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LES BESOINS ET LES PLAISIRS DE L'ENFANCE.

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La plupart des parents de la génération actuelle ne comprennent pas les besoins de l'enfance.

Ils répètent à satiété que leur père et leur mère ne se souviennent pas d'avoir été jeunes, et eux-mêmes ne se souviennent pas d'avoir été enfants, ne se rappellent pas les soins que l'on a pris d'eux; on ne peut nier que l'éducation des enfants a subi des modifications importantes, quelques-unes au grand avantage de ceux qui en sont l'objet, d'autres provenant de l'égoïsme le mieux entendu. Le démaillottage, pratiqué d'ailleurs de longue date par les mères intelligentes, se propage heureusement, et les préjugés nuisibles se détruisent; mais du désir de fortifier l'enfant en lui faisant une éducation physique un peu forte, on tombe dans l'égoïsme en délaissant de s'en occuper.

Rien n'est meilleur pour un enfant qu'une forte éducation au physique comme au moral, mais elle n'imprime nullement qu'on le délaisse pour cela à lui-même, pas plus au moral qu'au physique.

Le développement physique ne consiste pas à devenir agile comme un petit singe, à monter dans un omnibus et à en descendre pendant qu'il marche, avec des jambes grêles, de même que je ne regarde pas comme un développement moral bien utile celui de donner des reparties malicieuses, de se moquer plus ou moins spirituellement de choses respectables.

Il est évident qu'aujourd'hui on ne comprend pas les besoins de l'enfance, pas plus que ses plaisirs. Pour qu'un livre pour enfants ait du succès, on exige d'abord que les parents le puissent lire avec plaisir; or, il est absolument impossible que ce qui a de l'attrait pour un esprit de trente ans, en ait pour une intelligence vieille de six années, et non seulement de l'attrait, mais de l'utilité.

On se figure moraliser par une histoire romanesque, où tous les personnages sont revêtus de la plus haute vertu à peu d'exceptions, et lesquelles absolument abhorrées; il en résulte que les enfants sont appelés à faire des comparaisons très fâcheuses à l'égard de leurs parents.

Ils s'aperçoivent des défauts de ceux-ci, se regardent très malheureux pour ce motif, et de là la leçon est complètement perdue. Dans les contes de Mmes Guizot, de Bouilly, de Berquin, etc., on s'y occupait bien davantage des enfants que des parents; les premiers seuls étaient en scène avec leurs défauts à corriger, leurs qualités à acquérir, défauts et qualités d'enfants. C'était l'histoire de la petite fille pressée, de la petite gourmande, de la désobéissante, etc. Les enfants trouvaient à chaque ligne des morales contre leurs défauts; à force de vouloir raffiner et perfectionner, on tombe dans l'excès contraire.

A l'égard des plaisirs, les enfants ambitionnent d'imiter les grands, il faut leur laisser ce plaisir, tout en le comprimant dans ce qui pourrait être nuisible. L'enfant qui ne désire pas être grand et vieillir, n'est plus un enfant, car pour connaître le prix du jeune âge, il faut être déjà désabusé, désillusionné de la vie. Maintenant bien des enfants, des fillettes surtout, apprécient parfaitement la valeur d'être jeunes, et ne souhaitent en aucune façon quitter leur fourreau court pour la robe à panier ou la traîne de la sœur aînée. C'est vers douze ans que cette science précoce commence, eh bien! les plus jeunes, qui heureusement ne la possèdent pas encore, conservent ce désir d'imiter papa et maman. Pour les satisfaire, maman consent à leur mettre de la poudre de riz, à flatter leur amour-propre, par des vêtements aussi riches que les siens, et en leur passant des caprices comme les siens aussi; imitations fort nuisibles.

Quant à celles qui ne le sont pas, on les supprime parce qu'on ne les comprend pas; exemple: il existe aux Champs-Elysées des petites voitures traînées par des chèvres qui font le bonheur des bébés; il y avait jadis un petit omnibus, une petite calèche, et c'était un grand bonheur pour les enfants d'avoir à leur taille ce que leurs parents ont. J'ai connu une toute mignonne petite fille, encore à l'âge où l'on porte la petite douillette bleue et la petite capote à bavolet; à peine si elle commençait à marcher, et le secret désir de ce petit être était de monter dans le petit omnibus; elle allait dans de grandes calèches avec ses parents, mais on la tenait sur les genoux; dans les grands omnibus, si elle y avait été, cela aurait été dans les bras de sa bonne; mais quel plaisir de monter dans le petit omnibus aux chèvres! On acquiesce avec plaisir à sa demande; elle va donc enfin jouir de la douce sensation de passer sur ces marches, d'entrer par cette petite porte, de marcher entre les deux rangs «jusqu'au fond»; quelle volupté!

