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L’expiation.

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A quelques jours du changement signalé dans lechapitre précédent, Alice, heureuse fille quand elle n’était pas contrariée, était assise dans le cabinet de son père, étudiant une leçon de géographie qu’elle interrompait souvent pour aller s’asseoir sur ses genoux, et lui raconter les histoires qu’elle savait, avec une grâce long-temps ignorée de celui qui écoutait. La forme faisait passer sur le fond des absurdités qu’elle débitait. C’était à Perrault et aux conteurs de son époque qu’il fallait s’en prendre si la raison était étouffée par une imagination vagabonde et désordonnée. Grâce à Rose, le répertoire d’Alice s’augmentait tous les jours. Madame Richard même, captivait souvent la jeune fille par quelques récits merveilleux, dont les fées et les enchanteurs faisaient les frais en tranchant les difficultés de la position de ses héros; nous avons vu précédemment le résultat de ces lectures sur un esprit naturellement judicieux. M. Montauban, d’abord en proie à une espèce de fascination pendant les premiers mois qui suivirent son retour à la vie réelle abandonnée depuis si long-temps, ne tarda pas à s’apercevoir du vide d’une semblable éducation, si on peut appliquer ce mot à l’abandon complet des facultés morales.

Madame Richard, excellente par le cœur, péchait sous le rapport du jugement. Entraînée par le sentiment, la réflexion n’arrivait jamais que trop tard pour avoir chez elle un heureux résultat. A l’en croire, elle jugeait son monde au premier coup d’œil, et pressentait même ce qu’étaient les gens dont on lui parlait sans les avoir jamais vus; elle leur arrangeait une figure, une tournure, puis traçait autour d’eux un cercle, dans lequel elle les faisait se mouvoir et parler, leur prêtant les gestes et le son de voix en harmonie avec les sentiments qu’elle leur avait supposés. On peut croire, d’après cet aperçu, que mille fois elle s’était trompée; mais bien qu’elle passât d’une erreur à une autre, sa perspicacité n’était pas moins le premier article de sa foi. Les indifférents si nombreux, malgré la doctrine céleste qui nous les assimile par les liens de la fraternité, n’existaient pas pour madame Richard. Tous ceux que des rapports prochains ou éloignés placèrent sur son passage, éprouvèrent, de sa part, attraction ou répulsion. Alice, à l’imitation de madame Richard, ressent, sans examen, les sympathies les plus exagérées comme les antipathies les plus vives. Pour elle, pas de milieu: ceux qui l’entouraient ou possédaient les vertus imaginaires dont elle aimait à les parer, ou étaient d’une espèce anormale, capable des actions les plus basses et les plus honteuses. Les jugements téméraires ne lui coûtaient rien, et elle croyait à sa première idée comme à une révélation. Il fallait toujours un objet à sa prévention et à sa prédilection. Rose, dont nous avons déjà parlé, qui l’avait vue naître, et qui l’aimait de tout son cœur, s’était soutenue dans ses bonnes grâces; sa faveur même croissait en raison du développement de l’amour-propre d’Alice. Disons, en passant, que les flatteries de la bonne avaient leur part dans la recrudescence de vanité qui marqua cette phase de la vie de notre petite héroïne; déjà elle se posait modestement comme un astre autour duquel gravitent des satellites. Selon sa manière de sentir, la vie de ceux que le sort avait placés près d’elle, leur mission à remplir le but de leur existence, se rapportait à elle. Amour, fidélité, dévouement à sa personne, tout était là. Cependant, malgré ses travers d’esprit, comme son cœur était bon et son caractère généreux, elle inspirait naturellement une affection mêlée de pitié.

— Quel dommage! disait-on, qu’une si gentille enfant ait perdu sa mère! Cette phrase qu’elle entendait depuis qu’elle était née, fut néanmoins répétée si souvent par Denis, domestique attaché au service particulier de M. Montauban, que la petite fille crut y sentir le trait piquant de l’épigramme. Dès-lors le brave garçon porta la peine de son délit en devenant insupportable à sa jeune maîtresse, quoiqu’il ne cessât de lui être dévoué ; mais elle interprétait si mal toutes ses actions, que vingt fois il fut tenté de quitter la maison où la bonté parfaite de M. Montauban le retenait toujours.

Un jour qu’Alice, plus caressante et plus enjouée qu’à l’ordinaire, usait son temps sans travailler, dans le cabinet de son père qu’elle égayait à force d’espiégleries, un chagrin passa sur le front de celui-ci, et pressant sa tête de ses deux mains, il répandit des larmes amères que les caresses de sa fille n’eurent plus le pouvoir d’arrêter. A dater de ce jour, il devint pensif.

