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CHAPITRE III

Table des matières

Un peu plus tard, le silence de la chambre où était Paul fut troublé par l’arrivée des chasseurs. Ils apprirent promptement le malheur du pauvre enfant. A l’enthousiasme succéda la consternation. M. Duquesne et son ami entrèrent aussitôt dans la chambre du petit blessé : l’un avait l’air d’un père, désolé qui croit que son enfant sera infirme; et l’autre, d’un ami presque honteux que son fils eût échappé à un semblable accident. Le comte autrichien se retira aussitôt que la convenance le permit.

Quelques jours après, M. Duquesne se disposait à retourner chez lui avec sa petite Marthe. Marguerite, encouragée par sa mère, déclara que c’était impossible. Paul, disait-elle, aura plus de courage et de patience si nous sommes là toutes les deux. Tout le monde fut d’accord sur ce point. Effectivement, lorsque le pauvre petit blessé apprit que sa sœur resterait aussi longtemps chez Mme Vaslin qu’il y resterait lui-même, saphysionomie prit une expression de sérénité qui ne permit plus à ses parents de songer à ce qu’ils appelaient une indiscrétion.

Le docteur se montrait satisfait de l’état de son malade; mais lorsqu’on lui demandait s’il boiterait, il répondait d’une manière évasive qui ne rassurait personne.

M. Duquesne ne passait pas plus de deux jours sans venir voir son fils; les domestiques du Vieux Château ne se contentaient pas des nouvelles que leur apportait leur maître; Sylvie partait au point du jour, et le plus souvent dans l’obscurité, sous prétexte d’avoir besoin de parler à madame pour des affaires de ménage, et le bon Pacaud était heureux que son service l’obligeât à aller chaque jour chez M. Vaslin.

Un jour, Paul voulut le voir.

«Eh! bien, mon pauvre Pacaud, me voilà boiteux comme vous!

— Oh! que non, monsieur Paul! mais après tout, vous voyez que ça ne m’empêche pas de faire mon service et d’aller vous voir quelquefois avec mes enfants; mais je conviens que lorsqu’on est riche comme vous, c’est plus agréable de ne rien faire.

— Ne rien faire, Pacaud! Y songez-vous? moi, qui voulais être officier! Oh! Pacaud, que j’ai de chagrin! Mais il ne faut pas le dire, entendez-vous?

— Non, monsieur Paul,» dit Pacaud en s’essuyant les yeux.

Si Mme Duquesne n’eût pas eu le cœur brisé, elle se fût trouvée heureuse chez ses voisins. Ce fâcheux accident avait établi entre les deux mères des liens qui devaient toujours subsister.

«Quelles aimables gens! disait Mme Duquesne à son mari; cet intérieur est un modèle: le dévouement des serviteurs égale la bonté des maîtres; le respect s’ajoute à l’affection; chacun accomplit sa tâche, comme M. Vaslin, qui s’est fait le précepteur de son fils.»

Toutes les conversations du mari et de la femme se terminaient par ces mots: Notre fils sera boiteux!

Rien n’était négligé par les parents et les mais pour faire prendre patience à l’enfant: lectures intéressantes, albums de gravures, et surtout la présence de Marthe et d’Auguste.

Les six semaines qui semblaient ne devoir jamais s’écouler eurent une fin comme les autres.

M. Thomas a fixé le jour où son malade se lèverait et marcherait.

Après avoir si vivement désiré ce jour, parents et amis le redoutaient: Ce cher enfant serait-il boiteux? telle était la question que chacun se posait à soi-même.

Marthe et son amie sont venues sur la pointe du pied dans la chambre qui précède la chambre de Paul. Elles trouvent le temps long; on ne parle pas! Si Marthe regardait par le trou de la serrure? mais elle rougirait de commettre une pareille action.

