Читать книгу Les Mystères de l’Inconscient, cachés sur l’île de Noureev - Marianna Lanskaya - Страница 4
Chapitre 2
ОглавлениеLe lendemain de cet étrange échange mental, Christine s’apprêtait à aller travailler. Elle n’aimait pas se lever tôt, elle était plutôt quelqu’un qui adorait danser toute la nuit et rentrer avec les premiers chants des oiseaux matinaux, pour enfin plonger dans ses rêves. Se lever à six heures du matin, pour aller s’engouffrer dans les transports en commun, était pour elle un véritable cauchemar. Avant, au début, elle prenait le métro et, devant traverser toute la ville sous la terre, elle avait le temps d’observer les gens.
Le désespoir marquait leurs visages, leurs yeux étaient vides de toutes pensées, le vacuum total s’installait autour de Christine durant ses trajets. Elle savait capter les ondes des pensées des gens en général, les bonnes, les mauvaises, les pensées qui provoquaient la réflexion, les pensées agressives, elle captait et comprenait tout. Mais toute absence de pensées quelconques était totalement insupportable pour elle.
Parfois, quelques rares flashs réflexifs se relevaient au-dessus des têtes et elle entendait: «Comment gagner plus d’argent? Comment payer mes dettes? Comment faire en sorte que mes enfants ne vivent pas le même cauchemar que moi? Comment?» Et puis le même vacuum. Rien. Pas de réponse. Les yeux, tournés vers le sol, pas de regards qui se croisent, comme si eux tous, ils avaient honte de se retrouver dans cette situation tous les jours, tous les mois, tous les ans… Pas de beaux visages, une souffrance et l’endurance se répandaient dans le wagon.
Au début de ses voyages, Christine s’amusait à regarder les gens, à les entendre, à les observer, mais quand elle a compris le blocage total de leurs âmes, cela était devenu insupportable pour elle, et elle s’arrêta de prendre le métro, en s’obligeant de cette façon à un trajet interminable dans les bus. Ce qui la consolait, c’est qu’elle était au-dessus de la terre et elle pouvait regarder les paysages.
Ainsi Christine commença à regarder comment se transformait le paysage durant son voyage vers les «couches profondes de la société». Plus elle avançait, plus les rues changeaient radicalement d’aspect: les vitrines de luxe disparaissaient, laissant la place à des magasins de fastfoods mal entretenus, avec des vitres toujours sales. Des grands sacs de poubelles couvraient le paysage.
Parfois les tas d’ordures ménagères trônaient sur les trottoirs, les gens les contournaient en riant, sans pourtant les apercevoir. Les maisons devenaient vétustes, les fenêtres opaques, non lavées depuis des siècles, les vêtements des gens étaient presque «clochardesques «… Des sacs plastique de magasins, remplis, qui sait de quelles fringues… On se déplaçait dans un autre monde. Les gens semblaient ne pas avoir remarqué leur entourage, la pauvreté ne les dérangeait pas, ce qui faisait penser à Christine, «qu’ils ne connaissaient probablement pas mieux, et certainement pire…»
Cela provoquait un chagrin profond dans le cœur de Christine. Elle pensait sans arrêt au triste sort de ces gens. Jusqu’à un petit incident dans la rue: elle marchait très vite, pressée de regagner son lieu de travail, puis elle s’apprêtait à dépasser un homme qui marchait juste devant elle sur un trottoir étroit. Soudainement, l’homme se retourna, avec un geste et un regard menaçant. Christine fit un pas à gauche et sentit un fort coup sur sa tête. Tout de suite elle ne comprit pas ce qui s’était passé. Elle ralentit d’un coup. L’homme continuait à la regarder d’un air menaçant.
– Pardon, pardon, murmura-t-elle, regardant un gros tuyau d’échafaudage, qu’elle s’était pris contre sa tête, en essayant d’éviter cet homme. L’homme se calma et se remit à marcher. Elle comprit que l’agression ne venait pas de cet homme, mais de l’intérieur d’elle-même.
Christine se remit rapidement de cette émotion, et réfléchit: «Qu’elle n’a pas le droit d’avoir pitié de ses gens… pitié c’est un sentiment agressif… ils vivent comme ça car ils veulent vivre comme ça. Ce niveau de vie, probablement, leur correspond! Donc, elle doit venir dans ses quartiers sans aucune agressivité par rapport à la pauvreté qu’elle constate autour. Elle doit l’accepter comme une donnée pour ces gens, dont elle ne connaît pas la vie…», elle découvrait un monde parallèle à ce qu’elle vivait. Les valeurs et les exigences dans ce monde étaient, sans aucun doute, très différentes des siennes, mais cela ne rendait pas pour autant ces gens malheureux… Elle devait s’habituer à cette idée.
Mais, elle, Christine, elle connaissait une autre vie! Si différente de ce qu’elle voyait autour d’elle! Issue d’une famille bourgeoise, Christine avait connu dans la maison de son père tout le confort de la vie aisée. Son père ne manquait pas de moyens, entourant ses enfants, elle et son frère, de tout ce qu’ils rêvaient d’avoir.
Situé au premier étage d’un bâtiment haussmannien, dans un bon quartier bourgeois, leur appartement était toujours ouvert aux amis de leur rang. La maison était remplie d’éclaboussures de champagne et de rires. Mais, depuis le divorce de leurs parents, les enfants, Christine et son frère, avaient quitté pour toujours la maison de leur père, en partageant le sort de leur mère, qui était partie vivre dans une banlieue, en faisant des économies sur le logement. Pour ses études universitaires, Christine avait déménagé et vivait maintenant dans un petit appartement charmant aux portes de la ville.
Elle aimait son petit appartement, car c’était son refuge où elle pouvait faire tout ce qu’elle souhaitait, sans devoir rendre de comptes à personne. Après son travail, qu’elle n’aimait pas trop, elle se rendait dans son oasis d’imaginations, de rêves, d’un monde qu’elle avait construit par elle-même.
Ce jour-là, pendant le trajet du retour, elle se souvint de l’histoire qui lui était passée par la tête la veille, pendant la promenade. Chaque soir, quand elle traversait cette place pour changer de bus, elle retrouvait soudainement les fils de ses pensées de la journée passée. Comme si cet endroit conservait toutes les données et les réactivait chaque fois qu’elle s’y retrouvait.
Cette fois-ci il se passa la même chose. Elle se souvint brus-quement de la conversation d’hier. «C’est étrange, pourquoi d’un coup je sors cette idée des îles? Cela fait si longtemps que je n’ai pas été là-bas… Et qui veut m’emmener là-bas, pourquoi? Peut-être que c’est moi qui veux revenir dans des endroits où je me sentais heureuse? Mais qu’est-ce qu’il se passe maintenant sur ces îles, je n’en ai aucune idée maintenant… Et Noureev, cela fait déjà presque vingt ans qu’il est mort. Qui vit maintenant sur cette île? Elle n’est pas, tout de même, restée déserte toutes ces années? Je n’en ai aucune idée… Tout cela est ci loin de moi maintenant. Et maman ne travaille plus avec ces gens-là. Est-ce qu’ils sont toujours vivants? En tout cas, si l’occasion s’était présentée d’un coup, je n’aurais pas hésité un seul instant pour aller voir ce qui se passe sur ces îles maintenant!»
