Читать книгу Journal du canonnier Bricard, 1792-1802 - Louis-Joseph Bricard - Страница 4
SEPTEMBRE 1792
ОглавлениеLes armées autrichiennes et prussiennes déjà s’étaient emparées de Longwy. L’Assemblée nationale fit faire des proclamations pour annoncer l’invasion faite par l’armée du roi de Prusse sur le territoire français. En peu de temps, les registres d’enrôlement des sections de Paris furent remplis des noms de citoyens de tout âge, et même mariés, qui se dévouaient pour la chose publique.
La majorité de notre compagnie de canonniers étant décidée à marcher à l’ennemi, nous fûmes nous présenter à la Municipalité de Paris pour la prier de vouloir bien donner une destination qui nous mît, sous le plus bref délai, à même de combattre. Après nous avoir accueillis, elle promit de nous faire partir dans les premiers jours de septembre, et nous prévint de nous tenir prêts à passer la revue du commissaire des Guerres.
Dans cet espace de temps, arriva le massacre des prisons; je passe sous silence ce triste récit qui fait horreur à l’humanité et à la Révolution française.
Le 3 septembre, nous nous assemblâmes à l’effet de savoir combien nous étions, décidés à partir. Plusieurs y amenèrent leurs frères; d’autres y amenèrent leurs amis. J’étais convenu avec mon frère Honoré de partir seul; lui resterait à Paris pour consoler notre chère mère. Il voulut, contre mes intentions, s’enrôler avec moi. Un de nos amis, nommé Hervé, avec qui nous étions étroitement liés, se décida à partir avec nous.
Le même jour, nous fûmes à la place Royale pour passer la revue du commissaire des Guerres, et notre départ fut fixé au 5 septembre.
Le 4 fut employé à faire nos adieux et nos paquets; le soir nous soupâmes, une partie de la compagnie ensemble, chez notre traiteur Dufour, dont le fils partait avec nous.
Le 5, à quatre heures du matin, nous nous assemblâmes à notre caserne, rue Bar-du-Bec, et fûmes chercher à l’Arsenal deux pièces de 4 avec un caisson à munitions. Nous nous rendîmes sur la place de la maison commune, où se trouvaient neuf compagnies de fusiliers, de différentes sections. Nous apprîmes que notre destination était Châlons-sur-Marne, où se faisait un rassemblement de troupes très considérable.
Les ordres et la feuille de route donnés, nous nous mîmes en marche par la rue Saint-Martin, accompagnés de beaucoup de citoyennes qui pleuraient en faisant la conduite, les unes à leur mari, les autres à leurs amis. Arrivés à la barrière Neuve-de-Saint-Martin, il fallut se rendre chacun à son poste; les femmes rentrèrent dans Paris, la larme à l’œil, et nos charretiers fouettèrent leurs chevaux. Les plus fous d’entre nous se mirent à chanter des chansons patriotiques.
Connaissant la sensibilité de notre père et de notre mère, nous fûmes obligés de leur cacher notre éloignement, afin de ménager leur chagrin. Nous laissâmes donc nos meubles et nos effets d’habillement entre les mains de notre cousin germain, Arnoult, avec l’intention de le débarrasser sous trois mois, terme jugé suffisant pour repousser les ennemis et rentrer victorieux.
Arrivés à Claye, distant de six lieues de Paris, nous prîmes notre étape en argent, et fûmes souper à l’auberge. Notre hôtesse qui, sans doute, avait l’intention de nous former de suite aux privations de la guerre, eut la bonté de nous faire coucher à six sur une botte de paille.
Le 6, à la pointe du jour, nous nous rendîmes à Meaux, en Brie. Dans le courant de la journée, la populace de Meaux pilla les vins de l’évêque, qui avait émigré.
Le 7, coucher à la Ferté-sous-Jouarre.
Le 8, départ pour Château-Thierry.
Le 9, séjour.
Le 10, mon frère et moi, partîmes avant le bataillon pour arriver le matin à Dormans, afin d’aller voir le citoyen Lejeune, un ami de la famille; nous y trouvâmes une de nos tantes, qui était enfant de la maison (L. -Françoise Lejeune avait épousé en 1776 Louis Bricard, architecte, dont Joseph hérita en 1836). Nous fûmes très bien reçus par lui et ses demoiselles.