Cette porte s’ouvre enfin! Paul s’appuie sur le bras du docteur Thomas. Hélas! le cher enfant boite, mais non pas de la façon la plus fâcheuse; sa physionomie n’accuse aucune tristesse; il est si heureux d’en avoir fini avec l’immobilité ! Et puis, Paul voyant le chagrin de ses parents dissimule la douloureuse impression que lui cause son infirmité.

«Marthe, je suis bien content, dit-il à sa sœur.»

La réponse fut un sanglot.

«Tu pleures parce que je boite un peu? Crois-tu donc que nous ne nous promènerons plus ensemble, ma chérie? Un frère qui boite est-il donc si désagréable? Tu ne crains plus maintenant de me. voir entrer à Saint-Cyr. Je ferai mon chemin au pas. J’ai de beaux projets, je te conterai tout cela; en attendant, viens m’embrasser et me demander pardon de m’avoir si mal reçu.»

Marthe se jeta dans les bras de son frère.

«Allons, ma chérie, maman dit qu’il ne faut pas être ingrats, mais remercier Dieu de m’avoir préservé d’un plus grand malheur. »

Cette petite scène se passait devant la famille et les amis; les domestiques étaient présents aussi; ils admiraient le courage et l’énergie de l’enfant.

«Est-il aimable et gentil!» disait la bonne Ursule.

Mme Duquesne avait disparu; Paul et Marthe allèrent la trouver dans sa chambre.

«Voyez, mère chérie, avec quelle grâce marche votre petit garçon, et ce n’est que son coup d’essai! et puis le docteur prétend que l’habitude est une seconde nature. Soyez tranquille, j’irai moins vite qu’Auguste, mais je ferai mon chemin. Je ne sauterai plus pardessus les baies, je ne serai plus si hardi pour grimper dans les arbres; mais comme ces plaisirs ne seraient plus de mon âge dans quelques années, j’y renonce sans trop de regret dès à présent.»

Paul s’appuie sur le bras du docteur Thomas.


Ursule pleurait de joie et de chagrin aussi, en entendant si bien parler son garçon.

«Ah! oui, disait en elle-même la vieille bonne, nous l’avons échappé belle! Eh bien! il est boiteux, voilà tout. J’en connais plus d’un dans le pays et à Paris qui marchent droit et sont boiteux d’esprit et de sagesse. Madame en connaît aussi. Il faut nous réjouir; ça n’est pas facile, j’en conviens, mais c’est tout de même, je suis joliment contente! Je vais préparer la table comme pour un jour de fête, c’en est bien un; je vais cueillir des fleurs.»

Tout en s’entretenant en elle-même de son bonheur, la vieille Ursule essuyait de temps en temps une larme.

Le dîner fut un dîner de fête, comme l’avait annoncé Ursule; le docteur Thomas était à côté de Paul; il entretenait la gaieté des convives par des histoires, véritables ou de sa façon; mais ces histoires ne permettaient à personne d’être triste. Marthe riait de tout son cœur; Paul lui faisait de petits signes de tête comme pour l’encourager.

Quelques jours plus tard, Mme Duquesne et ses enfants quittaient leurs amis; ils avaient eu le temps de s’apprécier; il n’y eut point de ces découvertes capables de nuire à l’intimité due à une circonstance si fâcheuse. On s’était vu de près, parents et enfants avaient vécu dans une parfaite intelligence. L’accident dont Paul avait été frappé permettait de connaître les moindres nuances de son caractère. Quelle énergie avait montrée ce garçon de douze ans! quels tendres soins avait prodigués la mère à son cher fils et comme cette petite Marthe aimait son frère! Quelle charmante enfant! elle était aussi bonne que jolie! Quant à M. Duquesne, il était si malheureux d’avoir consenti à l’organisation de cette chasse et d’avoir permis à Paul de la suivre, qu’il inspirait à ses voisins une véritable compassion.

Une seule personne se montrait sévère pour l’infortuné père, c’était sa sœur: pourquoi s’était-il laissé séduire par cet étranger? S’il s’était contenté, comme toujours, d’aller à la chasse le fusil sur l’épaule, en compagnie de ses bons chiens Argus et Nera, on n’aurait point à déplorer l’accident dont ce gentil garçon était victime.