«Tu sais pourquoi nous sommes invités sur ses îles?», demanda la voix charmante d’hier.
«Non, c’est peut-être mes souvenirs, qui me parlent…», répondit Christine.
«Tu as été sur ces îles?! Comment?! Quand? À quoi elles ressemblent?», s’enthousiasmait la voix.
Christine se prêta à nouveau à ce jeu de dialogue mental, elle répondait dans sa tête à la voix intérieure: «Cela fait bientôt vingt ans, que j’y suis allée avec ma mère et son ami de l’époque, un Italien. J’avais onze ans, je me souviens de cet endroit magnifique, plein de magie… Je reviendrais volontiers là-bas, mais je ne sais pas comment… vous en savez plus?»
«Je m’appelle Bill, et toi?»
«Moi, je suis Christine! Contente de faire votre connaissance! Vous connaissez ces îles, puisque vous m’en parlez?»
«Non, je n’en connais rien, mais j’ai reçu un e-mail très étrange, qui me parle de ces îles… C’est vous, qui me l’avez envoyé?»
«Non, non, je n’ai envoyé aucun e-mail à personne, je n’y pense pas depuis très longtemps! Je ne sais pas qui ça pourrait être… C’est curieux, que vous m’en parliez maintenant… j’ai tant de souvenirs de cet endroit! Drôle de coïncidence!»
«En plus, une voix intérieure m’a parlé de ces îles! Pardon, je vous raconte mes histoires, mais je sais qu’à vous, je peux me confier…» La voix devenait plus basse et plus épaisse.
«Continuez, continuez, cela m’intéresse beaucoup!» Christine avait retenu son souffle.
«Enfin une âme-sœur!», répondit la voix, réfléchissant.
À ce moment le téléphone sonna dans l’appartement de Bill. Il répondit peu volontiers. La voix dans le téléphone était énervée: «Combien de temps on va t’attendre? On va rester ici pendant des heures? Tu es devenu bizarre ces derniers temps, Bill! Cela ne peut pas durer longtemps comme ça! Prends des vacances, si tu es si fatigué! Va sur les îles! À toute!… Biip, biip, biip…» La voix avait raccroché de l’autre coté.
«Va sur les îles… Va sur les îles… Va sur les îles…», grommelait la voix, comme un écho dans les oreilles de Bill.
– Quoi, lui aussi?! C’est un complot!!! cria Bill, et sa propre voix ricochait d’un mur à l’autre.
Bill se rassit sur son divan, devant le vase des fleurs fanées et essaya de se concentrer à nouveau sur sa conversation intérieure, mais la voix ne revenait plus. Il attendait, attendait, il regardait les fleurs, les rayons sur les pétales tombés, mais la communication était interrompue. Bill ne s’étonnait plus de rien! Il était tellement heureux! Il avait retrouvé une âme-sœur, si gentille, si confiante, mais où?! À l’intérieur de lui-même!
«Qu’il essaye de le dire à quelqu’un! Drôle de risée qu’il risque de provoquer! Non, il ne le dira à personne, il le gardera comme son plus grand secret! Ses mystères, cachés sur les îles de Noureev… c’est si romantique…»
Christine était déçue d’avoir perdu brusquement ce dialogue à l’intérieur de sa tête. Elle voulait en savoir plus! Elle était tellement intriguée de cette subite confession d’un homme, dont elle savait déjà le nom: «Bill! C’est drôle! Comme une cloche! Bill! Bill! Bill!», son nom retentissait dans sa tête.
«Biiiil! elle l’appelait désespérément. Biiiil!!!»
Mais il ne répondait plus. Elle ressentit d’agréables frissons dans tout son corps, comme si un homme bien aimé la caressait tendrement. Encore et encore… Elle resta immobile quelque temps, en s’adonnant à ses sensations, enveloppée tout entière dans les rayons du soleil couchant derrière les arbres. Les aromates des fleurs se répandaient sur toute la rue, quelques gros nuages traversaient le ciel avec vitesse, laissant tomber les gouttes très fines et transparentes, dans lesquelles les rayons du soleil se répartissaient en mille petits traits scintillants. Christine était heureuse.
Paul se retrouva devant la porte du directeur. Il ne voulait pas aller là-bas, de l’autre coté de cette porte! Il était prêt à tout pour essayer d’échapper à ce stupide, de son point de vue, échange d’opinions. De toute façon, rien ne l’obligerait à aimer et respecter cette horrible prof, rien ne l’obligerait à aimer les maths non plus. Décidément, tout cela était complètement inutile!
Et le pauvre directeur, rien que d’y penser, il lui faisait de la peine! Le directeur était un homme paisible, un peu dodu, avec une légère calvitie de la cinquantaine. Il portait des vêtements estivaux, déjà dès le début du printemps, et il semblait qu’il suffisait de lui rajouter un chapeau en paille pour qu’il devienne un berger parfait! Il détestait les conflits et grondait les enfants, seulement, quand il ne pouvait pas y échapper. Les profs connaissaient ses faiblesses, et, avec un goût sadique exemplaire, ils lui fournissaient les élèves «à éduquer». C’était leur petit jeu interne.
Paul n’aimait pas participer à cette «mise à mort» du pauvre directeur qui voulait cacher sa faiblesse devant les élèves. Puisque, quand il devait lever sa voix, il devenait tout rouge, tant d’efforts il employait pour cela, ses cheveux montaient, tous électrisés, son corps tremblait et, dans l’ensemble, il donnait une impression assez pitoyable.
Paul attendit assez longtemps avant de frapper. «Pitié, pitié, qu’il ne soit pas là!», balbutiait Paul devant la porte. Une dame de service, en robe à rayures roses, passait dans le couloir. Elle le regarda longuement. Paul se sentait obligé de frapper. Rien. Pas de réponse. Il réessaya. Rien à nouveau.
«Hum… intéressant… Il doit être sorti… je suis sauvé-é-é-é!», s’écria Paul dans sa tête. Derrière lui quelqu’un toussa. Paul se fana d’un coup, tout déçu. Il retourna la tête et vit devant lui son directeur… mais… il était tout transparent!
– Waouh!!! s’écria Paul à haute voix.
Et puis il ne savait plus quoi dire… Il regardait «le directeur» et le directeur le regardait, lui! Le temps de silence durait assez longtemps. Paul voyait un certain étonnement dans le regard du directeur, ses yeux derrière les grosses lunettes étaient presque pleins de larmes. Paul ne comprenait plus rien! «Il est devenu un fantôme? Alors, où est-il passé le vrai directeur?»