—Près de la porte, n'est-ce pas fillette? lui dit son père.

—Non, au fond! balbutie l'enfant qui parle à peine.

Alors, il enlève le bébé dans ses bras, et le passe en riant à travers la fenêtre de l'omnibus. Oh! désespoir concentré de la pauvrette, qui retient ses larmes pour ne pas faire voir à son père qu'il lui a gâté son plaisir; entrer par la fenêtre, quelle honte! entrer comme une poupée, au lieu de faire la grande demoiselle! Eh! bien, aujourd'hui, on a voulu raffiner ce plaisir charmant des enfants, on a remplacé l'omnibus et la calèche par une corbeille, où l'on assied en rond les voyageurs; cette corbeille est ornée de fleurs, et l'aspect des bébés dans une corbeille de fleurs est ravissant de poésie, mais je doute fort que les bébés y trouvent autant de plaisir!

Les parents commencent par se satisfaire à eux-mêmes. Ils emmèneront leurs enfants au théâtre avec eux, mais ne les accompagneront pas à Robert Houdin. Ils les rendront agiles, afin de n'avoir pas à s'occuper d'eux, mais non dans le but de les rendre forts et courageux. Ils leur donneront de la science et non du cœur; puis ils se plaindront, quand ils seront vieux, de les trouver, égoïstes, durs ingrats.

La plupart du temps, ce sont les domestiques qui sont chargés de la première éducation; quel triste exemple dans ces affaires jugées par les tribunaux! Cette bonne qui martyrisait les enfants que sa maîtresse lui laissait du matin au soir, pendant qu'elle-même allait à son travail! Mais gagnait-elle seulement de quoi payer sa bonne? C'est qu'elle préférait ses travaux qui lui apportaient de la distraction à s'occuper de sa maison et de ses enfants; ce qui eût été plus triste, plus terre à terre.

Il est vraiment triste qu'une femme ayant des enfants soit obligée d'aller travailler au dehors; il semble que si son mari n'est pas assez fort pour subvenir aux besoins de sa famille, elle pourrait trouver un travail à faire chez elle. Mais on n'aime pas à se gêner, même pour ses enfants.

Telle autre mère dont la lamentable histoire s'est déroulée aussi devant les tribunaux, ayant une conduite fautive, faisait élever sa fille loin d'elle, pour qu'elle n'eût pas son mauvais exemple. Pourquoi ne se rangeait-elle plutôt?

Les jeunes femmes ont facilement confiance. Dernièrement je fus témoin de la scène suivante:

C'était une jeune gouvernante; elle avait de doux yeux bleus, des cheveux blonds soyeux, son petit chapeau noir fermé la coiffait gentiment, un voile loup tombait un peu plus bas que sa bouche, tiré soigneusement sur son visage; elle retenait gracieusement d'une main sa mantille, dans l'autre elle avait pris la main d'un bébé ravissant, âgé de quatre ans environ, pendant que l'aîné, qui n'avait certainement pas six ans, donnait la main à son petit frère; elle se disposait à traverser ainsi en courant le large boulevard Haussmann, au carrefour de l'église Saint-Augustin, sillonné en cet endroit par des tramways venant de tous côtés, de nombreuses lignes d'omnibus, des charrettes, des voitures en multitude. D'ailleurs, la rareté des voitures ne fait quelquefois qu'augmenter le danger, car elle endort les précautions. Une voiture arrive rapidement par un tournant ou sort d'une porte, on court, on s'affole et le malheur est arrivé. Un homme d'un certain âge, sur le refuge en face, examinait à travers son binocle la jeune fille, qui, parfaitement consciencieuse de cet examen, rougissait, se troublait et se préoccupait beaucoup plus du monsieur et d'elle-même que des enfants. La mère qui lui confie ses deux bébés, sait qu'elle est incapable de leur faire du mal; elle est bonne, pure, une vraie perle; mais si, pendant qu'ils vont traverser, une voiture survient trop vite, qu'un passant se jette brutalement dans le petit groupe, les mains des deux enfants se séparent, et le bébé éperdu est renversé sous la voiture; ah! certes, la pauvre gouvernante est désespérée, elle souffre sincèrement, elle s'évanouit, car elle se demande comment elle affrontera la vue de sa maîtresse! mais le malheur n'en est pas moins arrivé.

