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CHAPITRE PREMIER.

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Table des matières

RECHERCHES SUR LES DIVERS PROCÉDÉS EMPLOYÉS DANS LA PEINTURE A L’HUILE, DEPUIS HUBERT ET JEAN VAN-EYCK JUSQU’A NOS JOURS.

L’OPINION commune attribue à Jean Van-Eyck l’invention de la peinture à l’huile. Quelques savans ont soutenu qu’elle était pratiquée bien avant l’époque où ce peintre florissait; mais en supposant comme démontrée la vérité de leur assertion, on ne pourrait pas en conclure que Van-Eyck ait eu connaissance des essais faits avant lui, ni par conséquent lui ravir le mérite personnel attaché à cette importante découverte.

Ce qui est plus certain, c’est qu’au temps de Van-Eyck le perfectionnement des arts était arrivé à un degré tel, que la découverte de la peinture à l’huile était devenue en quelque sorte inévitable, et l’on pourrait plutôt s’étonner qu’elle n’ait pas eu lieu à la fois dans tous les pays où l’art était cultivé avec quelque succès .

Alors on peignait en détrempe, et on enduisait ensuite les tableaux avec un vernis qui avivait les couleurs et défendait la peinture des injures de l’air. L’idée d’incorporer le vernis dans la couleur même est trop naturelle pour qu’elle ne se soit pas présentée souvent à l’esprit et probablement plusieurs peintres avaient déjà fait quelques tentatives pour la réaliser; mais pour réussir au point de faire prévaloir ce procédé de peinture sur celui de la détrempe, auquel on était habitué, il restait encore bien des difficultés à vaincre, et elles dûrent rebuter des artistes la plupart dépourvus des connaissances nécessaires pour les surmonter. Les vernis que l’on employait étaient huileux et extrêmement visqueux, il fallait les rendre assez fluides pour que les couleurs auxquelles ils devaient servir d’excipient fussent aussi maniables qu’elles le sont à la détrempe. D’ailleurs l’action des couleurs sur les huiles est très diverse; quelques unes, telles que le massicot, le blanc de plomb, la terre d’ombre, rendent les huiles plus siccatives; d’autres, telles que les laques, le charbon animal, les terres bitumineuses, produisent l’effet contraire. Il fallait donc parvenir à préparer les huiles de manière à ce que les couleurs fussent également maniables et séchassent toutes à peu près dans le même temps.

Van-Eyck satisfit à ces conditions, et s’il fallait (ce qui n’est pas dans mon opinion) lui contester l’honneur d’une première découverte , on ne pourrait du moins lui refuser le mérite d’avoir porté la préparation et l’emploi des couleurs à un point de perfection que l’on n’a jamais dépassé, et auquel même, maigre le progrès des sciences, on est à peine arrivé de nos jours. Ses tableaux sont en effet beaucoup mieux conservés que ceux qui furent peints deux siècles après lui.

Les historiens qui nous ont transmis quelques notions sur la vie de Van-Eyck supposent qu’il fut poussé par un motif personnel à chercher un nouveau procédé de peinture. Le vernis dont il recouvrait ses tableaux ne séchait, disent-ils, qu’à l’ardeur du soleil. Ils racontent que, dans cette opération, le panneau d’un de ses tableaux se fendit par l’effet de la chaleur, et que cet accident porta Van-Eyck à chercher un moyen qui ne l’exposât plus à perdre en un instant le fruit d’un long travail.

On peut révoquer en doute cette anecdote; mais ce qui est plus certain, c’est que l’imperfection du procédé de la détrempe était pour Van-Eyck un motif suffisant de faire les recherches qu’on lui attribue. Cet artiste possédait à un très haut degré le talent de l’imitation; le seul besoin de diminuer les difficultés de la manutention, ou d’accroître les ressources de l’art, suffisait pour lui inspirer le désir de trouver un nouvel excipient avec lequel les couleurs conservassent, étant devenues sèches, la transparence et le brillant qu’elles ont au moment de leur application et, de plus, dont la dessiccation lente laissât à l’artiste le temps nécessaire pour fondre les teintes entre elles, et imiter la dégradation insensible que la nature présente d’une nuance à l’autre dans les effets du clair-obscur.

Ainsi donc, comme je l’ai déjà fait observer, l’idée d’incorporer le vernis avec la couleur étant la plus simple, on doit supposer qu’elle se présenta la première à l’esprit de Van-Eyck. L’objet de ses recherches n’eût été qu’imparfaitement rempli, si ses couleurs, préparées comme les nôtres, également susceptibles de s’emboire, eussent exigé l’application ultérieure d’un vernis pour en faire ressortir la transparence et l’éclat.

Quelque probable que cette supposition paraisse, ce n’est pas sur une pareille base que mon opinion pouvait s’établir: elle est le résultat d’un examen approfondi des anciennes peintures à l’huile. Cet examen, entrepris pour connaître les procédés primitifs, m’a démontré que, dans les tableaux de Van-Eyck et des peintres qui suivirent sa méthode, les couleurs n’ont pas été délayées simplement avec une huile plus ou moins siccative; mais qu’on y mêlait des vernis auxquels on doit attribuer l’étonnante conservation de plusieurs des plus anciennes peintures dont l’éclat surpasse celui de la plupart de celles du siècle dernier.