Le 11, après avoir reçu les plus grandes honnêtetés, il fallut quitter, non sans regret, Dormans pour Épernay, où nous arrivâmes le soir par une pluie affreuse.
Le 12, partis de grand matin, et arrivés près de Châlons, nous vîmes un camp très considérable. On annonça que nous devions y coucher sous la tente. On distribua les ustensiles de cuisine: marmites, gamelles, bidons, haches, pioches, couperets, etc.; nous fûmes prendre modèle sur les anciens soldats pour la construction de nos cuisines. — C’était le général Luckner qui commandait en chef les armées françaises.
Dans la ville de Châlons, nous ne trouvâmes rien de remarquable, sinon la maison commune. Nous rentrâmes au camp, où se passa fort mal la nuit, car il survint une grosse pluie qui traversa nos petites habitations.
Le 13, les neuf compagnies parties avec nous furent formées en bataillon; on nomma l’état-major, et les citoyens qui eurent les suffrages furent Chopplet, commandant; Grandjean, commandant en second; Ducrotoir, adjudant-major; Andrieux, quartier-maître.
La nuit du 13 au 14, on nous fit relever pour distribuer des cartouches aux volontaires, et remplir notre caisson à munitions.
Le 14, à la pointe du jour, départ pour l’armée campée à Grandpré ; nous fûmes coucher à Suippes.
Le 15, en marche à cinq heures du matin; les fourriers partirent en avant pour tracer notre place dans le camp. Arrivés près de Grandpré, des paysans nous dirent que, la veille, l’armée avait eu une forte affaire avec l’ennemi, et avait été obligée d’abandonner la position de Grandpré ; ils présumaient qu’elle avait été sur les hauteurs de Sainte-Menehould. Nous poursuivîmes notre route. Arrivés sur une hauteur qui domine Grandpré, nous vîmes une nombreuse cavalerie qui bordait un bois situé dans un fond; mais nous ne pouvions distinguer si c’était l’ennemi. Des paysans vinrent dire que c’étaient des cavaliers français, en nous excitant à descendre. Nous ne nous en rapportâmes pas plus à ceux-ci qu’aux premiers. Dans l’incertitude où nous étions, nous nous rangeâmes en bataille, et mîmes nos pièces en batterie. Nous avions beaucoup de traînards, car il est à observer qu’il n’y avait point encore d’ordre établi; les uns criaient: «Retournons à Suippes!» les autres disaient: «Marchons en avant!» D’autres, plus sages, proposaient d’aller à Sainte-Menehould.
Après avoir attendu un quart d’heure, pendant lequel chaque soldat tira son plan de bataille, nous vîmes arriver les fourriers partis le matin; ils dirent que les troupes du bois étaient des ennemis qui n’attendaient que le moment de nous voir descendre pour nous cerner et nous attaquer; les habitants venus à nous avaient été envoyés par eux.
Aussitôt, nous fûmes rallier dans un petit village appelé Perthes, à trois lieues en arrière. Le commandant dit que nous resterions dans ce village en attendant le retour d’une ordonnance qu’il venait d’expédier à Châlons, pour savoir du général Luckner la marche qu’il devait tenir.
