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La première journée. — Lettre de Pauline à Agathe. Babet. — Le maître d’écriture. LETTRE DE PAULINE SÉVERAC A SON AMIE AGATHE DIDIER.
ОглавлениеLa Roche, 1er juillet 18....
«Oh! qu’on a tort de pleurer, chère Agathe! Je vais t’en donner la preuve: hier soir maman me dit: «Pauline, je vais m’absenter pendant six semaines;
« ma santé l’exige. J’emmène ta sœur et
«je te laisse avec ton papa dont tu auras bien
«soin, j’en suis certaine.»
«J’éclatai en sanglots, ne voulant rien écouter
«Cependant on ne peut pas pleurer toujours aussi fort; d’ailleurs mon mouchoir était trempé. Lorsque je fus un peu calmée, maman me dit: «Je te croyais plus raisonnable, et j’avais un projet
« auquel je me vois forcée de renoncer.
«— Quel projet, maman?
«— Je voulais faire de toi une petite maîtresse
«de maison en l’absence de ta sœur. Tu écris assez
«passablement pour tenir le livre de dépense jusqu’à
« mon retour; Babet ferait ce que tu lui commanderais
« pour le déjeuner et pour le dîner; tu
«veillerais à ce que rien ne manquât à ton père
«que tu aimes tant. Je me suis trompée!»
«Ma surprise fut si grande, que je crus rêver; mais non, maman parlait sérieusement: je serais maîtresse de maison. Babet, Justine et Philippe m’obéiraient! Et comme j’avais l’air de douter, maman ajouta: «Vois, quelle confiance j’ai en
«toi! Il est vrai que tu auras dix ans bientôt, tu
«n’es plus une enfant.»
«Agathe, je n’ai point de secrets pour toi. Il faut que tu connaisses le vilain sentiment qui s’empara de mon cœur: J’aurais voulu voir maman et Mathilde partir tout de suite!
«Comprends-tu mon bonheur, chère amie? Être maîtresse de maison! C’est-à-dire faire tout ce qu’on veut. Maman m’a bien prévenue que je devrai réfléchir avant de donner un ordre, qu’il est plus facile d’obéir que de commander, mais je ne le crois pas. Quelle difficulté peut-il donc y avoir à commander le déjeûner et le dîner? A diriger Justine qui aime un peu trop à faire à sa tête?
«Le temps est magnifique; je me promènerai avec papa; nous ferons des visites, on nous les rendra; puis viendront sans doute les invitations à dîner, et c’est alors que je me distinguerai.
«Mon bonheur ne sera cependant pas sans nuage: maman m’a laissé des leçons à apprendre, une tâche de couture, et le terrible M. Lemoine continuera ses leçons d’écriture, d’orthographe et de calcul.
«Entre nous soit dit, ces conditions me semblent singulières: une maîtresse de maison a-t-elle trop de la journée pour surveiller ses gens, recevoir les visites; car à la campagne, on ne peut pas fermer sa porte.... enfin....
«Oh! comme je vais bien soigner mon petit papa! Comme la maison sera belle! Il faudra bien que Basile cueille des fleurs pour orner mes appartements. Je serai bonne, mais ferme.
«Au retour des voyageuses, je recevrai des compliments; tout le monde aura fait son devoir, à commencer par ton amie qui pleure de joie en t’embrassant.
«PAULINE,
«Châtelaine de la Roche.
«P. S. Si vous pouviez venir à la Roche pendant mon règne, aucune princesse ne vous offrirait une hospitalité comparable à celle qui vous attend ici. Agathe, je compte sur ta discrétion....»
Pauline Séverac, successivement connue sous le nom de Poupoule, Paulette, Poule et enfin Pauline, était une charmante enfant aimée de tout le monde: gaie, vive et douce, elle faisait la joie de son père qui n’avait pas encore usé de son autorité pour réprimer certains petits défauts. Il ne voyait cependant pas sans inquiétude une disposition déjà très-accentuée chez Pauline.
Quoique soumise, cette petite fille ne parlait que du bonheur d’être grande, de faire ce qu’on veut, et surtout de commander aux autres.
Beaucoup de parents auraient fermé les yeux sur cette disposition fâcheuse; ils se seraient même amusés de ce babillage; mais ce n’est pas ainsi que M. et Mme Séverac envisageaient leur tâche.
Retirés dans une terre, à quelques lieues de Condom, ils vivaient simplement et laborieusement.
