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DE L’EMPLACEMENT ET DE LA CONSTRUCTION DE LA BIBLIOTHÈQUE
ОглавлениеLe choix d’un emplacement pour l’établissement d’une bibliothèque est très important. Suivant que ce choix sera fait d’une manière judicieuse ou peu réfléchie, la bibliothèque rendra plus ou moins de services. Il suffit d’exprimer cette proposition, et il ne nous semble pas utile de nous y appesantir. C’est d’ailleurs à celui qui doit être le propriétaire de l’établissement, simple particulier, municipalité ou corporation quelconque, qu’il appartiendra de décider à cet égard. Des exigences particulières ou locales, de nature parfois très diverse, expliqueront souvent certains choix qui, au premier abord, pourraient paraître peu conformes aux principes théoriques. Ces principes, toutefois, ne doivent jamais être perdus de vue, et nous croyons utile de placer ici quelques réflexions générales, qui pourront servir de guides dans la plupart des circonstances.
Il importe avant tout de se faire une idée exacte de la nature de la bibliothèque qu’il s’agit d’établir et de l’importance qu’elle doit avoir. Or, au point de vue des personnes qui sont appelés à en user, on divise généralement les bibliothèques en deux grandes classes: les bibliothèques publiques et les bibliothèques privées.
Cette division nous paraît, à cause de sa généralité même, manquer un peu d’exactitude. Il serait plus conforme à la réalité des choses de distinguer trois classes de bibliothèques: publiques, semi-publiques ou privées. Dans les premières, le public en général est admis: elles sont à l’usage de tous; quel que soit leur propriétaire, leurs richesses sont à la disposition de tout le monde: tous indistinctement peuvent y venir travailler. Dans les secondes, dans les bibliothèques semi-publiques, on ne reçoit que certaines catégories de personnes (membres d’une corporation, d’une compagnie, d’une société, étudiants de facultés ou d’écoles spéciales): quiconque n’appartient pas aux catégories prévues ne peut y être admis: elles ne sont point publiques dans le sens absolu du mot. Enfin les bibliothèques privées, appartenant à un particulier, sont, en principe, à son usage exclusif: s’il y admet d’autres personnes, c’est un pur effet de son bon vouloir.
Nous devons encore ajouter ici une observation: c’est que, quel que soit d’ailleurs le caractère que devra revêtir la bibliothèque à former, il y a deux choses qu’il est opportun de ne pas perdre de vue: en premier lieu, elle doit avoir pour objet de favoriser le plus possible l’étude; en second lieu, c’est un dépôt précieux, qu’il faut autant qu’on le peut mettre à l’abri des dangers de détérioration et de destruction. Plus on donnera satisfaction à cette double exigence, plus la bibliothèque sera placée dans une situation convenable. Il ne saurait y avoir d’hésitation à admettre ces points.
Supposons d’abord qu’il s’agisse d’une bibliothèque publique. La plupart du temps, cette bibliothèque devra être un établissement indépendant et d’une certaine importance. Souvent même il y aura lieu de construire exprès l’édifice qui doit la former. D’autres fois, on voudra aménager un bâtiment déjà existant. Dans le premier cas, l’on aura une plus grande liberté d’action pour le choix d’un emplacement, et l’on devra s’efforcer de réunir toutes les conditions d’utilité et sécurité désirables. C’est à cette première hypothèse que nous nous orrêtons tout d’abord.
Nous supposons donc que tout soit à faire, construction et le reste. Pour atteindre le premier but mentionné ci-dessus, à savoir que la bibliothèque doit le plus possible favoriser l’étude, il faudra choisir dans la ville un quartier assez calme, et en même temps assez rapproché de ceux habités par les personnes que l’on suppose devoir être la clientèle ordinaire de la bibliothèque. C’est à quoi l’on ne songe pas toujours assez. Cependant il n’y a guère de ville où l’on ne trouve certains quartiers qui paraissent plus spécialement désignés pour l’érection d’établissements d’études. Pourquoi ne choisirait-on pas de préférence un de ces quartiers? Sans doute, lorsqu’il s’agit d’une bibliothèque publique, tous ont le même droit de profiter de ses richesses; néanmoins il serait peu équitable de subordonner aux commodités d’un petit nombre de personnes celles d’un beaucoup plus grand nombre. Nous voudrions que la bibliothèque fût mise à portée de tous, mais surtout à portée de ceux qui en useront certainenement.
