Читать книгу Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé - Longus - Страница 5

LIVRE PREMIER.

Оглавление

Table des matières

MITYLENE est une forte ville en l’isle de Mételin, belle et grande, environnée d’un canal d’eau de mer qui flue tout alentour, sur lequel y a plusieurs ponts de pierres blanches et polies; tellement qu’on diroit, à la veoir, que c’est une isle, et non pas une ville.

Loing d’icelle, environ cinq quarts de lieue, l’un des plus riches habitants avoit un fort bel héritage; car il y avoit dés mon la ignés où se nourrissoit grand nombre de bestes sauvages, des costeaux revestus de vignes, des plaines de terres labourables à porter froument, et pasturage pour le bestail; le tout estendu au long de la marine, qui rendoit le lieu plus délicieux.

En ceste terre un chevrier nommé Lamon, gardant son troupeau, treuva un petit enfant que l’une de ses chevres allaictoit; et voici la maniéré comment. Il y avoit un hallier fort espais de ronces et d’espines, couvert tout alentour de lierre, et au-dessoubs la terre feutrée d’herbe desliée et menue, sur laquelle estoit le petit enfant gisant. Là s’en couroit la chevre ordinairement, de sorte que bien souvent l’on ne sçavoit qu’elle devenoit; et abandonnant son petit chevreau, se tenoit auprès du petit enfant.

Lamon, ayant pitié du pauvre chevreau que la mere abandonnoit en ce poinct, prit garde en quelle part elle s’en alloit; et un jour, au chauld du midi, la suivit à la trace, et veit comme elle entroit dessoubs le hallier tout doub cement, comme si elle eust eu peur de blesser avec ses ongles le petit enfant en entrant. L’em fant sucçoit le pis de la chevre ne plus ne moins que s’il eust tetté la m a m ine! le de sa mere nourrice. Dequoi Lamon s’esbahissant, ainsi que l’on peut penser, s’approcha de plus près, et treuva que c’estoit un enfant masle, grand pour son aage, et beau à merveilles, plus richement emmaillotté que ne portoit sa fortune, estant ainsi misérablement exposé et abandonné à l’adventure: car il estoit enveloppé d’un riche manteau de pourpre, qui se fermoit au collet avec une boucle d’or, et auprès y avoit une petite espée dorée, ayant le manche d’ivoire.


Si fut de prime face entre deux d’emporter seulement ces enseignes de recognoissance, sans aultrement se soucier de l’enfant: mais, y ayant un peu pensé, il eut honte de ne se monstrer pour le moins aussi charitable et humain que sa chevre; de sorte que quand la nuict fut venue il enleva le tout, et porta à sa femme, qui avoit nom Myrtale, les joyaux, l’enfant et la chevre.

Sa femme, toute estonnée, lui demanda s’il estoit possible que les chevres portassent de tels enfants. Et son mari lui conta tout; comment il avoit treuvé l’enfant abandonné, comment la chevre lui donnoit son pis à tetter, et comment il avoit eu honte de le laisser périr. Myrtale fut bien d’advis qu’il ne l’avoit pas deu faire: ainsi estant tous deux d’accord de l’eslever, ils serrèrent les joyaux et enseignes de recognoissance que l’on avoit exposés avec l’enfant, dirent par-tout qu’il est à eux, et le feirent allaicter à la chevre; et afin que le nom mesme sentist mieux son pasteur, l’appellerent Daphnis.

De là à deux ans, un berger demourant non gueres loing de là, qui avoit nom Dryas, en gardant ses moutons, veit aussi une toute pareille chose, et treuva une semblable adventure.

Ily avoit en ce quartier-là une caverne que l’on nomm oit la Caverne des Nymphes, qui estoit une grande et grosse roche, creuse par le dedans, et toute ronde par dehors, au-dedans de laquelle il y avoit des images et statues des Nymphes, taillées de pierre, les pieds sans chaussure, les bras tout nuds et reboursés jusques aux espaules, les cheveux espars au-dessoubs du col sans tresses, ceintes sur les reins, toutes ayant le visage riant, et la contenance telle comme si elles eussent balle ensemble. Le dessus, pour mieux dire la voulte de ceste caverne, estoit le meilieu de la roche, au fond de laquelle sourdoit une fonteine, qui faisoit un ruisseau, dont estoit arrousé le beau pré verdoyant. Au-devant de la caverne, où l’humeur de la fonteine nourrissoit la belle herbe menue et délicate, là estoient attachés et pendus force pots à traire les bestes, force flustes, flageolets et chalumeaux, que les anciens bergers y avoient donnés pour offrandes.