M. Séverac, ancien officier du génie, partageait son temps entre l’étude des sciences et l’agronomie; sa femme joignait aux qualités du cœur une intelligence remarquable; des goûts modestes, une instruction solide lui permettaient de faire l’éducation de ses filles, empruntant toutefois le concours d’un professeur.
Déjà Mathilde, l’aînée, réalisait les espérances de sa mère. Naturellement calme et persévérante, son éducation n’avait point offert de ces difficultés qui mettent à l’épreuve le courage de la plus tendre des mères.
Un contraste frappant existait entre les deux sœurs; Pauline était aussi blonde que Mathilde était brune. Celle-ci était presque grave, et l’autre d’une vivacité fatigante. On ne la trouvait jamais à la place où on l’avait laissée.
Les deux sœurs s’aimaient beaucoup; si Pauline avait pu prendre l’autorité accordée à sa sœur, jamais elle n’eût fait le vœu de la voir quitter la maison.
Vainement la grande sœur disait-elle: «Mais j’obéis comme toi à maman, c’est d’après son conseil que je donne des ordres. N’ai-je pas des heures d’étude? Des obligations de société qui ne me plaisent pas toujours? Crois-tu par exemple que la partie de boston soit amusante?»
A tout cela, Pauline répondait: «Ma sœur tu me fais des contes; je vois ce qui se passe et je trouve que papa et maman devraient te marier bien vite pour que je prenne ta place.»
Un voyage aux eaux sembla donc l’occasion naturelle de soumettre Pauline à l’épreuve de la liberté et de l’autorité.
Elle éprouva toutefois une vive émotion en voyant partir sa mère et sa sœur. C’est e qu’elle ouvrit ses grands yeux bleus pour retenir des larmes qui roulèrent sur ses joues.
Le père prit son enfant chérie dans ses bras, et le calme rentra bien vite dans ce petit cœur désolé. M. Séverac quitta Pauline en lui rappelant l’importance de ses devoirs.
La petite maîtresse de maison, seule dans sa chambre, réfléchit sur sa nouvelle position et pressentit vaguement les difficultés qui en étaient inséparables.
Elle était en train de composer un menu, lorsque le maître d’écriture arriva.
«Oh! mon bon monsieur Lemoine, il n’y aura pas de leçon aujourd’hui. Maman et Mathilde viennent de partir pour les Pyrénées. C’est moi qui vais tenir la maison, et vous comprenez qu’aujourd’ hui surtout, il ne peut être question d’écriture et encore moins d’histoire et d’additions.
— Mademoiselle, madame votre mère m’a jugé digne de la remplacer, et je veux répondre à sa confiance; d’ailleurs je vous ferai remarquer qu’une maîtresse de maison doit tout au moins savoir écrire et compter. Comment pourrez-vous tenir en ordre votre livre de dépense? Ce serait une véritable gloire pour vous de présenter des comptes irréprochables. Tenez, mademoiselle, regardez ces belles colonnes de chiffres préparées pour vous à l’avance! N’est-ce pas joli?
— Pas du tout, monsieur, tous ces chiffres me brouillent la vue. Je conviens pourtant qu’il faut savoir compter lorsqu’on a de l’argent! Plus tard, je m’appliquerai sérieusement.
— Plus tard! mademoiselle, c’est presque comme si vous disiez jamais. Les enfants qui remettent seulement au lendemain à étudier leur leçon ne la savent pas. Il faut savoir compter avant d’avoir de l’argent.»
Cette réflexion n’était pas précisément de circonstance. Pauline se leva comme une maîtresse de maison qui congédie un hôte importun, et du ton le plus gracieux, elle ajourna la leçon au lendemain.
Babet, vieille servante de la famille, n’avait pas accepté son rôle sans faire quelque difficulté : si cette comédie pouvait avoir son côté utile, il en coûterait de l’argent à ses maîtres. Babet ne possédait rien. Elle avait travaillé toute sa vie pour son père et sa mère, payé les mois d’école de trois sœurs qui ne songeaient plus à leur aînée. L’heure du repos était arrivée pour la brave fille qui ne comprenait pas le sens de ce mot. Petite et maigre, alerte, fort entendue en toutes choses, elle se rendait utile à tous.
Une horrible petite vérole avait labouré son visage et fait disparaître la finesse de ses traits. Babet se rappelait quelquefois qu’elle avait été jolie; ses beaux yeux noirs en faisaient foi.
Résignée à la volonté de Mme Séverac par amour pour l’enfant qu’elle avait vue naître; elle se présenta gravement le lendemain pour recevoir les ordres.
Pauline avait cru sa présence nécessaire pour assister à la cueillette des cerises.
