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La petite fille au dear John.

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Il était tout près de dix heures.

Geneviève de Soubonan, après une soirée bien remplie (elle avait aidé Mlle de P... à défaire ses malles), après avoir embrassé son père, sa belle-mère, son frère et sa gouvernante, venait de passer dans sa chambre.

Elle avait sonné Kate, une des bonnes de ses petites sœurs, pour qu’elle la déshabillât.

Ce n’était point l’heure du thé. L’Anglaise était donc accourue; et, tout en dénouant un ruban par-ci, un cordon par-là, répondait assez brièvement, mais en très pur anglais, aux questions que sa jeune maîtresse lui adressait en français:

Bell avait-elle bien mangé sa soupe?

Ellen s’était-elle mise, de nouveau, en colère, et avait-elle, comme la veille, frappé sa bonne Lilian?

Combien de fois dans la journée Assy avait-elle désobéi?

Puis, Ginette cessant d’interroger, Kate avait cessé de répondre.

Assy, Ellen et Bell étaient trois babys roses et blancs et des plus potelés. Avec cela, des airs mutins et des cheveux blond-cendré.

L’aînée avait cinq ans, et la plus jeune dix-huit mois.

Geneviève les aimait beaucoup; mais elle leur préférait Stani, son vrai frère, comme elle se plaisait souvent à le nommer (Assy, Ellen et Bell n’étaient ses sœurs que du côté paternel); elle leur préférait également Aurore, son amie.

«Pauvre Aurore! pensait la fillette, tandis que Kate lui lissait soigneusement les cheveux avant de les rouler en papillottes, pauvre Aurore! elle avait l’air triste aujourd’hui. C’est qu’aussi, sa vie chez sa marraine est des plus monotones, et Trina est un vrai fléau....»

Elle réfléchit encore, fit un bond sur sa chaise, et cria:

«Oh!»

L’Anglaise s’arrêta, croyant avoir tiré maladroitement quelque mèche rebelle; mais il s’agissait vraiment bien de cela!

Ginette s’était levée, et, dansant au milieu de la chambre, répétait:

«Eurèka! Eurèka! J’ai trouvé !»

Mlle de P.., attirée par le bruit, entre-bâilla la Porte.

Ginette courut à elle. disant encore:

«Eurèka! J’ai trouvé !

— Quoi donc, chère enfant?

— Un moyen de rendre Aurore heureuse, presque aussi heureuse que moi! Mais chut! mademoiselle, c’est un secret. Il me brûle les lèvres: je vous le dirai tout à l’heure.»

Et revenant s’asseoir devant Kate, elle lui demanda, comme une faveur, comme une grâce, de ne lui mettre que six papillottes, au plus.

Kate se récria. Il en fallait tout juste seize pour que la coiffure de Mlle Geneviève eût le sens commun.

L’espiègle haussa les épaules. Du sens commun!... Elle n’en avait que faire, et sa coiffure moins encore!

Mais Kate s’entêta. Kate tenait au nombre seize.

Ginette, alors, frappa du pied, et, à l’exemple de la petite Ellen, était bien près de se mettre en colère, quand sa gouvernante intervint.

Elle gronda doucement l’enfant, et proposa à Kate de l’aider.

Ginette remercia par deux ou trois baisers.

En moins de dix minutes, les papillottes se trouvèrent ainsi mises. Mais alors, l’Anglaise s’avisa que, les ayant roulées de haut en bas et Mlle de P... en sens inverse, il fallait recommencer.

Ginette s’y opposa tout net; et, riant aux éclats, déclara que la coiffure en coup de vent, résultat infaillible des boucles faites à la diable, irait au contraire à merveille avec son front trop haut, sa bouche trop grande, ses yeux trop noirs et son nez retroussé.

Kate s’étant, à la fin, laissé persuader, mit un peu d’ordre dans la chambre et quitta Geneviève.

Celle-ci, alors, restée seule avec sa gouvernante lui confia son projet.

Il faut croire que ce fameux projet concernait non seulement Aurore, mais encore Mlle de P..., car, se faisant caline, la fillette ajouta:

«Dites, mademoiselle, dites, vous le voulez bien?

— De grand cœur, ma bonne petite, répondit aussitôt Mlle de P..., mais votre cher projet (qui, Une fois de plus, prouve votre excellent cœur) me paraît, quant à présent du moins, d’une exécution des plus problématiques.

Ginette s’y opposa tout net....


— Oui, c’est vrai, répliqua tristement Geneviève, il est encore à l’état de problème.

«Mais bah! ajouta-t-elle redevenue rieuse, j’ai confiance, et comme dit M. X...

«Mademoiselle, savez-vous ce que dit M. X...?

— Non, je l’ignore encore.

— Eh bien! M. X..., le savant professeur de Stani, affirme que tout problème doit pouvoir se résoudre. Pourquoi pas celui-là tout autant que les autres? En cherchant bien, je trouverai sa solution, c’est sûr. Qui sait.... Peut-être me viendra-t-elle en rêve.»

Et l’enfant, dont les veux étaient gros de sommeil, fit sa prière et se coucha.

Cinq minutes après, elle était endormie.

