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L’erreur d’une Espiègle.
ОглавлениеDès qu’elle fut rentrée à l’hôtel de la chanoinesse, un vieil hôtel entre cour et jardin, situé rue de Varenne, Aurore remonta directement dans son appartement.
Jamais elle ne pénétrait chez sa marraine sans y avoir été appelée.
Pour la première fois peut-être, Trina ne jugea pas à propos d’accompagner sa jeune maîtresse; mais celle-ci ne s’en plaignit pas. Cette lourde créature, dont l’humeur était tracassière, ne pouvait — on le comprend — que lui être antipathique
«Enfin! je vais être seule un instant», pensa l’enfant.
Et elle entra dans sa chambre, enleva son chapeau, son manteau, retira ses gants, prit une chauffeuse et s’assit devant la cheminée.
On était à la mi-avril, et, bien que les journées fussent belles déjà, les soirées, à partir de quatre heures, devenaient humides et froides.
Quelques rares tisons brûlaient encore dans l’âtre. La fillette les rapprocha, et, les coudes sur ses genoux, le menton dans ses mains, elle se prit à songer.
Aurore, esprit pensif, âme méditative, se plaisait à la rêverie. Le passé occupait ses rêves.
Le passé pour Aurore! C’était d’abord l’heureux temps de sa toute petite enfance, alors que, vivant loin, bien loin, dans un autre pays, elle se sentait aimée, caressée et chérie par un père, par une mère dont elle cherchait en vain à se retracer les traits.
C’était ensuite une scène de deuil: malgré ses pleurs et ses cris, on l’avait revêtue d’une vilaine robe noire, en lui disant tout bas qu’elle était orpheline. C’étaient enfin les jours si longs d’un voyage en mer, son court séjour dans un grand vieux château, son arrivée rue de Varenne.
Comme à travers un voile sombre, Aurore revoyait tout cela, et des larmes montaient à ses yeux.
Dix minutes à peu près se passèrent; les tisons étaient consumés. La fillette eut un léger frisson; elle sonna et demanda du feu.
Michel, vieux serviteur de la chanoinesse, spécialement préposé au service de la petite fille, s’empressa de lui obéir, et bientôt une flamme joyeuse s’éleva dans le foyer.
Peu après, Michel s’était retiré, et Aurore avait repris ses rêves.
Aurore — est-il besoin de le dire au lecteur était bien loin de ressembler aux autres enfants de son âge. Chez elle, point de gaieté bruyante, éclats de rire à tout propos; point de malices et point d’espiègleries.
Elle était grave, mais grave sans tristesse; elle était réservée, mais sans maussaderie.
Vivant très isolée à l’hôtel de la chanoinesse, elle s’était, de bonne heure, renfermée en elle-même, sa fierté l’ayant, de très bonne heure aussi, préservée des contacts vulgaires.
Mais si Aurore parlait peu, elle pensait beaucoup. De là, une maturité précoce qui contrastait le plus souvent avec le tour exalté, poétique, de sa riche imagination.
Nous l’avons vue, dans une église, «converser avec ses saints» ; maintenant, nous la retrouvons suivant d’un regard attentif les mouvements bizarres de la flamme bleuâtre, et — ô puissance de l’imagination! — voyant à travers cette flamme un frais et gracieux visage qu’encadraient des cheveux bien blonds.
Aurore songeait à cette mignonne créature, la petite fille au dear John, qu’elle avait rencontrée tout à l’heure au sortir de Saint-Thomas d’Aquin, et il lui semblait, par instants, retrouver dans ses souvenirs l’image de cette même enfant.
Puis, comme on frappait à la porte:
«Entrez,» fit-elle sans détourner la tête.
Quelqu’un entra très vivement, et se penchant derrière Aurore, assise — nous l’avons vu — sur une chaise basse, couvrit de ses deux mains les yeux de la fillette, en s’écriant gaiement:
«Je te donne un merle blanc, ma belle, si tu devines qui est là.
