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Du Rapport fait à l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut royal de France,
Par M. QUATREMERE DE QUINCY.
La Commission que vous avez nommée pour faire un Rapport sur l’ouvrage manuscrit de M. Mérimée, intitulé De la Peinture à l’huile ou des Procédés matériels employés par les Peintres, depuis Hubert et Jean Van-Eyck jusqu’à nos jours, a l’honneur de vous soumettre le résultat de ses observations et de son opinion sur cet ouvrage.
Les préceptes et les avis que M. Mérimée a répandus et développés dans cet important Traité sont moins relatifs à l’art, qu’au matériel de la peinture. Il n’a pas la prétention d’apprendre à faire de bons tableaux, mais des peintures durables. Son objet est de rechercher quels ont été les procédés employés dans la peinture à l’huile, depuis son origine jusqu’ à nos jours. Cette investigation lui a donné pour résultat que les plus anciens peintres flamands et vénitiens ne peignaient pas comme nous avec des huiles pures, mais qu’ils détrempaient leurs couleurs avec des vernis, auxquels il faut attribuer la conservation de leurs tableaux.
M. Mérimée décrit donc la préparation des différens vernis qu’on peut mêler avec les couleurs, et de ceux qu’on peut appliquer sur les tableaux, terminés. Il donne aussi les notions les plus exactes sur les matières colorantes, sur leur préparation, leur solidité, l’action qu’elles exercent les unes sur les autres dans leurs divers mélanges, sur l’altération que l’air et la lumière leur font subir, ainsi qu’aux substances grasses avec lesquelles elles sont unies; il indique les précautions à prendre pour assurer la conservation des tableaux et les moyens de les restaurer; il termine son ouvrage par une théorie de la colorisation appliquée à l’harmonie.
Dans le Chapitre Ier., M. Mérimée commence par établir, comme un fait incontestable, que les frères Van-Eyck sont les inventeurs de la peinture à l’huile, et il réfute à cet égard les écrits de Theophilus, Presbyter et de Cennino Cennini. Toute controverse sur cet objet nous a paru à peu près inutile, l’expérience sur beaucoup d’autres points ayant prouvé qu’il n’y a pas de découverte qui n’ait. eu plus d’un inventeur; ce qui signifie qu’il y a dans chacune plusieurs degrés d’invention.
Quoi qu’il en soit, M. Mérimée a observé que les tableaux peints à l’huile en Italie et en Allemagne, aux XIVe. et XVe. siècles, sont mieux conservés que la plupart des peintures faites depuis, et particulièrement dans le siècle dernier. Il en conclut que les procédés employés, dans l’origine de la peinture à l’huile, ne nous sont point parvenus sans altération, et que nous en avons même perdu complétement la tradition.
L’objet principal de l’auteur a été de découvrir les procédés primitifs, soit par la lecture des premiers Traités de peinture, soit par l’examen attentif des anciens tableaux qui ont le mieux résisté à la destruction. Il a cru reconnaître que la conservation de ces peintures devait être attribuée à un mélange de matières résineuses, servant d’excipient aux couleurs.
Dès la renaissance et même avant la découverte de la peinture à l’huile, on connaissait bien l’emploi du vernis pour préserver les tableaux de l’impression de l’air; mais aucun des auteurs qui ont écrit sur l’art à cette époque n’a fait mention du vernis incorporé aux, couleurs, si ce n’est Armenini qui en 1587 conseilla de mêler les substances résineuses aux huiles dans les matières colorantes et même dans la pâte de l’impression.
M. Mérimée a observé et analysé avec soin les plus anciens tableaux, il a interrogé ceux qui les restaurent, et il a cru reconnaître, à la dureté de la pâte et au luisant de la cassure, qu’elle n’a pas été délayée seulement avec des huiles, mais aussi avec des vernis dont quelques uns doivent être de la nature des vernis durs. A a reste, presque tous les tableaux du commencement du XVIe. siècle sont, comme tous ceux du siècle précédent, exécutés sur une impression de blanc de craie à la colle, sur laquelle on passait une couche d’huile siccative. On opérait, en commençant, avec des couleurs transparentes, et lorsqu’on s’était assuré ainsi de la composition, du dessin et même de l’effet général du clair-obscur, on terminait le tableau avec des pâtes légères, qui donnaient plus de consistance et de relief à la peinture. C’est ainsi qu’ont opéré les frères Van-Eyck, le Perugin, Léonard de Vinci, Raphaël et Fra-Bartolomeo.
Un second moyen, employé par Le Titien et Corrège est d’empâter son ébauche et de n’employer les couleurs transparentes et les glacis que pour terminer le tableau, et il est à remarquer que les plus grands coloristes ont employé l’un et l’autre de ces procédés opposés et ont obtenu le même résultat.