En ceste caverne des Nymphes, une brebis ayant nagueres aignelé alloit et venoit si souvent, que le berger mesme cuida plusieurs fois qu’elle se fust perdue; et à ceste cause la voula ut chastier afin qu’elle demourast par après au troupeau, paissant avec les aultres sans plus s’escarter ni esgarer comme elle faisoit ordinairement, il feit un collet d’une verge de franc osier, en maniéré de laqs courant, et s’approcha de la caverne, pour y surprendre sa brebis. Mais quand il fut auprès, il y treuva bien aultre chose qu’il n’avoit espéré; car il veit la brebis qui donnoit à tetter son pis à un petit enfant, aussi gentillement et aussi doulcement que sçauroit faire une nourrice. Le petit enfant sans crier prenoit, de grand appétit, puis l’un puis l’aultre bout du pis de la brebis, avec sa petite bouche, qui estoit belle et nette, pourceque la brebis lui lechoit le visage avec sa langue, après qu’estoit saoul de tetter. L’enfant estoit une fille, avec laquelle avoient esté exposées quelques bagues et enseignes pour pouvoir la recognoistre à l’advenir; c’est à sçavoir une coëffe d’or, des patins dorés, et des chausses brodées d’or.

Dryas, estimant ceste rencontre estre chose advenue par expresse disposition des Dieux, et quand et quand ayant appris de sa brebis qu’il en devoit avoir pitié, enleva l’enfant entre ses bras, serra les bagues dedans un bissac, et feit prières aux Nymphes qu’à bonne heure peust-il eslever et nourrir le pauvre enfant, qui, comme implorant leur aide et merci, avoit esté jetté à leurs pieds. Puis quand l’heure fut venue de remener son troupeau au tect, retournant au lieu de sa demourance champestre, conta à sa femme ce qu’il avoit veu, et lui monstra ce qu’il avoit treuvé, en lui commandant qu’elle teinst de là en avant l’enfant pour sa fille naturelle, et que secrettement elle la nourrist comme sienne. Parquoi la bergere, qui avoit nom Napé, devint incontinent mere d’affection, et commença à aimer et traitter l’enfant avec telle diligence et telle sollicitude, qu’il sembloit proprement qu’elle eust peur que la brebis n’emportast le prix de doulceur et de bénignité devant elle: et afin que plus facilement on creust que l’enfant fust sienne, elle lui donna aussi un nom pastoral, et la nomma Chloé.

Ces deux enfants en peu de temps devindrent grands, et monstroient bien, à leur gentillesse et beauté, qu’ils n’estoient point issus de gens de village ne de paysans. Et sur le poinct que l’un fut parvenu à l’aage de quinze ans, et l’aultre de deux moins, Lamon et Dryas en une mesme nuict songèrent tous deux un tel songe. Il leur fut advis que les Nymphes (dont les statues estoient en la caverne où il y avoit une fonteine, et où Dryas avoit treuvé la fille) livroient Daphnis et Chloé entre les mains d’un jeune garsonnet, fort gentil et beau à merveilles, lequel avoit des ailes aux espaules, et portoit de petites flesches, avec un petit are; et que ce jeune garsonnet, les touchant tous deux d’une mesme flesche, commanda à l’un paistre de là en avant les chevres, et à l’aultre les brebis.

Les pasteurs, ayant tous deux eu ceste vision en dormant, furent bien marris de ce que leurs nourrissons estoient aussi-bien comme eux destinés à garder les bestes, et mesmement pourceque les marques de recognoissance qu’ils avoient treuvées exposées quand et eux, leur avoient promis quelque bien plus grand estât et fortune bien plus éminente: à l’occasion de quoi ils les avoient jusques-là nourris plus délicatement que l’on ne faict les enfants des bergers, et leur avoient faict apprendre les lettres et tout le bien et l’honneur qu’ils avoient peu en un lieu champestre: mais toutefois ils deslibererent d’obéir aux Di eux touchant l estât de ceux qui par leur providence avoient esté saulvés. Et après avoir communiqué leurs songes ensemble, et sacrifié en la caverne des Nymphes à ce jeune garsonnet qui avoit des ailes aux espaules (car ils n’en eussent sceu dire le nom), les envoyèrent tous deux aux champs garder les bestes, leur enseignant particulièrement toutes choses nécessaires à l’estat de pasteur; comment il faut faire paistre les bestes avant midi, et comment après que le chauld est passé; à quelle heure il les faut remener au tect; à quoi faire il est besoing user de la houlette, et à quoi de la voix seulement.

Ces deux jeunes enfants receurent ceste charge aussi volontiers et avec autant de plaisir comme si c’eust esté quelque grande seigneurie, et aimoient leurs chevres et brebis trop plus affectueusement que n’est la coustume des bergers; elle, pourcequ’elle se sentoit tenue de sa vie à la brebis qui l’avoit allaictée; et lui, pourcequ’il se souvenoit qu’une chevre l’avoit nourri.