Après avoir formé mon opinion d’après mes observations sur les anciens tableaux, j’en ai cherché la confirmation dans les auteurs des différens traités de peinture, et, dans cette intention, j’ai lu Léonard de Vinci, Paul Lomazzo, Vasari, Gérard de Lairesse, et même les deux plus anciens écrivains que nous connaissions, Cennino Cennini et Théophile. J’espérais trouver dans ces ouvrages des renseignemens précis sur la préparation et l’emploi des couleurs, mon attente n’a pas été satisfaite à mon gré ; cependant elle n’a pas été entièrement déçue. Je vais rapporter les témoignages que j’ai pu recueillir.

On raconte que Jules second, qui avait appelé Léonard de Vinci pour décorer quelques salles du Vatican, eut, un jour, la curiosité d’entrer en l’absence du peintre dans la pièce qui lui servait d’atelier. Là, au lieu d’esquisses et de cartons que le pape s’attendait à trouver, il n’aperçut que quelques appareils et ustensiles de chimie qu’il crut destinés à la préparation des vernis. Celui-ci, dit Jules, commence par où les autres finissent.

Un artiste anglais, M. Timothée Sheldrake, cite ce passage dans un mémoire sur les avantages de l’emploi du vernis dans la peinture, et croit y trouver la preuve que Léonard de Vinci mêlait habituellement du vernis dans ses couleurs.

Il ne faut pas être difficile en fait de preuves pour admettre comme telles un témoignage aussi vague. Les appareils de chimie que le pape jugea destinés à la préparation du vernis pouvaient servir, soit à celle des huiles siccatives, soit à la rectification de l’huile volatile de térébenthine, opération que les peintres étaient probablement obligés de faire eux-mêmes, à une époque où la fabrication des objets nécessaires à l’exercice de leur art ne formait point, comme de nos jours, une branche d’industrie lucrative.

Dans son Traité de peinture, Léonard de Vinci ne fait mention de l’emploi du vernis qu’à l’occasion de l’acétate de cuivre (du verdet); il fait observer que cette couleur, étant un sel soluble, elle se dissoudrait dans l’eau lorsqu’on laveverait le tableau. C’est pourquoi il conseille de la couvrir d’une couche de vernis aussitôt qu’elle est sèche.

Dans un autre endroit, il propose, pour vernir un tableau d’une manière inaltérable, de le coller à une glace avec un vernis gras composé d’ambre et d’huile de noix, ou seulement d’huile de noix épaissie au soleil.

Dans ces passages, rien ne démontre que Léonard de Vinci mêlât habituellement du vernis dans ses couleurs; mais l’un des plus anciens auteurs qui ait décrit les procédés techniques de la peinture, Arrnenini, de Faenza, qui écrivait vers le milieu du XVIe. siècle, ne laisse aucun doute sur l’emploi du vernis. Il conseille positivement d’en mêler dans les couleurs dont on se sert pour glacer, et même dans celles de l’impression. Voici comment il s’exprime:

«Lorsque l’ébauche est finie et sèche, on

» commence à repeindre et à travailler chaque

» partie avec plus de précision en employant les

» couleurs les plus belles et les mieux broyées, et

» ne faisant les teintes qu’à mesure que l’on

» peint, parce que cette fois on glace plutôt qu’on

» n’empâte les chairs, qui d’ailleurs sont déjà

» amenées à un certain degré de fini....; et pour

» faciliter l’exécution, il faut d’abord enduire la

» partie que l’on va repeindre, en la frottant avec

» les doigts trempés dans de l’huile de noix clarifiée.

» On étend cette huile bien également avec

» la paume de la main, ensuite on l’essuie avec

» un linge propre, parce que, lorsqu’on ne l’a

» pas enlevée, les couleurs jaunissent avec le

» temps. Cette préparation facilite beaucoup le

» travail, en ce que les teintes coulent et s’appliquent

» sans que le dessous les refuse: de sorte

» que les choses les plus difficiles peuvent s’exécuter

» sans peine. Les peintres habiles n’emploient

» alors que peu de couleurs, et, comme

» on l’a dit, glaçant plutôt légèrement qu’en empâtant.

» Ils obtiennent ainsi beaucoup de douceur

» et de moelleux dans les chairs et dans les

» draperies....

» Mais je reviens aux draperies que l’on glace

» ordinairement, bien que les peintres habiles

» dédaignent ce moyen, parce qu’ils ne peuvent

» supporter de voir les étoffes partout d’une teinte

» uniforme....

» S’il s’agit d’une draperie verte, le procédé

» dont nous avons déjà parlé s’exécute ainsi.

» Après qu’on a ébauché avec du vert, du noir

» et du blanc, de manière qu’il y ait un excès de

» fermeté, que la draperie soit un peu crue, on

» mêle un peu de vernis commun et de laque

» jaune avec du verdet, et avec ce mélange on

» glace le tout avec un gros pinceau de vair (petit-gris)....

».... Si c’est une draperie de laque, on suit

» le même procédé en mêlant du vernis à la laque,

» et on doit en mêler de même avec toutes les cou-

» leurs lorsqu’on veut glacer .»

