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NOTES D'UNE MÈRE SUR L'ÉDUCATION DES ENFANTS.
ОглавлениеL'éducation de l'enfant commence, on peut dire, dès sa naissance; il est même avéré que, dans le lait de sa nourrice, l'enfant suce avec la force et la santé, au physique, une certaine dose de qualités morales et d'intelligence; cette pensée devrait faire réfléchir les mères avant de confier leurs enfants à des mains mercenaires.
Je m'émerveille toujours quand je vois des pères avoir plus de confiance dans des nourrices dont ils ne connaissent les antécédents matériels ni intellectuels que dans leurs propres femmes. Avouons que ce n'est pas flatteur! Cela provient de ce qu'on est toujours porté à admirer ce qu'on ne connaît pas!
Il n'y a qu'un cas où une femme est obligée de renoncer à nourrir son enfant, c'est celui de maladie sérieuse, avérée. Mais il n'entre pas dans mon plan de traiter ce sujet, pas plus que celui de l'hygiène de l'enfance; je laisse ce soin au docteur Brochard, connu de la plupart de mes lectrices, et dont c'est la compétence; je me réserve à l'éducation spéciale et, sur les demandes de mes correspondantes, je voudrais leur dire «comment doit être une petite fille de cinq ou six ans, bien élevée», puisque c'est ainsi que m'est posée la question.
Il est bien difficile d'indiquer une méthode pour bien élever les enfants, car cela dépend du caractère de l'enfant, des caractères des parents et des circonstances dans lesquelles on se trouve.
Il y a des parents qui semblent incapables de bien élever les enfants, et cependant ils en font des perfections, tandis que d'autres, ayant étudié le sujet sous tous ses aspects, et se croyant bien forts, réussissent fort mal, tellement le caractère humain défie tous les partis pris.
Une petite fille bien élevée ne doit être ni sauvage ni trop hardie, je dirai presque trop aimable.
Je crois qu'une enfant un peu sauvage est préférable, car cette sauvagerie, cette timidité se dissiperont avec le temps, tandis que la hardiesse s'accroîtra et deviendra insupportable.
Ce qu'on appelle une enfant terrible, est, en général, une enfant gâtée, que sa mère emmène partout avec elle, sans se contraindre ni la contraindre, à la moindre gêne. L'enfant entend tout, voit tout, s'habitue à parler de tout; elle dit des choses drôles que l'on applaudit, ce qui l'encourage à parler encore davantage, à dire tout ce qui lui passe par l'esprit, et elle s'habitue à ce qu'on admire tout ce qu'elle dit. Si, parfois, on la fait taire, comme elle n'en pense pas moins, elle devient hypocrite, dissimulée, menteuse…
Ce qu'il faut obtenir, c'est que l'enfant reste naïve, qu'elle ne pense pas à ce qu'elle ne doit pas penser.
J'ai connu bien des enfants terribles, bien des enfants désagréables, et d'autres aussi bien élevés, du moins qui en avaient l'apparence; car la bonne éducation n'est pas toujours sincère.
Marie, à six ans, lit et écrit et commence à conjuguer ses verbes; elle commence aussi le piano, joue déjà un grand morceau, et déchiffre l'album de Bleuettes, de M. Schmoll; c'est une petite fille bien portante, sans être d'une santé exubérante; elle a bon appétit aux heures voulues, car les règles d'hygiène sont exactement suivies: elle se couche à huit heures du soir, sans exception, se lève à six heures du matin, même en hiver; les ablutions sont toujours faites à l'eau froide; en été, la promenade a lieu à huit heures du matin, en mangeant la tartine qui compose le premier déjeuner; cette promenade consiste à aller au bon air, en jouant au cerceau et au ballon dans les prés, où se cueillent des pâquerettes; puis, quand le soleil monte, on apprend sa leçon au grand air; on rentre à onze heures et du meilleur appétit on déjeune d'un beefteak ou d'une côtelette saignante. Le piano vient comme recréation après le déjeuner; l'après-midi se passe, à l'abri de la chaleur, à faire les devoirs et prendre les leçons; le goûter consiste en un morceau de pain sec ou une tartine très légère de fromage blanc ou de confitures, ou encore en bons fruits, cerises, groseilles, etc. Vers cinq heures, récréation jusqu'au dîner. Après dîner, promenade ou jeux et coucher à huit heures.