Or estoit-il lors environ le commencement du printemps, que toutes fleurs sont en vigueur, celles des bois, celles des prés, et celles des montaignes; aussi jà commençoient les abeilles à bourdonner, les oiseaux à rossigno1er, et les aigneaux à saulter; les petits moutons bondissoient par les montaignes, les mouches à miel murmuroient par les prairies, et les oiseaux faisoient resonner les buissons de leurs chants: ainsi ces deux jeunes et délicates peisonnes, voyant que toutes choses faisoient bien leur devoir de s’esgayer à la saison nouvelle, se mirent pareillement à imiter ce qu’ils voyoient et qu’ils oyoient aussi; car oyant chanter les oiseaux, ils chantoient; voyant saulter les aigneaux, ils saultoient; et, comme les abeilles, alloient cueillant des fleurs, dont ils jettoient une partie en leurs seins, et de l’aultre faisoient de petits chapelets qu’ils portoient aux Nymphes; et faisoient toutes choses ensemble, paissant leurs troupeaux l’un auprès de l’aultre.

Souventefois Daphnis alloit faire revenir les brebis qui s estoient un pen trop loing escaitées du troupeau; et souventefois Chloé faisoit descendre les chevres trop hardies, estant montées au plus hault de quelques rochers droicts et couppus: quelquefois1un tout seul gardoit les deux troupeaux ensemble, pendant que l’aultre vacquoit à quelque jeu.

Leurs jeux estoient jeux de bergers et d’enfants: car elle alloit quelque part cueillir des joncs, dont elle faisoit un coffin à mettre des cigales, et ce pendant ne se soucioit aucunement de son troupeau; lui, d’aultre costé, alloit couper des rouseaux, et en pertuisoit les joinctures, puis les recolloit ensemble avec de la cire molle, et apprenoit à en jouer bien souvent jusques à la nuict: quelquefois ils s’entredonnoient du laict ou du vin, et s’entrecommuniquoient les aultres vivres qu’ils avoient apportés de la maison. Brief, on eust plustost veu les brebis ou les chevres toutes escartées les unes des aultres, que Daphnis esloingné de Chloé.

Ainsi, comme ils estoient occupés à tels jeux, Amour leur dressa à bon escient une telle embusche. Il y avoit assez près delà une louve, laquelle, ayant nagueres louveté, ravissoit souvent des aultres troupeaux de la proie à foison, dont elle nourrissoit ses petits louveteaux: parquoi les paysans du prochain village faisoient la nuict des fosses et pieges de quatre brassées de largeur et autant de profondeur, et espandoient au loing la plus grande partie de la terre qu’ils en avoient tirée, puis les couvroient avec des verges longues et gresles, et semoient par-dessus le demourant de la terre, à celle fin que la place semblast toute plaine et unie comme devant; en maniéré que s’il n’eust passé par» dessus qu’un lievre seulement en courant, il eust rompu les verges qui estoient par maniéré de dire plus foibles que brins de paille, et lors eust-on bien veu que ce n’estoit point terre ferme, mais une feincte seulement. Ayant faict plusieurs telles fosses en la montaigne et en la plaine, ils ne peurent néantmoins prendre la louve, car elle s apperceut bien de leur ruse; mais tuerent plusieurs chevres et plusieurs brebis, et presque Daphnis lui-mesme, par tel inconvénient.

Deux boucs de son troupeau s’eschaufferent tellement à combattre l’un contre l’aultre, et se heurterent si rudement, que la corne de l’un fut rompue; de quoi sentant grande douleur celui qui estoit escorné, se mit en bramant à fuir, et le victorieux à le poursuivre, sans lui donner loisir de reprendre son haleine. Daphnis fut fort marri de veoir l’un de ses boucs ainsi mutilé de sa corne; et, courroucé contre la fierté de l’aultre qui encore estoit si aspre à le poursuivre après l’avoir battu, si prend un baston en son poing, et sa houlette à l’aultre, et s’en court après ce poursuivant. Ainsi le bouc fuyant les coups, et Dapbnis le poursuivant en courroux, ne regardèrent pas bien ne l’un ne l’aultre devant eux; car ils tombèrent tous deux dedans l’un de ces pieges, le bouc le premier, et Daphnis après; ce qui lui saulva la vie, pourceque le bouc soustint sa cheute. Mais se voyant tombé en ceste fosse, il ne peut faire aultre chose que se prendre à plorer en attendant si quelqu’un viendroit point pour l’en retirer.

Chloé, ayant de loing veu son accident, y accourut soudainement; et, voyant que Daphnis estoit en vie, s’en alla vistement appeller un bouvier de là auprès pour lui aider à le mettre hors de ceste fosse. Le bouvier chercha partout une corde qui fust assez longue pour lui tendre, mais il n’en peut finer; parquoi Chloé deslia le cordon dont les tresses de ses cheveux estoient liées, et le donna au bouvier pour en tendre un des bouts à Daphnis: ainsi firent-ils tant, eux deux ensemble, en tirant de dessus le bord de la fosse, et lui en s’aidant de son costé le mieulx qu’il pouvoit, que finalement ils le mirent hors du piege. Puis, après avoir tiré le bouc, dont les cornes en tombant s’estoient brisées, tant le bouc vaincu avoit esté promptement vengé, ils le donnèrent au bouvier pour sa récompense. Si convinrent entre eux que si onleur demandoit à la maison ce qu’il estoit devenu, ils diroient que le loup l’avoit enlevé.

