Читать книгу Le Pauvre François ; Ferma contre Pagliati - Josephine Colomb - Страница 6
III
ОглавлениеQuinze jours après, il était encore dans le lit où les deux vieillards l’avaient apporté. Il revenait lentement à la vie; ses blessures étaient fermées, mais ses forces ne revenaient pas; il restait comme engourdi et ne pouvait ni agir ni penser. Il sentait pourtant la bonté de ses hôtes; il avait essayé de demander où il était, de s’excuser, mais Suzon n’avait pas écouté ses excuses et l’avait seulement engagé à se guérir vite, parce qu’elle ne le laisserait pas partir malade. Il n’avait pas insisté ; il avait la tête si faible! Il ne s’était seulement pas demandé si ces braves gens étaient pauvres ou riches.
Il apprit qu’ils étaient pauvres, un soir qu’ils parlaient de lui, le croyant endormi.
«Pauvre garçon! disait le père Pierre, il ne revient pas vite. Ce n’est pas faute de le soigner pourtant. Qu’est-ce qu’on pourrait donc faire pour le guérir?
— Je crois bien qu’il lui faudrait de la viande! répondit la mère Suzon d’un ton mystérieux.
— Eh bien, je pourrais aller demain en chercher à la ville.
— Le boucher ne t’en donnera pas sans argent... et je n’ai pas d’argent.
— C’est vrai! nous, nous n’avons pas besoin d’argent, avec du lait, du pain, des pommes de terre,... mais pour un malade il faudrait de la viande.... Tu n’as rien que tu pourrais vendre?»
François n’entendit plus bien le reste; il comprit qu’il était question de croix d’or, de chaîne d’argent, d’agrafes de mante, et que l’on comparait la valeur de ces objets. La nuit passa là-dessus; et le lendemain, quand François se réveilla, la mère Suzon n’était pas là, et c’était le vieux Pierre qui s’occupait du ménage. Quand Suzon revint, elle avait un air triomphant, et elle gronda son homme de ce qu’il n’avait pas allumé le feu et rempli la marmite d’eau. Elle se hâta de le faire et mit un beau morceau de viande dans la marmite Ce jour-là, François mangea de la viande, il but plusieurs fois du bouillon et se trouva tout réconforté ; mais il remarqua que la mère Suzon n’avait plus à sa ceinture la chaîne d’argent au bout de laquelle pendait son couteau, depuis que François la connaissait.
«Elle l’a vendue, et c’est pour moi!» se dit-il, en remarquant que ses hôtes ne touchaient ni à la viande ni au bouillon. Il en eut honte, et, par un effort de volonté, il se leva de son lit et réussit à rester debout, à la grande joie de la brave femme.
Depuis ce jour-là sa guérison marcha vite. En une semaine il reprit assez de forces pour se lever presque toute la journée, aller, venir, et même à la fin aider un peu dans la maison. Il put aussi causer avec ses hôtes, leur exprimer sa reconnaissance.
«Vous ne me connaissiez pas! disait-il; pourquoi donc vous êtes-vous donné tant de peine pour moi?»
Ils paraissaient tout étonnés.
«Eh! répondaient-ils enfin, est-ce que nous pouvions vous laisser mourir dans le bois!»
Peu à peu ils firent connaissance. François raconta aux deux vieux qu’il était un enfant de l’hospice, élevé dans une ferme, d’où on l’avait renvoyé à treize ans, parce qu’on n’avait pas besoin de ses services, et que l’hospice ne payait plus pour lui. On l’avait placé à la ville, il avait fait plusieurs métiers; maintenant il avait vingt ans, et il voyageait, cherchant de l’ouvrage, quand il avait été attaqué et volé.
Son histoire n’était pas gaie; mais celle de ses hôtes était bien plus triste. Lui, il était jeune, il avait l’avenir devant lui; mais eux! après une longue vie de travail sans repos, ils espéraient pouvoir jouir un peu de leurs derniers jours: il leur restait un fils, si fort, si dur à la fatigue, si alerte à l’ouvrage, et si bon garçon! Comme leur petit bien était en bel état quand il vivait! on ne manquait de rien dans la maison. Il se serait marié avec une bonne travailleuse; à eux deux ils auraient agrandi la propriété, et les vieux parents auraient eu une fin de vie bien douce au milieu de leurs petits-enfants. Mais Dieu ne l’avait pas voulu; une mauvaise fièvre avait emporté leur fils, et depuis ce temps-là ils n’avaient plus eu une minute de joie.
«Sans compter, ajoutait la mère Suzon, que mon Pierre a soixante ans passés, et que je ne suis pas jeune non plus.... Nous travaillons tant que nous pouvons, mais il y a plus d’ouvrage que nous n’avons de force.... Enfin, tant que nous pourrons soigner la vache et labourer le champ de pommes de terre, il ne faudra pas nous plaindre,... mais c’est triste tout de même de ne plus voir de jeunesse autour de soi!»