En hiver, les leçons se prennent le matin; la promenade a lieu après le déjeuner de midi; cette promenade se passe en jeux de corps; Marie a surtout cette naïveté, cette fraîcheur d'impression qui fait le charme de l'enfance et aussi de l'adolescence. Les parents, les professeurs, les gens âgés quels qu'ils soient, sont, à ses yeux, des êtres supérieurs avec lesquels elle ne discute pas; tout ce qu'ils font est bien. Devant eux, elle n'ose bouger ni parler; elle écoute, questionne peu, et répond quand on la questionne; elle se tient tranquille et respectueuse. La toilette se résume pour elle dans la propreté; et lorsqu'on lui demande si une autre petite fille est bien gentille, c'est pour elle le synonyme de bonne. Sa pensée sérieuse est de satisfaire ses parents, de les rendre heureux; ses projets sont d'arriver à être très savante, à bien travailler; son grand désir est de bien jouer, bien s'amuser. Quant à faire de l'esprit, à critiquer, elle n'y songe pas.
Julie a tous les dehors de Marie, sauf qu'elle est pâle et mince et a un petit air rusé et concentré; elle sait faire la dame, et bien se tenir, mais ce n'est que par hypocrisie; ça lui est imposé. C'est une sournoise qui attend que sa mère ou sa bonne ne soient pas là pour pincer sa sœur.
Fanny n'est pas élevée du tout; pas de tenue, pas d'heures d'étude; elle a six ans, elle ne sait pas lire; elle voudrait bien jouer du piano, mais elle ne peut arriver à apprendre les principes. Elle est grande et forte et paraît dix ans. Elle est d'une santé exubérante; sa mère craint de la fatiguer, et lui fait prendre un exercice qui ne fait que l'enforcir au physique, et l'abrutir au moral. Elle ne peut supporter aucune gêne, aucune contrariété; elle sera toujours très en retard dans ses études; elle n'a aucun maintien; elle est fort belle enfant, et, comme on le lui répète à l'envi, elle sait fort bien montrer ses jambes, et sauter très haut devant les messieurs. C'est un garçon en jupon.
Alix est une futée; avec ses grands yeux enfiévrés, son petit corps mignon, la petite gâtée est un vrai démon d'esprit, elle saisit tout et apprend tout, caresse tout le monde et passe de main en main comme un petit chien ou un bibelot curieux; il est impossible d'avoir une conversation sérieuse en sa présence, sans qu'elle vienne vous interrompre; il faut toujours s'occuper d'elle et l'admirer. Elle cherche, cherche, et vous lance au visage une observation, souvent plus impertinente et désagréable que spirituelle.
—Madame, pourquoi tu portes un chignon noir quand hier tu avais des cheveux blancs?
La mère gronde.
—Veux-tu bien te taire!
Mais quand la dame est partie et que le mari rentre, elle lui raconte en riant comme la petite est observatrice, et elle embrasse l'enfant, en lui disant:—Tu as bien fait, va, ma chérie, de lui dire cela! Elle a été bien attrapée!
L'oncle, le parrain, le vieux cousin, tous gâtent l'enfant à l'envi, l'excitant à dire des mots drôles, et le soir, lorsqu'il y a du monde, on a toute la peine du monde à obtenir qu'elle aille se coucher à dix ou onze heures du soir; il faut l'emporter moitié en pleurs, moitié endormie; on la lève à huit heures le lendemain, pâle, fatiguée; le déjeuner succulent la tente peu; on ne sait que lui offrir pour éveiller son appétit; c'est une petite femme en herbe, déjà nerveuse, capricieuse, coquette, mais que la fièvre dévore avant l'âge.
Il serait bien difficile de dire ce que deviendront ces petits caractères, quand ils se développeront; mais quand on fait parler un enfant, qu'on l'observe, qu'on l'étudie avec l'intention d'en déduire son caractère futur, on trouve si rarement la fleur d'innocence et le caractère sincère et bien intentionné, qui sont les bases d'une existence vertueuse et bonne, qu'on n'est plus étonné de toutes les vilenies qu'on rencontre dans le monde. En étudiant l'enfance, on peut prédire ce que sera l'avenir.
Il n'y a rien de plus délicieux au monde et qui ne vous ouvre l'âme à plus de délices qu'une enfant telle qu'elle doit être.