Читать книгу Actrice - Keith Dixon, Keith Dixon - Страница 6
CHAPITRE UN
ОглавлениеElle n’avait jamais remarqué avant ce jour les pores énormes sur son nez et son menton. Plus il s’approchait, plus elle en était fascinée, elle dut détacher son regard pour ne pas les fixer.
- Mon chou, dit-il, je crois que tu n’as pas encore compris. Rappelle-toi, Nina est une fille sur le point de devenir une femme. Peux-tu me jouer cela ? Peux-tu devenir une femme en étant encore une jeune fille ?
- Je comprends, dit Mai.
- Vraiment, mon chou ? Nous commençons là une grande mission. Je dois voir que tu es capable d’être Nina. Tu as une responsabilité qui pèse lourd sur tes épaules et je dois être convaincu que tu ne me laisseras pas tomber.
- Je suis ici pour jouer la pièce, Pedro. Je connais la pièce. Je connais mon rôle. Est-ce qu’on peut réessayer ?
Son regard disait qu’il n’était pas impressionné. Mais sa bouche frémit brièvement en soumission, puis il haussa les épaules délibérément pour extérioriser ce qu’il ressentait. Elle se demandait si l’idée d’enseigner venait de lui.
Les autres acteurs étaient alignés sur les côtés de la salle de l’école caduque qu’ils utilisaient pour les répétitions. Certains fatigués lisaient des journaux ou envoyaient des texto. Un couple se parlait maintenant que Pedro donnait des instructions individuelles. Le premier jour et déjà une lassitude s’était installée. Encore un autre mois comme ça, pensa Mai, et il se pourrait que j’abandonne. Ne pas arriver au soir de la première. Gros titre choc : L’actrice prometteuse meurt d’ennui avant l’ouverture du spectacle. Le directeur cherche une remplaçante enthousiaste.
Petro s’était retiré sur sa chaise. Il souleva alors la queue de sa veste crème et s’assis avec l’extravagance d’un signe atterrissant sur une eau placide, les jambes écartées, les bras allongées sur le dos des chaises en plastique de chaque côté. Il lui fit un signe de tête.
Elle s’installa et reprit sa tirade, sa voix s’élevant dans la salle. La tirade était longue et pleine d’abstractions. Elle parlait de la nature, de la vie et expliquait qu’elle était l’âme du monde qui comprenait tout.
Pedro avait tourné la tête pour regarder par les fenêtres. Un ciel d’hiver tel un rideau de plomb. Des arbres nus dans le parc, des bâtonnets squelettiques s’élevant vers le haut. L’écho des voix des enfants s’élançaient encore, après dix ans de la fermeture de l’école par manque d’intérêt.
Elle arriva à une pause indiquée dans le texte et attendit une mesure avant de continuer. Elle sentit alors un changement dans sa voix – et savait que la prochaine partie serait mieux, elle savait que sa technique retrouvait enfin le sens du paragraphe.
Pedro tourna sa tête dans sa direction et leva une main pâle. C’était la main de ‘stop’ qu’elle commençait à reconnaître. Il se leva et se dirigea à nouveau vers elle, ses semelles en cuir claquant sur le parquet.
- Oui, dit-il. Oui. Je vois ce que tu fais. Tu joues avec ta voix. Tu y ajoutes de l’importance, un certain… courage. Mais écoute-moi, cela ne marchera pas. Je connais les astuces. Et si je connais les astuces, c’est que les autres les connaissent également. On ne doit utiliser aucune astuce, ici. Tu comprends ?
Mai sentait ses joues viraient au rouge. Il semblait que rien n’arriverait à rendre cet homme heureux. Elle n’osait pas regarder les autres acteurs au cas où ils la regardaient. Elle préféra plutôt baisser les yeux et attendre qu’il dise quelque chose. N’importe quoi.
Le silence s’étendit jusqu’à ce qu’elle le regarda finalement, empêchant la colère d’être divulguée par son regard. Il souriait cette fois-ci, en dévoilant ses dents aussi carrées que des pierres tombales et jaunies par le tabac. Il pensait avoir remporté une victoire.
- Tu es une fille intelligente mais tu ne m’auras pas. J’ai fait ça maintes fois. Tu… Tu es une fille de la télévision. Tu ne sais pas ce que c’est des répétitions. Tu as du talent, mais tu crois que les répétitions consiste à se trouver au bon endroit et de savoir où se trouve la caméra pour que tu l’ignores.
- Ce n’est pas une raison pour m’agresser, Pedro. Parle-moi comme un être humain et je ferais ce que tu veux.
Ses petits yeux s’arrondirent telles des billes.
- Il ne s’agit pas de ce que je veux, Mai. Il s’agit de ce nous voulons atteindre, ici, ensemble. J’ai des idées et toi aussi… probablement. Alors, que peut-on faire ensemble ? Dis-moi.
Quelques acteurs avaient entendu le ton de la conversation et leurs visages s’étaient tournés dans leur direction. Elle sentit leur attention comme une chaleur sur son visage.
