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II

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Table des matières

Jacques de Brécourt parut se recueillir un instant, puis il reprit son récit:

—Il est inutile que je te rappelle avec quelle difficulté j'étais parvenu à vaincre les préventions de madame de Frémilly, qui avait été mise par mes amis au courant de ma vie passée. Madame de Frémilly est une femme charmante, des plus distinguées, une véritable grande dame.

—La dernière douairière du Faubourg, dit Mareuil en lâchant une bouffée de fumée.

—Elle a pour sa petite-fille, poursuivit Brécourt, une véritable adoration, un culte même, et elle ne voulait s'en séparer que lorsqu'elle serait sûre que le mari qu'elle lui choisirait la rendrait heureuse.

—Comme si, murmura Mareuil, on pouvait être sûr jamais de ces choses-là!

—Elle prétendait pouvoir l'être…. Dans tous les cas, elle était décidée à prendre les plus minutieuses précautions, à étudier elle-même, avec toute sa science de la vie, toute sa perspicacité, le prétendant qui aspirait à la main de sa petite-fille, ce chef-d'oeuvre de toutes les grâces et de toutes les vertus. Je savais cela…. Je savais combien il me serait difficile, avec mon passé, d'être agréé de madame de Frémilly, et je voulais commencer par conquérir la jeune fille, qui se tiendrait moins sur ses gardes que la grand'mère, et qui plaiderait ensuite ma cause auprès d'elle…. C'est ce qui arriva…. J'eus le bonheur d'être remarqué de Laurence, de lui plaire et d'être aimé d'elle, car je suis aimé, j'en suis sûr … je puis le dire sans fatuité…. Un jour enfin—jour que j'avais jusqu'ici considéré comme le plus beau, le plus triomphant jour de ma vie—je fus admis chez madame la douairière de Frémilly…. Laurence avait dû parler de moi…. A partir de ce jour, je ne vécus plus que pour Laurence…. Je n'avais de joie que lorsque j'étais près d'elle…. Et quand je la quittais, je ne pensais qu'au moment où je reviendrais.

—On dit que c'est ça le véritable amour, fit Mareuil, l'air sceptique.

—Ah! continua Jacques sans prendre garde à l'interruption ironique de son ami, quelles heures j'ai passées alors … quelles journées!… Je ne croyais pas qu'il fût possible ici-bas d'être si heureux…. Quand je franchissais la porte du petit salon où Laurence et sa grand'mère se tenaient d'ordinaire, deux yeux qui avaient pour moi l'éclat de belles fleurs épanouies m'accueillaient en me souriant, et il me semblait que c'était le paradis même qui s'ouvrait pour moi.

—Oui … oui … fit Mareuil, indifférent…. C'est très joli … je ne dis pas….

—Je m'asseyais … poursuivit de Brécourt, sur un petit tabouret … près de Laurence, à quelques pas de la grand'mère … et pendant qu'elle brodait, je la regardais, je la regardais, et j'étais heureux! Nous ne parlions guère…. Quels mots auraient pu exprimer ce que je ressentais?

—Bref, fit Mareuil, que ces détails paraissaient amuser médiocrement … vous vous aimiez….

—Comme on n'a peut-être pas aimé encore.

—Tous les amoureux disent la même chose.

—Oui. Mais cela n'a peut-être jamais été plus vrai que pour nous deux.

—Plusieurs semaines se passèrent ainsi, reprit Jacques, et un soir, quand Laurence se fut retirée, madame de Frémilly, qui m'avait fait un léger signe de tête pour m'indiquer de rester, me dit:

—Vous aimez ma petite-fille, monsieur de Brécourt?

—De toute mon âme, madame, répondis-je.

—Vous ne lui êtes pas indifférent.

—Oh! madame!

J'aurais voulu, pour cette parole, qui en disait pour moi plus qu'elle n'en avait l'air, qui m'indiquait que j'étais parvenu à conquérir la sympathie—sinon l'amour de Laurence, je n'osais pas espérer, encore un pareil bonheur—j'aurais voulu, dis-je, pour cette parole, qui mettait en moi la belle fleur de l'espérance, j'aurais voulu saisir les mains de la douairière, les couvrir de baisers et de caresses. Je n'osai pas. J'étais si ému, si transporté, que je n'avais trouvé d'autre parole que cette exclamation: «Oh! madame!» qui n'était pas, comme tu le vois, bien compromettante.

Mareuil se mit à sourire.

—Comme vous êtes drôles, vous, les amoureux! Vous pensez des choses!