Journellement on voit les mêmes imprudences se renouveler; les bonnes, les gouvernantes, et, faut-il l'ajouter, les mères parfois, ne comprennent pas ce que c'est qu'un enfant. On veut qu'il ait de la raison.

La plupart du temps, aujourd'hui, on ne donne plus la main aux enfants; vous voyez des petites filles de cinq et six ans courir dans les rues de Paris, devant et derrière leurs mères, leur petit parapluie à la main, s'il pleut.

—Il est bon que les enfants apprennent de bonne heure à se suffire à eux-mêmes, dit-on.

Oui! mais il faut le leur apprendre, et on ne fait rien pour cela. Il faut se donner la peine de les gronder en temps opportun et pour des faits qui les concernent bien eux-mêmes et ne servent pas seulement à nos aises.

Élever les enfants est certainement une tâche difficile sous bien des rapports; et pour former un caractère, que de peine doit-on prendre! Je me dis cela souvent, en regardant jouer des petites filles avec leurs compagnes. Quelle différence dans les caractères, et comme on peut tirer de petits faits de grandes déductions!

Voici Juliette et Gabrielle qui sautent et gambadent; mais, ô terreur! elles glissent sur l'asphalte et s'étalent, s'entraînant l'une l'autre, car Juliette s'est cramponnée à Gabrielle; celle-ci est tombée sur les genoux et a dû se faire du mal, cependant elle se relève précipitamment, regarde autour d'elle pour voir si on l'a vue.

La mère, qui était devant, se retourne et la voit déjà debout:

—Tu es tombée! s'écrie-t-elle alarmée.

—Oh! à peine ai-je touché la terre, s'écrie l'enfant en riant, quoique des larmes de douleur brillent dans ses yeux.

—Tu t'es fais mal, dis-moi où.

—Mais non, mère, je t'assure! Ne dis donc rien!… tout le monde nous regarde. Allons-nous-en vite!

Et elle s'échappe en courant dans une allée latérale; arrivée derrière un gros arbre, auprès d'une fontaine, elle soulève le bord de son pantalon et découvre une bosse rouge, sur laquelle elle applique de l'eau fraîche, en se cachant.

Il est évident que le caractère de Gabrielle est énergique, fier et bon; il n'est ni égoïste, ni mou.

Qu'a fait Juliette pendant ce temps? Elle s'est laissée aller assise, et comme elle n'a que six ans, de même que sa compagne elle n'est pas tombée de bien haut et ne s'est pas fait grand mal. Cependant elle pousse des cris perçants et reste à terre.

Tout le monde s'empresse autour d'elle. Sa mère la prend par un bras et la relève rondement.

—Allons, maladroite, sotte! relève-toi!

—Mais elle s'est peut-être blessée grièvement, ma chère, fait observer la maman de Gabrielle, qui juge par sa fille: où t'es tu fait mal, mon enfant?

Et comme la petite continue à hurler sans répondre:

—Voyons, où? répète la dame alarmée; à la hanche?

—Je ne sais pas! hi! hi!

—Vous ne la connaissez pas, ma chère, elle pleure pour un rien, ne faites donc pas attention… Allons, viens; tu vois, on fait cercle autour de nous! dit la mère.

Et elle cherche à l'entraîner.

—Hi! hi!

—Tu ne peux donc pas marcher?

—Je ne sais pas! hi! hi!

—Essaie.

Juliette avance un pied, puis l'autre, et paraît tout étonnée de pouvoir marcher; mais elle se suspend au bras de sa mère et ne veut plus courir avec sa compagne, qui lui demande avec intérêt où elle a mal.

On rencontre à la porte de la maison le papa de Juliette, qui arrivait.

—Papa! papa! hi! hi!

