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Question de methode

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Deux approches guident notre pensée de l’Afrique culturelle postcoloniale : une approche empirique et une approche théorique.

L’approche empirique permet de présenter et décrire quelques œuvres représentatives de l’art postcolonial africain. Elle explore ses techniques (le bricolage), ses matériaux (le brut), ses thèmes (le grotesque), ses catégories créatives (le laid, le bizarre), ses figures (les personnages obscènes et les objets honnis), sa symbolique (le désastre), son utopie (le mercantilisme). D’une certaine manière, les musiques et les danses urbaines africaines attestent de ce « trouble » (Butler, 2005) dans l’art contemporain africain, qui tient les expressions culturelles à distance de tout idéalisme et de toute construction rationnelle. C’est le cas dans la musique avec le Ndombolo en RDC, ou de l’Azonto au Ghana. La même césure apparaît dans certaines formes de l’Afro-zik au Nigéria, dans certaines dérivations du Coupé décalé en Afrique de l’Ouest en général, dans les récentes impulsions données au hip-hop camerounais par de jeunes nihilistes à la misogynie affichée (Francko, Maahlox) ; la chanson populaire avec l’artiste Petit Pays par exemple n’échappe pas à cette reconfiguration du domaine de la création en faveur des motifs dérisoires (Mono Ndjana, 1999)5. Cette créativité musicale, pour l’essentiel sans profondeur thématique ou esthétique, réclame le déchainement des instincts sauvages et des pulsions primitives. Elle tourne le dos aux grandes compositions, à l’instar de la Rumba avec ses multiples influences afro-cubaines et ses relents subversifs. Elle rame à contre-courant de la Soul Makossa de Manu Dibango, de l’Afro bit politiquement engagé de Fela Kuti, du chant de résistance de Myriam Makeba, du reggae de Jimmy Cliff, Tiken Jah Fa Koly, ou même du nouvel afro jazz d’un Richard Bona. De même, elle joue à rebours des chants populaires de libération entonnés par les paysans dans les maquis du Sud-Cameroun.

Des productions de la sculpture comme Afrique qui est-tu ?, Le cousin du Sultan, La beauté sans âge, La barbe pharaonique, Pharaon, Mon Champion, La danseuse de bikutsi (J.-F. Sumegne), sont d’un intérêt certain ; leur éclectisme sans lien organique les distinguent du modernisme triomphant du monument de La Renaissance qui surplombe Dakar, ou des colosses sortis des mains du sénégalais Ousmane Sow. Dominantes parmi les jeunes urbains africains, les nouvelles modes vestimentaires requièrent une observation minutieuse dans leur traitement léger du tissu et leur art du collage, du déchiré, du délavé (la mode destroy), loin de l’extrême raffinement teinté d’utopisme des « Sapeurs » congolais des années 1970-19806. D’autres domaines de la création africaine contemporaine comme la littérature, la caricature, l’humour, l’architecture urbaine, le cinéma, la photographie, et même l’artisanat (Guèye, 2011 : 23-43), méritent une attention appropriée. Les comparer soit à des formes culturelles plus classiques de l’Afrique moderne, soit à des expressions stylistiques de l’Afrique traditionnelle peut s’avérer d’un apport précieux pour le traitement de la question de la créativité dans l’Afrique liquide. Il s’agit des contes, mythes, fables, cosmogonies, jeux d’initiation de l’Afrique ancienne (Philombe, 1994)7.

L’approche théorique mobilise un ensemble de courants, de doctrines, de méthodologies et de concepts forgés dans les champs de la philosophie, des sciences humaines et sociales, et des sciences esthétiques. Ce matériau abstrait et spéculatif autorise une pensée de l’objet d’art africain dans sa relation complexe et dialectique avec le phénomène historique que constitue l’étape actuelle de concentration flexible du capital au sein du marché mondial (Reich, 1993). En plus d’être une force matérielle, la globalisation est un Zeitgeist (esprit du temps). L’embrasser dans la complexité de son expérience devient indispensable si l’on veut comprendre adéquatement l’imagination culturelle et esthétique exprimée par les arts et les institutions sociales de l’Afrique noire contemporaine.

En définitive, notre méthode est génétique. Elle fait dialectiquement jouer l’intérieur et l’extérieur : l’intériorité de l’art et de l’imagination en Afrique, d’une part ; l’extériorité de l’infrastructure historique et matérielle qui (sup)porte cette créativité foisonnante, d’autre part. Défendue par L. Goldmann (1962) et complétée par la critique de H. Lefebvre (1975), la méthode du structuralisme génétique met l’accent sur la nature globale des phénomènes, qu’ils soient naturels ou culturels ; elle reconnaît leurs régularités internes, les interrelations et interactions qui unissent les parties entre elles, mais également les parties avec le tout. En revanche, à l’inverse du structuralisme statique de Cl. Lévi-Strauss, ou de M. Foucault, le structuralisme génétique n’admet pas les systèmes clos, une telle hypothèse ramenant très souvent les processus évolutifs qualitatifs à des opérations de la pure structure, ou de la pure conscience, appréhendées sous l’angle réductionniste de l’histoire des mentalités (Foucault, 1966).

Le génétisme réintroduit le mouvement historique réel à l’intérieur des structures. Ce qui permet de suivre la dynamique globale qui les anime et guide leurs transformations depuis leur genèse. La structure formée par l’objet d’art de l’Afrique contemporaine obéit certes aux lois pures de l’esthétique ; mais elle répond plus fondamentalement aux puissantes forces à l’œuvre dans l’histoire mondiale – les forces du capital en l’occurrence. L’œuvre d’art africain agit parfois comme une ratification des nouvelles conditions sociales et économiques posées à l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondialisée. La signification de l’imagination culturelle dans l’Afrique postcoloniale se dégage de cette articulation de l’intérieur et de l’extérieur, de l’esthétique et de l’historique, du beau et de la vie.

La Théorie Postcoloniale

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