Mme Gilbert était française jusqu’à la partialité ; les Français n’avaient rien à apprendre des autres, soit en affaires ou en plaisirs, et pouvaient apprendre tout aux autres; et puis, ces chasses princières n’étaient pas faites pour des bourgeois. Sans qu’elle s’en expliquât avec son frère, il était aisé de pénétrer sa pensée.

Quoique les voisins se fussent quittés dans les termes les plus affectueux, Mme Vaslin craignait que les Duquesne n’eussent plus le même empressement à franchir la distance qui les séparait. Il n’en fut rien. Les enfants étaient toujours aussi impatients de se voir. La longueur des jours ayant sensiblement diminué, il fut convenu que chacun apporterait son bonnet de nuit. Découcher! quel plaisir! comme tout est beau et bon chez les autres! et puis, les meilleurs écoliers ne sont pas fâchés de perdre de vue leurs livres et leurs cahiers. Marthe et Marguerite avaient donc chacune à leur tour la mission de veiller à tout ce qui pouvait être utile ou agréable à leurs hôtes.

Pendant que tout rentrait dans l’ordre au Vieux Château, M. Duquesne méditait une réforme qui surprendait tout le monde; il allait vendre ses chiens de chasse, ou les partager entre ses amis, il se reprochait amèrement d’avoir été cause d’un accident qui pouvait entraver la carrière de son fils.

Mme Duquesne essaya, mais en vain, de faire renoncer son mari à prendre une mesure si extrême:

«Que feriez-vous donc, mon ami, disait-elle, si notre cher enfant était mort?

— Ce raisonnement ne me convainc pas du tout. Je suis inconsolable d’avoir été l’occasion de ce qui est arrivé à mon fils.»

Ce qui fut dit fut fait: Argus, Gueule-Noire, Intrépide, Rusé et Sans-Peur partirent un matin pour se rendre chez divers voisins, amateurs de bons chiens de chasse.

Diane seule fut conservée, parce qu’elle avait gagné les invalides.

Le départ des chiens fut un moment presque solennel.

Bastien, qui en avait dressé plusieurs, ne se gêna pas pour essuyer une larme; il plaida, mais en vain, la cause de Gueule-Noire et d’Argus; la résolution de son maître était inébranlable. Il obtint seulement de ne pas les conduire à leur destination; cette faveur lui fut accordée.

La vieille Ursule, qui ne songeait qu’au bien-être de sa maîtresse, ne dissimula pas sans peine la joie que lui causait le départ des chiens:

«Ils ne nous réveilleront plus avec leur vacarme; ce n’est certes pas la bonne Diane qui fera du train, puisqu’elle dort toute la nuit et toute la journée; elle n’est plus sensible qu’à sa pâtée et à mes caresses. »

Quoique l’automne fût d’une beauté exceptionnelle, Paul pressa ses parents de rentrer à Paris; il voulait être arrivé pour la rentrée des classes.

Après réflexion, les parents cédèrent aux instances de leur fils, quoiqu’il semblât avantageux pour lui de.respirer le plus longtemps possible l’air de la campagne; mais ils craignaient de l’affliger en constatant sa faiblesse, faiblesse causée par son infirmité. On partirait donc, mais pas sans aller voir Pacaud et la gentille Germaine. Toute la famille se rendit chez le piéton, où les attendait une collation.

Germaine fut très émue en voyant que le petit Monsieur boitait; elle se consola en se disant qu’il ne serait pas obligé, comme son père, de faire des lieues chaque jour et par tous les temps, et enfin que M. Duquesne avait une voiture et de beaux chevaux.

Il eût été difficile, sinon impossible, de convaincre Germaine que la plus belle voiture et les plus beaux chevaux ne valent pas deux bonnes jambes. Elle ne comprenait pas non plus le chagrin que Marthe ne parvenait pas à dissimuler.

On se quitta en se disant: «A l’année prochaine. »


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