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VI
ОглавлениеPierre, arrivé le premier, entra tout droit dans le cabinet du prince André, en habitué de la maison; après s’être étendu sur le canapé, comme il en avait l’habitude, il prit un livre au hasard, – c’était ce jour-là les Commentaires de César, – et, s’accoudant aussitôt, il l’ouvrit au beau milieu.
«Qu’as-tu fait chez MlleSchérer? Elle en tombera sérieusement malade,» dit le prince André, qui entra bientôt après en frottant l’une contre l’autre ses mains, qu’il avait petites et blanches.
Pierre se retourna tout d’une pièce; le canapé en gémit, et, montrant sa figure animée et souriante, il fit un geste qui témoignait de son indifférence: «Cet abbé est vraiment intéressant; seulement il n’entend pas la question comme il faut l’entendre… Je suis sûr qu’une paix inviolable est possible, mais je ne puis dire comment, ce ne serait toujours pas au moyen de l’équilibre politique…»
Le prince André, qui n’avait pas l’air de s’intéresser aux questions abstraites, l’interrompit:
«Vois-tu, mon cher, ce qui est impossible, c’est de dire partout et toujours ce que l’on pense! Eh bien, t’es-tu décidé à quelque chose? Seras-tu garde à cheval ou diplomate?
— Croiriez-vous que je n’en sais encore rien! Ni l’une ni l’autre de ces perspectives ne me séduit, dit Pierre en s’asseyant à la turque sur le divan.
— Il faut pourtant te décider à quelque chose; ton père attend!»
Pierre avait été envoyé à l’étranger à l’âge de dix ans avec un abbé pour précepteur, et il y était resté jusqu’à vingt-cinq ans. À son retour à Moscou, son père avait congédié l’abbé et avait dit au jeune homme: «Maintenant, va à Pétersbourg, examine et choisis! Je consens à tout. Voici une lettre pour le prince Basile, et voilà de l’argent. Écris et compte sur moi pour t’aider.»
Or depuis trois mois Pierre cherchait une carrière et ne faisait rien. Il se passa la main sur le front: «Ce doit être un franc-maçon? Dit-il en pensant à l’abbé qu’il avait vu à la soirée.
— Chimères que tout cela, lui dit en l’interrompant le prince André; parlons plutôt de tes affaires. Es-tu allé voir la garde à cheval?
— Non, je n’y suis pas allé; mais j’ai réfléchi à une chose, que je voulais vous communiquer. Nous avons la guerre avec Napoléon; si l’on se battait pour la liberté, je serais le premier à m’engager; mais aider l’Angleterre et l’Autriche à lutter contre le plus grand homme qui soit au monde, ce n’est pas bien.»
Le prince André ne fit que hausser les épaules à cette sortie enfantine; dédaignant d’y faire une réponse sérieuse, il se contenta de dire: «Si l’on ne se battait que pour ses convictions, il n’y aurait pas de guerre.
— Et ce serait parfait, répliqua Pierre.
— C’est bien possible, mais cela ne sera jamais, reprit en souriant le prince André.
— Enfin, voyons, pourquoi allons-nous faire la guerre?
— Pourquoi? Je n’en sais rien! Il le faut, et par-dessus le marché j’y vais. – et il s’arrêta. J’y vais, parce que la vie que je mène ici… ne me va pas!»