Armenini décrit ensuite diverses préparations de vernis.

L’emploi du vernis est également indiqué par Gérard de Lairesse dans son Traité de peinture. Au chapitre où il explique comment on doit procéder pour peindre à fond un tableau ébauché, il dit expressément que la partie sur laquelle on veut repeindre doit être enduite d’abord d’une couche légère, d’un mélange de vernis au mastic et d’huile visqueuse blanchie au soleil.

Si l’on ne trouve pas plus de détails dans les premiers auteurs qui ont écrit sur la partie technique de la peinture, il faut s’en prendre aux modifications que le procédé dut recevoir au moment même qu’il commença à être mis en usage. Comme il ne fut connu d’abord que d’un petit nombre d’artistes qui dûrent en faire un secret, ceux qui n’avaient pu en obtenir la communication cherchèrent à le deviner, et il faut convenir qu’ils avaient beaucoup de données pour trouver la solution du problème. Depuis plusieurs siècles, on peignait à l’huile les murs, les boiseries et même les statues; on connaissait la composition des vernis huileux: la distillation avait procuré des huiles volatiles à l’aide desquelles on pouvait rendre fluides les huiles trop visqueuses. Il ne restait donc plus à trouver que le moyen de rendre les huiles plus siccatives pour balancer l’effet de certaines couleurs qui les empêchent de sécher. On dut s’en tenir là ; et même, en acquérant dans la suite la connaissance des procédés de Van-Eyck, on dut se persuader qu’on les avait simplifiés.

Pour retrouver le procédé primitif, la voie la plus sûre est évidemment d’examiner avec attention les plus anciens tableaux, et d’interroger les hommes qui s’occupent habituellement de les restaurer; on apprendra d’eux que les couleurs des tableaux appartenant à la première époque de la peinture à l’huile sont, en général, d’une pâte plus dure que celle des tableaux d’une date plus récente; qu’elles résistent davantage aux dissolvans; que si on les entame avec un grattoir, elles se montrent luisantes à l’intérieur, ainsi que la peinture au vernis. Rien n’est plus facile que de vérifier ces observations, et quand on n’aura plus aucun doute sur leur exactitude, il faudra bien en conclure que les couleurs de ces tableaux n’ont pas été détrempées seulement avec des huiles pures comme les nôtres, mais encore avec des vernis, dont quelques uns devaient être de l’espèce des vernis gras.

Presque tous les tableaux du commencement et même de la fin du XVIe. siècle sont peints sur bois. Les panneaux sont couverts d’une couche bien unie de plâtre éteint broyé avec de la colle animale: c’était le même apprêt dont se servaient les doreurs . On appliquait ensuite sur cette impression une couche d’huile cuite; sans cette précaution, les couleurs, quoique très liquides, se seraient embues aussitôt qu’elles auraient été appliquées, et il eût été difficile de les étendre au pinceau.

On voit à Florence un tableau de Léonard de Vinci, et un autre de Frà-Bartolomeo, qui ne sont qu’ébauchés; ils sont dessinés au trait avec le pinceau, puis lavés et ombrés comme un dessin au bistre, avec une couleur brune, que l’on reconnaît pour être du bitume.

La méthode d’ébaucher par une espèce de lavis d’une seule teinte fut, je n’en doute pas, celle de Van-Eyck; elle fut suivie constamment par les chefs de l’École romaine et florentine, par Le Perugin et Raphaël, par Léonard de Vinci et Frà-Bartolomeo; elle le fut surtout par les peintres de l’École des Pays-Bas, où le procédé primitif dut se conserver plus long-temps.

Cette méthode, qui habitue l’œil à la transparence, et semble, par cette raison, convenir plus particulièrement aux coloristes, ne fut pas cependant pratiquée dans l’École vénitienne, si ce n’est peut-être par les premiers, qui commencèrent à peindre à l’huile.

Le Titien, et ceux qui le suivirent, ébauchèrent à pleine pâte; ils avaient sans doute éprouvé qu’on arrive au même résultat de transparence en terminant par des glacis. De plus, ce procédé leur procurait l’avantage de faire à l’ébauche tous les changemens qui leur venaient à l’esprit. Le Corrége et les peintres de son école ébauchèrent aussi en pleine pâte et souvent en grisaille.

Ceux qui suivirent cette méthode devaient être plus indifférens sur le choix des fonds sur lesquels ils peignaient. Il y a quelques tableaux du Titien exécutés sur un fond rouge; cependant ils sont généralement sur des fonds en détrempe préparés avec du plâtre éteint et de la colle.

Les glacis furent sans doute pratiqués dès l’origine de la peinture. Aussitôt que l’on commença à employer des couleurs, on dut s’apercevoir que les plus intenses, appliquées en couches minces sur les plus claires, donnent une nouvelle série de teintes qui ne peuvent être produites par aucun mélange opaque. On glaçait déjà dans la peinture en détrempe; l’application des glacis fut bien plus facile quand on peignit à l’huile, puisqu’ on ne risque plus de détremper la couche de couleur que l’on recouvre.

