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III

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Table des matières

Au cours de la journée qui avait précédé ce que Jacques de Brécourt appelait une catastrophe—et la plus terrible, la plus complète des catastrophes—au cours de cette journée, la baronne douairière de Frémilly—car madame de Frémilly était baronne, bien qu'elle portât rarement son titre—était seule dans le petit salon où elle avait coutume de recevoir, avec sa fille, Jacques de Brécourt—un petit salon Louis XVI un peu fané, mais qui avait été fort luxueux et que Laurence ornait en toutes saisons de fleurs fraîches,—quand une des servantes vint la prévenir qu'une dame désirait lui parler tout de suite en particulier.

Madame de Frémilly posa sur un petit meuble le livre qu'elle lisait et demanda:

—A-t-elle dit son nom?

—Non, madame la baronne; elle prétend que c'est inutile, que madame la baronne ne la connaît pas, mais qu'elle a des choses urgentes à dire à madame la baronne, et que madame la baronne ne sera pas fâchée de connaître…. C'est une dame très bien … tout en noir … qui a le visage fort triste.

Madame de Frémilly pensa que c'était peut-être quelque solliciteuse qui avait besoin de ses services.

Et elle demanda:

—Où est Laurence?

—Mademoiselle est dans son atelier, en train de dessiner.

—Fais entrer cette dame, dit la baronne. Et elle attendit la visiteuse.

—Celle-ci se montra bientôt.

Elle entra avec hésitation, paraissant fort timide.

Elle semblait jeune, assez jolie, le regard humble et triste, et ses vêtements noirs faisaient ressortir davantage la blancheur de son teint qui était fort pâle.

Elle s'inclina gracieusement devant madame de Frémilly.

Et, avant de prononcer une parole, elle demanda:

—Nous sommes bien seules, madame?

—Certainement, dit la grand'mère de Laurence, un peu étonnée.

—Personne ne peut nous entendre?

—Personne, madame.

Et la baronne dit à la domestique, qui était restée là:

—Veille, Suzanne, à ce qu'on ne nous dérange pas!

—Oui, madame.

La servante sortie, madame de Frémilly indiqua un siège de la main à la femme en noir, en lui disant:

—Veuillez vous asseoir, madame, et me dire ce qui vous amène.

La visiteuse semblait hésiter à parler.

Elle releva davantage sa voilette, qu'elle avait seulement levée à demi, et elle commença:

—J'ai appris, madame—oh! très indirectement—que mademoiselle de

Frémilly, votre petite-fille, allait épouser bientôt M. Jacques de

Brécourt…. Est-ce vrai?

—Rien n'est plus vrai, madame.

—Ah! fit la visiteuse.

Et une contraction passa sur sa face et la pâlit encore.

La baronne de Frémilly, qui commençait à être inquiète et qui regardait l'inconnue avec un air inquisiteur, demanda:

—Vous connaissez M. de Brécourt?

—Oui, madame, pour mon malheur.

Madame de Frémilly tressaillit.

—Pour votre malheur?

—Oui, si ce que l'on m'a dit est vrai … et je vois maintenant que c'est vrai, puisque vous venez vous-même de me le confirmer.

La baronne fixait l'inconnue avec une attention où il y avait presque de l'égarement et de l'effroi.

Elle s'écria:

—Vous êtes donc?…

—J'ai été la maîtresse de M. de Brécourt. Et je croyais bien être sa femme un jour … comme il me l'avait juré … mais les serments des hommes!…

La visiteuse porta la main à ses yeux … et la baronne s'aperçut qu'elle pleurait.

Elle était fort émue. Cette révélation bouleversait tous ses projets, emplissait son âme d'angoisse.

Brécourt lui avait donc menti en lui affirmant, comme il l'avait fait, qu'il avait rompu depuis longtemps avec toutes ses liaisons, qu'il n'avait eu, du reste, que des amours de passage … et qu'il y avait longtemps qu'il était oublié de celles qu'il avait, comme l'on dit, honorées de ses faveurs.

Quelle était cette femme, dont il lui avait si soigneusement caché l'existence? D'où sortait-elle? Elle n'avait pas l'air d'une de ces femmes avec lesquelles on passe un caprice et que l'on quitte sans y plus songer.