Alice venait d’atteindre sa douzième année; elle était sur le point de faire sa première communion, sans que la grâce parût l’avoir touchée, sans que, par sa volonté, elle fût disposée à corriger des défauts qui s’accroissaient chaque jour de toute la force d’une plus longue habitude. Madame Richard attendait la raison, comme une apparition qu’aucun signe ne devait précéder. Rose soutenait que sa jeune maîtresse était charmante; comment changer un tel état de choses? M. P***, curé de Solutré, homme d’esprit et de sens, y perdait son temps et l’éloquence simple de ses instructions toutes paternelles. M. Montauban sentait que, malgré ses soins, une influence étrangère rendait ses leçons au moins inutiles. L’avenir de cette enfant, maintenant aussi chère qu’autrefois elle avait été indifférente, se dressa devant lui avec tous les mécomptes et les chagrins qui l’attendaient dès son début dans le monde; et il se sentit plus coupable que jamais de tous les maux qu’il pressentait sans pouvoir les détourner.

Il eut recours à Dieu qui n’abandonne jamais ceux qui reviennent à lui. Le bon pasteur ramena au bercail la brebis égarée. Cette conversion ouvrit les yeux du père sur le vice radical de l’éducation qu’il avait entrepris de diriger. Il avait cherché la science dans les livres dont l’esprit peut se nourrir pendant quelque temps, mais où l’âme cherche en vain l’aliment qu’elle réclame sous peine de mourir aux espérances éternelles. Maintenant, il touchait du doigt le défaut de cette éducation si long-temps cherché où il n’était pas.

Alice s’aperçut de ce nouveau changement par le soin vigilant que son père mettait à s’informer de la manière dont elle avait fait ses prières, et de l’attention qu’elle y avait apportée. Ces questions réitérées, quelques lectures pieuses, appelèrent la réflexion au cœur de l’enfant indisciplinée qui jusqu’ici n’avait prié que par habitude, quand toutefois elle n’avait pas oublié de prier. De cette négligence apportée dans un devoir quotidien étaient résultées naturellement les distractions volontaires pendant les offices, et le sommeil qui la surprenait pendant les instructions si pleines de charité du bon curé de la paroisse.

Un matin qu’Alice venait chez son père, selon sa coutume, elle fut très-étonnée de ne trouver que Denis occupé de tous les apprêts d’un prochain départ. Ce n’était jamais sans effort qu’elle adressait la parole à cet honnête garçon, qu’elle appelait hypocrite pour justifier son éloignement pour lui. Cependant, dominée par la curiosité, elle ne put s’empêcher de lui demander où allait son père.

— Je ne sais, Mademoiselle, répondit Denis.

— Vous ne l’accompagnez donc pas? fit-elle encore de mauvaise humeur.

— Je vous demande pardon, Mademoiselle; mais je n’ai pas demandé où nous allions.

— Comme c’est possible! murmura la jeune fille qui sentit monter à son visage le rouge de la colère, et qui, en sortant du cabinet, jeta la porte de manière à ébranler la maison.

Elle parcourait la terrasse à grands pas, au moment où son père la rejoignit.

— Ma chère enfant, lui dit-il en l’embrassant tendrement, je suis forcé de te quitter pour quelques jours. Une affaire indispensable m’oblige de partir pour Lyon, mais je ne serai pas plus de huit jours absent.

Quelques larmes bordèrent les longues paupières d’Alice. M. Montauban les sécha en promettant de lui rapporter plusieurs bagatelles que ne fournissait pas la ville de Mâcon. Alice en donna une liste de quatre pages, puis elle accompagna le voyageur jusqu’à la porte, et revint rêver à l’emploi de tous les objets nouveaux qu’elle allait avoir à sa disposition. Oui, mais huit jours ce serait bien long!

Cependant il y en avait déjà quinze passés, le seizième touchait à sa fin, lorsque s’effectua le retour si ardemment désiré de toute la maison, mais principalement d’Alice que l’oisiveté avait dévorée, et qui s’était rendue insupportable, même à la bonne madame Richard.

Ce fut donc avec un indicible plaisir que tous revirent leur maître, et que la jeune fille reçut son père. Après les premiers embrassements, elle s’empressa de lui demander les objets qu’il s’était chargé de lui rapporter. Mais il fit un effort pour se rappeler ce dont il était question, et confessa l’avoir complètement oublié.

Le chagrin d’Alice égala son étonnement.

— Comprenez-vous, chère amie, dit-elle à madame Richard, que mon père n’ait songé à rien de ce qu’il savait m’être agréable?

— J’augure mal de cette omission, reprit madame Richard d’un ton triste. Qui sait ce qui est arrivé pendant les quinze longs jours qui viennent de s’écouler? J’ai fait des rêves depuis quelque temps, qui m’ont rappelé ceux qui ont précédé ma ruine.

— C’est cela! interrompit Alice avec vivacité, mon père est ruiné ! C’est comme dans le conte de la Belle et la Bête. O mon Dieu! mon Dieu! qu’allons-nous devenir! Au moins, ma chère amie, ne nous quittez pas, je vous en supplie!