Les glacis, dont les Flamands et les Vénitiens tirèrent un si grand parti, sont encore une preuve de l’emploi qu’ils faisaient du vernis dans leurs couleurs. Ces glacis, remarquables par l’égalité de leur teinte, ne se reconnaissent souvent qu’à leur transparence et en y regardant de très près. Il serait impossible d’obtenir le même effet avec des couleurs délayées dans nos huiles siccatives.

Le Titien, Frà-Bartolomeo et Le Corrége sont; de tous les peintres, ceux qui ont fait le plus d’usage des glacis. Je ne connais pas un tableau du Titien qui ne soit glacé d’un bout à l’autre, même dans les parties les plus claires; et si, dans quelques endroits, on n’aperçoit pas les glacis, on verra, en y regardant de près, qu’ils ont été enlevés dans les nettoyages.

Cependant on ne dut pas tarder à s’apercevoir des inconvéniens résultans de l’emploi excessif des glacis ou de leur mauvaise exécution. Des tableaux très brillans, au moment où ils sortaient des mains du peintre, dûrent être très altérés au bout de peu d’années. Cette observation ne fut pas perdue pour les coloristes du second âge: ils ne glacèrent plus que les parties qui, par leur couleur ou leur ton propre, n’ont rien à craindre de la teinte plus ou moins bistrée à laquelle elles parviennent avec le temps.

Ainsi que Le Titien, Paul Véronèse ébauchait dans la pâte, et très souvent il peignit sur des toiles imprimées en détrempe: il ébauchait alors avec des couleurs à l’eau.

Ce procédé très expéditif, et qui dut être le passage de la détrempe à la peinture à l’huile, est décrit par Léonard de Vinci. J’ai vu plusieurs tableaux exécutés de cette manière, lesquels appartiennent évidemment à l’époque où l’on commençait à abandonner la détrempe. Je suis étonné que personne, dans notre École, n’ait essayé de ce procédé. Je ferai connaître les avantages qu’on peut en retirer.

Si les procédés de Van-Eyck devaient se’ conserver quelque part sans altération, c’était dans l’école dont il était le fondateur. Otto Venius les suivait encore deux siècles après lui. Ce dernier les transmit à Rubens, qui les pratiqua sans y rien changer; du moins les tableaux de l’un et de l’autre offrent-ils la même transparence et les mêmes teintes, disposées dans le même ordre. La prodigieuse supériorité d’exécution de l’élève ne tient qu’au génie qui guidait sa main.

Rubens peignit le plus souvent sur des panneaux préparés à la détrempe, comme ceux des anciens peintres italiens; quelquefois aussi, mais plus rarement, sur des toiles imprimées à l’huile en gris clair: tels sont les tableaux du Luxembourg.

On a conservé un grand nombre d’esquisses de ce maître, dans lesquelles on peut voir distinctement ses procédés.

Les figures, dessinées d’abord à la mine de plomb, sont ensuite retracées au pinceau, et la composition est mise à l’effet avec un lavis de couleur brune, tel qu’on le voit dans les tableaux ébauchés de Léonard de Vinci et de Frà-Bartolomeo; que j’ai cités plus haut.

Les traits, formés au pinceau, sont très déliés et en même temps nourris de couleur. Leur prolongement continu prouve que le pinceau a coulé librement sur la surface du panneau. Les sillons formés par la brosse ne sont point effacés, et des touches épaisses de couleurs transparentes sont demeurées en place, malgré leur extrême liquidité.

Sans doute, il nous est facile de faire couler librement notre pinceau sur une surface unie enduite d’une légère couche d’huile, et nous pouvons tracer dessus des traits déliés; mais à peine sont-ils formés, que leur netteté disparaît. Si nous employons des couleurs transparentes un peu liquides, elles ne se maintiennent pas un instant telles que nous les avons appliquées. L’huile s’en sépare, et en peu de temps les traits sont plus ou moins brouillés.

Rubens a peint souvent, au premier coup, sur des panneaux extrêmement lisses. Il mettait peu de couleur dans les ombres et même dans les demi-teintes; c’est seulement dans les lumières qu’on voit des touches empâtées.

Que l’on essaie avec nos couleurs de peindre au premier coup sur de pareils fonds, et l’on sera bientôt arrêté par une difficulté insurmontable: la couleur glissera sur une surface trop unie pour qu’elle puisse y adhérer; une seconde touche enlèvera la première, et l’on reconnaîtra bientôt la nécessité de commencer par faire une légère ébauche, pour substituer à la surface trop lisse une surface un peu grenue, qui arrête la couleur.

Si, pour expliquer ces différences matérielles, on suppose que Rubens se servait de pinceaux extrêmement doux, et par cette raison plus propres à fondre les couleurs sans les enlever de leur place, on n’expliquera pas cet effet si remarquable, que l’huile ne se sépare jamais de la couleur la plus liquide. Il faut donc admettre que Rubens ne peignait pas avec des couleurs préparées comme les nôtres, mais qu’il enduisait la surface de son panneau avec une matière onctueuse, laquelle devait être assez liquide pour ne pas arrêter le mouvement du pinceau, assez visqueuse pour happer la couleur et la faire adhérer, et en même temps assez grasse pour arrêter la tendance de certaines couleurs à s’étendre au delà de la place où elles sont appliquées.