Sa mise était décente. Elle avait tous les aspects d'une femme tranquille, honnête. Etait-ce vrai que Jacques de Brécourt lui avait fait des promesses et qu'il était sur le point de la trahir?

Madame de Frémilly, pouvant à peine dissimuler le trouble qui l'avait saisie, demanda:

—Mais il y a longtemps?

—Longtemps?…

—Longtemps que M. de Brécourt a rompu avec vous?

—Il n'a pas rompu, madame.

—Pas rompu?

—Non, madame. Il m'a laissé tout ignorer jusqu'à aujourd'hui…. Et c'est par d'autres que j'ai appris….

—Mais vous ne le voyez plus?

—Plus rarement qu'autrefois … mais il vient encore.

—Chez vous?

—Oui, madame.

Madame de Frémilly s'était levée.

Elle était devenue fort blême.

L'indignation plissait sa chair, mettait en ses yeux de rouges flammes.

Elle s'écria:

—C'est impossible!

—Je n'ai pas d'intérêt à vous mentir, madame, dit doucement l'inconnue…. Je souffre assez…. Et, si vous doutez de ma parole….

Elle sortit de son sein une photographie et la tendit à la baronne.

Celle-ci y jeta les yeux, devint plus livide encore et demanda:

—Qu'est-ce que c'est que ça?

—Lui, M. de Brécourt.

—Oui, je le vois, je le reconnais.

—Et moi….

—Oui, je vous reconnais aussi.

—Et notre enfant….

—Vous avez un enfant?

—Oui, madame, un garçon.

—Le malheureux! gémit la douairière.

—Et vous voyez, madame, expliqua l'inconnue, qu'il n'y a pas longtemps que la photographie a été faite; la date est au bas.

—Oui, dit la baronne, songeuse, quelques mois à peine. Oh! le misérable, comme il nous a trompées! comme il ment!

Puis, avec violence, s'adressant à l'inconnue:

—Rentrez chez vous, madame. Je vous renverrai ce soir votre amant, le père de votre fils!

Et, du doigt, elle indiqua la porte à la visiteuse qui sortit, ne demandant pas autre chose, car elle avait réussi et avait peine à cacher la joie qui brillait sur ses traits.

Elle voulut reprendre la photographie.

—Voulez-vous me la laisser, madame? demanda la baronne.

—Certainement, madame…. Pourtant, je n'en ai pas d'autre.

—Vous pourrez en faire refaire, maintenant, puisque rien ne le retiendra plus ici et qu'il va vous revenir.

—Qui sait? murmura la femme.

Et elle sortit en poussant un profond soupir … pendant que madame de

Frémilly se laissait tomber, accablée, sur un canapé.

Qu'allait-elle faire?

Oh! pas d'hésitation possible!… Rompre! Chasser cet homme! Le chasser comme un laquais, dont il avait les sentiments, dont il avait la bassesse et la fausseté!

Mais Laurence, Laurence qui l'aimait!… Quelle douleur!

La pauvre grand'mère sentit des larmes amères, des larmes brûlantes monter à ses yeux, gonfler ses paupières, ruisseler sur ses joues.

Mais c'était le devoir.

Elle devait défendre avant tout l'avenir, le bonheur de sa petite-fille.

Elle ne lui révélerait rien, de peur de lui faire trop de peine, mais elle la séparerait à jamais de ce misérable qui songeait déjà peut-être, avant qu'elle fût sa femme, à la trahir et qui la trahirait sûrement le lendemain de son mariage.

Ah! le passé! le passé!

Et la douairière plongea sa tête dans ses mains, s'abîmant dans le plus sombre désespoir.

Elle avait tant prié! Elle avait pris tant de précautions pour que sa petite-fille fût heureuse! Et voilà que les larmes déjà allaient commencer pour elle; les déceptions, les trahisons, tous les chagrins qui sont le lot ordinaire des femmes, dont madame de Frémilly avait tant souffert pour elle-même et dont elle aurait tant voulu préserver celle qu'elle aimait!

Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly, car madame de Frémilly se nommait Laurence, comme sa petite-fille, dont elle avait été la marraine. Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly avait été une des victimes de l'amour, une des victimes, trop nombreuses, hélas, de la duplicité et de l'infidélité des hommes.