Nous avons ajouté que le quartier choisi devrait avoir assez de calme pour favoriser l’étude. Tout travail, en effet, demande du calme et de la tranquillité ; le travail de l’esprit, plus que tout autre, craint le bruit et le tumulte:
Carmina secessum scribentis et otia quærunt,
dit le poète; c’est dans la retraite et loin des foules que s’enfantent les œuvres du génie. Est-ce à dire, pourtant, qu’il faille placer la bibliothèque en un lieu tout à fait retiré du mouvement de la population? Non, certes: tout est relatif en ce monde. Ce que nous désirons, c’est que le bâtiment de la bibliothèque soit assez éloigné du bruit de la rue, pour que l’étude n’en soit point troublée. Même dans les quartiers les plus populeux et les plus agités, on trouvera toujours, pourvu qu’on le veuille sincèrement, un endroit réunissant ces conditions d’une manière suffisante.
Il est encore, avons-nous dit, un autre but que nous devons nous efforcer d’atteindre, un autre point qu’il faut tâcher de concilier avec le premier: c’est de mettre la bibliothèque à l’abri des dangers de détérioration et de destruction. Pour cela, ne choisissons pas, d’abord, des terrains bas et humides: l’humidité engendre la moisissure, et peut à la longue causer aux livres de grands dommages. Ensuite, évitons également le voisinage trop rapproché d’un établissement dangereux, tel qu’une usine ou un magasin contenant des matières inflammables. Pour ne devoir être souvent que vaine, cette dernière précaution n’a pas moins en elle-même une grande importance. En tout cas, le danger de feu sera toujours considérablement amoindri, si l’on peut isoler le bâtiment de la bibliothèque . Dans le cas, en effet, de quelque sinistre dans le voisinage, la communication deviendrait bien difficile, pour ne pas dire impossible.
Si maintenant nous arrivons à la construction même du bâtiment et à la disposition qu’il faudra lui donner, nous nous inspirerons encore des mêmes idées, et nous tâcherons de concilier toujours le besoin de la sécurité avec l’utilité des travailleurs. Nous ne songeons pas à entrer dans les détails de la construction: ceci est l’affaire de l’architecte chargé du travail; nous voulons seulement donner quelques indications générales qui nous paraissent bonnes à signaler.
D’abord si la configuration du terrain le permet, il serait à désirer que le bâtiment fût disposé de façon à avoir des ouvertures des deux côtés, et que ces ouvertures fussent au levant et au couchant: on aurait ainsi le plus de jour possible, avec la facilité d’établir de temps à autre des courants d’air, ce qui serait très avantageux pour la bonne conservation des livres.
Mais on peut être contraint de subir la loi de nécessités plus fortes. Alors, et s’il n’est possible de donner au bâtiment d’ouvertures que d’un côté, tâchons au moins de les avoir du côté du soleil levant.