J’ai dit que Rubens conserva sans altération les procédés d’exécution qu’il tenait de son maître: cependant, lorsqu’il fut en Italie, il adopta la manière du Caravage, peignant, comme lui, toutes les parties de son tableau à pleine pâte, et ne glaçant ensuite que les ombres, les fonds obscurs et les draperies; mais de retour dans sa patrie, il ne tarda pas à reprendre la manière transparente de son maître.

Jacques Jordaens n’avait pas commencé la peinture sous Rubens, et il n’ébauchait pas, ainsi que lui, avec des lavis; mais la pâte de sa couleur est trop brillante, trop transparente, indépendamment de toute opposition, pour qu’on puisse douter qu’elle ne contienne du vernis.

Van-Dyck, qui d’abord avait suivi la manière de Rubens, qui même avait adopté ses teintes de cinabre portées à l’exagération, changea en Italie ses procédés et son coloris. Il peignit dans la pâte comme Le Titien, mais il fut plus réservé dans l’emploi des glacis .

Après avoir, ainsi que son maître, fait abus du vermillon, il fut ramené à des teintes moins brillantes et plus vraies, sans doute, parce que, faisant beaucoup de portraits, il eut plus souvent la nature sous les yeux. Comme il s’était un peu occupé de chimie, la connaissance qu’il avait des élémens du cinabre lui fit présumer que cette couleur ne pouvait pas avoir de solidité. Il s’en servait peu, et il est probable qu’il recommandait à ses élèves de n’en employer que le moins possible, les assurant que l’on peut trouver dans les dégradations du brun rouge les teintes brillantes des plus belles carnations. Pierre Tyssens, un des plus habiles peintres de son école, ne se servit jamais de cinabre, et un élève de celui-ci outra tellement le conseil du maître, que ses tableaux ne sont que des grisailles.

En apparence, rien n’est plus éloigné des procédés de Van-Eyck que ceux de Rembrandt; cependant il les suivit dans ses premiers ouvrages: mais bientôt la vivacité et la mobilité de son imagination les lui firent abandonner, au point de ne plus attacher aucune importance à l’exécution. L’impatience de réaliser les effets qu’il concevait l’empêchait de prendre aucune précaution dans l’application de sa couleur. Tout ce qui se trouvait au bout de sa brosse était employé, de sorte qu’il substituait souvent des teintes sales et opaques à des teintes brillantes et transparentes; mais il avait trop le sentiment de la couleur pour que son œil pût les supporter long-temps, et son premier soin, en se remettant à son chevalet, était, je n’en doute pas, de rétablir par des glacis la transparence perdue.

On peut s’étonner de voir sortir d’une école où l’exécution était comptée pour rien un artiste qui l’ait considérée comme une partie essentielle. Les élèves adoptent de préférence la dernière manière de leur maître, toujours moins soignée que la première. Sous ce rapport, Gérard Dow semble être une exception qu’on n’expliquerait pas suffisamment par le caractère extrêmement patient de cet artiste et le peu d’activité de son imagination. Toutefois l’étonnement doit diminuer, si l’on considère, d’après l’époque de la naissance de Gérard Dow, que ce peintre dut entrer dans l’atelier de Rembrandt lorsque celui-ci ne faisait que commencer à devenir célèbre; et ses premiers ouvrages sont exécutés avec un soin remarquable.

Il est dans la destinée des arts que leur décadence commence immédiatement après qu’ils ont atteint la perfection. Cette destinée s’accomplissait en Italie lorsque le principal fondateur de notre École, Simon Vouet, vint y étudier les grands maîtres. La. tradition de leurs leçons y était déjà perdue, ou du moins corrompue à tel point, que ceux qui avaient sous les yeux les chefs-d’œuvre du Titien, de Raphaël et du Corrége prodiguaient des applaudissemens à Joseph d’Arpin.

La plus grande partie des tableaux qui se faisaient alors était à fresque, et tout, dans ce genre de peinture, s’exécute de mémoire, d’après des dessins plus ou moins arrêtés. Il en résulta que les artistes contractèrent l’habitude de ne pas exécuter autrement leurs tableaux de chevalet qu’ils auraient pu peindre d’après nature.

Dès lors chaque peintre adopta, sans s’en apercevoir, certaines formes et certaines teintes qu’il reproduisait toujours, de sorte que toutes ses fi-gare semblaient faites d’après le même modèle.

Telles furent les circonstances dans lesquelles Vouet fit son éducation: on conçoit qu’elle dut avoir une grande influence sur notre École. Quoique son style ait plus d’élégance que d’élévation, Vouet traitait l’histoire plus convenablement que plusieurs de ses contemporains, qui jouissaient en Italie d’une grande célébrité. Il n’était pas coloriste: la nombreuse école dont il fut le chef ne devait donc pas se distinguer par une qualité qu’il n’avait pas. Nos peintres d’histoire peignirent constamment d’après des dessins. Les peintres de portraits, d’animaux, de scènes familières furent les seuls qui travaillèrent d’après nature, et c’est aussi dans cette classe seulement que nous comptons quelques coloristes. Si l’on citait, contre cette assertion, Blanchard, Philippe de Champagne et La Fosse, je répondrais que le premier avait étudié long-temps à Venise; que le second, élevé dans l’École flamande, s’était formé sous des maîtres qui devaient avoir conservé la tradition des procédés de Rubens, et enfin que La Fosse est encore fort loin des grands coloristes. Il est probable cependant qu’il eût porté à un haut degré de perfection la plus séduisante partie de la peinture, si les circonstances l’eussent conduit comme Rigaud et Largillère à peindre le portrait, ou, comme Desportes, les animaux, ou, comme Vander-Meulen, le paysage, ou enfin, comme Watteau, des scènes familières. Il eût égalé les Vénitiens et les Flamands, dont il connaissait parfaitement les procédés, s’il eût été obligé d’en faire continuellement l’application d’après nature.