Dernière descendante de la famille illustre des l'Oléron-Courlange, jeune, belle, riche, elle s'était éprise, à seize ans, du baron André-Constant de Frémilly—il s'appelait Constant!—un des beaux de la cour de Louis-Philippe, blasé, ruiné, mais un des rois de l'élégance et qui avait, à cheval, la plus fière tenue qu'eût jamais eue un gentilhomme à éperon et à cravache…. Elle l'adora, l'épousa malgré l'opposition de tous les siens, et fut délaissée, trahie pour une drôlesse dont son mari était l'amant avant son mariage, huit jours après son union, célébrée en grande pompe, où le roi s'était fait représenter et à laquelle toute la cour avait assisté…. Elle passa dans les larmes, dans les affres d'une torturante jalousie les plus belles années de sa jeunesse et, si elle n'avait pas eu son fils, le baron Henri de Frémilly, auquel elle consacra désormais son existence, peut-être eût-elle succombé au chagrin et aux rages silencieuses qui la minaient.

Jamais elle ne devait oublier ces cruelles années passées près de cet homme qu'elle aimait, malgré tout, qui n'avait pas l'air de savoir même qu'elle existât et qui allait porter à d'autres des attentions et une ardeur qu'elle aurait été si heureuse de voir réserver pour elle.

Le baron fut tué en duel—pour une autre!—et quand on le rapporta chez elle, la poitrine trouée, prêt à rendre le dernier soupir, c'est le nom d'une autre, d'une rivale, qu'elle recueilli, sur ses lèvres!

Elle vécut dès lors dans la solitude, toute à son fils, et refusa obstinément, avec une sorte d'horreur, tous les prétendants qui se présentèrent.

Elle avait aimé une fois. Elle avait été déçue. Elle ne voulait pas recommencer une aussi cruelle expérience. Elle aurait voulu conserver son fils dans ses idées, lui inspirer aussi la terreur du mariage, mais il s'éprit tout jeune d'une jeune fille qu'il ne pouvait qu'épouser et il supplia sa mère de lui accorder son consentement.

Elle ne résista pas à ses prières…. Et de cette union, qui fut heureuse, mais courte, naquit Laurence. Puis le baron mourut, suivi de près dans la tombe par sa jeune femme, et de nouveau madame de Frémilly resta seule avec Laurence à élever.

Dès qu'elle vit celle-ci en âge de se marier, dès qu'elle s'aperçut qu'on l'avait remarquée, et que bientôt peut-être on allait chercher à la lui enlever, l'épouvante entra dans son âme…. Et quand Jacques de Brécourt se fut déclaré et qu'elle eut appris quelle vie orageuse il avait menée jusque-là, les plus vives appréhensions l'envahirent.

—C'est tout à fait le baron de Frémilly, pensa-t-elle…. Le sort de

Laurence va être semblable au mien.

Et elle s'efforça de préserver sa petite-fille des poursuites de M. de Brécourt. Mais c'est en vain qu'on essaye de lutter contre l'amour…. On n'y échappe pas plus, quand il doit s'abattre sur quelqu'un, qu'on n'échappe au destin et à la foudre … et bientôt la baronne fut obligée de s'avouer que Laurence aimait.

Elle surveilla alors plus attentivement Jacques de Brécourt, se rassura un peu en voyant combien sa passion était profonde et sincère, quels changements elle avait apportés dans son existence jusque-là vouée au désordre, et elle avait fini, en présence du chagrin qu'elle voyait envahir sa petite-fille, et la ronger lentement, par ouvrir à Jacques de Brécourt les portes de son hôtel.

Peu à peu, la douairière avait été gagnée par la bonne grâce, par la loyauté de l'amoureux et elle commençait à lui rendre toute sa confiance quand s'était produite la visite que nous avons racontée.

Alors, tout changea…. La grand'mère fut reprise de toutes ses craintes…. C'était son sort qui attendait la pauvre Laurence … sa petite-fille adorée. Jacques de Brécourt ne valait pas mieux que le baron de Frémilly, que tous les autres hommes. Il avait joué une comédie infâme…. Il mentait mieux que les autres, sans doute…. Là était toute sa supériorité…. Mais il mentait … et il n'en était que plus dangereux puisqu'on se laissait tromper par ses apparences de sincérité.