Et l'air un peu supérieur, comme pris de pitié pour l'enthousiasme de son ami, qu'il considérait sans doute comme une faiblesse, il lança vers le ciel plusieurs bouffées de fumée.

—Madame de Frémilly, reprit Jacques de Brécourt, trouva sans doute l'expression de ma physionomie plus expressive que toutes les paroles que j'aurais pu dire pour tâcher de dépeindre mon bonheur. Elle en parut satisfaite, car cela lui démontrait que l'amour que j'avais pour Laurence était profond, sincère.

Elle poursuivit:

—Non, vous ne lui êtes pas indifférent.

Mais elle s'empressa d'ajouter, comme pour corriger sa phrase, qu'elle trouvait encore sans doute trop expressive:

—Elle ne me l'a pas dit…. Mais j'ai cru m'en apercevoir, et c'est d'après mes observations que je parle.

—Oh! madame! m'écriai-je, puissiez-vous ne pas vous être trompée!

Elle sourit de mon exaltation.

Et elle ajouta finement:

—Franchement, je ne le crois pas.

C'était un aveu.

J'étais aimé! Laurence m'aimait! Et elle l'avait dit! Juge de mon bonheur, de mes transports. J'étais fou!

—Je m'en aperçois, fit Mareuil, tu l'es encore.

—Hélas! c'est de douleur maintenant, fit le pauvre Jacques.

Et des larmes montèrent à ses yeux.

Il les refoula pour dire:

—Mais je continue…. Nous arriverons assez vite à la catastrophe, à la catastrophe inattendue, inouïe, qui a changé en deuil toutes mes joies, qui brise mon bonheur, mon avenir, ma vie!… Mais ce soir-là, je ne prévoyais pas un tel dénouement.. J'étais tout à mes espérances, à mes transports insensés…. J'attendais avec anxiété que madame de Frémilly s'expliquât … me dit où elle en voulait venir, ce qu'elle avait résolu.

Elle ne me fit pas attendre longtemps.

—Vous savez, me dit-elle, combien j'aime ma petite-fille?

—Qui ne l'aimerait pas? m'écriai-je.

—Depuis qu'elle vit, poursuivit-elle, je n'ai pas eu d'autre pensée que son bonheur. Il ne m'était resté sur terre que cette affection, toutes les autres m'ayant été enlevées successivement par la mort impitoyable…. Je n'ai plus vécu que pour Laurence, qui représentait tout pour moi ici-bas.

—Je le sais, madame, dis-je, et je vous ai enviée bien des fois de pouvoir ainsi lui consacrer toutes les heures de votre vie.

—C'est vous dire, fit-elle, avec quelle appréhension je remettrai à d'autres mains le soin d'une félicité si précieuse.

—Oh! madame, m'écriai-je, personne ne la cultivera comme moi, cette félicité, que je serais si heureux de voir s'épanouir et grandir au soleil de mon amour!

—Je vous crois, me dit-elle…. Je crois que vous êtes sincère … que vous aimez vraiment Laurence, et comme elle doit être aimée. Mais les hommes sont faibles…. L'amour peut endormir pour un temps leurs passions, qui reprennent ensuite, plus impérieuses et plus violentes.

—Je n'en ai plus d'autres au coeur, affirmai-je, que l'amour de

Laurence.

—Pour le moment.

—Pour toujours!

—J'ai pris sur vous des renseignements….

Comme j'avais eu un geste involontaire, elle ajouta aussitôt:

—Non pas sur votre fortune…. La question d'argent ne me préoccupe guère…. Vous seriez pauvre, que je vous donnerais Laurence, si j'étais persuadée qu'elle trouverait près de vous le bonheur…. Mais sur votre passé….

—Oh! madame, fis-je, j'ai fait bien des folies….

—De grandes folies, dit-elle.

—Je ne connaissais pas Laurence…. J'y ai renoncé.

—Je le sais, me déclara-t-elle…. Depuis quelque temps votre conduite est assez exemplaire…. Sans cela, je ne vous aurais pas ouvert la porte de ma maison.

—Sans savoir, dis-je, si je plairais à mademoiselle de Frémilly, si je serais agréé par elle, j'avais rompu avec toutes mes connaissances, toutes mes amitiés, trouvant dans l'amour qui me possédait déjà assez de force pour résister à toutes les tentations, assez de joies pour remplacer toutes les autres…. Mais, depuis que j'ai été admis auprès d'elle, depuis que dans mon coeur s'est glissé l'espoir de lui plaire un jour, je me serais regardé comme le dernier des misérables, si je n'avais renoncé à tout ce qui avait été jusqu'ici un plaisir pour moi. Je n'avais plus qu'un plaisir: la voir…. Et il n'y avait plus pour moi qu'une lumière: celle qui tombait de ses yeux.

