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CHAPITRE IV

Gangnam Style

« Chaque fois que nous achetons quelque chose, notre vide émotionnel se creuse et notre besoin d'acheter augmente. »

Philip Slater

Si c'est dans l'émission Saturday Night Live, aussi connue sous l'acronyme SNL, que vous avez pour la première fois vu Psy se déhancher en smoking et avec ses lunettes de soleil, vous avez sans doute pensé qu'il s'agissait d'une parodie des Blues Brothers. J'ai levé mon verre au producteur de l'émission, Lorne Michaels ; Psy était un ajout bienvenu au casting, et j'ai pensé que Michaels avait enfin pris acte de la démographie changeante et de la diversité raciale des États-Unis. C'est plus tard que j'ai découvert que le rappeur sud-coréen avait un succès monstre sur les réseaux sociaux, accumulant des dizaines de millions sur ce cher YouTube et vendant plus d'un million d'exemplaires de sa chanson Gangnam Style en cinquante et un jours. Telles des chauves-souris surgissant de la cape de Dracula, des reprises et parodies diverses sont apparues aux quatre coins du monde, on a même eu droit à une version tango ! J'ai vite compris qu'il n'existait aucun endroit sur Terre où je puisse échapper aux rythmes entêtants de Gangnam Style !

Avant de céder, moi l'amateur de rumba, au pouvoir démoniaque de Psy (ne me jugez pas), j'ai appris grâce à quelques experts de la culture coréenne que le message de la chanson était en fait assez subversif. La chorégraphie grotesque et les absurdités du clip cachaient un commentaire sur la société sud-coréenne. Gangnam, un quartier de Séoul, est l'habitat naturel des plus grandes fortunes du pays et un temple de la consommation la plus outrancière. Certains disent que, bien avant la naissance de la nouvelle aristocratie chinoise, les habitants de Gangnam avaient déjà le goût des mutilations faciales et se rendaient dans des cliniques du plus grand chic pour se faire refaire le nez et la mâchoire (aïe) et même se faire arrondir les yeux. Il semble que le visage caucasien soit un idéal que les riches se doivent d'atteindre.

Un blogueur explique que le clip se moque de ceux qui veulent ressembler aux résidents de Gangnam alors qu'ils n'en ont pas les moyens et ne comprennent pas ce que cela implique. Cet environnement rempli de proies prêtes à tout, et de prédateurs vicieux, a donné naissance à une industrie florissante d'outils peu chers et dangereux destinés aux aspirants gangnamiens afin qu'ils puissent s'écorcher le visage à domicile. J'ai trouvé sur le Net des dizaines de produits garantissant un « style hollywoodien ». On peut lire des histoires horribles sur des jeunes installant sur leur visage des appareils pour ne pas cligner des yeux pendant des heures (la chirurgie des paupières du pauvre) ou pour compresser leur menton de façon à ce qu'il acquière une forme ovale. Mais même ces récits de torture auto-infligée pâlissent face à cette sud-coréenne qui s'est injectée de l'huile de cuisson dans le visage, et qui est désormais défigurée à vie. A mes yeux, le silence des autorités sanitaires du pays quant à ces dérives fait d'elles en fait les complices des risques insensés que prennent ces aliénés du faciès.

Mais ce serait raciste et xénophobe de ma part si je me contentais de mettre en lumière la dépendance de la bourgeoisie et du prolétariat est-asiatique à la modification corporelle. Dans la boutique de produits de beauté que tient mon beau-père, dans un quartier majoritairement afro-américain, caribéen et africain, les produits qui se vendent le mieux ont toujours été les crèmes de blanchiment de la peau. Il a même du mal à maintenir ses stocks face à la demande ! Cette tendance illustre la croyance de ses propres clients en l'idée pathétique qui voudrait que la peau noire soit signe d'infériorité et qu'une peau blanche soit plus attirante. En 2014, deux cents ans après l'abolition de l'esclavage, la noirceur de la peau de Keith Rowley était la seule « objection » majeure à sa nomination comme premier ministre de Trinité et Tobago, un pays peuplé par des noirs soit dit en passant. S'il s'était appliqué un peu de crème radioactive sur la peau pour enlever ce teint que nous ne saurions voir, peut-être lui ferait-on plus confiance ? Evidemment, l'opération doit être répétée de temps en temps pour préserver la relative pâleur de ces faux métis. Et, sauf à se baigner dedans, le résultat est le plus souvent très irrégulier et assez hilarant. Cependant, on rigole nettement moins à la lecture de la composition de ces crèmes que des apprentis dermatos se passent sur le corps : parmi les ingrédients actifs on trouve souvent du mercure (qui peut endommager le cerveau), de l'hydroquinone (dont on se sert pour développer les photographies) et de l'arsenic (est-il besoin de préciser qu'il s'agit d'un poison ?). Quant à l'amour des noirs pour les permanentes et les extensions capillaires, je n'ai même pas envie de le commenter. J'ai moi-même reçu quelques insultes racistes au cours de mon existence, mais je n'ai jamais pensé que la couleur de ma peau et le caractère foutraque de ma chevelure étaient le résultat de je ne sais quel défaut génétique. Et personne, pas même le Roi de la Pop Michael Jackson (et le héros de mon enfance) n'aurait pu me convaincre du contraire.

Et voici le paradoxe : tandis que les autres races s'échinent à devenir blanches, les caucasiens eux font le chemin inverse. La vue des visages pâles qui se massent sur les plages, sous l'impitoyable soleil de Floride, m'a toujours semblé comique et effrayante, mais ce n'est rien en comparaison du nombre de salons d'UV dans les régions les plus froides des États-Unis d’Amérique. Et que dire de ces français et de ces italiens qui se baignent dans l'huile d'amande douce et portent des strings à la plage (cette vision d'horreur me hante toujours) ? Et je suis toujours impressionné par l'énergie et l'abnégation de ces jeunes blanches qui passent leur vie en salle de sport dans l'espoir d'être les reines de la fac. J'applaudis à leur ténacité : passer autant d'heures à faire du squat pour obtenir ces courbes que les noires ont naturellement, ça impose le respect. Et pour les vieilles, les fainéantes ou les riches, toute une armada de chirurgie esthétique dangereuse et d'implants en silicone est en mesure de transformer les angoissées du popotin en Saartjie Baartman

L'Enfer C'Est Lui

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