Toutefois, avant de rompre, la baronne résolut de l'observer encore. Il devait venir passer la soirée à l'hôtel…. Elle l'étudierait une dernière fois … et d'après l'observation qu'elle ferait de son caractère, de sa duplicité,—elle croyait à sa duplicité,—elle prendrait une décision, même sans prévenir sa petite-fille … car elle voulait préserver celle-ci de l'existence qu'elle avait menée elle-même.

Cette soirée, la dernière qu'il devait passer près de Laurence … avait été fatale à Jacques de Brécourt. L'esprit prévenu par la visite qu'elle avait reçue et persuadée que Jacques de Brécourt les trompait toutes les deux, sa petite-fille et elle, madame de Frémilly interpréta toutes les paroles du jeune homme, ses plus chaleureuses protestations et ses plus sincères serments d'amour éternel, dans un sens qui lui fut défavorable.

Elle se disait:

—Comme il ment bien!

Elle avait fait une ou deux allusions très discrètes à la visite reçue.

Et Brécourt, qui n'avait pas compris, avait eu pour elle l'air de ne pas vouloir comprendre.

Elle avait été atterrée de tant de perfection dans la dissimulation.

Dès lors, et avant même que Laurence fût sortie, son parti était pris.

Il fallait arracher sa petite-fille aux trahisons, aux duperies, aux lâchetés basses de cet homme.

Il était plus redoutable peut-être que le baron de Frémilly, car il était plus perfide et plus habile. C'est du moins ce que pensa la malheureuse grand'mère, et on a vu ce qui s'ensuivit, comment elle procéda à l'exécution de l'amour le plus saint, le plus pur et le plus haut peut-être qui eût germé et se fût développé dans deux coeurs dignes l'un de l'autre, l'un pur comme la fleur épanouie au premier printemps, l'autre qu'une flamme de passion avait purifié ainsi qu'un métal souillé passé dans un feu ardent d'où il sort plus brillant et plus net.

La femme vêtue de noir qui avait joué à madame de Frémilly l'atroce comédie que nous avons vue, et qui avait brisé peut-être pour toujours l'idéal bonheur … le bonheur violent, selon l'expression de Michelet, dont jouissaient Laurence et Jacques, cette femme descendit lentement l'escalier qui menait au vestibule de l'hôtel…. Là, elle rencontra un domestique auquel elle demanda, pour dire quelque chose, son chemin et qui lui ouvrit la porte donnant sur la petite cour précédant l'hôtel.

Elle traversa, toujours à pas lents, cette petite cour, car elle marchait comme si elle avait senti sur ses épaules le poids de l'iniquité qu'elle venait de commettre.

Quand elle fut dehors seulement elle se hâta vers un homme planté tout droit au coin de la rue et qui semblait l'attendre.

Cet homme, qui n'avait pas d'âge bien défini, était de haute taille, sans barbe, et avait le visage glabre … avec de longs cheveux pendant sur ses épaules. Il avait l'air prétentieux, le regard faux.

—Eh bien? interrogea-t-il.

—L'affaire est dans le sac, dit la femme qui prit tout de suite un air de désinvolture pour dissimuler les regrets et peut-être les remords qui avaient assailli son âme.

—Elle a cru?

—Tout.

—Et la photographie?

—Elle l'a gardée.

—Bien.

—Et si elle la lui montre?

—Il croira voir son spectre.

—Quel spectre?

—Le spectre de ta soeur.

—C'est donc lui qui l'a fait mourir?

—Oui.

—Et tu ne me l'avais pas dit!

—J'avais peur que tu ne laissasses échapper quelque mot imprudent….

Comme cela tu n'as pu dire que ce que je t'avais dit de dire.

—Exactement, et mot pour mot.

—C'est ce qu'il fallait.

—Tu le hais donc bien?

—Mortellement.

—C'est un supplice pire que la mort que tu lui infliges en brisant….

—C'est ce qu'il faut, interrompit l'homme aux longs cheveux; et il ajouta férocement:

—Il ne souffrira jamais assez!

La femme ne répondit pas et suivit en silence l'homme dont elle venait de servir si utilement la vengeance.

Le lys noir

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