.

— Eh bien! madame... vous vous souvenez de la nuit du bal de M. le comte de Brady?

— Oui... vite, continuez.

— Un jeune homme très comme il faut accompagna madame et mademoiselle dans une voiture de remise, parce que M. Dimmer avait défendu de faire sortir ses chevaux, à cause du verglas...

— Vite, vous dis-je, dit Mme Dimmer avec impatience.

— Ce jeune homme entra dans la cour de l’hôtel, vous offrit la main pour vous faire descendre de voiture, et l’offrit ensuite à Mme votre mère et à Mlle Anaïs... Est-ce vrai?

— Oui; continuez.

—Alors le portier a bien vu... Le jeune homme, resté seul, remonta en voiture, et, en passant devant la loge, il appela le portier et lui donna vingt francs.

— Et le portier les prit?

— Jamais un portier n’a refusé vingt francs... Cette générosité ne parut pas naturelle... on ne donne pas un louis pour se faire tirer le cordon d’une porte qui est ouverte... Le portier eut alors une idée... une idée de portier; il se dit: ce jeune homme a des vues sur mademoiselle. Demain, ayons l’œil sur le trottoir. Il ferma la porte cochère et se coucha pour dormir vite et commencer son espionnage de bonne heure... Puis-je continuer, madame?

— Sans doute, et ne cachez rien.

— Le lendemain, à dix heures, par un temps brumeux et froid, un jeune homme, couvert d’un paletot jusque par-dessus le nez, passa sur le trottoir, vis-à-vis, et regarda les fenêtres du premier étage. Le portier reconnut tout de suite le jeune homme des vingt francs, et il négligea son service pour faire son métier d’espion. Le passant, qui ne se croyait pas surveillé, descendit jusqu’au coin de la rue de Provence, et remonta pour regarder encore les fenêtres de votre appartement. Ce manège dura jusqu’à onze heures, et le portier vit très-distinctement un signe d’intelligence, que le jeune homme dirigea vers le petit balcon de la chambre de mademoiselle; après quoi il ne vit plus rien: mais tous les jours, à la même heure, il revoit la même chose et il dit qu’il avait souvent entendu parler de l’amour de quelques hommes, mais qu’il n’y en avait point de la force de celui-là.

— Et vous tenez tous ces détails du portier? demanda Mme Dimmer.

— Oh! non, madame, le portier est discret; je les tiens de sa femme qui est beaucoup plus portière que lui.

— C’est bon, Virginie, vous avez fait votre devoir, et vous aurez votre récompense.... mais il faut à tout prix mettre fin à ces commérages..... Oh! soyez tranquille, Virginie, je ne vous trahirai pas; c’est vous qui payerez la discrétion de ces bavards,

En ce moment, le silence de la nuit était si profond que Mme Dimmer entendit une plainte sourde qui ressemblait à un sanglot étouffé.

Elle se leva vivement, toute convulsive d’émotion et dit:

— Virginie, vous n’avez rien entendu?

— Oui, madame, reprit Virginie en prêtant l’oreille; là, du côté de la chambre de mademoiselle.

— Virginie, vous pouvez vous retirer, et ne parlez à personne de tout ce que vous savez.

— Madame sera contente de moi.

Et elle sortit de la chambre à coucher.

Alors Mme Dimmer prit un bougeoir, traversa un petit corridor, et arrivée devant la chambre de sa fille, elle colla son oreille contre la porte, et cette fois elle entendit ce bruit déchirant que font les larmes du désespoir.

Elle donna un léger coup à la porte en l’accompagnant d’une voix douce qui disait:

— C’est moi, Anaïs, c’est ta mère, ouvre-moi.

La porte s’ouvrit presque tout de suite et Mme Dimmer entra, referma la porte et courut pour embrasser sa fille qui s’était remise au lit.