— Non, non, chère enfant, jamais! dit madame Richard toute attendrie. Je suis encore robuste... accoutumée au travail... Mais toi, mon Alice!... Puis donnant cours aux suppositions qu’elle adoptait comme des réalités, elle pencha sa tête sur sa poitrine, ce qui, chez elle, était le signe d’un profond chagrin, et se prit à pleurer de toutes ses forces. Alice se désolait aussi sur la foi de sa vieille amie, et toutes deux passèrent une nuit pleine d’images fantastiques, où tout prenait un corps et grandissait comme la marée montante.

Si rien ne peut justifier la promptitude avec laquelle les jugements énoncés furent portés et adoptés comme infaillibles, il faut avouer que la suite sembla donner gain de cause à nos tristes amies. M. Montauban, quoique toujours affectueux pour sa fille, se montrait vivement préocupé. M. P***, son seul ami, venait le visiter plusieurs fois par jour. On les voyait se promener des heures entières parlant et gesticulant. Pendant le repas que le bon curé consentait souvent à partager, c’étaient des réticences, des mots sans suite, des énigmes, dont personne n’avait le mot, et que chacun croyait comprendre.

Alice et madame Richard ne furent donc point étonnées de voir entreprendre un second voyage à M. Montauban. La recommandation qu’il fit en partant à sa fille de prier pour lui, fut une preuve de plus qu’elles ne s’étaient pas trompées dans leurs conjectures. Après ce nouveau départ, Alice, qui ne savait pas faire un ourlet, rêvait, en secroisant les bras, au moyen de gagner sa vie en travaillant à la manière des princesses persécutées. Elle recommençait de vingt manières la fable de la laitière et du pot au lait, et ce n’était pas sans plaisir que sa jeune imagimation reconstruisait l’édifice de sa fortune. Il est vrai qu’elle se donnait toute facilité. Elle comptait sur la piété de son père pour l’aider à supporter le premier choc. D’ailleurs, pensait-elle, s’il a pu surmonter la douleur qui l’a miné pendant dix ans, il se consolera aisément d’un chagrin qui n’est rien en comparaison. Madame Richard me suivra partout. Je suis sûre que Rose ne me quittera pas non plus: c’est une fille dévouée que je mènerais au bout du monde. Comme elle la voyait sarcler dans le jardin, elle voulut à l’instant même tenter l’épreuve de sa fidélité.

— Rose, lui dit-elle, laisse-moi un peu sarcler à ta place.

— Bah! Mameselle; vos mains sont trop délicates pour tenir l’instrument. Ça vous ferait venir des durillons.

— Il faut bien que je m’y accoutume, dit Alice d’un ton résolu; je serai peut-être obligée de faire ce métier pour gagner mon pain.

— Allons-donc, Mademoiselle, répondit Rose dans un accès de gros rire que les paysans ont à leur disposition pour la plus légère plaisanterie.

—Ce que je te dis est très-sérieux, Rose; tu ne sais donc pas que mon père est ruiné ?

— Ruiné ! répéta Rose stupéfaite. Mais ce n’est pas possible!

— Rien n’est plus vrai. Tu sais ce voyage qu’il vient de faire à Lyon? eh bien! il avait pour but de..... je ne sais pas très-bien; mais ce que je sais au moins, c’est que mon pauvre père s’est montré si préoccupé, qu’il pouvait à peine me donner mes leçons. Et maintenant voilà qu’il retourne encore à.... Lyon.... sais-tu, Rose, si c’est à Lyon qu’il va?

— Vous ne me paraissez pas très-instruite de ce qui se passe, pour être si sûre de ce qui est arrivé, Mademoiselle; vous voyez bien que si les affaires de Monsieur étaient dérangées, ce ne serait pas le moment qu’il choisirait pour faire ses grandes provisions, et il n’avancerait pas d’argent à ses vignerons. Vous savez qu’il leur a prêté 3,000 francs la semaine dernière.

Les raisons de la simple fille parurent péremptoires à l’esprit d’Alice, qui pourtant ne voulant pas renoncer à la chimère d’une catastrophe, soutint encore son opinion en s’appuyant de l’autorité de madame Richard.

—Bah! Bah! madame Richard,dit Rose en se donnant de l’importance, elle prend toujours les vessies pour des lanternes.

Alice courut reporter à sa vieille amie la conversation qu’elle venait d’avoir avec sa bonne, et les raisons que celle-ci croyait avoir pour supposer que la ruine en question n’existait que dans leur imagination. Madame Richard, choquée de ce que Rose se permettait de la critiquer, finit par gronder Alice de sa facilité à mettre les domestiques dans le secret de ses affaires, et la jeune fille alla se coucher en pleurant.

La bonne mère

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