C’est donc particulièrement à l’usage établi dans notre École de peindre d’après des dessins, qu’il faut attribuer le peu de succès de nos peintres d’histoire dans la couleur. Le Brun n’ignorait pas les procédés des coloristes; il savait augmenter par des glacis l’éclat et la transparence des couleurs: ses tableaux offrent en quelques endroits de belles teintes, et il me paraît hors de doute qu’il eût pu prendre place parmi les coloristes, s’il eût peint d’après nature.

Quand une fois on a cessé de prendre la nature pour modèle, l’art suit avec une effrayante rapidité la pente qui l’entraîne vers sa décadence, et il arrive bientôt un moment où une imitation naïve est regardée comme incompatible avec le génie. Alors, pour obtenir des succès, on représente des courbes avec des lignes brisées, des surfaces unies avec des touches heurtées, et l’exécution est réputée d’autant plus savante qu’elle paraît s’éloigner davantage de la vérité. Je n’exagère point: Cochin, dans un éloge qu’il a fait des tableaux de Chardin, en vante surtout l’exécution, en disant que la peinture étant un art, cet art est porté d’autant plus loin que les moyens de l’artiste paraissent plus détournés de leur but.

Telle était la doctrine professée dans notre École lorsque Greuze parut. Formé par Restout, qui enseignait dogmatiquement à ses élèves qu’une sphère doit être représentée comme un polyèdre, il adopta implicitement ce précepte, et en conserva tellement l’impression, que toute sa vie il considéra comme un corps taillé à facettes les joues potelées d’une jeune fille ou d’un enfant; cependant il a prouvé qu’avec une constance imperturbable et en ne perdant jamais de vue le point que l’on veut atteindre, on y parvient, quelques détours que l’on fasse. On conçoit en effet la possibilité de former une sphère avec un cube, en tronquant indéfiniment ses angles; mais cette voie n’est assurément pas la plus courte.

Dans la science du coloris, Greuze surpassa de beaucoup ses compagnons d’étude; il est même un de ceux qui ont particulièrement contribué à la régénération de l’École, en ramenant l’étude de l’art à son vrai principe, à l’imitation précise de la nature.

Je tiens les détails suivant sur ses procédés, de quelqu’un qui a été à même de les bien connaître.

Il ébauchait une tête toujours à pleine pâte; lorsqu’il voulait repeindre sur cette ébauche, il commençait par la glacer en entier, et la mettait à l’effet avec des couleurs transparentes délayées dans une pâte onctueuse, à l’aide de laquelle sa peinture séchait sans s’emboire. Après cette préparation, qu’il exécutait assez rapidement, il repeignait sa tête en entier, en commençant par établir les lumières et arrivant progressivement jusqu’aux ombres. Comme il manquait de facilité, il ne parvenait pas à terminer dans cette seconde opération; ce n’était encore qu’une ébauche plus avancée: quelquefois même son travail n’était supportable qu’après plusieurs séances. Enfin, en suivant toujours la même manière d’opérer, il parvenait à produire un ouvrage dans lequel on admirait la couleur, sans apercevoir en aucun endroit la fatigue du travail.

Reynolds, contemporain de Greuze, fut le plus grand coloriste de son temps, et l’influence de son talent a donné une École à l’Angleterre. Une étude approfondie des tableaux de Rubens, de Rembrandt, du Titien lui fit découvrir les procédés de leurs auteurs et détermina son système d’exécution.

Il ébauchait souvent comme les Vénitiens, à pleine pâte et même en grisaille. Il colorait ensuite son tableau et le mettait à l’effet avec des glacis; après cela, il le retravaillait dans la pâte, et terminait toujours par des glacis. C’est ainsi que j’ai vu opérer un de ses élèves en Italie; et sous le rapport du coloris, les résultats de ce procédé étaient on ne peut pas plus séduisans.

Il peignait avec du vernis; il en a essayé de bien des sortes, et malheureusement il n’a laissé aucune note sur ses essais. Ses tableaux, pour la plupart, étaient éblouissans de couleur au moment où ils sortaient de ses mains, mais plusieurs ont perdu leur éclat, même en peu de temps. Quelques uns sont devenus gris lorsque les glacis ont été en partie absorbés par les couches de pâte qu’ils recouvraient, et en partie décolorés par l’action de la lumière; d’autres se sont bistrés par suite de la mauvaise préparation des verdis et des huiles.