Paul laissa tomber une logique normale, parce qu’elle ne servait à rien dans ce genre de situation. Il tenta de réfléchir selon les films de science-fiction qu’il regardait souvent: «Ce sont les petits bonshommes verts qui se sont approprié l’apparence du directeur, et ils l’ont emmenée dans leur vaisseau pour les expériences…», cette version lui semblait la plus logique dans ces circonstances. Mais tout de même il n’osait pas la prononcer à voix haute.
Au fond du couloir réapparut la dame aux rayures roses, et pendant que le regard de Paul glissait sur la dame et ses formes généreuses, l’image du directeur s’était dissipée dans les airs. Paul était légèrement déçu d’être si lâche et de ne pas lui avoir demandé d’où il venait. Mais c’était trop tard. «Je me préparerai pour la prochaine fois, pour ne pas être si dupe! Quel idiot je suis! Avoir devant soi un extraterrestre et ne pas lui parler! Impardonnable, du point de vue des relations diplomatiques intergalactiques!»
Le collège de Paul était un des meilleurs de la ville. Paul était fier d’en faire partie, mais ses notes n’étaient pas si fières de lui. Il était l’avant-dernier de la classe. Et, pourtant, il essayait de faire des efforts. Il essayait d’écouter même les profs les plus dégoûtants, mais chaque fois quelque chose lui détournait son intention. Son meilleur pote, Thomas, le faisait éclater de rire à chaque fois quand la prof expliquait quelque chose d’extrêmement important. Comme par hasard, son stylo éclatait pendant la dictée et les papiers avec les récits à apprendre se volatilisaient par eux-mêmes.
Paul se moquait pas mal des études et se réjouissait du fait d’avoir plein d’amis, de se balader avec eux dans les grands couloirs de ce vieux bâtiment, de regarder fleurir les arbres et de vivre pleinement sa vie de garçon de douze ans. L’avenir ne lui pesait pas, et, justement, ce fait faisait de lui un très bon observateur. Il remarquait tout ce qui se passait dans son collège, il comprenait tous les rapports de force entre les enseignants et les élèves, ce qui le rendait dangereux aux yeux de ses profs. Et ils le laissaient vivre, en ne le grondant que de temps en temps.
Les enfants sentaient, eux aussi, son privilège et le respectaient encore plus. Paul n’était pas du tout un garçon à part. Bien au contraire, il était le cœur et l’âme de tous ses copains, il les aimait et ils lui répondaient avec les mêmes sentiments.
Au moment où Paul se libéra de sa vision, la sonnette du collège retentit. Son bruit très fort le ramena à la réalité, à ses devoirs, à ses copains et il se précipita à rejoindre sa classe:
– Salut, les potes! Je m’en suis bien sorti cette fois-ci! Notre directeur s’est dématérialisé devant mes yeux! Si vous aviez vu tout ça! À mourir de rire!
– Oui, oui, c’est ça! Raconte des babars! Il a tellement crié qu’il a fini par exploser! Ha ha ha!!!!
– Bon, laissez tomber! Paul ne voyait pas, par quels arguments il pourrait prouver la vérité de ses mots, et, connaissant bien ses copains, il ne voulait pas non plus passer pour un visionnaire. Tout le monde dans sa classe jouait aux jeux vidéo, tout le monde avait de temps en temps des visions et des cauchemars provoqués par ces jeux. Il décida de changer la conversation, avant qu’elle ne déraille.
La journée était incroyablement ensoleillée ce jour-là. Paul avait décidé de marcher jusqu’à la maison. Traînant derrière lui son sac, plein de livres d’école, il regardait comment les habitants de la ville se préparaient au printemps. Certains peignaient leurs façades, d’autres lavaient leurs voitures, ou encore se promenaient, se fringuant avec les tout nouveaux articles des boutiques, d’autres se délectaient en terrasses autour de leur bière, cachés derrière des grosses lunettes de soleil.
Paul aimait observer les gens, il inventait leur vie, leur profession, leurs amis, parfois se construisant une longue histoire avec beaucoup de personnages. Comme sa mère était toujours absente, il se nourrissait de la vie autour de lui, et en cela il réussissait mieux que tous les garçons de son âge. Mais il n’était pas pour autant un garçon de la rue. Il ne traînait jamais avec les garçons de son immeuble, jouant toutes les soirées au foot devant les fenêtres. Dès qu’il débarquait à la maison, il s’installait devant son unique jouet adorable, son ordinateur, et commençait ses vagabondages dans les espaces de jeux.
Cet espace virtuel englobait sa vie domestique. Il ne voyait plus les quatre murs de sa chambre, mais des immenses espaces où il pouvait explorer à l’infini. Son amusement principal était de chercher les trésors sur les îles des Pirates.
Un jour, l’un de ses cojoueurs lui avait parlé d’une île dans la mer Méditerranée, entre l’Italie et la Tunisie, où, paraît-il, étaient cachés des trésors des tsars russes. Cette île avait appartenu longtemps à des danseurs russes, chargés de protéger ces trésors, confiés par le grand tsar Dimitri. Mais depuis la mort du dernier des danseurs, cette île n’appartenait plus à la grande dynastie des Russes, et le destin de ce trésor demeura inconnu à ce jour…
Paul, toujours curieux de tout, avait fait sa propre recherche sur internet et avait vite découvert les noms de tous les danseurs possédant les îles de Galli en face de la côte Amalfitaine. Il avait été étonné de la précision que lui avait donnée ce joueur inconnu.
Paul se rendit à nouveau dans le jeu et attendit toute la soirée le joueur mystérieux. Quand il apparut, Paul, courant auprès de lui sur un pré virtuel, lui raconta les résultats de ses recherches.
Soudain, un autre joueur s’arrêta devant eux, écoutant attentivement leur conversation, et dit: «Je cherche depuis longtemps un certain Paul, expliqua le deuxième joueur, il est le seul héritier de ces Mystères des îles de Noureev. C’est une vieille légende. Je ne sais pas pourquoi, mais j’y crois. Ce ne sont pas des trésors, mais ce sont les Mystères, bien plus grands que les simples trésors, ils ouvrent des grandes Connaissances. Mais je n’en sais pas plus. J’avais fait de longues recherches et, en arrivant à un bon point, j’ai trouvé un manuscrit qui m’a dit que je ne pouvais pas aller plus loin. Ce chemin est réservé à un nombre très strict de gens sur la Terre. Parmi ces noms il y avait celui de Paul qui devrait trouver un certain Bill, et ensemble, ils pourront ouvrir ce mystère à l’Humanité…»
Le premier joueur répliqua: «Mais il y a des milliers de Paul et de Bill sur la planète! Ils sont tous les heureux possesseurs des Pouvoirs Suprêmes?»
«Non, ils ne sont que deux, mais on ne sait pas lesquels. Voilà, le plus grand problème!», répondit le deuxième.
«Et comment pensez-vous vous apprêter à ces recherches?», s’intrigua le premier joueur, pendant que Paul écoutait silencieusement cette savante conversation sur le terrain du jeu d’internet.