Ils retournèrent ensuite vers leurs troupeaux; et les ayant treuvés paissants tranquillement, ils s’assirent sur un tronc de chesne, et regarderent si en tombant il ne s’estoit point blessé en quelque endroit du corps. N’y ayant rien veu de blessé ne de meurdri, ains estant seulement tout couvert de terre et de boue, Daphnis résolut de se laver, avant que Lamon et Myrtale sceussent ce qui lui estoit arrivé. Venant doncques avec Chloé dans l’antre des Nymphes, il lui donna sa pannetiere et son sayon à garder.

Daphnis alloit ainsi devisant et parlant puérilement en lui-mesme: Dea! que me fera le baiser de Chloé? Ses levres sont plus tendres que roses, sa bouche et son haleine plus doulces qu’une gaufre à miel; et toutefois son baiser est plus piquant que l’aiguillon d’une abeille! J’ai souvent baisé de petits chevreaux qui ne faisoient encore que naistre, et le petit veau que Dorcon m’a donné: mais ce baiser ici est tout aultre chose; le pouls m’en bat, le cœur m’en tressault, mon ame en languit; et néantmoins je desire la baiser de rechef. O mauvaise victoire! ô estrange mal dont je ne sçaurois dire le nom! Chloé n’avoit-elle point gousté de quelques poisons avant que de me baiser? Mais conr ment n’en est-elle point morte? Oh! comment! les barondelles chantent, et ma fluste ne dit mot! comment! les chevreaux saultent, et je suis assis! comment! toutes fleurs sont en vigueur, et je n’en fais point de bouquets ni de chapelets! la violette et le muguet florissent, Daphnis se fene! Dorcon à la fin paroistra plus beau que moi.

Voilà comment le pauvre Daphnis se passionnoit, et les paroles qu’il disoit, comme celui qui lors premier expérimentoit les estincelles d’amour.

Mais le bouvier Dorcon, amoureux de Chloé, ayant treuvé l’occasion que Dryas plantoit un arbre assez près de lui, et estant son ami de long-temps, dès l’aage que lui-mesme gardoit les bestes aux champs, lui feit présent de beaux fromages gras; et, commençant à entrer en propos par leur ancienne cognoissance, feit tant qu’il tomba sur les termes du mariage de Chloé, lui offrant par promesse plusieurs beaux et riches dons pour un bouvier, s’il la lui vouloit donner à femme. Ses offres estoient une paire de bœufs à labourer la terre, quatre ruches d’abeibles, cinquante pommiers, un cuir de bœuf à semeler souliers, et par chacun an un veau qui seroit prest à sevrer: tellement que Dryas, alléché par la friandise de tant de beaux présents, lui cuida presque accorder le mariage: mais, quand il vint puis après à penser en lui-mesme que la fille estoit digne de bien plus grand et plus riche parti, craignant que, si à l’advenir elle venoit à estre recogneue, et que ses parents sceussent que pour la friandise de ces dons on l’eust mariée en si bas lieu, on ne lui en voulust mal de mort, il refusa toutes ses offres et ses dons, et l’esconduisit tout à plat, en le priant de lui pardonner.

Par ainsi Dorcon, se voyant pour la deuxième fois frustré de son espérance, et encore qu’il avoit pour néant perdu ses bons fromages gras, deslibéra, puisque aultrement ne pouvoit, attenter de jouir par force de Chloé, la première fois qu’il la treuveroit seule à seul. Pour à quoi parvenir il s’advisa qu’ils menoient l’un après l’aultre boire leurs bestes, Chloé un jour et Daphnis un aultre: à l’occasion de quoi il imagina une finesse qui estoit merveilleusement sortable et convenable à un gros bouvier comme lui.

Il print la peau d’un grand loup qu’un sien taureau, en combattant pour la gai de et deffence des vaches, avoit tué avec ses cornes, et l’estendit sur son dos, si bien que les pieds de devant lui tomboient jusques sur les mains, et ceux de derrière lui pendoient sur les cuisses jusques aux talons, et la hure lui couvroit la teste, ne plus ne moins que faict le cabasset à un homme de guerre. S’estant ainsi desguisé en loup le mieulx qu’il avoit peu, il s’en vint droict à la fonteine en laquelle beuvoient les chevres et les brebis après qu’elles avoient assez pasturé. Or estoit ceste fonteine en une vallée assez creuse, et toute la place à l’environ pleine de ronces, d’espines poignantes, de chardons et de bas genevriers, tellement qu’un vrai loup s’y fust bien aisément caché. Dorcon se fourra léans entre ces espines, attendant l’heure que les bestes vinssent boire; et avoit bonne espérance qu’il espouvanteroit Chloé avec ceste peau de loup, et qu’il la saisiroit au corps entre ses deux bras, pour en faire à son plaisir.