— Mon Anaïs, dit la mère en couvrant sa fille de baisers et de larmes; tu veux donc me désespérer; tu veux donc tuer ta mère! voyons parle-moi, dis-moi le secret de tes douleurs; tu n’auras jamais de meilleure confidente.

— Le secret de mes douleurs, vous le connaissez, répondit Anaïs d’une voix entrecoupée de sanglots.

— Je sais, ma fille, que tu ne veux pas accepter pour mari celui que ton père te destine; mais ton désespoir est si grand qu’il me fait soupçonner autre chose. Un mariage de proposition n’est pas si affreux à envisager, lorsque le cœur est libre. Ma chère fille, avoue-moi tout, je t’en conjure: je suis prête à tout entendre, à tout excuser, à tout pardonner.

Il y eut un moment de silence; la mère avait cessé de prier et de provoquer un aveu par ses paroles, mais ses ardentes caresses et ses larmes qui coulaient sur le sein nu d’Anaïs étaient plus éloquentes que le meilleur discours.

Anaïs fit un effort suprême, comme si elle eût arraché son secret de l’abîme du cœur, et se jetant au cou de sa mère elle lui dit à l’oreille:

— J’aime celui que vos éloges m’ont fait aimer.

— Le comte Ferdinand de Lassis!

Un oui imperceptible effleura l’oreille de Mme Dim - mer.

— Mais, tu connais ce jeune homme depuis fort peu de temps? reprit la mère avec douceur.

— Depuis deux mois.

— Mais, tu ne lui a pas parlé souvent?

— J’ai dansé quatre fois avec M. le comte, et j’ai assisté à une conversation que vous avez eue avec lui au bal de la baronne; et, s’il vous en souvient, vous me dîtes le soir: Je n’ai jamais vu un jeune homme plus charmant et plus spirituel.

— Oui, reprit la mère, en effet, je me souviens d’avoir dit cela: je le regrette aujourd’hui, si c’est mon éloge qui te rend si malheureuse..... Mais, chère fille, ne me fais pas une demi-confidence Tu n’as jamais vu ce jeune homme qu’au bal et devant moi?

— Je ne lui ai jamais parlé qu’au bal et devant vous; mais je l’ai vu souvent passer dans notre rue.

— Où il passe probablement pour te voir?

— De loin.

— Ainsi, ma fille, ce jeune homme t’aime?

— Je le crois.

— As-tu reçu des lettres de lui?

— Une seule, au dernier bal.

— Et tu la lui as rendue, sans doute?

— Hélas! non.

— Veux-tu la montrer à ta mère?

— Puis-je vous refuser quelque chose? vous êtes si bonne pour moi.

Anaïs enfonça sa main sous l’oreiller, et en retira une lettre qui, malgré sa date récente, était en lambeaux. Mme Dimmer prit la lettre, et se rapprochant du bougeoir qu’elle avait déposé sur la console en entrant, elle lut ce qui suit:

«Paris, 14 février 1836.

D Mademoiselle,

» J’écris cette lettre sans espoir de la voir arri-

» ver à son adresse; je l’écris pour donner quel-

» que adoucissement à des souffrances jusqu’à ce

» jour inconnues. Il me semble que je vous parle et

» que vous m’écoutez. Cette illusion me fait du bien.

» En réalité, c’est pour moi seul que je fais cette

» lettre, et c’est la meilleure garantie de sincérité

» que je vous donne, si par le plus grand des hasards

» votre obligeance daignait accepter et lire ce que

» j’écris pour moi seul.

» Il y a trois mots devenus si vulgaires qu’on

» n’ose plus les employer lorsqu’on veut exprimer

» une passion qui n’a rien de commun avec les

» banalités galantes et les intrigues de l’amour

» bourgeois: et pourtant après avoir bien cherché

» dans le vocabulaire du cœur, on reconnaît que

» ces trois mots seuls résument et résumeront tou-

» jours, pour tous les êtres, et dans toutes les lan-

» gues, le plus doux des sentiments de notre âme:

» je vous aime, mademoiselle.