«Je ne sais pas, je suis coincée…»
«Vous êtes une femme?!», s’écria le premier joueur, car devant Paul, sur l’écran, se trouvait un grand Trolle barbu.
«Oui, je suis une femme, et ces recherches m’ont poussée à aller dans les espaces virtuels, j’espérais y trouver ma réponse… Et pour mon apparence de Trolle… rien de très compliqué, j’avais moins de chances de me faire défoncer par mes adversaires… Et c’est plus drôle comme ça, déguisée!»
«Comment tu t’appelles alors?», demanda le premier joueur.
«Caroline!»
«C’est ton vrai nom, ou un nom de ton Trolle?», insista le premier joueur.
«Oui, oui, vrai, j’ai rien à cacher, et toi, tant que tu y es?»
«Moi, c’est Kim! Et notre ami, tu es encore là? On ne t’entend pas du tout… Ah hou!»
«Je suis là! Paul… mon vrai nom est Paul…» Une petite note de silence instantané s’était installée sur le jeu. L’écran de l’ordinateur réfléchissait…
«Mmm…», commença Caroline en rompant le silence, on sentait qu’elle réfléchissait fortement.
Le premier, Kim, reprit son souffle virtuel:
«Écoute! Et si tu as une chance sur cent mille et que tu es le vrai Paul, à ta place je l’aurais tenté… Même si tu te plantes, quelle aventure! Au moins, tu as visité les îles de Noureev! Vas-y! Je parie sur toi!»
Paul l’écoutait en réfléchissant à comment il pourrait s’y prendre pour une telle aventure, et qu’est-ce qu’il aurait expliqué à sa mère…
«Attendez, les garçons! Si j’ai bien compris, l’un d’entre nous est Paul! Moi, je ne suis pas Bill, mais j’en connais un… et si on tentait l’impossible! Mon boss s’appelle Bill, il est très caractériel et imprévisible, mais il pourrait peut-être s’accrocher à l’idée… bon, s’il n’est pas le vrai Bill, et, toi, tu n’es pas le vrai Paul, ou l’un de vous deux ne l’est pas… en tout cas, il est celui qui pourra organiser notre voyage, c’est un mec qui sait tout faire!»
«… Bon, intervint Kim, les chances sont tellement infimes mais, de toute façon, même si on se plante, on aura fait le plus beau voyage de notre vie, on s’amusera et peut-être, qui sait, on découvrira tout de même ses mystères… Moi, je suis partant! Et, toi, Paul, qu’est-ce que tu en penses?»
«Reste à convaincre votre Bill, moi, je marche!», souffla Paul.
«Moi, je m’engage de convaincre mon boss… Tiens, Paul, tu vas lui écrire une petite lettre dans laquelle tu lui révèles ton plus grand secret, et moi, je vais la lui transmettre… Et, pour qu’il y croie davantage, on lui dira qu’il est le descendant des tsars russes, il est tellement vaniteux, que cela devrait marcher! Hein? On le fait?»
«Pour le tsar je ne sais pas, fais comme tu le sens, tu le connais mieux que moi, ton boss… Écris-lui de ma part, d’accord! Déjà, c’est une sacrée aventure! Salut! À plus!» Paul coupa l’ordinateur.
Bill sortit de sa maison et, au lieu de se diriger vers ses Studios, il prit la direction du quartier commercial et s’arrêta devant un magasin de fleurs. «Puisque je ne peux pas t’envoyer des fleurs, ma chère nouvelle amie, je les poserai là, où je peux converser avec toi, où je me sens le plus proche de toi!» Il rentra dans le magasin, plein d’arômes de toutes sortes: les parfums sucrés des roses, les parfums aigres-doux des plantes tropicales, l’odeur de la terre dans les pots et une fine senteur des herbes de la campagne l’ont frappé dans le visage.
– Des tulipes, des roses, des magnolias, des lys et quelques feuilles de bambou! télégraphia Bill à la vendeuse.
– C’est pour la maison ou pour offrir? demanda-t-elle d’une voix indifférente.
– Pour la maison, non… pour offrir… enfin, non, pour offrir à la maison!
– Il faut que vous vous décidiez enfin! Elle ne comprenait pas et elle ne pouvait pas comprendre que Bill ne le savait pas lui-même! Mais il voulait faire ce geste, à qui? Il ne le savait pas…
Quand il sortit du magasin, il se sentit à nouveau léger, sans devoir se justifier à personne, il était à nouveau heureux dans ses sensations d’aventure débutante. Avec qui? Il s’en moquait complètement! Il portait les fleurs à celle qui comprenait son âme et cela était suffisant pour l’instant!
À la maison, Bill posa soigneusement toutes les affaires. Il passa du temps à laver le vase, à couper passionnément les bouts des tiges, et puis il les plaça dans un grand bouquet décoratif comme un bon spécialiste japonais. Il était rentré dans un tel état de méditation, qu’il n’entendait plus les appels incessants de ses collègues du travail. Il était bien ailleurs.
«Pourvu que ça marche cette fois-ci! Je voudrais continuer à parler avec elle!», pensait-il en fixant les fleurs. Il était onze heures du matin, les Studios se déchaînaient derrière l’appareil téléphonique. Il ne les entendait pas.
«Christine, réponds! S’il te plaît! Je suis prêt à t’entendre! Je t’en prie!»
«Je suis là… j’ai eu le temps de rentrer chez moi, tu étais où?» Il entendait de la joie, mal cachée, dans la voix de Christine.
«Oh! Tu es là! Je suis allé te chercher des fleurs, beaucoup de fleurs, tu aimes les fleurs?»
«Je les adore!»
«Tu m’as manqué, j’avais peur de ne plus te retrouver en revenant… Mais dis-moi, pourquoi, quand je te demande de me parler de toi, tu disparais?»
«Mais c’est toi qui as disparu brusquement, j’allais te raconter mes voyages sur les îles…»
«Oui, oui, on en était là! Je t’écoute!»
«Ma mère avait à l’époque un ami italien, il travaillait avec Noureev pour ses spectacles grandioses, et elle m’emmenait partout où elle allait. Un été on est passé sur les îles. Elles ne sont pas très grandes, ces îles, d’une matière rocheuse, probablement d’origine volcanique. Elles sont trois: une grande, deux kilomètres de longueur, et deux, toutes petites, comme des satellites. Des pièces du décor dans la surface de la mer. Ces îles, je me souviens bien, elles étaient remplies de mystères. Noureev ne voulait pas en parler en ma présence, et ma mère m’expliquait que j’étais encore petite pour tout savoir. Apparemment, elle savait beaucoup de choses, mais je ne lui ai jamais demandé de me raconter plus… il faut que je lui pose quelques questions, si cela vous intéresse tellement! Voulez-vous?»
«Oui, oui et comment! Mais où habite maintenant votre mère?»
«Elle habite dans le sud-ouest de la France. Je pourrais aller la voir!»
«Puis-je vous accompagner?»
«Mais vous m’accompagnez déjà partout, où que je sois! Vous n’avez pas besoin de me demander, vous êtes le bienvenu!» Christine se mit à rire.