Ce conseil nous est donné par un grand architecte, Vitruve, dont l’autorité doit être pour nous de quelque poids. Voici d’ailleurs comment ce maître de la construction s’exprime à propos du point qui nous occupe: «Cubicula et bibliothecæ ad orientem spectare debent; usus enim matutinum postulat lumen. Item in bibliothecis libri non putrescent; nam in his, quæ ad meridiem et occidentem spectant, a tineis et humore vitiantur, quod venti humidi advenientes procreant eas et alunt, infundentesque humidos spiritus pallore volumina corrumpunt .» Vitruve, en effet, avait bien raison, et ce qui était vrai de son temps l’est encore aujourd’hui. D’une part, l’aspect du midi favorise la naissance et le développement des insectes, fléau redoutable pour les bibliothèques; d’autre part, l’aspect du couchant rend la bibliothèque humide et expose les livres à la moisissure. Pour ce qui est du nord, il a, lui, les bises sifflantes, les rigueurs persistantes de l’hiver, les brumes, qui donnent aussi l’humidité. Au contraire, l’orient apporte un air doux et fortifiant, pur, tiède et léger suffisamment sec et tempéré par une suave fraîcheur: l’orient, c’est la vie en sa jeunesse; il donne la vigueur, égaie le cœur et rend à l’homme le travail agréable et facile. En même temps, cette exposition permettra de faire pénétrer souvent l’air à l’intérieur, et cet air, abondant et assez chaud, sans être brûlant comme celui du midi, sera toujours extrêmement avantageux à la conservation des livres.
Le même besoin de préserver les livres de l’humidité nous. fera encore désirer qu’ils ne soient point placés au rez-de-chaussée, mais au moins au premier étage. Si cependant le bâtiment est exclusivement destiné à recevoir le dépôt des livres, et qu’il soit nécessaire d’occuper même le rez-de-chaussée, il sera opportun de le surélever un peu au-dessus du sol et de le munir d’un bon parquet: par ce moyen, l’on conjurera, dans une certaine mesure, l’inconvénient que nous signalons ici.
Quant à la forme à donner au bâtiment de la bibliothèque, elle dépendra généralement beaucoup de la configuration du terrain que l’on aura à sa disposition. Toutefois, la forme qui nous paraît la plus commode et où l’espace pourra être le mieux ménagé, est sans contredit celle d’un carré long: c’est celle, en effet, qui peut donner les surfaces les plus étendues et les plus régulières pour le placement des rayons.
Si le bâtiment est assez large pour pouvoir être divisé en deux dans le sens de la longueur, on pourra avoir, d’un côté, une salle de lecture suffisante, puis d’autres salles pour le service, peut-être même aussi une salle pour les manuscrits et les ouvrages précieux; de l’autre côté, on aurait une grande salle formant la bibliothèque proprement dite, et cette salle pourrait encore recevoir des accroissements de surfaces au moyen de travées transversales, en ménageant seulement un couloir dans toute la longueur. La figure ci-dessous peut donner une idée de cette disposition, que nous croyons très avantageuse. Nous y supposons la bibliothèque et ses dépendances au premier, ou, si l’on veut, au second étage.
Figure 1.
On pourrait aussi placer, a l’une des extrémités du bâtiment, la salle de lecture et les salles de service, et à l’autre extrémité, la bibliothèque formant deux salles contiguës, assez grandes encore, mais moins longues. Voici alors les dispositions que l’on pourrait avoir. Voir ci-dessous, fig. 2.
Mais il peut arriver encore que le bâtiment n’ait pas assez de largeur pour être divisé en deux. Dans ce cas, et en supposant que le bâtiment pût néanmoins être éclairé des deux côtés, il ne serait pas sans avantage de disposer les salles de la manière indiquée en la fig. 3 ci-contre:
Comme on peut le remarquer dans les dessins que nous avons présentés, nous avons toujours eu soin de placer la salle de lecture à l’entrée du bâtiment, afin que les lecteurs ne fussent pas obligés de traverser d’autres salles pour y arriver. Le cabinet du bibliothécaire, qu’il faut toujours réserver pour ses travaux particuliers, y est contigu, afin qu’il y soit toujours aussi présent que possible. Puis, autant que le local le permettra, une autre salle pour les livres reçus récemment et non encore catalogués, ou pour ceux qui auraient été retirés des rayons pour cause de réparations ou autrement. Ensuite une salle pour les manuscrits et les ouvrages précieux. La bibliothèque proprement dite vient après.