Le peu d’expérience qu’avait ce bataillon faillit lui causer un revers irréparable: notre capitaine qui n’avait d’artilleur que le nom, au lieu de faire mettre ses deux pièces sur les monticules qui dominaient le village, les fit mettre sous la remise d’un château situé dans un fond; les soldats, au lieu de rester réunis, s’éparpillaient dans le village pour chercher des vivres, faire des omelettes, des soupes à l’oignon, etc. Au moment où tous ces petits fricots étaient sur le feu, des volontaires se mirent à crier: «Aux armes! aux armes! Voilà la cavalerie ennemie!» Les soldats effrayés jetèrent les fricots dans les cendres, coururent à leurs armes, et nous canonniers, à nos pièces; les chevaux étant absents, nous traînâmes nos pièces et caissons, à la bricole, sur les hauteurs. Plusieurs lâches du bataillon jetèrent fusil, habit, veste, giberne, dans les fossés pour mieux se sauver. La majorité, heureusement, fit bonne résistance, et se rangea en bataille sur la hauteur où étaient nos pièces. Effectivement, nous vîmes une colonne de cavalerie dans le lointain. Le commandant fit filer les équipages sur Suippes, et le bataillon suivit son mouvement. Les chemins étaient affreux; nos chevaux ne pouvaient sortir des boues les pièces. Arrivés à Suippes à dix heures du soir, nous nous attendions à rester dans cette ville, mais les habitants dirent qu’un escadron de cavalerie ennemie s’était approché, et avait causé la retraite, sur Châlons, d’un bataillon de Paris. Malgré notre grande fatigue et notre grand besoin de prendre subsistance, il fallut poursuivre sur Châlons. Nous arrivâmes aux portes, à quatre heures du matin, harassés de fatigue.
Un, détachement du bataillon des Lombards, posté en avant avec deux pièces, avait manqué de faire feu sur nous à notre approche, disant qu’on avait rapporté, à Châlons, que notre bataillon avait été égorgé ou pris, et qu’ils avaient ordre de faire feu sur la troupe qui s’avancerait de ce côté.
Enfin, après nous avoir reconnus, le commandant de place se refusa à notre entrée, disant qu’il ne pouvait le faire sans compromettre la sûreté de la place. Cependant, après lui avoir exposé la fatigue et les besoins du bataillon, il se décida à faire ouvrir les portes. La ville était illuminée; toute la troupe, sur pied; le tocsin et la générale avaient été battus à notre approche.
Le 16, des bataillons de l’armée du Nord arrivèrent et furent camper sur le mont Saint-Michel. Ces troupes qui avaient fait des marches forcées pour faire jonction avec l’armée des Ardennes, étaient très fatiguées. Nous y trouvâmes de nos amis partis dans les premiers bataillons de Paris; ils n’étaient pas reconnaissables, la plupart nu-pieds et leurs habits déchirés. Leur situation nous fit connaître qu’avant peu nos habits neufs seraient en lambeaux; nous fûmes tous dîner ensemble pour renouveler connaissance.
Le 17, on distribua des souliers à toute l’armée; je ne voulus pas en prendre, ayant pour raison que si je prenais quelques effets de la Nation, je serais comme engagé, et, par conséquent, je ne pourrais pas me retirer à la fin de la campagne.
Le 18, au matin, les troupes réunies au camp de Châlons se mirent en marche pour rejoindre l’armée campée à Sainte-Menehould. Elles défilèrent dans Châlons aux sons d’une musique guerrière; les soldats à moitié nus chantaient des chansons patriotiques, et d’une voix unanime répétaient tous: «Ah! ça ira!» etc.
A quatre heures du soir, ordre de suivre le même mouvement que les troupes parties le matin. Sur les neuf heures, halte au milieu de la plaine; nous passâmes le reste de la nuit au bivouac. Cette fois nous aurions été bien heureux d’avoir les tentes dédaignées à Châlons; cependant, il fallut se résigner à s’étendre sur la plaine, ayant pour lit une terre bien dure, et le ciel pour couverture.
Le 19, à la pointe du jour, poursuivant notre route, nous arrivâmes à Sainte-Menehould dans un camp considérable. Le général Dumouriez qui commandait en chef, vint nous passer en revue; il fit une petite harangue très énergique, et termina en nous engageant au respect, à l’obéissance, à n’avoir, à l’avenir, la bouche ouverte que pour déchirer la cartouche. Nos tentes arrivèrent ainsi que la paille, et nous prîmes notre rang de bataille. De tous côtés, les troupes arrivaient et campaient de suite. De notre camp, on voyait une hauteur. Sur notre gauche, une armée, aux ordres du général Kellermann, occupait une plaine très vaste et faisait face à l’armée prussienne; son camp portait le nom de la Lune.