«Oui, je n’ai pas osé de…»
«De quoi…»
«De vous demander plus…, j’ai tellement peur de vous perdre! Non, laissons pour l’instant tout à sa place! Allez voir votre mère, je vous suivrai…»
«Mais quoi, au juste, avez-vous voulu me demander tout à l’heure? Pas tout de même…»
«Non, bien plus que ça! Mais j’ai peur que nous ne soyons pas encore prêts…»
«Je vous écoute…»
«Je veux vous accompagner, mais… là-bas, en vrai… en moi, en personne, en tant qu’homme réel… en chair et en os… je suis pas mal! D’après ce qu’on dit…», il rit légèrement.
«Je n’ai pas pensé à cela… je dois réfléchir encore… laissez-moi un peu plus du temps… je vous embrasse, à bientôt! Venez me voir quand vous voulez…» et elle disparut. Il ne l’entendait plus… plus rien…
Bill se releva de son divan en furie, en criant seul dans son salon:
– Elle m’embrasse! Je vais l’accompagner! Mais qu’est-ce que je dis! Elle n’est pas réelle! C’est mon imagination qui parle! Comment je peux m’accompagner moi-même, mon imaginaire, qui est déjà en moi! Non! Non! Ce n’est pas possible!… Pourtant, elle me semblait si proche…
Il sortit en courant de son appartement et sauta dans sa voiture de sport. Une fois sur le free-way, il ne s’était pas rendu compte, que le tableau montrait déjà les deux cents… les deux cent vingt… deux cent vingt-cinq à l’heure… Juste que le volant tremblait dans ses mains et le vent hurlait derrière les vitres. Il ne voulait plus penser à rien, il ne voulait plus savoir si elle était réelle, ou bien non! Dans les deux cas, les deux possibilités l’effrayaient.
«Si elle n’était pas réelle, si elle n’était que le produit de son imagination, alors, il ne la verrait jamais! Mais son désir de la voir était si réel, si fort, si saisissable, qu’il ne pouvait plus imaginer un seul instant que ce serait impossible… Mais… si, par hasard… elle…» Il ne laissait pas rentrer cette idée dans son conscient… mais, de plus en plus, gardait la porte entrouverte…
«Si elle est réelle… cela veut dire qu’il communique avec un être humain à l’autre bout de la planète uniquement par la force de sa pensée!!! Cela dépassait complètement tout ce qu’il savait jusqu’à là! À un fort sentiment de bonheur, issu de cette belle présence dans sa vie, se rajoutait, alors, un sentiment nouveau, auquel, il ne savait pas, s’il devait être content ou non… Il brûlait d’impatience et de peur de découvrir «Qui elle est?! Où elle est? Pourrait-il la voir un jour?»
Toutes les préoccupations de travail étaient passées au deuxième plan, Bill était obsédé par le désir de savoir. Dans ce désir il y avait tout: une forte envie de se retrouver enfin en harmonie avec quelqu’un qu’il pouvait déjà appeler «l’âme-sœur», l’envie brûlante de partir en voyage à la découverte de l’inconnu, de découvrir en lui-même des pouvoirs extraordinaires, qui lui donnaient le vertige! Tout cela ensemble!!!
«Mais elle n’a pas dit „non”… songea-t-il. Elle aurait pu tout de suite me dire d’arrêter de penser à l’impossible… Elle ne l’a pas fait… Donc, elle pense que c’est possible… alors elle est consciente de ses pouvoirs… ou c’est moi qui me réponds moi-même…»
De toutes ses pensées incompréhensibles, il avait commencé à avoir un horrible mal de tête. La voiture, semblait-il, roulait par elle-même et, heureusement, il était seul sur ce bout d’autoroute.
Peu à peu Bill revint à lui, le mal de tête s’estompait et laissait la place à une appréciation de la situation. Il s’était rendu compte qu’il roulait à deux cent vingt-cinq à l’heure, et, grâce à Dieu, il n’y avait pas beaucoup de virages, et, s’il ne ralentissait pas, ce serait son dernier voyage…
Il commença à appuyer sur la pédale du frein, le bruit diminuait derrière les vitres, le volant tremblait de moins en moins, et les images commençaient à apparaître à gauche et à droite de la voiture. La voiture ralentissait jusqu’à quatre-vingts à l’heure. «Une Force me protège!», se dit-il en arrivant aux portes des Studios.
Le calme qui régnait dans les environs des Studios le surprit. Il se demanda: «Qu’est-ce qu’il se passe?» Normalement à son arrivée des dizaines de gens lui sautaient dessus, l’arrachaient de la voiture et lui exigeaient des réponses immédiates à des milliers des questions. Personne.
Comme si l’Univers avait entendu sa demande, et le monde entier le laissait en paix. Tout de même, il voulait savoir à quoi était dû ce changement, car il ne croyait pas du tout au fait que l’Univers puisse avoir des oreilles pour l’entendre, et, d’autant plus, réagir en si brefs délais.
Bill rentra dans le bâtiment: sa secrétaire était en place, comme toujours. Lui jetant un rapide «bonjour», Bill passa dans son bureau. Sur sa table, comme d’habitude, régnait un grand désordre, car Bill empêchait tout le monde de s’approcher de ses papiers et les ranger, et comme il n’avait pas non plus le temps pour s’en prendre à cette montagne, elle ne cessait de croître. Tout était comme toujours, sauf que le téléphone ne sonnait plus comme un fou, et la secrétaire ne rentrait pas toutes les deux secondes pour lui introduire des clients indésirables.
Bill décida d’attendre et de voir ce qui allait se passer. Il ne se passait rien. Ce qu’il trouvait agréable au départ, commençait à l’ennuyer légèrement: «Personne n’a plus besoin de lui?» Il ne pouvait pas être viré, car les Studios étaient les siens. Ils ne pouvaient pas être fermés, car c’était un jour de travail, et personne ne pouvait donner l’ordre à sa place. Quoi donc? Une révolte? Un mini-coup d’État? Cela devenait très curieux. Il sortit dans le couloir. Personne. Il rentra dans le bureau de la secrétaire. Elle, semblait-il, ne le voyait plus.
– Bonjour, commença Bill, hésitant.
– On s’est déjà salué, Bill! Vous ne vous en rappelez pas? Son ton très calme et quotidien lui paressait bizarre.
– Il s’est passé quelque chose?
– Ici? Non, tout va bien, l’équipe est partie pour les repérages, Bill.
La lourdeur tomba de ses épaules: «Apparemment, tout va bien!», mais quelque chose dans l’air continuait d’être, quand même, très étrange.
– Vous allez bien? Il ne savait pas par quoi commencer.
– Oui, je vous en prie.
– Mais de quel diable vous me répondez de cette façon! commença à s’énerver Bill. Dites-moi enfin, qu’est-ce qu’il se passe?!!! Il tournait autour d’elle comme un vautour.