Si la bibliothèque doit occuper plusieurs étages, il va sans dire que la salle de lecture et le cabinet du bibliothécaire occuperont l’étage inférieur. De même la salle des manuscrits. Les étages supérieurs formeront la bibliothèque proprement dite.
Jusqu’ici, nous avons toujours supposé le cas d’une bibliothèque à construire, et d’une bibliothèque devant former par elle-même un établissement indépendant. Mais il arrivera souvent que la bibliothèque à former devra faire partie d’un établissement plus ou moins complexe, comme une école quelconque, faculté ou autre, un tribunal ou une cour, etc.: ce sera le cas de ce que nous avons appelé une bibliothèque semi-publique. Ici, nous n’avons rien à dire du choix de l’emplacement général. Mais ce choix étant fait, on ménagera le plus possible la partie des bâtiments destinée à la bibliothèque suivant les principes exposés ci-dessus, c’est-à-dire qu’on s’efforcera de placer les ouvertures au soleil levant, et que l’on prendra de préférence un premier, et même, si on le peut, un second étage.
Quand il s’agit de construction à élever, il n’y a généralement pas de grandes difficultés à concilier ces exigences. Mais s’il est nécessaire de choisir un local dans des bâtiments déjà existants, sauf à l’aménager en vue du but à atteindre, on sera souvent moins à l’aise. Toutefois nous croyons qu’il sera bon de ne pas perdre de vue, dans le choix à faire, les idées qui ont été exposées plus haut: la bibliothèque sera placée dans des conditions d’autant plus favorables, qu’on s’en sera rapproché davantage.
S’agit-il enfin d’une bibliothèque privée? Nous n’avons rien de particulier à ajouter ici. La plupart du temps, le propriétaire choisira, pour l’établir, quelque partie de ses appartements. S’il a de l’espace suffisant, et si la disposition des bâtiments le permet, nous l’engagerons à déterminer le plus possible son choix dans les conditions que nous avons indiquées. La situation la plus avantageuse sera toujours celle où il y aura le moins à craindre de l’humidité, où l’on pourra jouir d’un beau jour et où l’on pourra faire pénétrer l’air facilement.
Dans les développements qui précèdent, nous n’avons, en parlant du choix d’un emplacement et de la construction de la bibliothèque, considéré que le présent. Mais une bibliothèque est généralement appelée à recevoir dans l’avenir des accroissements successifs plus ou moins importants, plus ou moins rapides. C’est là une considération qui mérite examen.
Il est évident, d’une part, qu’il serait abusif et absurde de construire une bibliothèque pouvant contenir 100,000 volumes, lorsqu’on est certain que dès l’abord elle n’en aura pas plus d’une vingtaine de mille. Combien d’années s’écouleront avant qu’on ait. atteint ce chiffre de cent mille? Quel espace resté inoccupé, et que de sommes dépensées sans profit? Mais, d’un autre côté, il est bien à prévoir que le chiffre de 20,000, que l’on suppose devoir former le premier fonds de la bibliothèque, sera augmenté d’année en année. N’y aura-t-il pas des achats à faire de temps à autre? Ne peut-on pas recevoir quelques dons, soit de particuliers, soit du gouvernement? Il n’est donc pas téméraire de prévoir qu’un jour viendra, où le local de la bibliothèque, largement suffisant aujourd’hui, deviendra trop resserré ; qu’elle voudra émerger au dehors et reculer ses limites. Il sera donc prudent, dans le premier choix d’un emplacement, de se demander si, plus tard, le cas échéant, il serait possible de donner à la bibliothèque de l’extension. Quant à la construction elle-même, l’architecte aurait soin de la disposer de telle sorte qu’elle fût plus tard susceptible de recevoir des développements qui ne nuisissent pas à l’unité du plan primitif. Quel que soit d’ailleurs le caractère que doive revêtir la bibliothèque que l’on a en vue, il est indispensable de songer, d’une manière immédiate, au présent; mais il est bon de jeter en même temps un coup d’œil vers un avenir plus ou moins éloigné.