Il a souvent, ainsi que Paul Véronèse, peint sur des impressions en détrempe. On voit à Paris un de ses plus beaux portraits peint sur un pareil fond. Derrière la toile, à l’endroit qui correspond à la tête, il y a une couche de blanc à colle qui n’a pu être appliquée que pour absorber l’excès d’huile qui devait se trouver dans cette tête, repeinte plusieurs fois sans donner à chaque couche le temps de sécher complétement.

Mengs employait aussi un mélange de vernis dans ses couleurs, et l’on m’a assuré que son procédé est encore assez généralement suivi à Dresde.

Je pourrais citer, parmi les peintres modernes, d’autres exemples des avantages qu’on peut retirer de l’emploi du vernis dans les couleurs; mais je reviens aux anciens qui ont suivi le procédé de Van-Eyck, et j’ajouterai que, par l’examen attentif des tableaux appartenant à la première époque de la peinture à l’huile, on pourra se convaincre que quelques Italiens ont employé des vernis huileux plus durs que ceux dont les Flamands faisaient usage, car ils résistent davantage à l’action des réactifs .

Nous trouvons dans Théophile et dans Armenini des documens sur la préparation des vernis; le premier surtout a décrit fort en détail la préparation d’un vernis dur excellent, que l’on a dû employer dans les premiers temps, puisqu’il était connu plusieurs siècles avant l’époque à laquelle on abandonna la détrempe.

Mais quand nous n’aurions point ces renseignemens, le point essentiel est de savoir qu’on mêlait du vernis dans les couleurs. Nos connaissances en chimie, et les progrès faits depuis quelques années dans la préparation des vernis, nous autorisent à croire qu’on peut en composer d’aussi bons qu’aucun de ceux dont on se soit jamais servi.

Ceux que l’on emploie aujourd’hui et que l’on applique sur les tableaux, ou sur toute espèce de peinture, ne sont pas préparés de manière qu’on puisse les mêler sans inconvénient dans les couleurs: comme ils doivent leur fluidité à l’huile essentielle de térébenthine, qui s’évapore promptement, les couleurs deviendraient en peu de temps tellement visqueuses, qu’elles ne céderaient plus au mouvement de la brosse. Les vernis destinés à être incorporés dans les couleurs ne doivent pas sécher plus promptement que l’huile avec laquelle elles sont broyées, et, loin d’ajouter quelques difficultés de plus à l’exécution, il faut au contraire qu’ils la rendent plus facile.

Ces conditions se trouvent remplies en partie par une préparation emplastique, dont on m’a très gratuitement attribué la découverte, que j’ai trouvée en usage en Italie, et dont on ne connaissait pas l’origine; ce qui me fait présumer qu’elle est fort ancienne.

Elle ressemble à du miel ou à de la graisse à demi figée, et porte le nom d’oglio cotto (huile cuite). C’est en effet de l’huile de noix cuite à un feu très doux, et tenant en dissolution la plus grande proportion de litharge avec laquelle elle puisse se combiner.

Pour se servir de cette préparation, on commence par la délayer dans un peu de vernis ordinaire. Il résulte de ce mélange une espèce de pommade qui réunit la plupart des qualités désirables dans un vernis propre à être incorporé avec les couleurs.

Ce vernis s’étend sous le pinceau comme l’huile, et cependant on peut le tenir sur la palette avec les couleurs; il s’y maintient comme elles, sans couler.

Cette qualité est précieuse pour la transparence; car, quelque liquides que l’on rende les couleurs par le mélange de ce vernis, on peut les employer sans qu’il s’en sépare et sans qu’elles sortent de la place où le pinceau vient de les appliquer. L’asphalte, par exemple, fondu dans de l’huile siccative ou dans l’essence de térébenthine, est tellement visqueux et coulant, qu’il serait non seulement impossible de le garder sur la palette, mais encore d’en étendre une couche tant soit peu épaisse sur une partie du tableau sans qu’elle ne coulât au bas de la toile: en le mêlant avec ce vernis, on arrête aussitôt sa tendance à couler, et il devient maniable comme les autres couleurs.

Avec l’oglio cotto des Italiens, qui est un véritable vernis, l’imitation des esquisses de Rubens, que j’ai citée comme impossible en suivant nos procédés ordinaires, ne présente plus de difficultés matérielles.

Toutefois, comme la liquidité de cette huile épaissie est due au vernis avec lequel il faut la délayer, l’huile volatile du vernis ne tarde pas à s’évaporer: alors la couleur devient visqueuse, et ne cède plus que difficilement au mouvement du pinceau. Ce vernis ne peut donc convenir qu’à ceux qui exécutent avec une extrême promptitude, ou pour l’application des glacis; ce qui n’exige jamais beaucoup de temps.

Une autre préparation qui, je crois, fut employée dans l’École flamande, n’offre pas l’inconvénient de rendre les couleurs extrêmement visqueuses en peu de temps. Elle est composée de mastic en larmes et de belle cire fondus ensemble dans de l’huile siccative blanche. Prudhon, dont la perte est encore si vivement ressentie par les amis des arts, s’en servait habituellement , et ce n’est pas à l’emploi de ce vernis qu’il faut attribuer les gerçures qui ont détruit quelques uns de ces tableaux. Ils se seraient tous conservés comme sa Psyché, comme son Zéphire, comme beaucoup d’autres de ses tableaux, si on avait eu l’attention de ne les vernir qu’après leur complète dessiccation.