Tantost après arriva Chloé qui amenoit ses bestes boire, ayant laissé Daphnis qui coupoit de la plus tendre ramée verte pour donner à broutter aux chevreaux après qu’ils séroient retournés de pasture. Les chiens qui leur aidoient à garder leurs brebis et leurs chevres suivoient le troupeau; et comme naturellement ils chassent mettant le nez par-tout, ils le sentirent remuer, et se prindirent à abbayer, se ruerent sur lui comme sur un loup; et l’environnant de tous costés, sans qu’il s’osast dresser sur ses pieds, tant il avoit de peur, commencèrent à le mordre de toute leur puissance. Or jusques-là craignant et ayant honte d’estre descouvert, et davantage estant deffendu de la peau de loup qui le couvroit, il se tenoit tapi contre terre dedans le hallier sans dire mot; mais quand Chloé, effroyée de prime face de le veoir, se print à appeller Daphnis à son aide, et que les chiens, lui ayant arraché la peau de loup de dessus les espaules, comin (Micereu t à le mordre lui-mesme a bon escient, il se print adonc à crier à haulte voix, et à prier Chloé, et Daphnis qui jà estoit survenu, de lui vouloir estre en aide: ce qu’ils feirent, et avec leur sifflement accoustumé eurent incontinent appaisé les chiens; puis amenerent le malheureux Dorcon, qui avoit esté mords et aux cuisses et aux espaules, à la fonteine, et lui laverent ses blessures, où les dents des chiens l’avoient atteint; puis lui mirent dessus cle l’escorce verte d’orme maschée, estant tous deux si peu rusés, et si peu expérimentés aux hardies entreprinses d’amour, qu’ils estimerent que ceste embusche de Dorcon avec sa peau de loup ne fust que jeu seulement; au moyen de quoi ils ne se courroucerent point à lui, ains le réconfortèrent et le reconvoyerent quelque espace de chemin, en le menant par la main. Et lui, qui avoit esté en si grand danger de sa personne, et que l’on avoit recous de la gueule, non du loup, comme l’on dit communément, mais des chiens, s’en alla faire panser les morsures qu’il avoit par tout le corps.

D’aultre costé Daphnis et Chloé eurent bien de la peine jusques à la nuict à rassembler leurs chevres et brebis, lesquelles, effroyées pour la peau du loup, et quand et quand esperdues et effarouchées d’ouïr si fort abbayer les chiens, estoient les unes montées jusques à la cime des plus haults rochers, les aultres courues jusques à la mer, combien qu’elles fussent au demourant bien apprinses d’obéir à l’appeau de leurs pasteurs, de se ranger au son du flageolet, et de s’amasser ensemble en oyant seulement battre des mains; mais la peur leur avoit adonc faict tout oublier. Et après les avoir donc suivies et retreuvées à la trace, comme on faict les lievres, les remenerent, à bien grande peine, toutes au tect: puis s’en allèrent eux-mesmes reposer, où ils dormirent ceste seule nuict de bon sommeil; car le travail qu’ils avoient prins le soir précédent leur servit de médecine contre leur mésaise d’amour.

Mais, quand le jour fut revenu, ils commencerent de rechef à estre passionnés comme devant; ils tressailloient de joie quand ils s’entre-revoyoient, et estoient bien ennuyés et marris quand il falloit qu’ils s’entre-laissassent. Ce qu’ils souhaittoient les inquiétoit, et ils ne sçavoient ce qu’ils souhaittoient; cela seulement sçavoient-ils bien, l’un, que son mal estoit venu d’un baiser, et l’aultre, d’un baigner.

Oultre ce, la saison de l’année les en flammoit encore davantage; car il estoit jà environ la fin du printemps et le commencement de l’esté; et estoient toutes choses en vigueur, les arbres chargés de fruicts, les champs couverts de bleds; les cigales chantoient; les fruicts rem doient une très délicate et soefve odeur; le beslement des brebis estoit gracieux; l’on eust dict que les fonteines, ruisseaux et rivieres, convioient les gens à se baigner, que les vents estoient orgues ou flustes, tant ils souspiroient doulcement à travers les branches des pins; on eust dict que les pommes amoureuses se laissoient d’elles-mesmes tomber par terre, et que le soleil, prenant plaisir à veoir de belles personnes nues, faisoit chacun despouiller. Au moyen de quoi Daphnis estant de toutes parts eschauffé se jettoit dedans les rivieres, et tam tost se lavoit, tantost s’esbattoit à chasser, à prendre les poissons qui s’enfuyoient au fond de l’eau, et souventefois beuvoit pour veoir si avec l’eau il pourroit esteindre l’ardeur qu’il sentoit en son cœur.

Mais Chloé, après avoir tiré les brebis et la pluspart des chevres, demouroit encore longtemps à faire prendre le laict; car il falloit qu’elle eust le soing de chasser les mouches qui fort la molestoient, et la picquoient quand elle les chassoit: cela faict, elle se lavoit le visage, et mettoit dessus sa teste un chapelet des plus tendres branchettes de pin, se vestissoit d’une peau de cerf qu’elle ceignoit dessus ses reins, et emplissoit un pot de vin et un aultre de laict pour boire avec Daphnis.