M. Mérimée croit retrouver dans les glacis, dont les Vénitiens et les Flamands tirèrent aussi grand parti, une preuve de l’emploi qu’ils firent du vernis dans leurs couleurs. Cependant il avoue qu’on ne dût pas tarder à s’apercevoir des inconvéniens résultant de l’emploi excessif des glacis ou de leur mauvaise exécution, et que des tableaux très brillans d’abord ne tardèrent pas à se noircir et à s’altérer. Il ajoute que ceux de Titien, de Paul Véronèse, de Rubens, qui sont le mieux conservés, sont ceux qu’ils ont peints sur une impression en détrempe.
Après avoir passé en revue les plus célèbres artistes des Écoles d’Italie et de Flandre, M. Mérimée arrive à l’École française, qu’il ne fait dater que de Simon Vouet, à l’influence duquel il attribue le peu de succès des peintres français dans le coloris. Si l’on prétend que Simon Vouet eut la première école, en entendant par ce mot un nombre d’élèves des plus habiles formés sous lui, on en conviendra, pour peu qu’on accorde aussi qu’avant lui la France avait eu de fort habiles peintres, sans compter ceux que l’Italie lui avait envoyés. Si l’École de Vouet ne produisit pas de grands coloristes, il y aurait peut-être quelque sévérité à étendre l’effet de la cause prétendue à tous les peintres suivans en France, et parmi lesquels on en citerait auxquels on ne peut contester le mérite et le titre de coloriste.
M. Mérimée croit voir la détérioration de nos tableaux suivre, sous le rapport matériel, la décadence de notre École. Il ajoute que depuis que l’École s’est régénérée, les peintres se sont montrés plus soigneux, les marchands de couleurs plus consciencieux et plus instruits. Nous devons, dit-il, espérer que la science, venant au secours de l’art, donnera à nos peintures une plus grande solidité.
Le second chapitre de l’ouvrage de M. Mérimée traite des vernis, de la nature et des propriétés des substances dont ils se composent. L’auteur, après quelques recherches sur l’atramentum ou vernis d’Apelles, passe en revue les substances bitumineuses et résineuses dont se composent les vernis, et il indique les huiles employées dans la peinture; mais c’est dans la préparation des vernis que l’on trouve un grand nombre de notions neuves et précieuses, dues en partie aux recherches de l’auteur.
Le Chapitre V, qui traite de la préparation et de l’impression des panneaux, des toiles et des murs, est un des plus utiles, et les procédés que l’auteur indique tendent tous à la solidité et à la durée des peintures.
Quant au Chapitre IV, qui forme, à lui seul, une bonne partie de l’ouvrage et qui est relatif à la préparation des couleurs, il appartient plus à la chimie qu’à la peinture, et on peut s’en rapporter sur cela aux connaissances spéciales de M. Mérimée, qui paraît avoir démêlé, au milieu d’une foule de recettes et de préparations, celles qui se rapprochent le plus de la simplicité naturelle; car il est à remarquer que, de toutes les couleurs, les plus solides sont celles qui ont été lentement élaborées dans le grand laboratoire de la nature.
Le Chapitre VI traite des meilleurs moyens de conservation pour tes tableaux et de la description des procédés ingénieux qu’on emploie pour les restaurer et leur donner, pour ainsi dire, une nouvelle existence.
Le Chapitre VII est intitulé, Théorie de la colorisation appliquée à l’harmonie des couleurs. Après avoir établi avec beaucoup de clarté cette théorie, fondée sur les propriétés physiques des couleurs, M. Mérimée en fait découler les principes de l’harmonie applicables à la peinture, et il les replace ainsi sur leur base naturelle. Cette partie n’est pas susceptible d’être analysée, et de simples extraits n’en donneraient qu’une idée imparfaite.
L’auteur a ajouté ici en faveur de la fresque un chapitre étranger au titre de son ouvrage, il est vrai, mais dont on doit néanmoins lui savoir gré, à raison soit du renouvellement qu’on a fait il y a peu de temps de ses procédés, soit de l’importance de son emploi pendant plusieurs siècles, et concurremment avec celui de la peinture à l’huile.
Chargée de rendre compte de l’ouvrage de M. Mérimée, la Commission nommée à cet effet croit en avoir assez dit pour en faire apprécier l’intérêt et l’utilité que peut en retirer l’art de la peinture.
Son avis est donc que, nonobstant quelques points de critique susceptibles de quelques légers dissentimens, l’ouvrage de M. Mérimée renferme une multitude d’observations importantes, de faits constatés par l’expérience, de préceptes qui ne peuvent tourner qu’au profit de l’art, et que sa publication ne saurait être qu’infiniment avantageuse.
L’Académie approuve les conclusions du rapport, et arrête qu’un extrait en sera adressé au Ministre de l’Intérieur.
Pour extrait conforme,
Le Secrétaire perpétuel,
QUATREMERE DE QUINCY.