— C’est Ginette, la follette, répondit aussitôt Aurore. Oh! quand même je serais aveugle, je te reconnaîtrais toujours.
— Ça c’est gentil! fit Geneviève. Oui, c’est moi; mais encore, qui est-ce? Je ne suis pas seule, ma chère: quelqu’un est entré avec moi.
«Allons devine.
— Ce doit être Stani, dit Aurore.
— Stani! répéta Geneviève. Ah! bien oui! Je l’ai laissé jouant au bilboquet, tout en apprenant les hauts faits de Marius ou de César.
«Devine.
— C’est Kate ou Lilian, hasarda Aurore.
(Kate et Lilian étaient les bonnes anglaises des Petites sœurs de Geneviève.)
— Elles! Y songes-tu? Mais il est tout près de cinq heures, l’heure du thé pour ces estimables personnes. Kate fait la tisane; Lilian beurre les rôties. Rien ne pourrait les arracher à une occupation si chère.
«Devine.
— Alors, c’est Rachel, continua Aurore. (Rachel était la femme de chambré de Mme de Soubonan.)
— Pas davantage. Ma belle-mère dîne en ville ce soir: Rachel prépare sa toilette.
«Va, crois-moi: donne ta langue au chat.
— Je la donne, répondit Aurore. A moins pourtant..... que ce soit.....
— Trop tard! s’écria Geneviève, trop tard! Ma chère, tu as perdu ton merle blanc.»
Et courant à une jeune personne qui se tenait debout sur le seuil de la porte, elle passa son bras sous le sien, et l’entraîna au milieu de la chambre.
Là, elle dit à son amie:
«C’est Mlle Germaine de P..., Aurore. Je la connais depuis une heure à peine; mais je l’aime de tout mon cœur.»
Puis, d’un mouvement très rapide, enlevant d’une main le chapeau de velours que portait la nouvelle venue, de l’autre arrachant le peigne retenant ses belles tresses brunes, qui s’écroulèrent aussitôt:
«Et voilà, s’écria l’espiègle, ce que, dans ma sottise extrême, j’appelais des cheveux caroubier!
— Oh! Ginette!» s’exclama Aurore, en s’approchant de Mlle de P..., prête à l’aider à réparer le désordre de sa coiffure.
Mais Geneviève sans remarquer l’exclamation de son amie, pas plus que la rougeur, l’embarras de sa gouvernante, qui ne savait si, en cette occurrence, elle devait rire ou se fâcher, Geneviève continua gaiement:
«Ma chère, tu vas comprendre ma méprise. Mlle Germaine de P... n’ayant pas l’habitude de sortir toute seule, les Dames de la Visitation (car Mlle de P..... vient du couvent de la Visitation où elle était depuis dix ans) l’ont fait accompagner chez papa par une vieille Anglaise; tu sais, une de ces anguleuses misses à cheveux rouges, à grandes dents et à long cou, comme il y en a, paraît-il, dans tous les couvents de Paris, pour enseigner aux pensionnaires ce baragouin que tu aimes, et que moi, — ne t’en déplaise — je trouve bon pour les oiseaux.
«Bref, comme je quittais ma chambre pour me rendre au catéchisme, j’entends monter le grand escalier. Je cours, je me précipite, et, devant le salon entr’ouvert où Mlle de P... était entrée déjà, je me trouve nez à nez avec la respectable Miss.
«Je la prends pour ma gouvernante, que je savais devoir arriver aujourd’hui. Je la regarde..... J’éclate de rire et je me sauve.
«Et voici comment et pourquoi j’ai pris une aide Anglaise pour la jolie Française que voilà.»
Disant ces mots, l’enfant se jeta au cou de Germaine de P...
Mais elle, l’écartant doucement:
«Vous me faites de la peine, Geneviève, dit-elle. Vous m’aviez pourtant bien promis de ne Plus vous moquer de cette bonne miss Barbara Hutley que j’aime, et de ne point parler de moi.