Puis quand ce venoit sur le midi, adonc estoient-ils tous deux plus ardemment esprisque jamais, pourceque Chloé, voyant en Daphnis entièrement nud une beauté de tous poincts accomplie, se fondoit et se distilloit d’amour, considérant qu’il n’y avoit en toute sa personne chose quelconque à redire; et lui d’aultre costé, la voyant couverte de ceste peau de cerf, avec le beau chapelet de pin sur la teste, lui tendant son pot à laiet, cuidoit veoir l’une des Nymphes propres qui estoient dans la caverne: si accouroit incontinent, et lui ostant le chapelet qu’elle avoit sur sa teste, après l’avoir bah sé, le mettoit dessus la sienne; et elle, pendant qu’il se baignoit tout nud, prenoit sa robe et se la vestissoit, en la baisant aussi premierement.

Tantost ils s’entre-jettoient des pommes l’un à l’aultre, tantost ils s’entre-peignoient et mipartissoient leurs cheveux en greve; disant Chloé que les cheveux de Daphnis ressembloient aux grains de myrte, pourcequ’ils estoient noirs; et Daphnis accomparant le visage de Chloé à une belle pomme, pourcequ’il estoit blanc et vermeil. Parmi aucunes fois il lui monstroit à jouer de la fluste; puis quand elle commencoit à souffler dedans, il la lui s j ostoit des mains, pour toucher de la langue et des levres là où elle avoit touché des siennes, et faisoit semblant de lui vouloir enseigner où elle avoit failli, pour avoir occasion de la baiser à demi, en baisant la fluste où elle avoit touché.

Ainsi comme ils estoient après à en sonner joyeusement sur la chaleur du midi, pendant que leurs troupeaux estoient tapis à l’ombre, Chloé ne se donna garde qu’elle fust endormie: ce que Daphnis appercevant, posa tout beau sa fluste pour regarder à son aise par-tout et son saoul, comme celui qui n’avoit alors honte de personne, et disoit à part lui ces parôles tout bas: Ô comme ces beaux yeux dorment soefvement! que son haleine sent bon! les pommiers ni les aubespines fleuries n’ont point la senteur si doulce. Mais pourtant je ne l’oserois baiser; car son baiser picque et perce jusques au cœur, et fait devenir les gens fous, comme le miel nouveau: davantage j’ai peur de l’esveiller si je la baise. Oh! que ces cigales font de bruit! elles ne la laisseront jà dormir, si hault elles crient. Et d’aultre costé ces boucquins ici ne cesseront aujourd’hui de s’entreheurter avec leurs cornes. Ô loups plus couards que renards! où estes-vous à ceste heure, que vous ne les venez happer?

Ainsi que Daphnis estoit en ces termes, une cigale, poursuivie par une harondelle, se vint jetter en sauve-garde dedans le sein de Chloé; au moyen de quoi Pharondelle ne la peut prendre, ni ne peut aussi retenir la roideur de son vol, qu’elle n’approchast si près du visage de Chloé, qu’avec l’une de ses ailes elle ne lui touchast la joue, dont Chloé s’esveilla en soursault: et pourcequ’elle ne sçavoit que c’estoit, s’escria bien hault; mais quand elle eut veu l’harondelle volletant encore alentour d’elle, et Daphnis se riant de sa peur, elle s’asseura, et frotta ses yeux qui avoient encore envie de dormir. La cigale se print à chanter encore entre les tettins mesmes de la gente pastourelle, comme si avec son chant elle lui eust voulu rendre grâces de son salut: à l’occasion de quoi Chloé, ne sçachant que c’estoit, s’escria de rechef bien fort; et Daphnis s’en print aussi de rechef à rire; et usant de ceste occasion, lui mit la main bien avant dans le sein, dont il tira la gentille cigale, qui ne se pouvoit encore taire, quoiqu’il la tinst dedans la main. Chloé fut bien aise de la veoir, et, l’ayant baisée, la remit chantant de rechef dans son sein.


