Читать книгу Le Pauvre François ; Ferma contre Pagliati - Josephine Colomb - Страница 4
I
ОглавлениеOn causait avec animation, à la veillée, chez le fermier Michel.
«Certainement! certainement! une bonne action porte toujours bonheur, d’abord.
— Ça se dit, mais ça n’est pas sûr.
— Oh! est-il possible! Vous n’avez donc pas de cœur, monsieur Lucas? Envoyer ces pauvres enfants à l’hospice!
— Eh bien, madame Germaine, pour qui est-il fait, l’hospice?
— Si on parlait de vous y envoyer, vous, quand vous serez vieux?
— Oh! moi, il n’y a pas de risque!
— Parce que vous avez de l’argent; mais il y a bien. des vieux qui n’en ont pas et qu’on n’y envoie pas pour cela. Leurs enfants sont trop heureux de les garder, de les soigner, de les aimer, quoiqu’ils ne puissent plus se rendre utiles. Eh bien, les petits enfants, c’est la même chose; ils gagneront leur vie plus tard; en attendant, il faut les élever. Je vous demande un peu si cela mettra les gens du village dans la misère, de donner, chacun à son tour, une écuellée de soupe et un chiffon de pain à ces innocents!
— Permettez, madame Germaine; je suis le maire de la commune, et je dois veiller aux intérêts de mes administrés. Trois enfants dont l’aîné n’a pas sept ans, c’est une lourde charge, voyez-vous. »
Germaine haussa les épaules.
«Belle charge! comme s’il ne se perdait pas assez de morceaux de pain pour les nourrir et de vieilles nippes pour les habiller! Et puis, l’aîné est très sage, on peut déjà lui donner des moutons à garder, avec un bon chien. En même temps il gardera sa petite sœur, qui ne gênera personne; et quant au petit qui ne marche pas, je vous demande un peu quelle peine il donnera dans une maison? Sa pauvre mère n’avait pas l’habitude de le dorloter; elle le mettait par terre, il se promenait à quatre pattes et s’amusait tout seul: il continuera.
— Mais si ces enfants tournent mal en grandissant? Pensez à la responsabilité, madame Germaine, à la responsabilité !
«Il se trouvera assez de vieilles nippes pour les babiller.»
— Oui, vous avez de ces grands mots qu’on ne trouve que dans les livres: cane prouve rien. Ils tourneront mal si personne ne s’occupe d’eux, si personne ne les aime; mais, si toutes les femmes du village agissent avec eux comme des mères, si chacun leur dit de bonnes paroles et leur apprend à bien agir sans y mettre de rudesse, pourquoi voulez-vous qu’ils tournent mal? Je ne vois qu’une chose: la pauvre Marianne était toujours prête à rendre service et ne regardait pas à se donner de la peine pour son prochain; le malheur est tombé sur elle, elle a perdu son mari, elle s’est tuée de fatigue pour gagner la vie de ses enfants; il est bien juste qu’on leur rende le bien qu’elle a fait aux enfants des autres. Eu a-t-elle soigné quand ils étaient malades! en a-t-elle gardé quand les mères ne pouvaient pas s’en occuper! Vous avez beau dire, monsieur le maire, il faut adopter ces enfants-là. Nous nous en chargerons, nous, les ménagères, et vous verrez que personne ne s’en plaindra. N’est-ce pas, ma mère? n’est-ce pas, Jeannette? n’est-ce pas, Julienne? n’est-ce pas, madame Grelondeau?»
Et Germaine se tournait en parlant vers les personnes qu’elle avait interpellées, habitantes comme elle du village de Saint-Aubin-le-Vieil. Elles étaient réunies pour la veillée autour du foyer où rougissaient de joyeux tisons, et toutes, la vieille fermière Jeannette avec sa quenouille, Julienne avec son rouet, et la vieille Grelondeau avec son tricot, hochaient la tête en signe de consentement. Le fermier Jean Michel, le mari de Germaine, souriait d’aise, tout fier d’avoir une petite femme qui avait si bon cœur et qui parlait si bien; et son père, le vieux Michel, vénérable comme un patriarche, avec ses cheveux blancs sortant de dessous son bonnet de laine bleue, paraissait tout attendri.
La vieille Jeannette avec sa quenouille
«Si vous le voulez tous, c’est une affaire faite, dit Lucas; mais rappelez-vous que je m’en lave les mains, si cela tourne mal....
— Eh non, mon cher Lucas! dit le vieux Michel. Comme dit Germaine, une bonne action porte bonheur; et ces trois petits nous serviront à éduquer nos enfants. Vous verrez que les plus étourdis, quand on leur aura confié un des orphelins, auront grand soin qu’il ne lui arrive pas de mal, et que nos grandes filles mettront un peu de côté leur coquetterie et leur amour de la toilette pour les habiller de leur ouvrage. Il n’y a rien qui profite comme la peine qu’on se donne pour autrui.
— Encore quelque chose qui n’est pas bien sûr! marmotta le maire.
— Eh si! quand ce ne serait que le contentement qu’on en retire. C’est la seule récompense que cherche un homme qui a du cœur, quand il entame une besogne pénible pour l’utilité de son prochain: s’il lui en arrive une autre par-dessus le marché, tant mieux; mais ce n’est pas l’intérêt qui l’a soutenu et qui lui a rendu le cœur joyeux pendant qu’il se donnait du mal, vous pouvez m’en croire.
— Je veux bien, monsieur Michel; vous êtes un homme d’âge et d’expérience, vous devez savoir ce que vous dites. Mais ça n’est tout de même pas commun, de se donner de la peine pour autrui; là, j’entends de la vraie peine, pas de ces petits services qu’on rend toute la journée, parce qu’ils ne vous coûtent guère.
— Ça se trouve encore plus souvent que vous ne croyez. Voulez-vous que je vous raconte une histoire?
— Une histoire vraie? Ça nous changera des contes de nos femmes, qui sont pleins de loups-garous et d’autres bêtises de l’ancien temps. Racontez, père Michel.»
Lucas tira son tabac de sa poche et se bourra une pipe pour mieux écouter; Julienne arrêta son rouet et prit le tricot de dame Grelondeau pour la reposer, et chacun se rapprocha du vieux Michel. Il faisait bon dans la grande cuisine de la ferme; au dehors, le froid piquait, et les étoiles brillaient comme des diamants bleuâtres à travers les petites vitres. Le père Michel jeta un regard amical à sa femme, se recueillit un instant, et commença à parler, en caressant doucement un grand chien de berger qui s’était installé entre ses jambes, le museau sur son genou.