— Ai-je bien pu vous promettre cela! fit Geneviève en secouant la tête. Au fait, c’est possible: je fais tant et tant de promesses en un jour.....
— Que vous en oubliez trop souvent quelques-unes, acheva, souriant, Mlle de P....
— C’est cela même, mademoiselle. Que voulez vous; je ne suis point parfaite! Vous devez le savoir d’ailleurs. En vous parlant de moi, ma belle-mère vous a dit sûrement: «M. de
«Soubonan a trop gâté Ginette, et vous aurez,
«je le crains, de la peine à faire entrer quelques
«grains de sagesse dans cette tête à l’évent.»
«Elle a raison, continua l’espiègle. Que m’importe à moi la sagesse! Telle que je suis, papa m’aime, et Aurore m’a choisie pour amie.
«Oh! c’est que ce n’est pas peu de chose que d’obtenir l’amitié d’Aurore.... Tenez, mademoiselle, laissez-moi vous conter un conte.»
Et Geneviève, malgré le regard suppliant que lui jeta Aurore, Aurore se doutant bien qu’elle, à son tour, allait être sur la sellette, Geneviève commença ainsi:
«Il y avait une fois, dans ce pays lointain qu’on appelle les Grandes Indes, un colonel de l’armée anglaise.
«Il était beau, il était brave, il était bon. Si beau que tout le monde se plaisait à le regarder; si brave qu’il était la terreur des Hindous; si bon qu’il était l’idole des soldats.
«Il épousa une orpheline qui, elle aussi, était belle, était bonne, et — ainsi que dans les contes de fées — un an après leur mariage, ils eurent un charmant baby.
«Or, — toujours ainsi que dans les contes de fées — ce baby, une petite fille, était jolie comme les anges, et de plus raisonnable en naissant.
«Elle ne cria jamais sans cause, fit à dix mois un tout petit discours, et à deux ans apprit à lire.
«Évidemment, la fée Sagesse l’avait touchée de sa baguette.»
A cet endroit de son récit, Ginette, par hasard, regarda la pendule.
«Cinq heures et demie! s’écria-t-elle en se levant d’un bond. Et papa qui m’attend au cercle, où je dois l’aller prendre en voiture..... Aurore, je te quitte; à demain, et aux Tuileries. Mademoi-selle, la suite de mon conte est remise au prochain numéro. Mais non: je vais plutôt le finir en deux mots.»
Et, avec une gravité d’accent que Mlle de P.... était bien loin de soupçonner chez sa nouvelle élève, Geneviève continua:
«A trois ans, l’enfant demeura seule: son père et sa mère étaient morts. Alors un vieux soldat la conduisit en Angleterre, chez son tuteur.
«Ce tuteur était un barbare: non seulement, il ne garda pas chez lui sa pupille, mais encore il la confia à une chanoinesse qui.....
— Ginette, interrompit Aurore, il est cinq heures trente-cinq minutes, et ton père t’attend.
— Oui, oui. Je continue: A une chanoinesse qui..... (oh! tu as beau me faire les gros yeux, ma chère, je le dirai quand même) à une chanoinesse qui, malgré les étonnantes qualités de sa filleule (car l’enfant devint sa filleule, et elle était vraiment parfaite), ne l’aima pas, et la rendit très malheureuse.
«Se sentant toujours seule, elle eut alors l’idée de choisir une amie. Elle était sage; elle la voulut folle — l’amitié naît, dit-on, des contrastes. — Mais, voyez le plus merveilleux: la folie de son amie ne gâta pas sa sagesse, pas plus que sa propre sagesse ne guérit l’autre de sa folie.
«Mademoiselle, mon conte est une histoire. ajouta en riant Ginette, et l’héroïne la voici.»
Disant ces mots, elle donnait à Aurore deux gros baisers retentissants.
Puis, regardant de nouveau la pendule:
«Cinq heures trois quarts! s’écria-t-elle, et papa qui m’attend toujours.... Vite, vite, partons, mademoiselle; autrement, nous serons grondées.»