La secrétaire avait l’air impassible et répondait très calmement:
– On a décidé de vous offrir des vacances, Bill. On s’est réuni et on a décidé de continuer le film sans vous, car votre état de santé nous inquiète beaucoup. Donc vous devez vous reposer. Voilà, les billets pour Paris, Séoul et l’Italie, dans un premier temps, après, si vous décidiez de changer votre itinéraire, vous pouvez le faire à tout moment, je suis là pour assurer le succès de l’opération… pardon, de votre voyage! Bonne route, Bill! Vos hôtels sont tous réservés, vous trouverez tout dans ce dossier, vous n’avez qu’à faire vos bagages! Et bon retour, Bill!
Elle lui tendit le paquet avec les réservations et les cartes bancaires et, comme avant, avec un grand calme, elle se remit à regarder l’écran de son ordinateur.
– Au revoir, répondit Bill, quittant le bureau de sa secrétaire dans un total abasourdissement.
Un moment il voulut revenir, crier, s’imposer, s’indigner de cette décision collective derrière son dos, mais un léger ruisseau de plaisir apparut dans son ventre. Il revenait encore et encore et devint enfin bien fort et saisissable. Bill était prêt à sauter de joie: «Il était libre! Libre comme il ne l’avait jamais été auparavant! Jamais! Comme si, l’Univers, comme un immense génie, avait comblé son plus grand rêve, lui donnant la liberté au moment où il la souhaitait plus que tout au monde!
Sortant de son bureau, Bill prit sur la table et jeta dans sa poche le bout de papier avec l’e-mail imprimé, et se dirigea vers sa voiture. La journée était belle, calme, ensoleillée, comme presque tous les jours dans cette région, rien ne lui promettait de grands événements. Mais le petit ruisseau dans son ventre lui rappelait que quelque chose s’était passé quand même entre-temps. Pour l’instant il ne voulait plus y penser. Ce ruisseau lui était suffisant pour sentir un léger sentiment se répandre dans son corps.
Revenant à la maison, Bill décida, quand même, de regarder l’heure du départ: «C’était pour ce soir!» Tous les ponts à la désertion étaient coupés, maintenant ou jamais. «Mais comment elle avait deviné le trajet de mes destinations?», se demanda-t-il, jetant les chemises en soie dans la valise.
«Et pourquoi Séoul? On n’a jamais parlé de Séoul? Paris non plus? Oui, les sites touristiques de l’Europe et de l’Asie… l’Italie aussi… bon, c’est peut-être une simple coïncidence. Je commence à perdre les pédales en voyant des signes partout! Il faut partir au plus vite, avant que quelque chose ne me retienne ici!» Il jeta son dernier regard sur les fleurs, les prit dans la main, et sortit dehors sans la moindre hésitation.
Christine roulait dans le TGV en direction du Sud-Ouest. La question que lui avait posée Bill, la tourmentait: «Elle savait déjà qu’elle le verrait bientôt et qu’il l’emmènerait sur les îles de Noureev, mais elle ne savait pas quand et comment ils se rencontreraient.»
«Mais on aurait pu prendre le rendez-vous hier! Il me le demandait…» Cette idée de passer au réel lui faisait légèrement peur, mais juste un peu, Christine ne doutait plus de l’existence de Bill.
Mais elle ne savait rien sur Bill, ni qui est-il, ni où habite-t-il, ni quelle langue parle-t-il! Elle ne savait rien! Et ce «rien» retardait sa décision sur le rendez-vous. «Ce n’est pas pour demain, se disait-elle, et c’est déjà bien! J’ai encore un peu de temps devant moi. Et il faut que je demande pas mal de choses à ma mère, sur tout ce que m’a demandé Bill. Mais comment je raconterai à ma mère, qui est Bill, et comment il m’a raconté tout ça?! Oh, encore une énigme…», réfléchissait Christine en regardant les paysages filants.
«C’est si agréable de parler avec lui, de l’entendre, de sentir sa constante présence, mais comprendre tout ça, c’est un véritable casse-tête! Pour ma mère il faut que j’invente une explication un petit peu plus crédible… Sinon, elle va s’inquiéter pour rien. Ce n’est pas de sa faute si elle est née avant que toutes ces méthodes commencent à apparaître, et que je fais partie des gens qui comprennent déjà un petit bout. D’accord, je suis encore très loin de la vraie compréhension… rien que le fait que j’hésite avec Bill… mais si j’avais réussi à me débarrasser de cette fatigante hésitation, et si je commençais à voir les choses avec les yeux d’un enfant qui accepte tout, même l’incompréhensible et l’inimaginable? Les enfants ont plus de chance que nous dans tous ces apprentissages! Ils ont moins de blocages dès le départ.» Elle regardait les champs de blé à travers la fenêtre du train.
«Oui, il faut que j’arrête de me poser ces questions, que j’accepte Bill comme une donnée, une réalité. Et comment il viendra dans ma vie, cela n’a plus aucune importance. Laissons l’Univers agir pour nous! Et que la Force nous guide!» Elle s’approchait de la gare de sa destination.
Les fortes senteurs du Sud l’avaient frappée au nez, dès que Christine avait quitté le train. Sa mère l’attendait sur les quais.
– Maman, j’ai passé un voyage fantastique! Le train a été si rapide que je n’ai même pas remarqué le temps passé!
– Quelle exaltation pour un simple trajet, ma fille!
Christine comprit qu’il fallait cacher légèrement ses sentiments envers Bill, sinon sa mère aurait commencé à lui poser des questions, pour lesquelles elle n’avait aucune réponse: «Combien il gagne, a-t-il des enfants, a-t-il un métier stable?»
Toutes ces questions n’avaient aucun sens pour l’instant. «Pour l’instant…», se répétait-elle.
– Maman, je suis si contente qu’on soit à nouveau ensemble! Je suis tellement fatiguée de la ville. La vie dans la campagne est si agréable!
– Oui, on se sent plus près du sens de la vie, lui répliqua sa mère, et ses paroles retentissaient avec force dans la tête de Christine: «Oui, on se sent plus près… On se sent plus près!»
Bill s’approchait de l’aéroport de Paris. L’hôtesse de l’air annonçait l’atterrissage avec une voix très douce, leur demandant avec un léger accent français «d’attacher leurs ceintures».
D’un coup, il se demanda: «Mais quelle langue parle Christine?» Avant, cette question ne lui était pas passée par la tête, il la comprenait, c’est tout… Encore un doute se glissait dans sa conscience. Il commençait à se rebeller contre sa conscience, si rigide et si contestatrice!
«Pourquoi sa conscience ne le laissait pas en paix avec lui-même à vivre cette expérience extraordinaire? Pourquoi elle ne se tait pas et ne lui laisse pas la possibilité de découvrir tout, pas à pas, quel que soit le résultat? Pourquoi elle veut être si pressée à connaître la fin de l’histoire qui n’a même pas encore commencé! Fiche-moi la paix!!!», cria-t-il dans sa tête, en s’adressant à sa conscience.