Le 20, à la pointe du jour, forte canonnade du côté du camp de la Lune. L’armée de Kellermann était aux prises avec l’armée prussienne. Aussitôt la générale fit mettre notre camp sous les armes. Le général Dumouriez envoya plusieurs divisions, pour renforcer Kellermann. Dans la matinée, le feu fut on ne peut plus vif; une grande partie de nos troupes filèrent pour prendre position contre l’ennemi; nous restâmes en réserve sur une hauteur. Dumouriez était au centre de notre colonne; surveillant le mouvement de l’ennemi, il donnait des ordres en conséquence. La bataille fut extrêmement sanglante et ne se termina qu’à la nuit; cette journée fut honorable pour l’armée française; l’ennemi fit une perte considérable en hommes et en chevaux; les Français perdirent aussi beaucoup de monde. Deux caissons remplis de munitions, auxquels un obus de l’ennemi communiqua le feu, causèrent une grande perte en faisant explosion.
Le 21, il y eut suspension d’armes.
Le 22, on nous fit lever le camp; la troupe resta en bataille une partie de la journée, sur une hauteur où nous reçûmes la pluie. Le soir, on donna l’ordre de redresser nos tentes.
Les 23 et 24, toute la troupe fut employée à faire des retranchements, et à creuser des trous contre la cavalerie.
Le 25, temps de pluie si affreux que l’on ne pouvait se retirer des boues. Cependant le général Kellermann attaqua l’armée prussienne avec une colonne de grenadiers de tous les corps, et la chassa jusque sous les murs de Verdun.
Dans cette position, souvent l’armée manquait de pain, car, outre les chemins impraticables pour les voitures, souvent la route était interceptée par la cavalerie ennemie.
Le 26, à la pointe du jour, nous nous aperçûmes que la hauteur occupée par l’ennemi avait été abandonnée pendant la nuit. Nous y trouvâmes quantité d’hommes et de chevaux enterrés derrière le camp, ce qui avait occasionné une contagion affreuse; quantité de meubles des paysans, dispersés çà et là, avaient été apportés par les Prussiens pour en faire du feu.
Le 27, on fit assembler sur le front du camp, toute la troupe, sans armes; aussitôt, nous vîmes arriver, avec Dumouriez, deux commissaires de la Convention nationale. Ils annoncèrent aux troupes que la France venait d’abolir la royauté, et qu’un gouvernement républicain lui avait été substitué. Cette nouvelle fut reçue avec enthousiasme, aux cris mille fois répétés de: «Vive la République! Vive Dumouriez!»
Les 27 et 28, il fit toujours un temps de pluie; nous commencions à nous habituer à la rigueur de la saison; les privations ne nous étaient plus aussi sensibles. Nous restâmes trois jours sans pain, mais heureusement qu’une grande quantité de pommes de terre venait à notre secours.
Le 30, nous nous mîmes en marche en passant par Sainte-Menehould.
Le 1er octobre 1792, vers le midi, nous fîmes halte sur la côte de Briare, pour y faire la soupe, et nous poursuivîmes notre route toute la nuit.
Le 2, nous fûmes camper à Clermont en Argonne. Il faisait un temps de pluie si affreux qu’il nous fut impossible de dresser nos tentes; les piquets ne pouvaient tenir dans la boùe; nous fûmes obligés de passer la nuit assis sur nos sacs et les pieds dans l’eau.
Le 3, à la pointe du jour, nous fûmes camper près Dombasle.
Le 4, nous fûmes bivouaquer près Sivry-la-Perche; les routes étaient si mauvaises que nos équipages restèrent embourbés. En cet endroit l’armée ne fut pas malheureuse, car nous étions dans un champ de pommes de terre.
Le 5, nos tentes arrivèrent, et nous campâmes.
Le 7, à la fin du jour, nous partîmes trois bataillons pour repousser un régiment de cavalerie ennemie, qui avait passé la Meuse pour venir fourrager sur la gauche de notre camp. Il faisait un temps de pluie continue, et les moments étaient précieux; il fallut passer à travers une terre labourée remplie de cailloux aigus; les roues de nos pièces entraient dans la boue jusqu’au moyeu; il fallait sans cesse pousser pour les retirer. En traversant un terrain inondé, nous eûmes de l’eau jusqu’aux reins. A notre approche, les ennemis prirent la fuite, emmenant avec eux des bestiaux et du fourrage.