Ainsi pressée par Geneviève, Mlle de P..., qui eût bien voulu faire plus ample connaissance avec l’amie de son élève, pour laquelle elle se sentait déjà beaucoup de sympathie —comme Aurore elle était orpheline, comme Aurore elle avait souffert — Mlle de P..., dis-je, dût se borner à lui tendre la main.
«Adieu, ou plutôt au revoir, mademoiselle, dit-elle.
— Au revoir, mademoiselle, répondit la fillette; mais accordez-moi une faveur.
— Laquelle?
— Vous appelez Ginette Geneviève, appelez-moi Aurore.
— Ce n’est pas tout, s’empressa d’ajouter Geneviève, Aurore est une autre moi-même. Vous m’embrassez: embrassez-la.
— Bien volontiers», répondit Germaine, qui, aussitôt, posa ses lèvres sur le front si pur de l’enfant.
«Et dire, murmura Geneviève tout en descendant l’escalier, dire que depuis neuf ans qu’elle habite chez sa marraine, elle en est encore à lui baiser le bout des doigts!.....»
Arrivée au premier étage, frappée d’un souvenir, elle s’arrêta brusquement, leva la tête et cria à Aurore qui, penchée sur la rampe, la suivait du regard:
«Figure-toi qu’en venant ici, je me suis croisée avec lui! Tu sais de qui je parle: je parle du vieux John; mais cette fois il était seul. Grand Dieu! qu’il m’a paru sombre, triste, chagrin, morose, inquiet! On dirait, ma chère, qu’il cache un secret.
— Geneviève! appela doucement Mlle de P.... qui continuait à descendre.
— Oui, mademoiselle, me voici,» répondit aussitôt la fillette.
Et envoyant de la main un chaud baiser à son amie, elle s’élança dans le grand escalier, cette fois en chantant une ariette, empruntée, nous n’en doutons pas, au répertoire de Stani.
Quelques instants après, Aurore se retrouvait seule.
Mais alors on frappa de nouveau à la porte.
C’était Michel. Il venait prévenir sa jeune maîtresse que Mme la chanoinesse la priait de descendre tout de suite chez elle.
Aurore, obéissante, se leva aussitôt, et se dirigea vers la porte.
Michel en occupait encore le seuil, et, loin de s’effacer pour laisser passer la fillette, il y demeura immobile.
Elle, surprise, le regarda.
«Qu’y a-t-il? lui demanda-t-elle. Vous voulez me parler, Michel?»
Le vieillard répondit affirmativement.
«En ce cas, faites vite, reprit la fillette: Mme la chanoinesse n’aime pas à attendre.
«Mademoiselle sait-elle, commença Michel, que Trina est chez Mme la chanoinesse où elle porte des plaintes contre Mademoiselle?»
Aurore fit un mouvement d’épaules signifiant:
«Que m’importe!»
«En rentrant avec Mademoiselle, continua lentement le vieillard, Trina était fort en colère, et il pourrait se faire que, influencée par elle, Mme la chanoinesse ne se montrât bien sévère Pour Mademoiselle, et que.....
— Qu’est-ce à dire? interrompit Aurore devenue hautaine. Mme la chanoinesse est et sera avec moi ce qu’il lui plaît, ce qu’il lui plaira d’être, et personne n’a rien à y voir.»
Michel interdit balbutia quelques excuse.
Aurore était bonne: craignant par cette réponse un peu vive peut-être d’avoir blessé le vieillard qui, elle le savait, lui était dévoué, et voulant la lui faire oublier, elle courut à un meuble de Boule placé dans un coin de sa chamhre, l’ouvrit, y prit un médaillon, et le plaçant dans les mains de Michel:
«J’ai appris par Trina, lui dit-elle, que Toinon, votre petite fille, allait prochainement se marier; envoyez-lui ce souvenir.»
Trois minutes plus tard, elle pénétrait chez sa marraine.