Читать книгу De la peinture à l'huile - Léonor Mérimée - Страница 4
ОглавлениеINTRODUCTION.
LES tableaux de Hubert et Jean Van-Eyck, et ceux de quelques peintres de la même époque sont beaucoup mieux conservés que la plupart des peintures du siècle dernier. Les procédés d’après lesquels ils ont été exécutés, transmis seulement par tradition, ne nous sont pas parvenus sans altération; et il est permis de croire que ces tableaux, dont les couleurs, après trois siècles, nous étonnent par leur éclat n’ont pas été peints comme ceux que nous voyons sensiblement altérés après un petit nombre d’années.
Si l’on trouvait un manuscrit de Van-Eyck sur la préparation et l’emploi des couleurs, il est hors de doute que l’annonce d’une pareille découverte ne fût accueillie avec le plus vif intérêt par ceux qui étudient ou cultivent la peinture. Cette hypothèse ne se réalisera pas; mais le résultat ne serait-il pas le même, si l’on parvenait à découvrir les procédés primitifs, soit par la lecture des premiers traités de peinture, soit par l’examen attentif des anciens tableaux qui ont le mieux résisté aux nombreuses causes de destruction auxquelles ils sont exposés? J’ai cru que cela était possible, et cette opinion a déterminé les recherches qui sont l’objet de cet essai. Si je n’ai pas atteint le but que j’avais en vue, je l’aurai du moins signalé. J’aurai tracé une route utile, dans laquelle d’autres pourront s’avancer avec plus de succès.
Lorsqu’un élève de notre École est parvenu au point de gagner le grand prix de peinture, nul doute qu’il ne soit en état de faire, d’après un tableau de son maître, une copie parfaitement exacte. Qu’on le charge alors de copier quelque chef-d’œuvre de l’École flamande ou vénitienne, j’ose assurer qu’il éprouvera des difficultés qu’il ne pourra surmonter, si on ne lui a pas fait connaître les procédés suivis par le coloriste qu’il veut imiter; mais si on les lui découvre, si on lui enseigne les moyens d’augmenter l’éclat et la transparence de ses couleurs, de conserver cette transparence ou de la reproduire après l’avoir perdue, la pratique de ces procédés sera bientôt acquise par un jeune peintre dont l’œil et la main sont déjà très exercés: alors la copie d’un tableau de Rubens, de Rembrandt ou du Titien ne lui paraîtra pas plus difficile que celle d’un ouvrage de son maître.
Tous les peintres, en étudiant leur art, éprouvent plus ou moins le désir de connaître la nature et les propriétés des couleurs qu’ils emploient: il y a peu de livres qu’ils puissent consulter là dessus avec fruit, et l’ouvrage qui devrait être le plus instructif, l’Encyclopédie, est celui qui contient le plus d’erreurs.
Le livre que Watin publia en 1772 est sur quelques points plus instructif. Cet ouvrage, très bon pour l’époque à laquelle il fut composé, a eu un succès mérité, on en a fait plusieurs éditions, et faute de mieux, on l’a réimprimé de nouveau, il y a peu d’années.
Un professeur de chimie de Genève a traité le même sujet dans un ouvrage en deux volumes, publié en 1803 . L’auteur était trop instruit pour se borner à décrire des procédés comme l’aurait fait un simple manipulateur; il entreprit d’en développer la théorie, à l’aide de la science qu’il avait étudiée: il eût assurément fait le meilleur ouvrage qu’on pût composer alors, s’il eût réuni aux connaissances qu’il possédait celles que la pratique seule fait acquérir. Au lieu de grossir son livre, en empruntant à divers auteurs ce qui lui paraissait d’accord avec sa théorie, il eût mieux fait de se borner à décrire les expériences qu’il avait répétées avec soin. Toutefois, le traité de Tingry sur la préparation et l’emploi des couleurs et des vernis est un de ceux que l’on peut consulter avec plus de fruit.
Les deux ouvrages que je viens de citer n’ont eu pour objet que la peinture de décoration. Il en existe deux autres, spécialement composés pour les artistes: le premier fut publié à Rome en 1813. L’auteur, M. Marcucci, avait étudié la peinture pendant les premières années de sa jeunesse: se trouvant forcé par les circonstances de se mettre à la tête d’un établissement de pharmacie, il conserva dans sa nouvelle profession son premier penchant, et pour se dédommager de ne pouvoir s’y adonner, il recueillit avec soin tout ce qui, dans l’étude de la chimie-lui parut se rattacher utilement à l’art, objet de sa prédilection, et contribuer à ses progrès.