Le général donna l’ordre aux trois bataillons de retourner au camp, mais notre commandant de bataillon, voulant se faire valoir, demanda la permission de poursuivre l’ennemi. Enfin, quand il vit que les volontaires avaient, en majorité, perdu leurs souliers dans les terres labourées il se décida à retourner. Il faisait extraordinairement noir, et la pluie ne discontinuait pas; dans des chemins impraticables, nos chevaux ne voulaient plus tirer, et les volontaires avaient les pieds coupés par les cailloux. Après être resté très longtemps dans cette triste situation, cheminant tantôt à droite, tantôt à gauche, le bataillon se trouva égaré dans les terres labourées.
On fut obligé de faire des signaux en brûlant des bouchons de paille; heureusement ce signal fut compris, et on vint du camp avec des torches. Nous arrivâmes enfin dans une situation horrible; la plupart avaient les pieds ensanglantés. Pour moi, j’eus le bonheur, en rentrant dans le camp, de tomber dans un très grand trou de cuisine rempli d’eau par la pluie, j’étais mouillé des pieds à la tête, et il fallut passer le reste de la nuit dans cet état. Nos tentes étaient tellement remplies d’eau qu’il était impossible d’y rester.
Aussitôt le point du jour, nous fîmes, dans un petit bois, à un quart de lieue du camp, un si bon feu qu’en moins d’une heure j’étais séché ; nous fîmes aussi cuire des pommes de terre, car, depuis vingt-quatre heures, nous n’avions mangé.
Les 8, 9 et 10, temps de pluie affreux.
Le 11, nous fûmes prendre position près le petit village du Regret, dans un camp que venait de quitter l’armée prussienne; leur paille nous fit gagner beaucoup de vermine.
Nos régiments de cavalerie et ceux de l’armée ennemie faisaient boire leurs chevaux dans la même rivière, sous les murs de Verdun; il était défendu de tirer les uns sur les autres.
L’armée s’attendait à faire le siège de Verdun, mais elle fut bien surprise de voir, pendant les 12, 13 et 14, que toutes les troupes ennemies évacuaient cette ville; obligées de passer sur une montagne, leur mouvement de retraite fut en vue de toute l’armée.
Le 15, l’armée française se mit en marche pour suivre le mouvement de l’ennemi. Nous traversâmes la ville de Verdun qui était digne de compassion; l’armée prussienne avait tout ravagé et y avait laissé une maladie contagieuse. La plupart des habitants n’osaient pas se montrer; à cause de l’opinion générale sur leur mauvaise conduite lors de l’invasion, ils redoutaient quelque châtiment. Je ne voulus pas traverser cette ville sans y manger des dragées; j’entrai chez plusieurs confiseurs où je remarquai qu’il y avait des jeunes dames aussi jolies qu’aimables.
Nous fûmes bivouaquer près le village de Fleury, par un temps extraordinairement froid.
Le 16, bivouac à Belleville.
Le 18, nous fûmes prendre position près le village de Pillon. Nous ne concevions rien à notre marche, obligés de faire de très petites journées, afin de ne pas passer les troupes prussiennes qui ne pouvaient pas se retirer des plaines. Les routes étaient couvertes de leurs cadavres; une diarrhée infectait leur armée; on attribuait cette maladie à la quantité de raisins et de cochon qu’ils avaient mangée.
Le 20, bivouac dans les bois de Longuyon; on y brûla tant de bois que le lendemain on aurait dit une plaine.
Le 22, nous nous mîmes en marche, toujours suivant le mouvement de l’ennemi; sa situation était des plus déplorables, obligé de briser son artillerie, d’enfouir les munitions de guerre dans les fossés; boulets et cartouches étaient semés sur leurs traces; bagages, chevaux, encombraient les chemins. Une grande quantité de soldats, malgré la marche lente de leurs colonnes, étaient obligés de rester en arrière; aucun d’eux n’était fait prisonnier de guerre, et on voyait clairement qu’il existait une indulgence que nous ne pouvions concevoir. Une armée qui venait de ravager notre territoire, et qui devait tomber en notre pouvoir était protégée par nos généraux .