Madame de Frémilly approuva encore mes paroles et dit:

—Je vous crois…. Je crois à votre repentir…. Vous pouvez vous considérer, à partir de ce soir, comme le promis, le fiancé de Laurence.

—Ah! s'écria Jacques, quand j'entendis cette parole … te dire ce que je ressentis … c'est impossible…. J'étais comme foudroyé … foudroyé de bonheur….

Le promis, le fiancé, moi … et de Laurence!…

Je tombai à genoux.

Je saisis le bas de la robe de madame de Frémilly et je l'embrassai avec des transports insensés.

Mareuil se leva.

C'était trop pour lui.

Il jeta dans le feu son cigare qui venait de s'éteindre.

Et il dit:

—Toi, Brécourt?

—Moi, Brécourt.

—Franchement, je ne l'aurais jamais cru.

—Et pourquoi?

—Parce que je te croyais incapable….

—D'aimer?

—De pousser la folie….

—Où ne l'aurais-je pas poussée?… Le promis de Laurence! Son mari bientôt…. As-tu songé aux délices que cela me promettait? Aux félicités surhumaines?

—Certainement, Laurence est jolie.

—Ce n'est pas parce qu'elle est jolie que j'étais fou, mais parce que je l'aime. Tu ne comprendras jamais cela, Mareuil, car tu ne l'aimes pas, toi, tu n'aimes pas.

—Et je n'y tiens guère, si l'amour devait me rendre aussi insensé.

Il se fit un silence.

Jacques de Brécourt semblait tout à son extase. On eût dit qu'il avait devant lui la vision de l'image radieuse qu'il venait d'évoquer et que son être tout entier adorait.

Jamais amour si sincère, si ardent et si pur n'avait peut-être encore embrasé une âme humaine.

Malgré son indifférence et son scepticisme même, le gros Mareuil en était frappé, et loin d'être disposé, comme tout à l'heure, à railler son ami, il était bien près de l'envier.

L'amour est donc chose si belle et procure-t-il de telles joies?

Mais tout à coup, la physionomie de Jacques de Brécourt s'assombrit et il dit:

—Voilà où j'en étais, dans quelles délices supraterrestres je nageais, sachant le mariage prochain, le jour presque fixé, quand ce soir, il y a quelques heures, madame de Frémilly, comme le soir où elle m'avait dit de rester pour m'ouvrir le ciel, me fit encore, au moment où Laurence nous quittait, le même signe, à peine perceptible, mais cette fois pour me plonger dans les horreurs et les ténèbres de l'enfer. Je ne me doutais naturellement pas de ce qu'elle avait à me dire, et je croyais qu'il s'agissait de quelque dernier détail à régler, d'une clause du contrat peut-être à fixer et qu'elle ne voulait pas débattre devant Laurence, et je revins, après avoir conduit Laurence jusqu'au seuil de la porte, m'asseoir à la place que j'occupais, sans l'ombre d'une appréhension, et les yeux encore tout éblouis de la beauté de celle que je venais de quitter.

Un mot de madame de Frémilly arrêta sur mes lèvres le sourire heureux qui s'y épanouissait, éteignit dans mes yeux la lumière qui y brillait.

—Il faut, me dit-elle brusquement, et dès que nous fûmes seuls, renoncer à nos projets, monsieur de Brécourt.

Je la regardai.

Je ne comprenais pas…. Je n'osais pas comprendre. Et pourtant, un frisson avait parcouru mon corps et glacé tout mon sang.

Je demandai:

—Quels projets?

—Votre mariage avec Laurence, avec ma petite-fille.

Je jetai un cri.

J'aurais vu la terre s'entr'ouvrir, la foudre tomber à mes pieds, que je n'aurais pas été plus saisi.

Je m'écriai:

—Ai-je bien entendu?

—Oui, monsieur de Brécourt, vous avez bien entendu.

—Renoncer à Laurence, moi?

—Il le faut.

—Jamais, madame, jamais!

Je m'étais levé. J'allais et venais à travers le salon, comme un fou. Le sang bourdonnait maintenant à mes temps. Je ne voyais plus. Je croyais m'agiter au milieu d'un rêve, dans un monstrueux et horrible cauchemar.

Je voulais parler. La voix s'arrêtait dans mon gosier desséché.