Le lendemain matin, Ginette se leva d’assez méchante humeur: sa nuit s’était passée sans rêve, et, partant, son réveil n’amenait pas de solution.

«Comment m’y prendre? Comment faire pour mener mon projet à bien?» répéta-t-elle plus de vingt fois durant la longue matinée.

Cependant, elle ne trouva rien.

Enfin sonna le déjeuner; puis vint l’heure de la Promenade.

D’ordinaire, Aurore et Geneviève se rencontraient chaque après-midi soit aux ChampsÉlysées, soit au jardin des Tuileries, soit au square des Invalides. La veille, en se quittant, elles avaient opté — le lecteur s’en souvient —pour les Tuileries.

Or, moins que jamais, nos deux Inséparables n’auraient eu garde, ce jour-là, de manquer à leur rendez-vous.

Geneviève avait grande hâte de faire connaître son projet à Aurore, et il tardait à cette dernière de verser ses peines dans le cœur de son amie.

Aurore arriva la première. Le vieux Michel, en livrée, la suivait.

Elle s’avança vers le coin du jardin qu’elle aimait. C’était un endroit très feuillé, relativement solitaire, et que les deux amies avaient nommé leur coin.

D’un coup d’œil, Aurore l’explora; puis elle s’y promena en silence.

Bientôt, s’adressant à Michel:

«Quelle heure est-il? demanda-t-elle. Mlle de Soubonan me parait en retard.»

Le vieillard tira de son gousset une de ces montres énormes, vulgairement appelées bassinoires, et répondit:

«Il est une heure un quart, mademoiselle.

— Déjà ! murmura la fillette. Pourquoi Ginette ne vient-elle pas?»

Et elle reprit se promenade, toujours suivie par Michel.

Elle marchait assez vite, sans regarder autour d’elle, occupée qu’elle était de ses propres pensées.

Pendant ce temps, le jardin s’emplissait. On entendait de tous côtés des cris, des rires, des éclats de voix. Seul le coin de nos deux amies ne renfermait que peu d’enfants et quelques rares promeneurs.

«Oh! John, dit tout à coup une petite voix douce, regardez donc là, tout droit devant vous. C’est l’une des deux petites filles qui ont fait l’aumôneà l’aveugle d’hier.»

Aurore se retourna:

L’homme et l’enfant que la veille elle avait rencontrés au sortir de Saint-Thomas d’Aquin se trouvaient à trois pas derrière elle.

Et voilà l’autre!» ajouta aussitôt la même douce voix.

En effet, Ginette accourait.

Elle sauta d’abord au cou de son amie; puis, à Son tour, apercevant le vieillard à la redingote râpée et l’enfant aux longs cheveux blonds:

«Tiens! la petite fille au dear John! s’exclama-t-elle aussitôt. Aurore, il faut lui proposer de jouer avec nous.»

Toute à l’impression du moment, oubliant à l’instant qu’elle avait son projet à faire connaître à son amie, la fillette ne songeait plus qu’à nouer conversation avec cette jeune inconnue qui, sans doute, lui parlerait d’elle et de John, l’homme au secret. C’est ainsi que déjà elle le désignait.

Or les enfants, pour l’ordinaire, à moins d’être liés entre eux, ne causent guère que durant le jeu. Ginette le savait. C’est pourquoi s’approchant de la petite fille:

«Mademoiselle, lui demanda-t-elle, voulez-vous faire une partie de cache-cache avec mon amie et moi?»

A cette proposition inattendue, les yeux de la fillette brillèrent de plaisir; mais, au lieu de répondre, son regard chercha le regard de son compagnon.

Le vieillard parut hésiter.

«Je vous en prie, dear John,» supplia la petite fille.

John fit de la tête un signe affirmatif. Tout aussitôt, l’enfant quitta sa main, et prit celle de Geneviève.

«Comptons, «dit vivement cette dernière.

Compter pour les enfants, avant le jeu de cache-cache, c’est demander au sort — comme chacun le sait — de désigner celui ou celle qui doit chercher.

Le sort désigna la petite fille au dear John.

Ginette, alors, s’écria:

«C’est vous qui l’êtes, mademoiselle..... Commentvous nommez-vous?

— Mary-Ann, répondit l’enfant.

—Le joli nom! murmura Aurore.

— Mary-Ann, répéta Ginette. Vous êtes Anglaise; eh bien! je m’en doutais. Moi, je m’appelle Geneviève de Soubonan, et mon amie, qui, bien qu’elle ait le cœur français, n’en est pas moins votre compatriote, se nomme Aurore Mertton.»

A ce nom de Merton, ie vieux John avait tressailli; puis, ayant regardé fort attentivement l’enfant qui venait d’être désignée ainsi, une pâleur livide envahit son visage.

«Qu’avez-vous, monsieur? lui demanda très poliment Michel, tandis que Geneviève fixait sur lui deux grands yeux noirs inquisiteurs.

— Rien, ce n’est rien,» répondit faiblement le vieillard, courbant la tête sous le regard de la fillette.

Il ajouta plus faiblement encore:

«Je suis sujet à des malaises.»