Nous fûmes camper près du petit Xivry; de notre position, on voyait la citadelle de Longwy. Cette ville fut évacuée par l’armée ennemie, de manière qu’elle fut reprise sans obstacle, comme elle avait été livrée.
Le 23, on donna l’ordre de tirer, dans le camp, vingt et un coups de canon, en réjouissance de ce que l’ennemi était chassé du territoire français. Nous étions campés dans un champ de pommes de terre; beaucoup de nos soldats en mangèrent en si grande quantité qu’ils furent malades.
Le 25, nous nous mîmes en marche vers les Ardennes, passant par Marville. On prit position sous les murs de Montmédy: je fus voir la ville basse et la ville haute, qui est imprenable.
Le 27, à la pointe du jour, nous passâmes par Carignan, et fûmes camper dans un terrain marécageux où la nuit fut mauvaise; on enfonçait dans la boue jusqu’aux genoux et la pluie ne cessait pas. On fut obligé de mener les chevaux sur le pavé de la route, car ils entraient dans la terre jusqu’au ventre; plusieurs y périrent.
Le 28, on alla camper sous les murs de Sedan, ville très jolie et très fortifiée.
Le 30, l’armée passa dans Sedan. Notre bataillon fut cantonné dans le village de Villers; nous étions d’autant plus satisfaits de coucher sous un toit qu’il fit un temps de pluie affreux.
Le 31, nous passâmes par Mézières, et fûmes cantonner dans le village de Sormonne.
Le 2 novembre 1792, marche sur Rocroy et cantonnement au village de Liers-de-Couvin. Les habitants de cet endroit, dépendance du pays de Liège, nous reçurent à bras ouverts; tous les soldats furent nourris par leurs hôtes.
Le 3, à Marienbourg; puis, nous fûmes en garnison dans le fort Charlemont, citadelle de Givet, remplaçant le premier bataillon de la Haute-Vienne. L’armée avait été prendre position dans les plaines de Philippeville. Les jours suivants, nous fûmes voir Givet et ses dépendances; de chaque côté de la Meuse, cette ville est entourée de forteresses, telles que le Mont-d’Or, Charlemont, etc.
Le 9, le premier bataillon de la Haute-Vienne qui, depuis trois mois, était en garnison, reçut l’ordre de rejoindre l’armée campée à Philippeville. Ce bataillon n’avait point de canons ni de canonniers. Le général donna ordre que des pièces et le nombre de canonniers suffisant fût détaché du 5e bataillon de Paris, pour suivre jusqu’à nouvel ordre le bataillon de la Haute-Vienne. Cet ordre ne flatta point notre compagnie qui sortait de faire une campagne active, et dont une partie fut ainsi obligée de rentrer en campagne avec un bataillon qui venait de prendre du repos. Dix-huit hommes furent désignés pour partir avec les pièces; mon frère Honoré, notre ami Hervé et moi fûmes du nombre des partants, sous les ordres de notre lieutenant Orillac.
A quatre heures après midi, départ de Charlemont. Passant le grand et le petit Givet, on traversa la Meuse, et après différentes contremarches dans un bois, nous fûmes cantonner sur le duché de Luxembourg, dans un petit village, à deux lieues de Givet.
Le 10, nous arrivâmes à Philippeville, et fûmes bivouaquer à la gauche de l’armée du Nord, commandée par Dumouriez; son lieutenant général était Valence. Nous fûmes de la division Leveneur.
Le 11, l’armée se mit en marche, sur le pays ennemi. Après plusieurs lieues, on fit faire halte à la colonne, pour s’assurer de la position de l’ennemi, et ensuite on continua la route. Le soir, notre bataillon reçut l’ordre d’aller occuper le village de Walcourt. On planta l’arbre de la Liberté.
Le 12, après avoir fait jonction avec l’armée, nous passâmes, avec toute la colonne, dans la ville de Charleroi, aux cris mille fois répétés de: «Vive la Nation française!»