Mai avait supporté de nombreux directeurs en travaillant sur Amberside Terrace, son émission télévisée de longue durée. Elle avait appris qu’on ne discutait pas avec un directeur. Le mieux à faire était de ne pas les offenser. Ils passeront à autre chose et vous serez toujours là, plus usée et un peu plus cynique, mais vous rentrerez toujours chez vous avec un bulletin de salaire. Et, elle se rappela qu’elle était là pour apprendre, après tout.
Elle dit d’une voix calme :
- Je dois réfléchir à ce que tu dis. Reprenons au début de la scène pour que je réussisse à me mettre dedans, bien la jouer.
- Ça, c’est la réponse d’une fille raisonnable. D’accord. Reprenons !
Il se tourna vers la troupe, maintenant attentive : Nous commençons à la première scène. Jeremy, est-ce que tu peux venir ici, s’il-te-plaît ?
Mai regarda les autres acteurs, son visage complètement effacé.
A la pause-déjeuner, Lucy s’était assise à côté d’elle avec un sac de sandwichs. Elle les sortit et les posa sur une serviette qu’elle avait soigneusement dépliée sur ses genoux. Elle était de quelques années plus âgée que Mai, jolie blonde avec un teint mat qu’elle perdrait sûrement avant le soir de première. Elle avait l’air d’une personne poursuivie pour un meurtre qu’elle n’avait pas commis – un air grave, si calme, en conflit avec le monde.
- C’est toujours comme ça au début, dit-elle à Mai sans la regarder. Perfectionner sa réputation. N’y fais pas attention.
Mai éplucha son orange, remit la peau dans sa boîte-déjeuner, toujours fastidieuse, sûrement dû aux gènes de sa mère.
- Je suis habituée aux hommes qui agissent comme des connards. Il ne voulait pas écouter.
- Il le fera. Il t’a vu à la télé. On t’a tous vu.
- Ce n’est pas la même chose, non ? Dix secondes d’émotions une fois par mois. Le reste du temps, c’est atteindre ses objectifs et réciter des lignes. Il n’avait pas aussi tort que ça.
Lucy s’immobilisa, un sandwich à mi-chemin de sa bouche. Elle fronça les sourcils, puis se tourna vers Mai.
- Ne le laisse pas t’entendre dire ça. Ne montre aucune faiblesse ou il l’utilisera pour nous abattre.
- Que veux-tu dire ?
- Il t’utilisera comme un exemple, se disputera avec toi au sujet de ta performance pour se mettre en colère, puis s’en prendre à nous. Je l’ai déjà vécu.
- Et si je veux de l’aide ?
- Demande à l’un de nous. J’ai déjà travaillé avec lui. Jeremy et Linda aussi. On sait ce qu’il veut.
- Si c’est un bâtard, pourquoi tu travailles à nouveau avec lui ?
Lucy mâcha et avala :
- A cause des critiques, idiote. Ses acteurs reçoivent toujours de bonnes critiques. On se bat avec lui comme des chats, mais on obtient tous de bonnes critiques.
Mai réfléchissait en regardant droit devant elle.
- Je peux vivre avec ça. Je dois le faire.
- C’est un risque pour toi.
- Tu peux le dire. La première fois sur une scène réelle depuis l’école.
- Tu as été courageuse de laisser tomber ton travail à la télévision. J’aurais donné mon sein gauche pour ça.
- Tu peux t’en passer, mais pas moi.
Lucy sourit.
- C’est pratique parfois. Avec les bites que tu rencontres dans ce métier !
Les deux acteurs les plus âgés se levèrent au bout de la salle et sortirent pour fumer. L’un d’eux se retourna et mima lui tirer dessus avec le pouce. Elle ne savait pas s’il était ironiquement favorable ou s’il voulait dire qu’elle allait se faire virer.
Un ancien acteur trouvé étranglé par l’attache de soutien-gorge d’une actrice prometteuse. Ça pourrait arriver…
Lucy dévissa le bouchon de sa bouteille de smoothie.
- Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-elle.
- Déjeuner ?
- Non, imbécile. Jouer une vieille pièce pour un théâtre sur le point de fermer ses portes. Avec un directeur coincé dans les années soixante.
- À t’entendre, ça donne vraiment envie.
- Eh bien, exactement. Je veux dire, je suis contente et tout et je suis sûre qu’on aura un grand public parce que tu es dedans. Mais tu dois l’admettre que c’est une régression par rapport au prime-time télévisé.
Mai en avait souvent parlé avec Eric et sa mère, qui tous deux voyaient que ça ne valait pas le coup de prendre des risques.
- Je voulais m’améliorer. Je m’ennuyais. Souvent on ouvre grands les yeux et on se dit, ‘Tu ne penses pas… ! ou, ‘Je ne te crois pas !’
- Je dis simplement que c’est une voie difficile à prendre. Ils seront prêts avec des couteaux. Tu sais comment est la presse !