L’ouvrage de M. Marcucci est divisé en deux parties principales. Dans la première, il fait connaître la préparation des différentes matières employées dans la peinture; l’autre partie se compose d’observations sur les procédés suivis dans les Écoles florentine, vénitienne et flamande, à l’époque où elles étaient le plus florissantes. A ces observations sont jointes des notes d’un restaurateur de tableaux, qui jouit à Rome d’une grande célébrité .
D’après le titre de cet ouvrage, j’eus d’abord l’idée de le traduire en y faisant au besoin quelques additions; mais j’abandonnai ce projet en voyant qu’il eût fallu refaire en entier la première partie: c’était cependant celle qui, traitée par un chimiste, aurait dû laisser le moins à désirer.
Sans doute l’auteur n’a pas cru devoir y apporter tout le soin qu’il était capable d’y mettre, il s’est contenté de choisir dans divers ouvrages les descriptions de procédés qui lui ont paru devoir réussir, et n’a pas pris la peine de les répéter avant de les décrire, Il aura pensé que, dans les grandes villes, où les grands peintres demeurent, le commerce subvenait à tous leurs besoins. Cela est généralement vrai; mais il pourrait arriver qu’un peintre habile se trouvât accidentellement placé dans un pays où ces ressources lui manqueraient en tout ou en partie: alors ne serait-il pas bien important pour lui qu’il pût préparer, ou faire préparer sous sa direction tout ce qui est nécessaire à l’exercice de son art?
La seconde partie de l’ouvrage est la meilleure: elle contient des observations intéressantes sur les méthodes d’opérer des anciens peintres. M. Marcucci a judicieusement pensé qu’il devait consulter sur cette matière un habile restaurateur. C’est en effet en restaurant les anciens tableaux qu’on peut apprendre à bien connaître les différens procédés des Écoles el ceux particuliers à chaque maître.
Le second ouvrage, spécialement destiné aux artistes, est de M. Bouvier, peintre, membre de la Société des Arts de Genève. Il le publia, il y a trois ans, sous le titre de Manuel des jeunes artistes et amateurs en peinture.
Dans cet ouvrage, fruit d’une longue expérience, ce n’est pas la nature et la préparation des couleurs que l’auteur a voulu faire connaître, mais seulement l’effet qu’elles produisent à l’emploi. Sous le rapport de la pratique de toutes les parties de la peinture, il est entré dans des détails qui pourront paraître minutieux à ceux qui, placés sous la direction d’un habile maître, ne peuvent rien ignorer des moyens pratiques et des ressources de l’art; mais il a eu principalement en vue ceux qui sont éloignés des grandes villes, et c’est là seulement que l’on trouve avec les moyens d’instruction tous les matériaux et ustensiles nécessaires à l’exercice de la peinture.
Ceux-mêmes qui sont placés le plus favorablement pour leur instruction trouveront dans le Manuel de M. Bouvier des choses qu’ils ignorent et qu’ils seront satisfaits d’apprendre, sur les effets de certaines couleurs, sur les précautions à prendre dans leur préparation et dans leur emploi. Lorsqu’on veut décrire des procédés, mieux vaut en dire trop que de n’en pas dire assez .
Pendant long-temps, les peintres préparèrent ou firent préparer sous leurs yeux les couleurs, les huiles et les vernis qu’ils employaient. Les élèves étaient chargés de ce soin: c’est par là que commençait leur apprentissage; de sorte qu’avant de manier le pinceau, ils étaient déjà instruits de ce qu’il convient de faire pour rendre la peinture durable. Dans la suite, ces détails devinrent exclusivement l’occupation de marchands, qui songèrent bien plus à leur profit qu’à la conservation des tableaux. Les peintres, n’apprêtant plus eux-mêmes leurs couleurs, ne furent plus en état de distinguer les bonnes d’avec les mauvaises, et les employèrent sans choix, telles qu’ils les avaient achetées. Plusieurs même, par un esprit de parcimonie, donnèrent la préférence à celles qui leur coûtaient le moins.
