Читать книгу Les Mystères de l’Inconscient, cachés sur l’île de Noureev - Marianna Lanskaya - Страница 5

Chapitre 3

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Bill se réveilla avec un léger mal de tête. Il regarda autour de lui, ne reconnaissant rien. «Où suis-je?», pensa-t-il. Il ne se souvenait absolument pas comment il s’était retrouvé dans cette chambre d’hôtel, dans quelle ville il était en ce moment et pourquoi sa montre affichait une heure du matin tandis que le soleil se levait déjà doucement, lui envoyant ses rayons directement dans les yeux. Il remonta légèrement sa tête en s’appuyant sur le coude et son regard tomba sur son reflet dans le miroir accroché de l’autre côté de la chambre. La vision était un peu cauchemardesque: le visage, couvert de plis, les cheveux en pétard, les yeux tout petits et les vêtements tout plissés. Cela fait très longtemps qu’il ne s’était pas vu dans un tel état.

«Je devrais faire attention avec le whisky…», se disait Bill. Sa tête continuait de tourner, et il se rejeta en arrière, sur le coussin. Le tournis était si fort qu’il avait l’impression de tomber dans un puits profond. C’était assez insupportable et il essaya de se lever du canapé. Bill comprit à ce moment qu’il s’était endormi devant son vase de fleurs, là où il était, habillé. Il n’était pas très tard d’ailleurs… Que lui était-il arrivé hier pour qu’il se retrouve dans cet état ce matin? Il s’était battu? Mais avec qui? Bill regarda par la fenêtre.

«Ce n’est pas un paysage californien… Oh! La tour Eiffel! Magnifique! Suis-je à Paris? Capitale de la France?» Sa conscience revenait doucement à sa place. Il commençait à se souvenir de son voyage en avion, des valises, de l’aéroport… Tout était comme dans un gros brouillard. Mais en ce qui concernait les raisons de son déplacement, même si on l’avait frappé, il n’en avait aucune idée. «C’était le tournage à Paris?»

«On a prévu des scènes de tournage à Paris? Mais on n’a même pas encore commencé le tournage… Les repérages? Mais quelles scènes se passent à Paris? On a changé des scènes sans lui?» Il ne comprenait absolument rien de tout ce qui lui arrivait.

Bill fit quelques pas vers le milieu du salon, trois pas à droite, trois pas à gauche, la mémoire ne lui revenait pas. Comme si on lui avait vidé la tête de tous les souvenirs de sa vie. «C’est comme ça que je vais pouvoir recommencer ma vie? En faisant table rase de tout ce que j’ai fait jusque-là? Pourquoi pas, en fin de compte… Je vais pouvoir devenir un autre, si je ne me souviens plus qui je suis et ce que je fais là. Cela peut être une solution. Voyons, voyons… Le plateau… c’est gentil de penser à moi!»

Sur la table se trouvait un plateau en argent, impeccablement astiqué, avec une cafetière en porcelaine fine, une sucrière, une jolie petite tasse rose… «Qui sait pourquoi elle est rose?», se demanda Bill. Une petite assiette avec des croissants, la marmelade, un verre avec du jus d’orange et un pot avec du lait. «Sympathique», pensa Bill et il se mit à s’occuper de sa santé, bien abîmée par sa vakhanalie de la veille au soir. Doucement, le bien-être lui revenait. Le café faisait son effet chimique et la mémoire se remettait en marche, bout par bout, comme des fragments du film.

Bill bougea légèrement son plateau et en bas, sur la table, apparut la lettre d’hier soir, qu’il n’avait pas voulu ouvrir. «Oh, superbe! Je pourrais en savoir quelque chose sur moi-même! Enfin l’Univers m’envoie un signe! «Envoie un signe? L’Univers m’envoie un signe?» Quelle phrase étrange pour moi! Avant je ne parlais jamais avec ses termes… Voyons la lettre! Elle doit en avoir une réponse!» Il ouvrit cette enveloppe qui n’était pas fermée, d’ailleurs. Il se mit à lire la lettre à haute voix, car il ne faisait plus tellement confiance à sa tête:

«Cher Bill! On sait que tu te trouves à ce moment précis à Paris, dans le salon de l’hôtel «Iris», en train de lire cette lettre, en se demandant qui tu es et pourquoi tu es là. On sait tout sur toi. Pas de peur, ni d’étonnement! Une chose qui te reste est de nous faire confiance. Nous sommes réunis pour accomplir une grande Mission à laquelle tu es convié, en tant que participant principal! Il s’agit de découvrir l’un des plus grands Mystères de notre planète où tu joueras le rôle clef. À l’issue de cette opération, tu deviendras un héros mondial, plus riche que jamais, plus puissant que jamais, en devenant le grand tsar de l’Univers! Car tu es l’héritier légitime du trône des Mystères. Mais tout cela ne te viendra pas par toi-même, il faudra aller le chercher, et il faut que tu te mettes en route pour trouver ces Mystères. Tu auras deux personnes pour t’aider. Ils s’appellent Paul et Kim. Tu les rencontreras à six heures de l’après-midi, sous la voûte ouest de la tour Eiffel. Tu dois venir seul. Tu les reconnaîtras car ils seront dans l’axe des rayons du soleil couchant, l’un sera tourné vers l’est, l’autre vers l’ouest. On ne peut pas te dire plus pour l’instant. Voilà une pilule qui te supprimera cet horrible mal de tête! À bientôt! Les héritiers.»

Bill trouva dans l’enveloppe une petite pilule rose et n’hésita pas à l’avaler tant sa tête le faisait souffrir. Subitement il ressentit un léger tournis qui disparut aussitôt que le mal de tête. Libéré de ses souffrances matinales, il put se rasseoir et commença à réfléchir à toutes ces nouvelles.