De l’extérieur, il avait l’air tellement agité que l’hôtesse de l’air lui a demandé s’il ne voulait pas boire quelque chose?
– Oui, oui, du whisky, un double! Il essayait de prendre l’accent français.
L’hôtesse de l’air lui fit un grand sourire:
– Vous avez un rendez-vous par internet?
– Oui, en quelque sorte, a-t-il dit avec effort.
– On voit beaucoup de gens s’agiter comme ça, comme vous, ici, dans les airs; après ils reviennent, très souvent, beaucoup plus raisonnables. Mais il ne faut pas désespérer, peut-être, vous êtes unique dans l’Univers? Et vous aurez votre chance!
– Peut-être… lui répondit Bill, souriant.
– Vous ressemblez beaucoup à un acteur américain… que j’aime beaucoup…
– Non, non, souvent on me prend pour lui! se précipita à répondre Bill. On m’a même demandé si je ne voulais pas être son sosie! Mais non, désolé… c’est pas lui…
– Dommage, sinon, je vous aurais demandé un autographe! Pour ma fille, bien sûr!
«Heureusement, on va atterrir», a pensé Bill. Il n’avait guère envie de donner des autographes à tout le salon de l’avion.
Dans son hôtel, où les fenêtres donnaient sur le grand jardin des Tuileries, Bill avait remarqué un petit mot qui l’attendait sur la table. Dans une enveloppe en papier spécial, sans le timbre de la poste, il se reposait sur la surface vernie. «Encore des lettres des fans! Non, je la lirai plus tard!», se dit Bill en se dirigeant vers le grand canapé au fond du salon de sa suite.
Sur la petite table basse il y avait un grand vase avec le magnifique bouquet de roses, offert, probablement, par la direction de l’hôtel car ils devaient être fiers de recevoir une telle vedette dans leurs murs. Le numéro de sa suite était impeccable: des tableaux de Renoir dans des cadres dorés, de magnifiques services de porcelaine fine dans les vitrines, des divans, des tapisseries des Gobelins, des tapis persans couvrant le parquet… tout correspondait parfaitement à son goût californien!
Bill a sorti de son sac de voyage le bouquet de ses fleurs, à peine vivantes, puis il a enlevé les roses de leur vase et a mis ses fleurs à la place. C’était l’heure du crépuscule, le soleil tombait vers l’horizon, et les rayons bas se glissaient juste sur la table avec son bouquet dessus. Il a regardé sa montre, elle montrait dix heures du matin.
«Mais, oui! J’avais oublié de changer l’heure, il est temps de la conversation… Où est-elle? Elle sera si contente de savoir que je suis arrivé!» Il devenait très impatient à l’idée de la voir, peut-être, déjà ce soir! Le sang pulsait dans ses trempes, la tension montait, il n’arrivait pas à se calmer.
Bill buvait de plus en plus de whisky, en regardant le soleil se coucher, et il pensait que: «Peut-être, ce n’était qu’une hallucination de la fatigue, due à son travail, et qu’il faudra qu’il se repose avant de devenir complètement fou…» Doucement il s’endormit après la longue nuit passée dans un avion, comme il était, sur le canapé, devant ses fleurs d’Amérique…
Christine était contente que sa mère se montrât discrète, sans la tourmenter avec des questions sur sa vie privée. Christine n’aimait jamais ces questions, surtout de la part de sa mère, car elle n’avait pas grand-chose à lui répondre. Sa vie était un chaos continu de rencontres qui terminaient toujours mal.
Elle n’avait plus ni force, ni envie de rassurer sa mère, que cette fois-ci… ce sera le bon… Non, cette fois-ci, ce sera toujours la même chose. Pas de boulot intéressant, pas de mec intéressant, elle se considérait déjà, à ses 31 ans, une femme totalement ratée. Et elle ne pouvait pas, tout de même, raconter à sa mère, que son unique consolation était dans ses histoires imaginaires, qu’elle consommait, comme une vraie vie.
«Comment je vais attaquer la conversation sur les îles? Elle a peut-être déjà tout oublié…», pensa Christine.
– Maman! dit-elle à voix haute, viens ici, on va admirer le coucher du soleil, cette colline ouvre un paysage si magnifique! Maman… je ne sais pas comment t’expliquer, et ne me demande pas pour l’instant de te donner des explications… Mais quelqu’un m’a parlé des îles de Noureev… tu te souviens, on a été là-bas, quand j’étais petite?
– Des mystères des îles de Noureev… a repris sa mère avec une voix basse et mystérieuse, juste au moment où le soleil a touché la ligne de l’horizon. Qui est-ce qui t’a parlé de cela? Ah, tu ne veux pas que je te demande… d’accord. La mère se plongea dans des souvenirs profonds. C’est une vieille légende. Noureev nous l’a racontée:
Il y a très longtemps, les païens russes ont transmis au grand prince Vladimir des Connaissances. Sous quelle forme, personne ne le sait. Les grands princes les transmettaient d’une génération à l’autre, en les gardant dans un secret total. Personne, à part les familles royales, ne connaissait leur existence. Le grand tsar Dimitri, ayant peur des persécutions de la part de révolutionnaires, a confié ses Connaissances à un danseur du ballet russe, en l’aidant émigrer en Europe. Le grand tsar a financé lui-même son voyage et le reste de sa vie, ce danseur a vécu dans le luxe et la gaîté. Ne pouvant pas garder ces Connaissances dans la ville, ce danseur les a déplacées sur une île, complètement isolée dans la mer méditerranéenne, en face de la côte italienne. Mais ce n’est pas tout! Paraît-il, que le grand tsar avait encore un autre trésor de sa vie. C’était sa fille Alexandra, une jeune actrice, qu’il a cachée longtemps dans les provinces profondes de la Russie. Elle vivait loin de la cour, dans une petite ville de Sibérie. Elle était si belle et si talentueuse, que ses admirateurs, sans connaître sa haute provenance, lui faisaient des portraits, l’un desquels est resté intact dans les archives de son théâtre. Sur ce portrait, on voit bien une bague avec un grand rubis, que lui a offert son père. Quel est le destin de cette actrice de la province, on ne le sait pas précisément. Les années de communisme ont effacé toutes les traces. Mais, peut-être, maintenant, il sera possible de savoir ce qu’elle est devenue, la belle princesse Alexandra. Les yeux de la mère se couvrirent de larmes. Elle se releva et partit vers la maison.
– Mais comment tu sais tous ces détails, maman? s’écria Christine, dès que sa mère réapparut à la porte.
– Voilà, cette bague! Et elle tendit à Christine une belle bague ancienne, ornée d’or, avec un immense rubis rouge! Il était magnifique! Il changeait de couleur sur toutes ses facettes, tantôt il devenait noir profond comme la nuit, tantôt il s’éclatait d’un clin d’œil orange, vif comme le feu, tantôt il luisait de l’intérieur d’une profonde lumière rouge.
– D’où l’as-tu, maman?