Babet ne la trouva donc pas dans la maison. La bonne vieille parcourut le jardin, le potager, appela, chercha, et finit par trouver la maîtresse de maison assise sous un beau cerisier au haut duquel était un petit garçon qui s’exerçait à faire tomber les fruits dans une corbeille posée sur les genoux de Pauline.
Ce jeu avait bien l’inconvénient de meurtrir les cerises, mais c’était si amusant!
«Fais comme moi, disait la maîtresse, manges-en tant que tu voudras.»
Louis obéissait merveilleusement bien, lorsque Babet arriva tout essoufflée: «Je viens prendre les ordres, mademoiselle.
— Ne m’appelle pas ainsi lorsque nous sommes seules.»
Cependant la manière respectueuse dont ce mademoiselle avait été prononcé, couvrit d’une rougeur charmante le visage de Pauline. Ce témoignage de respect l’enchantait.
«Ma pauvre Babet, je te demande pardon de n’être pas entrée à l’office avant de sortir. Louis allait cueillir les cerises, et j’ai voulu le surveiller.
— Il n’a guère avancé, tout de même!
— Louis, dépêche-toi, maintenant. Voyons, ma mie, commençons par le déjeuner.
— Il y a encore quelque chose dans le garde-manger.
— Des restes! y penses-tu, Babet? Ce serait un beau début de maîtresse de maison!
— Le boucher ne viendra pas aujourd’hui.
— On ira le trouver. Philippe montera à cheval, voilà tout.
— Que rapportera-t-il, demanda Babet d’un air résigné.
— Attends.... Un gigot.
— C’est un plat de dîner, songe donc qu’on dîne à trois heures!
— N’importe, ma mie, je veux donner le plus tôt possible à papa ce qui lui plaît.
— Ma Poule, je connais les goûts de mon maître, je t’assure qu’un gigot ne lui plaira pas ce matin.
— Alors fais ce que tu voudras aujourd’hui, mais du bon, de l’excellent.»
Babet se sauva de crainte qu’une fantaisie nouvelle ne vînt bouleverser ces idées raisonnables.
Les cerises étaient cueillies. Pauline congédia Louis et reprit le chemin de la maison.
Que c’est donc agréable, pensait-elle, de faire tout ce qu’on veut! C’est bien l’heure d’apprendre ma leçon.... Oh! que ces petits veaux sont drôles! leur mère les regarde et me regarde aussi.... J’ai peur! elle s’engagea dans un chemin où un troupeau d’oies lui barra le passage. Effrayée de leurs cris, elle courut à toutes jambes; quelques-unes la poursuivirent. Par bonheur, le meunier survint, et d’un grand coup de chapeau mit les criardes en déroute.
La petite maîtresse de maison était émue; il lui eût été impossible de se mettre à l’étude. Que fera-t-elle donc? Elle mettra sa robe blanche pour faire honneur à ce premier déjeûner où elle tiendra la place de sa maman.
Justine risqua quelques observations qui ne furent point écoutées, non pas que Pauline trouvât, ces observation absolument dénuées de raison, mais elle voulait s’affranchir de l’autorité d’une femme de chambre: elle croyait qu’une maîtresse de maison s’habille à sa fantaisie. Justine soupira en sortant de l’armoire une robe de percale blanche et soupira encore en attachant une large ceinture de taffetas bleu.
Malgré tous ces expédients pour faire passer le temps, le balancier de la pendule ne perdait rien de sa gravité.
«Si j’écrivais à maman?» Oh! la bonne idée!
Sans souci de la fraîcheur de sa toilette, Pauline se place devant le bureau, choisit une bonne plume, prend une grande feuille de papier et reste le coude appuyé sur la table. Enfin elle débute par un affreux pâté. La crainte d’avoir taché sa robe lui fit faire un mouvement qui eut pour résultat de renverser l’encre sur la table. La manche et la petite main en eurent leur part.
Cette maladresse assurait le triomphe de Justine. Aussi, ce n’est point à elle que s’adressera Pauline pour réparer le malheur. Babet, l’amie fidèle, saura bien faire disparaître cette vilaine tache; quelques remontrances s’en suivront, mais Babet a la voix douce et ses sermons finissent toujours par une caresse.
Quelques-unes la poursivirent. (Page 9.)
Les choses se passèrent ainsi:
Voici donc notre étourdie revenue à sa place; cinq minutes s’écoulent, Pauline se tient la tète, suce ses doigts encore tachés d’encre, puis tout à coup elle se lance en disant: «Je n’ai pas d’idées quand je m’applique.»