Telles sont les principales causes auxquelles il faut attribuer la prompte altération de la plupart des tableaux du siècle dernier; mais comme c’est à cette époque que l’art était parvenu dans notre École au degré le plus bas de sa décadence, ce ne serait pas pour les amis des arts un sujet de regret, si les tableaux de Boucher et de quelques autres peintres fort célèbres dans ce temps ne parvenaient pas à la fin de ce siècle.
A mesure que l’École s’est régénérée, les peintres se sont montrés plus soigneux, le commerce de la préparation des couleurs est devenu une spéculation très lucrative, le nombre des établissemens de ce genre s’est accru. Quelques uns de ceux qui les ont formés ont des notions de chimie; les autres, qui n’en ont aucune, sont tellement convaincus du secours qu’ils peuvent retirer de cette science, qu’ils la font étudier à ceux de leurs enfans qui doivent leur succéder dans leur profession: de sorte que la génération prochaine ne verra pas un marchand de couleurs en crédit, qui ne soit instruit en chimie autant que le sont nos pharmaciens.
L’objet principal de cet essai étant de rechercher quels ont été les procédés employés dans la peinture à l’huile depuis Van-Eyck jusqu’à nos jours, c’est par l’exposé de ces recherches que je dois commencer. Elles m’ont conduit à ce résultat, que les plus anciens peintres des Écoles flamande et vénitienne ne peignaient pas comme nous avec des huiles pures, telles que nous les employons, mais qu’ils détrempaient leurs couleurs avec des vernis auxquels on doit attribuer la conservation de leurs tableaux. Je décrirai ensuite la préparation de différentes espèces de vernis, soit de ceux qu’on peut mêler avec les couleurs, soit de ceux qu’on applique sur les tableaux terminés, pour en faire ressortir la transparence et l’éclat, et pour les mettre à l’abri des vapeurs qui en attaqueraient les couleurs.
Je donnerai également les notions les plus exactes qu’il m’a été possible de me procurer sur les couleurs dont les peintres se servent, sur leur préparation, sur leur solidité, sur l’action qu’elles exercent entre elles dans leurs divers mélanges, sur l’altération que l’air et la lumière leur font subir, ainsi qu’aux substances grasses avec lesquelles elles sont unies.
Enfin j’indiquerai les précautions à prendre pour assurer la conservation des tableaux, et je décrirai les moyens à employer pour réparer les dommages qu’ils peuvent recevoir.
On aurait peut-être désiré qu’après avoir décrit les divers procédés des anciens peintres, je désignasse ceux qui me paraissent préférables, je n’ai pas cru devoir le faire: les méthodes d’opérer dépendent en grande partie de la facilité d’exécution plus ou moins grande dont on est doué. Rembrandt avait besoin de revenir bien des fois sur son ouvrage; il lui eût été impossible de peindre au premier coup comme Rubens: il faut donc que chacun choisisse la méthode d’exécution qui lui convient le mieux. Je me suis borné à expliquer ce qui a été fait sans prétendre donner de préceptes; toutefois, à la suite d’un ouvrage dont l’objet spécial est relatif à la préparation et à l’emploi des couleurs, j’ai cru pouvoir placer un exposé de la théorie de la colorisation appliquée à l’harmonie. Sans l’harmonie, l’éclat et la transparence des couleurs ne peuvent produire un ensemble agréable aux yeux. Cette partie si intéressante de la peinture a jusqu’à présent été traitée d’une manière tout à fait empirique; j’ai pensé que le seul moyen d’en faire comprendre les principes était de leur donner pour base les lois de la colorisation établies par la nature.
Plusieurs personnes qui ont eu connaissance de mon travail m’avaient demandé d’y joindre quelques notions sur la fresque, je m’y suis d’abord refusé, parce que je n’ai sur ce genre de peinture aucune connaissance pratique. Toutefois, l’examen attentif des anciennes fresques et la lecture des premiers ouvrages qui en ont décrit les procédés, m’ayant fait découvrir la principale cause pour laquelle plusieurs des fresques exécutées depuis peu ressemblent plus à de la détrempe qu’aux belles fresques anciennes, je me suis déterminé à consacrer à cette peinture quelques pages, qui, je l’espère, ne seront pas sans utilité.