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LES ENFANTS D'AUJOURD'HUI. L'ÉDUCATION.

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Je ne suis pas encore, cependant, tout à fait une vieille femme, eh bien, c'est étrange, je me prends souvent à dire: c'était mieux il y a vingt ans!

Mais si je le dis, je crois que c'est aussi la vérité, et les affreux résultats de cette différence, ceux qui en sont cause, les subiront dans une vingtaine d'années; je veux parler de l'éducation des enfants.

Il faut une période de quarante ans, environ, un demi-siècle, pour que des changements bien radicaux se produisent dans les mœurs et les allures, changements qui ne peuvent arriver qu'insensiblement. C'est pourquoi on a entendu et entendra les grands parents de tout temps récriminer; c'est que toujours tout a changé, et à mesure que nous avons avancé dans la civilisation, comme l'ancienne Rome, nous avons avancé dans la connaissance de l'arbre du mal; ne s'appelle-t-il pas aussi l'arbre de la science? Hélas! oui, la science, que l'on reçoit aujourd'hui en lieu d'éducation, sans parvenir à remplacer celle-ci. S'il était dévolu à l'homme d'être parfait, il les posséderait toutes les deux; on en trouve des exemples, mais rares: la science étouffe les sentiments.

Je me demande aussi si le bien n'est pas plus étendu qu'on ne le croit. Le mal fait tant de bruit, comme toutes les minorités, qu'on n'entend que lui, parce que la majorité, le Bien, est calme. Je me pose cette question devant les lettres si nombreuses que je reçois, exprimant comme une soif de morale.

Si je m'en rapportais aux récriminations qui courent, je m'arrêterais, hésitante, me demandant si je ne hasarde pas trop, et si grand nombre de mes lectrices ne jetteront pas loin d'elles ces feuilles où elles trouvent une critique si sévère de leur conduite. Mais il paraît qu'il y a encore assez de femmes vertueuses et sincères, grâce au Ciel, pour fournir à une œuvre morale un contingent de lecteurs; et certes, sans tapage, en catimini, que de volumes essentiellement moraux et devant leur principal succès à ce mérite positif, se publient à un nombre d'exemplaires que n'ont jamais atteint ces ouvrages à scandale dont on crie si haut le succès!

Il est difficile de parler éducation sans s'attaquer, indirectement, il est vrai, aux parents; ce sont des conseils qu'on leur offre, mais parfois ces conseils peuvent les choquer comme un blâme, s'ils se sentent en faute, c'est-à-dire, ont l'idée invétérée de ne pas changer de manière d'agir.

La fureur, maintenant, est de gâter les enfants, de les laisser indépendants. «Ça viendra tout seul,» «il a le temps!» «Jamais on ne m'a rien dit, et je ne suis pas plus mal pour cela.» Ah! voilà, la grande phrase! le grand dada. C'est l'orgueil, la personnalité qui domine! Quelques parents ont le bon sens de dire: «J'ai été mal élevé, je ne veux pas que mes enfants soient comme moi.» Beaucoup d'autres pensent qu'il suffit qu'on leur ressemble.

Cela me rappelle une Américaine que je rencontrai à une table d'hôte, pendant la guerre de 1870, à Bruxelles; elle était phtisique au dernier degré, sa figure était recouverte d'une épaisse couche de blanc et de rouge, afin de lui enlever l'aspect cadavérique naturel et que l'on pouvait apercevoir sur son long cou décharné. Elle mélangeait à tous ses aliments du poivre rouge, du gingembre, du vinaigre et autres assaisonnements pimentés à l'excès; elle ne se couchait jamais avant deux heures du matin; elle engageait ses voisines à l'imiter, et comme nous répondions que ce régime abîmait la santé, elle nous répondit:

—C'est une erreur; voyez, moi!

En même temps, une forte quinte la secouait, ses yeux fiévreux et bistrés s'enfonçaient, sa frêle taille s'ébranlait. Il était difficile de se retenir de lui répondre: «Je serais bien fâchée de vous ressembler!»

Que de parents disent: «Voyez, moi! J'ai toujours été mauvaise tête comme mon fils; je n'ai jamais voulu rien apprendre!… Eh bien, je m'en suis sorti tout de même!

—Moi, je n'ai jamais aimé le ménage; ma fille me ressemble! Il m'a été impossible de tout temps de coudre un point, et de rester un jour sans sortir…

—Elle est un peu moqueuse, c'est vrai, reprend une autre, c'est un défaut qu'elle tient de famille; nous avons trop d'esprit. Elle ne fait pas grand mal!»

Que dire? que répondre? sinon s'incliner bien bas en parodiant la chanson de Nadaud:

… Vous avez raison!

L'erreur greffée sur l'orgueil humain est indéracinable, et voilà pourquoi le mal fait sans cesse des progrès.

Il est donc résolu de laisser les enfants s'élever eux-mêmes; à eux de choisir la religion qu'ils veulent suivre, la carrière, les sentiments!

Aussi, dans toutes les classes, chez le millionnaire comme chez l'ouvrier, l'enfance se gangrène; l'enfance n'existe plus; il n'y a que de petits hommes, de petites femmes, sauf la raison que donne l'expérience des années.

Voyez le gamin de la rue, non pas le voyou seulement dont le défaut d'éducation pourrait servir d'excuse, mais l'enfant des commerçants, dès le plus bas âge: il est hardi et insolent; il ne connaît pas le respect qu'il doit aux gens âgés et qui sont ses supérieurs! il est impossible de lui en imposer, s'il lui plaît de vous insulter. Il se sait soutenu par ses parents. Que sera sa hardiesse à vingt ans?

Et la fillette qu'un équipage fringant va promener, sa morgue, son impertinence n'ont pas de limites; elle parle argot et affecte les allures de l'actrice… Sa mère, son père même, l'adorent ainsi! Les parents sont beaucoup trop aveugles, mais c'est l'amour-propre et non l'amour paternel qui leur met un bandeau sur les yeux. Cet enfant, qui est à eux, fait à leur image, ne peut être, ne doit être qu'une perfection!

Certes, il y a des exceptions, beaucoup d'exceptions; si, autour de moi, je connais bon nombre d'enfants mal élevés, je pourrais prendre modèle sur d'autres bien charmants; je n'aurais qu'à jeter les yeux sur telle ou telle famille que je connais, dans le commerce, dans la bourgeoisie, où une mère sensée, industrieuse et active a su élever ses filles à son côté, les accoutumer au travail, à la docilité, leur faire conserver la simplicité, la douceur, la modestie de la jeunesse, et leur a appris à respecter la vieillesse, à écouter ceux qui en savent plus qu'elles.

Oui! il y a encore des pères qui savent dresser leurs fils, quoiqu'il puisse leur en coûter à rester sévères, sans cesser d'être tendres; qui élèvent leurs enfants en vue du bonheur de ces enfants et non du leur; et ces fils, enseignés à aimer le foyer domestique, à être prudents dans leurs amitiés et dans leurs affaires, se laissent guider par une main expérimentée et arrivent aux meilleures positions.

Mais, pour obtenir ces résultats, il faut se vaincre, se donner de la peine, voir le devoir avant tout, et mettre souvent de côté le plaisir, la lassitude… et surtout le faux amour-propre.

Notes d'une mère: Cours d'éducation maternelle

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