Une aultre fois ils ouïrent du bois prochain chanter un ramier, au chant duquel Chloé ayant prins plaisir, demanda à Daphnis que c’estoit qu’il disoit; et Daphnis raconta ce que l’on en dit communément, ce Ma mie, dit-il, au temps passé y avoit une jeune garse belle et jolie, en fleur d’aage comme toi; elle gardoit les vaches, et chantoit fort plaisamment: ses vaches prenoient si grand plaisir à l’ouïr chanter, qu’elle les gouvernoit au son de sa voix seulement, sans jamais leur donner coup de houlette, ne picqueure d’esguillon. Estant assise à l’ombre de quelque beau pin, la teste couronnée de feuillage de l’arbre, elle chantoit tousjours quelque chanson à la louenge de Pan; dont ses vaches estoient si aises, qu’elles ne s’esloingnoient jamais si loing d’elle, qu’elles ne peussent bien ouïr le son de sa voix. Or y avoit-il auprès de là un jeune garson qui gardoit des bœufs; il estoit beau, et chantoit bien aussi: un jour, pour monstrer qu’il sçavoit autant de chanter comme elle, il se mit à chanter plus fortement qu’elle, comme estant masle, et si mélodieusement qu’il attira à lui huict des plus belles vaches qu’elle eust en son troupeau, et les feit venir au sien. De quoi la pauvre garse fut si desplaisante, en partie pour veoir son troupeau diminué, et en partie pour avoir esté vaincue au chanter, qu’elle feit prières aux Dieux de la muer en un oiseau, plustost que de retourner ainsi à la maison. Les Dieux lui accordèrent sa demande, et en feirent un oiseau de montaigne, qui aime à chanter comme elle faisoit quand elle estoit fille; et encore aujourd’hui en chantant se plaint-elle de sa desconvenue, et va disant qu’elle cherche ses vaches esgarées.»

Tels estoient les plaisirs que l’esté leur donnoit; mais quand l’arriere-saison de l’automne fut venue, que le raisin fut meur et prest à vendanger, certains coursaires de la ville de Tyr, ayant une fuste du pays de Carie, à celle fin peut-estre que l’on ne pensast que ce fussent barbares, vindrent aborder en ceste coste, et, descendant en terre avec leurs brigandines et espées, pillèrent tout ce qu’ils peurent treuver aux champs, comme force bon vin, force grains, force miel estant encore avec la cire, et mesure emmenerent quelques bœufs et vaches du troupeau de Dorcon.

Or en courant ainsi çà et là ils rencontrèrent de maie adventure Daphnis qui s’alloit esbattant le long du rivage de la mer; car Chloé, comme simple fille, qui craignoit que les aultrès pasteurs ne lui feissent peut-estre quelque violence, ne partoit si matin du logis, et ne menoit pas sitost les brebis de Dryas aux champs. Les coursaires, voyant ce jeune garson grand et beau, et de plus de valleur que tout ce qu’ils eussent peu davantage ravir par les champs, ne s’amuserent plus ne à poursuivre les chevres, ne à chercher où desrober aultre chose par la campagne, ains l’entraisnerent dedans leur fuste, plorant, et ne sçachant que faire, sinon qu’il appelloit à haulte voix Chloé tant qu’il pouvoit crier.

Or ne faisoient-ils gueres que remonter en leur vaisseau, et prendre les rames es mains pour voguer, quand Chloé entra avec son troupeau de brebis, apportant une nouvelle fluste à Daphnis; et voyant toutes les chevres esperdues et escartées çà et là, oyant davantage sa voix, qu’il l’appelloit tousjours de plus fort en plus fort, elle abandonna ses brebis, jetta la fluste, et s’en alla courant vers Dorcon pour le prier de lui venir aider.

Mais elle le treuva couché par terre de son long, tout destaillé de grands coups d’espées que les brigands coursaires lui avoient donnés, de sorte qu’à peine pouvoit-il plus respirer, tant il perdoit de son sang. Et néantmoins, quand il apperceut Chloé, la souvenance de son amour le reschauffa et renforça un petit; si lui dit: cc Chloé ma mie, je m’en vais rendre l ame bientost; car les meschants larrons coursaires m’ont descoupé comme un bœuf: mais si tu veulx, tu saulveras Daphnis, vengeras ma mort, et feras mourir ces meschants larrons meschamment. J’ai accoustumé mes vaches à suivre le son de ma fluste et de venir au chant d’icelle, encore qu’elles soient bien loing de moi; prends-la maintenant, et t’en va sur le bord de la mer jouer ceste chanson que j’ai, long-temps y a, monstrée à Daphnis, et que depuis Daphnis t’a enseignée; au demourant laisse faire la fluste, et mes bœufs et vaches qu’ils emmenent en leur vaisseau. Je te donne la fluste de laquelle j’ai aultrefois gaigné le prix contre plusieurs bouviers et bergers; et pour récompense, je te prie, baise-moi seulement pendant que j’ai encore un peu de vie; et, quand je serai trespassé, plore ma mort, et aie souvenance de moi, à tout le moins quand tu verras un vacher gardant ses bestes aux champs.»

Dorcon, ayant dict ces paroles, rendit aussitost son esprit en la baisant; et Chloé, prenant en main la fluste, la mit incontinent à sa bouche, et l’entonna le plus hault qu’elle peut. Les vaches, qui l’entendirent, recognurent aussitost le son de la fluste et la note de la chanson, et toutes d’une secousse se jetterent ensemble dedans la mer: et pourcequ’elles le feirent tout-à-coup du mesme costé, et que par leur cheute la mer s’entrouvrit, la fuste en tourna sens dessus dessoubs, de maniéré que tous ceux qui estoient dedans se treuverent plongés en la mer, mais non pas tous avec mesme espérance de salut; car les coursaires avoient tous leurs espées ceinctes à leurs costés, et leurs brigandines faictes à escaille sur leurs dos, avec les cuissots qui leur pendoient jusques à mi-jambe: au contraire Daphnis estoit tout descliaux, comme celui qui gardoit les bestes aux champs, et presque tout nud au demourant, pourceque c’estoit en esté, et qu’il faisoit fort chauld. Parquoi les coursaires, après avoir duré un peu de temps à nager, furent tirés à fond et finalement noyés par la pesanteur de leurs armes.