Je pus cependant bégayer quelques mots à peine compréhensibles.

—Mais, madame, vous ne pensez pas….

—Si, monsieur, dit la grand'mère, inflexible, et qui semblait, froide et ferme comme un roc…. J'ai bien réfléchi et ma décision est désormais irrévocable.—

J'eus un cri d'angoisse.

—Mais pourquoi?…

—Ne me forcez pas, dit-elle, à vous faire connaître mes raisons…. D'ailleurs, je ne les dirai pas…. Mais elles sont des plus sérieuses, et il le fallait, croyez-le bien, pour que je me décidasse à vous causer une telle peine et peut-être à Laurence un tel chagrin.

En entendant ces dernières paroles, un peu d'espoir rentra dans mon âme.

—Laurence ne sait donc pas? interrogeai-je.

—Laurence ne sait rien.

—Ce n'est donc pas, demandai-je encore, parce qu'elle ne m'aime pas, parce qu'elle ne veut plus de moi?

—Je ne lui demanderai pas, dit la douairière, son sentiment…. Mais je lui dirai qu'elle ne peut pas vous épouser, et elle m'obéira….

—C'est donc, fis-je, tout l'être criant de douleur, que vous me trouvez indigne?

—Je n'ai rien, déclara-t-elle, à dire à ce sujet, mais….

Elle se leva comme pour me congédier.

Alors, je vis tout tourner autour de moi….

Il me semblait que la terre allait s'effondrer….

Je m'écroulai à genoux….

—Ah! madame, m'écriai-je, avec un accent de détresse qui aurait attendri un roc, mais qui la laissa insensible … ayez pitié de moi!… Vous savez combien j'aime Laurence, quels rêves j'ai faits!… C'est attenter à ma vie que de me l'enlever maintenant, que de m'en séparer, car sûrement j'en mourrai!… Dites-moi au moins pourquoi vous revenez sur votre parole…. Si c'est par ma faute … parce que je vous ai déplu, et que vous avez quelque reproche à me faire, je tâcherai de racheter ma défaillance par une vie de dévouement, de sacrifices, de….

Je m'arrêtai.

Je ne savais plus ce que je disais….

Des larmes grosses comme le doigt roulaient dans mes yeux.

Madame de Frémilly était toujours debout, se dirigeant vers la porte.

Je voyais qu'elle faisait des efforts pour rester insensible. Et avec sa haute taille … sa pâleur … son grand air de dignité hautaine, elle avait l'air d'une impérieuse et inflexible statue … justicière d'une faute que j'ignorais … et que j'ignore encore.

Je compris que je ne la toucherais pas, que j'aurais avec plus d'espoir imploré un marbre et que je ne saurais rien.

Ses yeux, son geste, tout son être me poussaient dehors.

Je ne résistai plus. Et je sortis.

Je sentais que j'allais m'évanouir de douleur.

La porte franchie, je demeurai un moment étourdi, comme assommé, puis je me décidai à descendre; comme je te l'ai dit, j'ai songé tout d'abord à me noyer, puis j'ai pensé à toi, à ton amitié….

—Que puis-je faire?

—Voir madame de Frémilly, l'interroger sur les raisons de cette singulière rupture qui me brise à la fois le corps et l'âme. Voir mademoiselle de Frémilly … lui apprendre … et savoir si elle approuve la conduite de sa grand'mère, si elle aussi me rejette.

—Je les verrai, dit le gros Mareuil, ému, aujourd'hui même, je te le promets; à moins….

—A moins?…

—A moins qu'elles ne me reçoivent pas.

—Pour quel motif?

—Je ne sais pas…. Mais je ferai mon possible pour les voir … pour leur parler.

—Après, fit Jacques, si je n'ai plus rien à espérer….

Un geste significatif compléta sa phrase.

Mareuil ne le releva pas.

Il se sentait impuissant devant un pareil abattement, un si complet effondrement d'un être qu'il croyait fort.

Le feu s'éteignait. Une lueur de jour pâlissait les fenêtres.

—Tu devrais, dit Mareuil, te reposer un peu.

—Me reposer! murmura Jacques de Brécourt.

Et il jeta à son ami un regard si plein d'angoisse et qui disait si clairement qu'il n'y avait plus pour lui de repos et de calme, que Mareuil frissonna.

—Ah! l'amour! l'amour! fit-il pour cacher son émotion.

Et il ne parla plus.

Il laissa Jacques, qui s'était jeté sur un canapé, plongé dans ses réflexions, abîmé dans sa douleur sans nom.

Le lys noir

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