Notre bataillon fut cantonner dans le village de Ramsart; nous y fûmes très bien accueillis par nos hôtes. On arracha un carcan qui était sur la place publique, et nous plantâmes, à la place, un arbre de Liberté. Les habitants enthousiasmés de cette cérémonie vinrent danser avec nous, et firent apporter beaucoup de bière et de schnick pour boire à la santé de la République française. Nous passâmes la soirée avec notre hôte, qui fit le triste récit du désordre que la guerre du Brabant avait causé dans leur pays. Nous étions dix-huit logés chez ce brave homme. Le lendemain matin, nous demandâmes combien nous devions pour la bière, le café, le lait, le beurre, le schnick et enfin la bonne chère qu’il nous avait fournis; il ne voulut jamais rien accepter. Nous fûmes surpris de sa générosité ; jamais Français ne nous avait reçus avec tant d’accueil et de bonté.
Le 13, départ, au regret de tous les habitants, et jonction avec l’armée. Nous suivîmes encore l’ennemi qui, à notre approche, abandonnait toujours ses positions. Nous passâmes par Nivelles et fûmes cantonner à Betlehem, petit endroit où il n’y avait que trois maisons. Faute de place dans les granges et écuries, nous passâmes la nuit debout ou assis sous les hangars. Dans cet endroit, on apprit que le général Dumouriez, avec une colonne, s’était emparé de la ville de Bruxelles, distante de trois lieues de notre cantonnement. Notre colonne, aux ordres du général Valence, reçut l’ordre de se porter sur Namur.
Le 16, notre bataillon fut camper au petit village de Villers.
Le 18, l’armée fut camper sous Namur. Ordre de faire des feux multipliés annonçant une force extraordinaire, et une grande surveillance. Notre bataillon, qui n’avait point de tentes, fut cantonné dans un château voisin, où nous fîmes également de grands feux sur les hauteurs.
Le 16, le bataillon fut cantonné dans une abbaye dite de Saint-Martin; les révérends pères nous traitèrent fort bien.
Le 20, les tentes arrivèrent et le bataillon fut camper à son rang de bataille; nous, canonniers, reçûmes l’ordre d’aller prendre position, avec nos pièces, dans le village de Soirlée (S. Servais?).
Déjà la ville de Namur avait été sommée de se rendre; les habitants s’étaient entièrement prononcés pour les Français; mais, maintenus par la force de la garnison, ils ne purent rien faire.
Le 22, on tira plusieurs coups de canon et on envoya quelques obus sur la ville. Les habitants voyant leurs propriétés en danger pour une cause qui était contre leur opinion, sommèrent le général autrichien d’ouvrir les portes; avec sa garnison de dix mille hommes, il fut contraint de se retirer dans la citadelle.
Le 23, la ville fut en notre pouvoir; on envoya plusieurs compagnies de grenadiers s’emparer des postes les plus importants.
Le 24, je pus me promener dans la ville avec mon frère et plusieurs camarades: nous eûmes beaucoup de peine à y parvenir, car l’entrée de la ville était interceptée par une grande quantité de tirailleurs autrichiens et une batterie de pièces de canon qui continuellement faisaient un feu considérable sur l’autre rive de la Meuse. Les Français y étaient bien accueillis; toutes les boutiques fermées pendant le séjour des Autrichiens furent ouvertes à l’entrée des Français; les marchandises étaient à bon compte.
Le 26, nous fûmes prendre position, de l’autre côté de la citadelle. Après avoir traversé la Sambre et la Meuse sur des ponts de bateaux, nous marchâmes toute la nuit à travers un bois très épais, en observant le plus grand silence, afin de cacher notre mouvement à l’ennemi qui, avec peu de forces, aurait intercepté le passage, tant les issues étaient difficiles. Après une nuit de fatigue et de souffrances, nous arrivâmes dans les plaines de Malagne.
Les 27 et 28, nous eûmes de sérieuses affaires avec l’ennemi qui, malgré sa grande résistance, fut contraint de céder un défilé de bois et une hauteur garnie de retranchements, indispensables pour faire le siège dû château de Namur. Aussitôt la tranchée fut ouverte, et la citadelle bloquée.