- Je peux tenir un combat, dit Mai. De toute façon, ils ont toujours été de mon côté depuis deux ans. Ils ne vont pas se retourner contre moi aussi vite.
Lucy vissa le bouchon de sa bouteille vide et, étrangement, la lança violemment vers Jeremy, qui leva son épaule pour se protéger et lui sourit.
- J’espère que ton agent est bon à corriger les critiques, dit-elle.
- Je continue à penser qu’il est bon pour quelque chose.
Comme elle l’avait prévu, l’après-midi ne s’était pas mieux déroulée. Pedro passa la scène d’ouverture pour que les autres acteurs aient une chance de faire quelque chose. Ils avaient besoin de l’opportunité de se la péter, après tout. Mais, vers la fin de la journée, il renvoya tout le monde à l’exception de Mai et de Jeremy. Il les réunit, les fit s’asseoir sur des chaises parallèles comme un conseiller de mariage, et se mit à parler d’une voix à la fois onctueuse et condescendante. Il exposa lentement son point de vue sur la relation entre les deux personnages, donnant à chacun une histoire qui n’était pas précisée dans la pièce et, Mai pensa, qu’il les avait inventées pour servir ses propres objectifs.
En écoutant les idées de Pedro, Mai se demandait si elle s’était trompée. Elle était allée directement de l’école à un rôle télévisé. Elle avait appris le métier sans formation réelle, aucune technique. Des conseils des directeurs et des membres anciens du casting, ainsi que plusieurs cours sur place. Et bien sûr sa mère. Geraldine Rose. Un jour célèbre, différents premiers rôles dans quelques films britanniques avant que son mari, le père de Mai, ne tombe raide mort au neuvième trou, trou coudé au par cinq. Elle a dû arrêter pour élever Mai et son frère aîné, Jake. Elle n’avait pas à démissionner, en fait… mais elle voulait le faire. Elle n’arrivait pas à supporter la proximité d’autres personnes, d’autres acteurs. Toute cette commisération et cette pitié.
Mai ne pensait pas sérieusement au métier d’acteur jusqu’au jour où elle remporta le rôle principal dans la version scolaire de ‘A Streetcar Named Desire’ – jouant le rôle Blanche Dubois à l’âge de dix-sept ans. Puis elle performa au National Student Drama Festival à Scarborough où des agents l’avaient repérée et s’étaient battu pour elle jusqu’au jour où elle opta pour Eric, que sa mère connaissait depuis sa jeunesse. Ensuite deux ans dans Amberside Tarrace, à stagner.
La plupart de ce que Pedro lui disait semblait être des idioties, mais elle n’en était pas sûre. On lui avait dit qu’elle avait toujours l’air confiant, mais que malgré son air de certitude une chose lui manquait peut-être.
Elle recentra son attention dans la pièce, pendant que Pedro disait quelque chose à Jeremy sur le processus créatif. Le personnage de Jeremy était un jeune dramaturge qui avait écrit la pièce dans laquelle le personnage de Mai, une fille de la campagne sans expérience, avait le premier rôle. Pedro parlait avec la ferveur d’un évangéliste, comme si lui aussi avait été un jour un jeune dramaturge ayant entreprenant une vie théâtrale. Peut-être que c’était vrai.
- Alors, mes choux, essayons encore une fois. N’oubliez rien de ce que je vous ai dit. La jeunesse, l’innocence, le désir de montrer au monde qu’une nouvelle forme artistique est née ce soir, sur cette scène.
Mai et Jeremy déplacèrent leurs chaises pour qu’ils soient face à face, puis jouèrent le début de la scène.
Cela dura trente secondes.
- Arrêtez !
Ils se retournèrent pour voir la main de Petro en l’air comme un agent de la circulation.
- Je suis désolé. Je n’en peux plus. Rentrez chez vous et réfléchissez sérieusement à ce que vous avez fait aujourd’hui. Peut-être qu’on aura de meilleures idées demain.
Il pencha son poids vers l’avant à partir de la taille comme s’il allait vomir sur le sol. Puis avec un soupir, il posa ses deux mains sur ses genoux et se poussa pour se relever en se retournant et s’éloignant sans un mot de plus.
Lorsqu’il quitta la pièce, Jeremy dit :
- Branleur !
Mai ramassa ses affaires.
- Il a encore du chemin à faire avant d’atteindre le niveau de branleur. Il est encore au stade de connard.
- Ah, tu as plus d’expérience que moi !
- Je suis une fille. Je suis plus attentive aux distinctions sociales.
Il sourit.
- Comment tu te sens à faire de la scène ? Le trac ?
- Un peu. Je serais idiote si je n’avais pas peur de le faire.
- D’après ce que j’ai vu jusqu’ici, tu seras génial.
Elle sourit en silence. Un air vaillant était indispensable dans cette situation. Mais elle se demandait déjà si elle n’avait commis la plus grande erreur de sa courte et heureuse vie.