—Qu'est-ce qu'il y a, ma chérie?

—Je suis tombée!

—Tu es tombée!… oh!… tu t'es fait mal?

—Oh! oui! hi! hi!

—Tu ne la tiens donc pas par la main! dit le père à sa femme d'un ton de reproche; tu ne surveilles pas assez cette enfant, il lui arrivera malheur!

Il prend la petite dans ses bras et la monte l'escalier.

Il l'assied sur le canapé.

—Où t'es-tu fait mal, dis-le à papa, ma chérie? Nous allons y mettre des compresses; où, où?

—Ça ne me fait plus bien mal, dit l'enfant, qui ne se soucie pas de compresses; mais… j'ai un peu mal là, et elle montre son estomac.

—Prépare-lui le quart d'un verre d'eau de fleurs d'oranger avec beaucoup de sucre, Thérèse, ça la remettra.

Un éclair de joie brilla dans les yeux de Juliette; elle se coucha sur la poitrine de son père et se fit câliner.

—Gabrielle aussi est tombée, fit observer Mme Thérèse, en mettant du sucre dans un verre.

—Oh! madame! s'écria Gabrielle d'un air fâché; il n'y avait pas besoin de le dire! Je ne suis presque pas tombée, vous n'avez même pas eu le temps de me voir à terre!

—Vous êtes-vous fait du mal?

—Jamais je ne me fais du mal, moi! je tombe, me relève; ça ne vaut pas la peine qu'on y fasse attention.

—Oui! elle est robuste comme un petit cheval, cette petite Gabrielle! remarqua le père de Juliette.

Cependant Gabrielle était mignonne et pâle auprès de sa fille, si forte et si rouge.

—Qu'est-ce que je vois donc là, cependant? fit la mère de Gabrielle, en soulevant du bout de son ombrelle le bord de la jupe courte de sa fille, laquelle, assise sur une chaise haute, laissait un peu voir ses jambes nues au-dessus des chaussettes. Une large tache violacée apparaissait au-dessous du genou.

—Oh! ce n'est rien! un petit bleu, dit-elle en ramenant sa jupe bien vite.

—Comment donc! un petit bleu! Mais vous auriez pu vous faire beaucoup de mal! dit le père; vous auriez pu vous casser la jambe! vous auriez pu vous luxer le genou… Prenez garde! je vous engage à veiller à cela, il pourrait bien se former un phlegmon… c'est excessivement grave… Quand j'étais au collège, j'ai eu un de mes camarades qui a fait une chute de ce genre, et il a fallu lui faire l'amputation… il en est mort!

La mère de Gabrielle était devenue triste et pâle en entendant ces fâcheux pronostics.

—Gabrielle, je veux que tu te soignes!

—Mère! j'y ai déjà mis de l'eau fraîche…je veux bien en mettre encore, mais je t'assure que je ne sens plus rien et il ne vaut pas la peine de tant s'occuper de moi!

—Je ne sais pas pourquoi tu ne veux jamais qu'on s'occupe de toi quand tu tombes!

—Je suis en colère contre moi! c'est si bête! si maladroit!… Montre donc tes bleus, Juliette?

—Non! répondit la petite gâtée en se pressant contre son père; c'est bien laid ton bleu! je ne voudrais pas l'avoir!

—Voulez-vous un peu d'eau de fleurs d'oranger, Gabrielle?

—Oh! merci, madame… je vais boire de l'eau pure et tremper mon mouchoir dans le restant du verre pour faire une compresse… C'est-y bête de se jeter par terre comme ça! Imbéciles de jambes, va!—et elle tapait sur ses mollets—je vous apprendrai à ne pas mieux vous tenir!… encore, c'était un chemin tout uni!

—Comme ce doit être froid! dit Juliette en regardant la compresse que sa petite amie s'appliquait, et tout en sirotant le sucre dans l'eau de fleurs d'oranger.

De tels caractères sont difficiles à métamorphoser par l'éducation; on peut cependant y arriver. Livrées à elles-mêmes, Juliette et Gabrielle deviendront, il est facile de le deviner, la première une petite-maîtresse égoïste et toujours geignante, l'autre une fille dévouée, énergique, ne s'occupant jamais d elle.

Notes d'une mère: Cours d'éducation maternelle

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