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III.

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Une confidence.

Cinq jours s’étaient à peine écoulés que M. Montauban était déjà de retour, et dans une disposition d’esprit si différente de celle où il était avant son départ, que les pressentiments et les rêves de madame Richard se trouvèrent complètement en défaut. Cette fois non seulement il avait fait les commissions de sa fille, mais encore il y avait joint beaucoup de choses qu’elle n’avait pas demandées. Il n’était donc pas ruiné ? qu’y avait-il alors d’extraordinaire pour qu’il fût tantôt triste et tantôt gai? Cette question devait être bientôt résolue, après quelques jours d’une bienveillance toute expansive avec sa fille. Alice, lui dit-il un soir d’un ton grave: tu as douze ans passés, tu n’es plus un enfant, et je ne dois pas te traiter comme telle; viens me trouver demain matin dans mon cabinet; j’ai quelque chose d’important à te communiquer. L’espèce de solennité de ces paroles fit pâlir et trembler Alice, qui n’alla pas se coucher sans les avoir commentées de mille manières avec madame Richard, sans toutefois approcher de la vérité, selon leur coutume. Le sommeil se fit long-temps attendre, ce qui n’empêcha pas qu’Alice fût levée de grand matin, parcourant le jardin dans tous les sens, et attendant avec anxiété que son père ouvrît la jalousie de sa chambre. Ce ne fut que vers sept heures qu’elle aperçut quelque mouvement et que son père lui-même, paraissant sur le balcon, d’un signe gracieux lui souhaita le bonjour matinal. Elle accourut à lui de toutes ses forces, grimpant l’escalier sur l’aile de la curiosité. Mon cher père, lui dit-elle tout essoufflée, je suis bien en peine, je n’ai pu dormir de la nuit.

Je commencerai, mon enfant chérie, par te dire qu’il ne m’est rien arrivé de fâcheux, Dieu merci; au contraire, grâce à la détermination que j’ai prise, je crois à des jours plus heureux que par le passé. Assieds-toi près de moi, ma fille. Il lui prit une main. Elle s’approcha de lui avec confiance.

Je le répète, Alice, tu n’es plus un enfant; aussi te parlerai-je à cœur ouvert, sans chercher à dissimuler les torts que je puis avoir à me reprocher.

Elle fit un mouvement sur sa chaise.

— Oui, des torts, mon enfant, que je regarde comme bien graves, quand je considère la tâche que la Providence m’a confiée, et ce que j’ai fait jusqu’ici pour la remplir. Je t’ai abandonnée entièrement aux soins de la bonne madame Richard, à qui nous devons peut-être une partie de notre fortune, qui t’a aimée, qui t’a soignée avec la tendresse, et je dirai avec là faiblesse d’une bonne grand’-mère; mais une main plus ferme était nécessaire pour te diriger. Aussi, mon enfant, ce n’est pas toi que j’accuse de ton ignorance prolongée à l’âge où les jeunes filles ont déjà acquis une instruction assez étendue, je ne te rends pas plus responsable des défauts de ton caractère, c’est moi, ton père, qui suis coupable de la tiédeur que tu apportes dans tes devoirs de religion, et par suite de tes impatiences, de ta promptitude à porter un jugement avant d’avoir réfléchi, et surtout de ces préventions qui te rendent si injuste.

Je suis sûre que Denis vous a fait des rapports sur moi. Il ne peut pas me souffrir...

Denis ne m’a fait aucun rapport. Personne ne serait bien venu à me parler mal de toi; mais crois-tu donc que je n’ai pas des yeux peur te voir, une conscience pour l’apprécier!

C’est parce quej’ai acquis une profonde connaissance de tes qualités et de tes défauts, ma fille, que j’ai songé sérieusement à tirer parti des uns et des autres pour ta satisfaction présente et ton bonheur futur. Seul je ne puis songer à remplir dignement cette tâche, et c’est parce que je l’ai sentie au dessus de mes forces que je veux m’adjoindre une personne aussi pieuse qu’aimable, bonne et instruite. D’ici à quinze jours, mon Alice... tu auras une seconde mère...

Il l’attira doucement sur ses genoux, en l’embrassant tendrement; mais elle était hors d’état de parler, tant elle se sentait anéantie par cette étrange révélation.

Aussitôt que les mains de son père ne la retinrent plus, elle s’échappa comme un oiseau, et courut jusqu’au fond du jardin pour se livrer sans témoin à son étonnement, à sa douleur et à ses larmes.

MadameRichard la croyait avec son père; mais les soins du ménage l’appelaient partout où il y avait une surveillance à exercer. Elle passa par hasard à l’endroit où la désolée Alice faisait entendre ses gémissements, tandis que ses yeux étaient noyés dans les pleurs.

— Mon Dieu! qu’as-tu? s’écria la bonne dame, prête à pleurer elle-même sans connaître le sujet d’un chagrin si violent.

— Oh! ma chère amie...Ma chère amie... Et Alice sanglotait si fort, que c’est avec une peine extrême qu’elle put articuler: Je vais avoir une belle-mère!!!

La stupéfaction de madame Richard la rendit muette à son tour, elle ne put que porter ses bras au dessus de sa tête en signe de désespoir. Puis, lorsqu’elle eut recouvré la parole, elle fit de tels hélas! qu’Alice se trouva encore plus malheureuse qu’elle ne l’avait pensé d’abord.

L’heure du déjeûner les surprit toutes deux à la même place sans qu’elles eussent trouvé un bon côté dans le grand changement dont elles étaient menacées. Si madame Richard s’affligeait pour le compte d’Alice, le retour qu’elle faisait sur elle-même n’était pas moins douloureux. Il était donc vrai, il lui faudrait obéir à une maîtresse! Et quelle maîtresse encore? jeune, sans doute, imbue des idées nouvelles, et grande dame par dessus tout.

Le repas fut silencieux. M. Montauban avait beau feindre de ne pas s’apercevoir de ce qui se passait autour de lui, le malaise l’avait gagné, et ce fut avec effort qu’il parvint à prononcer quelques mots qui ne trouvèrent point de réponse dans des poitrines brisées de sanglots.

C’était vers la fin de cette même journée qu’au commencement de cette histoire nous avons suivi Alice et sa gouvernante, dont les idées, quoiqu’un peu modifiées, répandaient tant d’amertume sur leur conversation.

La bonne mère

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