Daphnis, à l’opposite, despouilla facilement si peu d’habillements qu’il avoit autour de lui; et néantmoins encore se lassa-t-il de nager à la fin, comme celui qui n’avoit accoustumé de nager que dedans les rivieres: toutefois la nécessité lui enseigna ce qu’il avoit à faire en ce cas; car il se jetta entre deux vaches, qui nageoient coste à coste l’une de l’aultre, et, se prenant avec les deux mains à leurs cornes, fut par elles porté sans peine quelconque, aussi à son aise comme s’il eust esté dedans un chariot; car le bœuf nage beaucoup mieulx et plus longuement que ne fait l’homme, et n’y a bestes au monde qui durent si long-temps à nager comme il faict, si ce ne sont animaux aquatiques, et encore poissons; tellement que jamais un bœuf ne une vache ne se noyeroient, si les cornes de leurs pieds ne s’amollissoient dans l’eau; de quoi font foi plusieurs destroits en la mer, qui jusques aujourd’hui sont appelles Bosphores, c’est-à-dire traject ou passage de bœuf.

Voilà comment Daphnis se saulva et eschappa, contre son espérance, de deux grands dangers, l’un d’estre esclave de coursaires, l’aultre d’estre noyé. Au sortir de la mer il treuva Chloé sur la rive, plorant et riant tout ensemble; si se jetta entre ses bras, et lui demanda pour quelle cause elle avoit ainsi joué de la fluste. Chloé lui raconta tout du long comme elle s’en estoit courue vers Dorcon, comment les vaches avoient par lui esté apprinses à suivre le son de la fluste, comment il lui avoit conseillé d’en jouer, et comment il estoit trespassé; seulement oublia-t-elle (de honte) à dire comment elle l’avoit baisé.

Parquoi ils deslibérerent d’honorer la mémoire de celui qui leur avoit faict tant de bien, et s’en allèrent avec ses parents et amis inhumer le corps du malheureux Dorcon, sur lequel ils jetterent force terre, et plantèrent autour de sa fosse plusieurs arbres, y pendirent chacun quelque chose de leur mestier, et oultre y espandirent du laict, et espreignirent des grappes de raisin, et y cassèrent plusieurs flustes. Ses vaches s’en prindrent à bramer piteusement, et s’en coururent en mugissant çà et là, comme bestes esgarées; ce que les aultres pasteurs interpreterent estre le deuil que les pauvres bestes menoient du trespas de leur maistre.

Après que Dorcon fut enterré, Chloé mena Daphnis en la caverne des Nymphes, où elle le nettoya; et quand et quand, pour la première fois en présence de Daphnis, lava aussi son beau corps d’elle-mesme, blanc et poli comme albastre, et qui n’avoit que faire d’estre lavé pour sembler beau: puis en cueillant ensemble des fleurs que portoit la saison, en feirent des chapeaux aux images des Nymphes, et attacherent contre la roche la fluste de Dorcon pour offrande: puis cela faict retournèrent vers leurs chevres et brebis, lesquelles ils treuverent toutes tapies contre la terre, sans paistre ni besler, pour l’ennui et le regret qu’elles avoient, ainsi qu’il est à présumer, de ne veoir plus ni Daphnis ni Chloé. Mais aussitost qu’elles les apperceurent, et qu’eux se prindrent à les siffler comme de coustume, et à jouer du flageolet, elles se levèrent incontinent, et se prindrent à pasturer comme devant, et les chevres à saub ter en beslant, comme si elles se fussent esjouies d’avoir recouvré leur chevrier.


Mais quoi qu’il y eust, Daphnis ne se pouvoit esjouir à bon escient depuis qu’il eut veu Chloé toute nue, et sa beauté à descouvert; car il ne l’avoit auparavant jamais veue: son cœur en languissoit ne plus ne moins que s’il eust esté atteinct et envenimé de quelque poison: son pouls estoit aucunefois fort et hasté comme si on l’eust chassé, et quelquefois foible et débile comme si à la surprinse des coursaires il eust perdu toute sa force; et lui sembloit la fonteine oii il avoit veu Chloé se laver, plus effroyable et plus redoutable que la mer. Brief il lui estoit advis que son ame estoit encore entre les brigands, tant il estoit en grande peine, comme un jeune garson nourri aux champs, qui n’avoit encore jamais expérimenté que c’est que du brigandage d’Amour.

Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé

Подняться наверх