» Le ciel, en vous comblant de tous les dons qui

» divinisent une femme, aurait dû être satisfait de

» son œuvre, et se borner à cette prodigalité sans

» pareille; mais il vous a placée parmi les favorites

» de la fortune: vous êtes une héritière, comme on

» dit dans la langue de la spéculation matrimoniale;

» vous avez une dot de princesse; c’est ce que le

» monde dit, et cette fois le monde a malheureuse-

» ment raison.

» Ce qui est un attrait dans notre siècle d’argent,

» est un obstacle pour moi, gentilhomme, qui suis

» du siècle de l’honneur. Ce terrible mot héritière

» a vingt fois arrêté cette main qui vient d’écrire je

» vous aime. Il me semble que si mon amour si pur

» ose prononcer le mol mariage, tout un peuple

» d’envieux va s’écrier que le comte Ferdinand se

» mésallie pour s’enrichir, et cette pensée empoi

»sonne même le bonheur que je rêve et me fait

» souvent désirer de ne pas atteindre la réalité.

» Une réponse ou un signe de vous pourrait

» peut-être modifier mes scrupules: alors je me

» donnerais la hardiesse de déclarer mes intentions

» à la femme qui vous a donné son esprit, sa

» grâce, sa beauté, à votre mère; j’allais dire à

» votre sœur, car lorsque vous êtes assises à côté

» l’une de l’autre dans un salon, il n’y a qu’un.

» cri dans la foule pour vous saluer du titre de

» sœurs.

» J’attends ce que votre grâce réserve à mon

» amour.

» COMTE FERDINAND.»

Mme Dimmer marcha lentement vers le lit de sa fille, et en lui rendant la lettre, elle lui dit:

— Et tu n’as pas répondu à cette lettre?

— Non, bonne mère.

— Tu as bien fait... mais en ne la lui rendant pas, tu l’as autorisé à croire que cette lettre était acceptée avec plaisir. Ne pas refuser une lettre qu’un jeune homme nous donne clandestinement, c’est lui répondre: je suis satisfaite de votre amour, continuez.

— Mais c’est bien aussi ce que j’ai voulu lui faire comprendre; répondit naïvement la jeune fille.

— Enfin, dit la mère avec un soupir, demain je ferai une dernière tentative auprès de ton père; je me jetterai à ses genoux s’il le faut. Aucune humiliation ne me coûtera pour ramener M. Dimmer à des sentiments meilleurs.

Anaïs embrassa vivement sa mère, et lui dit:

— Oh! vous réussirez cette fois: il est impossible que mon père s’obstine à faire le malheur de sa fille unique, n’est-ce pas?

— Espérons, mon ange; Dieu a touché de plus endurcis.

— Mais, dit Anaïs, vous ne m’avez rien dit de la lettre du comte?

— J’aurai besoin de la relire pour te donner mon opinion... le début de cette lettre me paraît un peu forcé ; il manque de naturel. A la vérité, le comte se relève dans le passage de ses honorables scrupules à l’endroit de la dot...

— Et dans l’éloge qu’il fait de vous, interrompit Anaïs.

— Ah! dit la mère avec joie; ah! j’ai surpris un sourire sur ton visage; c’est de bon augure... Eh bien, oui, franchise pour franchise, je ne te cacherai pas que cet éloge m’a fait plaisir, surtout après l’épigramme que M. Dimmer vient de me décocher... Ma chère Anaïs, il faut nous préparer par le repos à la rude journée de demain. Veux-tu promettre à ta mère de ne plus pleurer et de dormir?

— Oui, si vous passez la nuit avec moi. Votre visite m’a donné de l’espoir: restez, l’espoir restera.

— Il faut qu’une mère obéisse à sa fille, dit Mme Dimmer en ôtant ses boucles d’oreilles; ce n’est pas la loi humaine qui dit cela, c’est mon cœur.

Un crime inconnu

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