Le 29, nous fûmes de tranchée; nos grenadiers avec ceux du bataillon de Lorraine s’emparèrent de trois postes importants.
Le 30, après avoir été relevés à la tranchée, nous rentrâmes dans le camp.
Le 31, retour à la tranchée; si le temps était froid, en récompense, le feu de l’ennemi était chaud, car bombes, obus et boulets tombaient comme une pluie dans nos retranchements. Il était défendu de faire aucun feu, et même de parler haut, la nuit. Il fallait constamment recevoir la neige froide comme glace, sans pouvoir faire aucun exercice pour s’échauffer.
Le 1er décembre 1792, nous fûmes relevés.
Le 2, retour à la tranchée; l’ennemi tenta une sortie et vint jusque sur nos retranchements en faisant une fusillade bien nourrie; le combat s’engagea, et après une résistance assez opiniâtre, il fut contraint de se retirer, abandonnant beaucoup de cadavres dans les boyaux de la tranchée.
Le 3, notre compagnie reçut l’ordre de faire le service avec le parc d’artillerie.
Le 6, nous fûmes à la tranchée pour le service des pièces de canon de siège.
De tous côtés, la ville fournissait des vivres aux troupes; les femmes, malgré la canonnade et la fusillade, apportaient dans les tranchées du pain, de l’eau-de-vie et de la cochonaille, le tout à un prix très raisonnable.
Pendant la nuit du 9, plusieurs compagnies de grenadiers furent attaquer l’ennemi; la canonnade et la fusillade furent violentes pendant quatre heures; le résultat de cette affaire fut une grande perte en hommes pour l’ennemi; le fameux fort du Diable resta en notre pouvoir.
Le 10, bombardement extrêmement vif; toutes les batteries firent un feu violent.
Dans la nuit du 10 au 11, les ennemis capitulèrent.
Le 11, avec une grande satisfaction, nous apprîmes que la garnison était faite prisonnière de guerre.
Nous fûmes voir ce château que nous trouvâmes dans un état pitoyable. La grande quantité de cadavres enterrés dans les puits causaient une infection insupportable, la plupart de leur artillerie était démontée, et cet état de détresse joint au manque de vivres, a contraint à rendre cette formidable forteresse. Le même soir, les troupes sortirent avec les honneurs de la guerre et déposèrent les armes; elles filèrent sous escorte pour Givet.
Ce siège ne coûta pas grand monde; la plupart de ceux qui entrèrent dans les hôpitaux étaient infirmes par les grands froids.
Dans la nuit du 13 au 14, il fit un si grand ouragan que la plupart de nos tentes furent enlevées; nous fûmes obligés de passer le reste de la nuit à la rigueur du temps.
Le matin, l’armée se rassembla au camp de Bellegarde, où nous fîmes jonction avec elle en repassant la Meuse. Nous restâmes plusieurs jours dans cette position par un froid affreux.
Le 18, nous levâmes le camp. Notre bataillon reçut l’ordre d’aller cantonner dans une abbaye, près la petite ville de Huy; nous passâmes dans la ville de Namur et côtoyâmes la Meuse par des chemins impraticables; nous fûmes très bien reçus par ces religieux.
Le 20, nous fûmes cantonner dans le château d’Egremont, situé sur une hauteur très escarpée sur la route de Namur à Liège. La plupart des militaires, qui malgré la rigueur de la saison étaient presque nus, prirent des étoffes dans ce château pour se faire des gilets et des pantalons.
Le 23, nous côtoyâmes la Meuse jusqu’à Liège et fûmes cantonner dans une ferme sur la route de Saint-Tron. En arrivant dans cette ville, on nous mit jusqu’à vingt chez un pauvre homme, nommé Rotoricat. Il nous fit coucher sur de la vieille paille qui marchait seule, par la quantité de vermine qui était dedans. La chambre était si humide et malsaine que plusieurs de nos camarades tombèrent malades. Nous fûmes porter nos plaintes à la municipalité, et, après beaucoup de démarches, nous fûmes logés deux à deux chez de bons bourgeois.