Sauf la petite quantité de cire ajoutée au mastic, ce vernis est semblable à un de ceux décrits par Armenini . Dans le vernis dont se servait Mengs, c’est encore le mastic qui en fait la base.

Le mélange du vernis augmente considérablement l’éclat des couleurs, c’est une vérité que personne ne conteste; mais tout en la reconnaissant, bien des peintres craindront que cet éclat n’ait lieu qu’aux dépens de la solidité de la peinture, car ils regardent comme un effet inévitable de ce procédé les gerçures que l’on voit se former sur quelques tableaux, et qui en occasionent, en plus ou moins de temps, la destruction.

Je ferai d’abord observer que les gerçures ne sont pas toujours le résultat de l’emploi du vernis, et qu’elles tiennent encore à d’autres causes dont on peut toujours se rendre maître. Il n’est pas rare de voir des tableaux gercés de toutes parts, bien qu’aucun mélange de vernis ne soit entré dans les couleurs que l’on a employées. Cet accident a lieu constamment lorsque l’on applique de suite plusieurs couches épaisses de vernis sur une peinture qui n’est sèche qu’à sa superficie, ou même lorsque le vernis est de mauvaise qualité.

Plusieurs fabricans, pour gagner davantage, ne mettent pas dans le vernis qu’ils préparent la proportion de mastic nécessaire pour le rendre brillant. Ils substituent à cette résine l’huile visqueuse de térébenthine, qui coûte beaucoup moins et produit momentanément le même effet; mais le vernis ainsi préparé ne conserve pas long-temps sa transparence: il ne sèche qu’à sa surface; une portion, en pénétrant dans l’intérieur des couches de couleur, les ramollit, et le tableau est en peu de temps couvert de gerçures. Ces accidens ont lieu toutes les fois qu’une couche de couleur encore molle est recouverte par une couche mince complétement sèche. La portion molle se dilate lorsque la température s’élève à un certain degré ; et la couche extérieure, ne pouvant ni suivre ni arrêter la dilatation, doit nécessairement se fendre. C’est ce qui arrive à la faïence: la couverte vitreuse, ne pouvant se dilater autant que la terre qu’elle recouvre, se fendille à la première impression de la chaleur .

Il résulte de ces observations qu’on ne doit pas vernir un tableau avant qu’il ne soit complétement sec, à moins qu’on ne se borne à l’application d’une très légère couche de bon vernis.

Aux exemples assez fréquens de tableaux gercés par le seul effet de vernis mal préparés ou appliqués trop tôt et à couches trop épaisses, j’opposerai l’immense quantité de peintures vernies qui se conservent sans altération, telles que celles de nos voitures, et de ces nombreux objets en tôle vernie qui résistent à des changemens continuels de température sans éprouver la moindre altération. Il faut donc admettre que les gerçures des tableaux ne sont pas le résultat inévitable de l’emploi du vernis dans la peinture.

En faisant abstraction de ce qui constitue la manière propre de chaque École et de chaque maître, et en ne considérant que leurs procédés techniques, on voit que ces procédés peuvent se réduire à deux, la peinture transparente et la peinture opaque. La transparence, cette condition importante du coloris, a frappé particulièrement les anciens peintres. Pour remplir cette condition, quelques uns ont ébauché avec des lavis et peint avec très peu de couleur; d’autres ont fait leurs ébauches à pleine pâte, et à l’aide de glacis sont parvenus également à obtenir la plus grande transparence. Ainsi deux routes diverses ont conduit au même but, et les tableaux très empâtés du Titien et de Rembrandt sont aussi transparens que ceux de Frà-Bartolomeo et des Bronzini.

L’altération produite dans plusieurs tableaux par le jaunissement des huiles et du vernis détermina ensuite plusieurs peintres à renoncer aux avantages de la transparence. Sasso-Ferrata nous en donne un exemple dans le XVIIe. siècle , et l’École française vers le milieu du siècle dernier.

Dans cet Essai, je crois avoir suffisamment prouvé que les Van-Eyck et ceux qui suivirent leurs procédés peignirent avec des vernis qui, en faisant ressortir tout l’éclat des couleurs, rendaient la peinture moins accessible aux injures de l’air;

Que le procédé des Van-Eyck, transmis d’abord comme un secret à un petit nombre d’adeptes, ne tarda pas à être modifié et réduit à l’emploi pur et simple des huiles siccatives; que cependant il dut se conserver dans quelques écoles;

Que celle où il prit naissance dut moins l’altérer qu’aucune autre; qu’ainsi Rubens peut être regardé comme l’ayant exactement suivi; que du moins certaines parties de ses ouvrages ne sauraient être imitées avec nos procédés, tandis qu’en employant des vernis convenablement préparés, elles ne présentent plus de difficultés insurmontables.

C’est à l’expérience à faire connaître si mes observations sont exactes, ou si je me suis fait illusion: et pour que cette vérification s’effectue, pour que mes recherches soient profitables, je vais décrire la composition des vernis à l’aide desquels on peut préparer les couleurs comme je crois qu’on les préparait dans les Écoles flamande et vénitienne.

De la peinture à l'huile

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