– C’est le cadeau de ma grand-mère. Je ne savais rien sur la provenance de cette bague. Elle ne m’a rien dit. Quand j’étais chez Noureev, il a aperçu cette bague sur ma main et il m’a demandé de la lui montrer. Il était très ému en la regardant… Puis, il partit dans ses salons et revint avec un autre rubis, plus grand, orné de la même manière que la bague, mais en forme de médaillon: «Ce rubis m’a été confié par mon prédécesseur, il l’a reçu du grand tsar Dimitri, de ses propres mains. Il protège les Connaissances. Et l’autre rubis a été destiné à protéger sa fille bien aimée et ses descendants, qui font partie, eux aussi, des Connaissances.»
Christine a ressenti un fort frisson.
– On fait partie des Connaissances! Et tu ne m’as jamais rien dit! Maman!
– Je pensais que tu pouvais mal le prendre… ton père ne le savait pas non plus… En plus, Noureev m’a mis en garde de ne pas révéler les Mystères à tout le monde. Il a dit que le temps n’est pas encore venu. Il fallait attendre le signe suprême de deux prophètes…
– Mais tu aurais pu me prévenir, quand même!
– Prévenir de quoi, ma fille?
– De la venue du prophète, car l’un est déjà là!
– Où, là?
– Ici, sur cette Terre, et je lui ai parlé! Tu comprends maintenant, maman! Il m’a dit qu’il m’emmène sur les îles, les îles de Noureev, et que là-bas, il trouvera ce qu’il cherche toute sa vie! Tu comprends, Maman!!! Christine a éclaté en sanglots. Sa mère ne semblait pas du tout être étonnée:
– C’est moi qui l’ai prévenu de ces îles, c’est moi qui étais cette petite voix qui lui a parlé de ces îles, et après, quand tu es entrée en contact avec lui, je vous ai laissés tous les deux…
Christine regarda sa mère avec de grands yeux: «Jusqu’à là, tout pouvait encore aller, mais que sa mère lui parle de Bill et de ses conversations avec lui, ça, ce n’était pas du tout prévu!»
– Alors, toi aussi, tu as… des Connaissances…?
– Oui, moi aussi!
– Et tu ne m’as rien dit!
– Je ne voulais pas brusquer le cours normal des choses. Tout devait arriver en temps et en heure. Voilà, le moment est venu.
– C’est toi qui m’as mis en contact avec lui?
– Non, ne t’inquiète pas, tu l’as attiré pas toi-même! Je lui ai simplement rappelé sa haute prédestination.
– En quoi elle consiste?
– Je ne sais pas. Noureev m’a dit que quand je recevrai un signe suprême, je devrais trouver cet homme et lui donner la destination. Et à partir de là, il fera tout de lui-même. Lui aussi, il est un possesseur des Connaissances, bien plus grandes que nous, toi et moi. Nous sommes seulement des passeurs du Savoir, lui, il est le Maître. Mais ce n’est pas tout! Noureev m’a parlé d’un autre prophète, mais, lui, je ne l’ai pas encore trouvé. Seul, Bill ne pourra rien faire. Il a besoin d’un coéquipier. Et maintenant c’est ton rôle d’aider Bill à trouver son coéquipier. C’est pour cela qu’il vient te rencontrer en France. D’ailleurs, il est déjà en France! Et il t’appelle désespérément. Ne le fais pas souffrir davantage. Il a déjà un grand rôle à jouer pour l’Humanité. Mais, je ne sais pas laquelle. C’est à toi à le découvrir et à l’aider. Toute ta vie précédente tu as accumulé la Grande Force en toi, c’est pour ça que tous les gens autour de toi étaient passagers. Ce n’est que maintenant que vient ton heure de gloire, ma fille, ma bien adorée princesse. La toute petite arrière-arrière-arrière-petite-fille du Grand tsar Dimitri!
– Maman! Alors… Oh! Il faut que je m’habitue à cette idée… Et Bill, il est lui aussi le descendant du grand tsar? Dans la voix de Christine se sentait une légère déception.
– Non, a sourit sa mère, rien ne t’empêcherait de l’aimer et de l’épouser, si tu le souhaitais. Il n’est pas de famille royale. Il est de la famille des Grands Maîtres, ils étaient bien au-dessus des rois et des tsars. Les familles royales protégeaient les Connaissances, les Maîtres, ils les possédaient!
– Cela ressemble à un conte de fées! Une princesse, un super-héros, et ils doivent sauver le monde!
– Les Connaissances, plus exactement!
– Mais qu’est-ce que c’est ces Connaissances?
– Ce sont les Mystères de l’Inconscient!
– Où ils mènent?
– Vers une vie supérieure… Tu le sauras bientôt! Sois patiente! Rentrons! Il commence à faire frais… le soleil est couché déjà…
– Je voudrais parler à Bill, j’ai tant des choses à lui raconter!
– Laisse le dormir, il est très fatigué, lui aussi. Ce n’est pas simple d’apprendre que tu as une grande mission à accomplir. Il faut lui laisser un petit peu plus de temps. Bientôt il sera prêt, lui aussi, à te rencontrer et tout apprendre. D’ailleurs, il est un très bel homme! Tu as une chance immense!
– Tu sais qui est-il?
– Toi aussi, tu le sais, qui il est! Regarde dans ton agenda! Bonne nuit! Sa mère est partie en refermant derrière elle la porte de la maison.
Christine resta toute seule à admirer le ciel étoilé et essaya de comprendre tout ce qu’elle ignorait jusque-là. Tout se remettait en place, tout devenait compréhensible, et elle acceptait avec joie sa grande mission!
«Pauvre Bill, il est encore dans ses doutes, il ne sait pas encore vers où il va, il pense encore que je suis sa fantaisie, peut être…» Elle sourit: «Hmm, comment il prendra tout cela, quand il saura tout? Et qui le lui dira, moi? Quelle mission! Non, ce serait mieux si quelqu’un d’autre lui avait déjà expliqué une partie… Maman? Non, elle a déjà beaucoup fait! Qui alors? Y a-t-il des gens sur la Terre qui connaissent, eux aussi, les Mystères des îles? Il doit en avoir… ce serait bien de les connaître… Bill! Fais de bons rêves, on se verra bientôt! Je t’embrasse!» Christine ne voulait pas réveiller Bill et décida d’aller dormir, elle aussi.
Bill passait une nuit très agitée. Il dormait mal dans un lit étranger, dans une ville étrangère, dans un pays étranger. Il se disait: «Qu’il ne connaissait personne ici, dans cette ville, et, d’accord, c’est la grande capitale de la France que chacun rêve de visiter au moins une fois dans sa vie, mais il se sentait quand même un peu seul et abandonné…» Ce sentiment pouvait sembler faux car il lui suffisait de sortir dans la rue, tout le monde se précipiterait alors pour lui demander un autographe. Il était un des acteurs des plus aimés au monde, mais il se sentait seul… seul au monde… Au milieu de la nuit, il a entendu une voix qui lui a souhaité une bonne nuit et, réconforté, il s’est endormi d’un sommeil d’un néo-né.