Et il se laissa tomber, plutôt qu’il ne s’assit, surun banc qui se trouvait là.

Mary-Ann, en pleurant, se serra contre lui, et lui dit à voix basse quelques douces paroles, parmi lesquelles Aurore et Geneviève purent distinguer celles-ci:

«Oh! dear John, revenez à vous. Qu’est-ce qui vous a rendu si pâle? Oh! vous n’allez pas mourir, n’est-ce pas? et laisser votre petite fille toute seule dans ce grand Paris!»

Comme mu par un ressort, le vieillard se leva.

En le voyant debout, Mary-Ann cessa de pleurer.

Mais, replaçant sa main dans celle du vieillard:

«Dear John, reprit-elle, je ne veux plus jouer. Vous êtes malade, allons chez nous; je vous lirai la Bible, et je vous soignerai.»

John jeta sur la petite fille un inexprimable regard que Geneviève remarqua. Reconnaissance, dévouement et tendresse: ce regard disait tout cela. Puis il essaya de marcher.

Il ne le put: ses jambes fléchissaient.

Aurore fit un signe à Michel, et baissant à dessein la voix:

«Conduisez-le chez lui, dit-elle, et, s’il ne le veut pas, du moins mettez-le en voiture.»

Michel objecta que, malgré son désir d’obéir, il ne pouvait laisser ces demoiselles seules au jardin des Tuileries.

Alors seulement, Aurore s’aperçut que ni Mlle de P..., ni Kate, ni Lilian, ni Rachel ne se trouvaient avec elles.

«Qui t’a conduite? demanda-t-elle à son amie. —Rachel, répondit Geneviève. Elle était très pressée, et m’a quittée lorsque je t’ai eu vue. Je croyais que Trina était avec toi. Et maintenant, comment allons-nous faire?»

Aurore s’approcha de Michel, et lui désignant le vieux John:

«Michel, dit-elle, aidez-le. Du côté du quai, vous trouverezsans doute une voiture. Mlle de Soubonan et moi, nous irons avec vous jusque-là.»

En entendant parler Aurore, de nouveau, John tressaillit.

Ginette le regarda encore. Cette fois, la fillette pensait:

«Qu’est-ce à dire?... D’où provient ce trouble?... Ah! voilà qui est singulier!»

Cependant, Michel avait offert son bras à John, et John comprenant que, s’il ne se hâtait de quitter le Jardin, les badauds allaient l’entourer, l’avait aussitôt accepté. Puis, tous deux s’étaient mis en marche accompagnés des trois enfants.

Durant le court trajet de cet endroit des Tuileries où nos héros se trouvaient au quai, Ginette se rapprocha d’Aurore.

Il lui tardait de lui communiquer ses réflexions au sujet du vieux John.

Mais Aurore paraissait pensive. Elle baissait la tête et marchait lentement.

«Allons bon! murmura l’espiègle, la voilà qui voyage dans le pays des chimères! Tout comme moi, elle aura remarqué l’émotion qu’a éprouvée John en la voyant, en l’entendant parler, et maintenant elle y rêve! Pour le moment, je n’en puis rien tirer.»

Et s’adressant à Mary-Ann, qui se tenait toujours aux côtés de son vieux compagnon:

«Reviendrez-vous demain aux Tuileries? demanda-t-elle.

— Oui, si John va bien, et s’il le veut, répondit la petite fille.

— Quel est ce John? Vous paraissez l’aimer beaucoup.

— Oh! oui, beaucoup. Il est si bon!

— Quel âge avez-vous?

— Bientôt douze ans.

— Tiens! vous avez juste mon âge, et vous êtes plus petite que moi! Pourtant, je ne suis pas grande. Ce n’est pas comme Aurore. Regardez-la: elle vous dépasse de la tête. Mais c’est tout simple: on dit que les Merton étaient tous très grands.»

En ce moment, John fit un faux pas, et Mary-Ann alarmée se serrant, de nouveau, contre lui, Ginette cessa de parler.

On était d’ailleurs à peu près arrivé. Michel héla une voiture. John se pencha sur Mary-Ann et lui dit quelques mots à l’oreille.

Geneviève, aux aguets, comprit qu’il lui recommandait de donner elle-même l’adresse au cocher; et, Poussée par la curiosité, elle manœuvra si bien que lorsque la petite Anglaise dit à mi-voix au gros homme trapu, à la figure joviale, qui, à l’injonction de Michel, venait d’arrêter sa voiture: «Rue Jacob, n°...», elle entendit à merveille.

«Bon, bon, pensa-t-elle aussitôt, s’ils ne viennent pas demain, je saurai où les retrouver.»

John, alors, se découvrit, s’inclina respectueusement devant Aurore et Geneviève, et, s’approchant de la voiture, pria Mary-Ann d’y monter la Première. Ensuite il y entra aidé par Michel, qu’il remercia.

«Adieu, et à demain», dit Mary-Ann aux deux amies, en leur tendant les mains.

Puis, la voiture s’ébranla.

«Au revoir!» cria Geneviève.

Aurore, elle, ne dit rien. Son regard suivait la voiture, mais son esprit était ailleurs.


Ginette

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