Il regarda le vase de fleurs complètement fanées, et un magnifique bouquet de roses, jeté à côté sur la table. «J’ai dû délirer hier soir, si j’ai fait une telle barbarie!» Bill prit les roses et les enfila dans le vase avec les fleurs fanées.

«Bon, si la seule chose que je comprends en ce moment est ce rendez-vous sous la tour Eiffel, je dois m’y rendre. Et là-bas, je déciderai ce que je ferai avec ces héritiers…» Un léger ruisseau apparut dans son ventre et disparut très vite. «Il y avait quelque chose de très important que je devais faire, mais quoi? Je ne m’en souviens pas… Il y avait quelque chose de bizarre dans le whisky d’hier, si ma mémoire s’est vidée de cette manière… Mais pour l’instant, de toute façon, je ne peux rien faire… Je n’ai qu’à attendre que ça passe… Ça passera un jour…» Bill se rejeta sur le canapé, épuisé par cette matinée, et se rendormit.


Christine prit sa mère dans ses bras.

– Maman, merci pour tout ce que tu m’as dit hier! Maintenant toute ma vie se recolle en un seul magnifique tableau. Je te suis si reconnaissante! Je vais à Paris chercher Bill!

– Tiens, la bague, elle t’appartient maintenant. Quand tu retrouveras le médaillon, tu les mettras sur toi tous les deux, ainsi tu seras protégée de tous les dangers. Et des dangers, tu en auras certainement. Je sens les Forces qui se mettent en place pour vous empêcher de vous réunir, mais toi, tu seras plus forte! Je veillerai sur ta protection, car tu es du côté des Forces de l’Univers.

– Qu’est-ce que je dois faire maintenant pour trouver Bill? Tu sais où il est en ce moment?

– Les Forces Polaires ont brouillé la communication. Je ne retrouve plus ses coordonnées, mais il doit être encore à Paris, je pense. Va vite à Paris, et, dès que la communication se rétablira, je t’enverrai là où il sera. Ne force pas les choses. Attends, mais sois prête à agir dès que tu sentiras la pulsion. Cette pulsion te servira de repère. Tu ne te tromperas pas.

– Tu m’as dit hier, avant d’aller te coucher, que je le connaissais déjà… Qui est Bill?

– Regarde dans ton agenda, je te l’ai déjà dit… Tu ne l’as pas fait? Au revoir, ma chère fille! Je te souhaite toute la chance que tu mérites! Bill est un homme extraordinaire, mais tu dois veiller sur sa protection: les familles royales veillent sur la protection des Connaissances, ne l’oublie pas!

– Au revoir, maman! Je me souviendrai de tout ce que tu m’as dit!

Christine monta dans le TGV en direction de Paris. La vitesse du train était très agréable, car elle la rapprochait de plus en plus de sa rencontre avec Bill! Elle se sentait si bien maintenant, après avoir parlé avec sa mère! Tout était clair désormais, tout était simple, elle était sereine. Elle sortit son agenda avec la photo de Bill Games sur la couverture et commença à tourner les pages… Rien ne lui faisait part de qui pourrait être Bill. «Oh, maman, je suis encore loin de tes Connaissances, je ne sais pas regarder entre les lignes…», se disait Christine. «Tu ne sais pas regarder tout court!», lui rétorqua la voix intérieure.

Elle ferma son agenda et posa un regard flou sur sa couverture: «J’aimerais bien regarder mon film préféré avec Bill Games. Ça fait un millième de fois que je le regarde, mais il me fait autant plaisir que la première fois! Quel acteur! Il est si magnifique… si je pouvais le rencontrer un jour… lui parler… mais où il est, lui, et où je suis, moi! Nos chemins ne risquent jamais de se croiser…» Elle suivait des yeux les collines boisées et les prés qui filaient devant les vitres de son train. Elle s’imaginait en Amérique, dans un festival de films, montant les marches sur un tapis rouge, dans une robe longue et scintillante, comme la peau d’un serpent, avec un grand décolleté sur le dos, tous les regards tournés vers elle, tellement elle était belle… Son acteur préféré se trouvait juste devant elle, lui faisant un grand sourire d’admiration…

«Ils sont jolis, mes rêves, mais revenons à la réalité!» Un éclair traversa son corps dès qu’elle pensa à sa nouvelle réalité! Tout se bouleversait dans sa tête! «Pourquoi je pense: où est-il et où suis-je! Tout est possible dans ma nouvelle réalité! Je suis dans un monde de grandes Possibilités, donc, si je veux, je rencontrerai Bill Games! Je ne sais pas, quand et comment, mais cela adviendra un jour, puisque je l’ai décidé maintenant! Je déclare mon Intention de rencontrer Bill Games! Bill Games… Bill Games… Tous les Américains portent le même prénom… Mais où est mon Bill à moi? Intéressant, à quoi il ressemble? Il dit qu’il est pas mal… Vaniteux!» Christine se mit à rire. Ses voisins tournèrent la tête vers elle. Elle scintillait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et ils lui répondirent avec un sourire.

«La journée commence bien! Si les gens me font de si grands sourires…» Un ruisseau de plaisir, dû au pressentiment de la grande aventure, avait envahi son corps. Le train s’approchait de Paris.


– Tu ne vas pas au collège aujourd’hui? La mère de Paul finissait en vitesse son café avec une tartine.

– Non, c’est férié, maman! Pas de collège!!!

– J’espère que tu ne vas pas passer toute la journée devant ton ordinateur? Appelle tes amis, allez au cinéma. Il est sorti le nouveau film avec Bill Games! J’ai envie de le voir, mais je n’ai jamais le temps de faire les choses que j’aime!

– Maman, je t’aime!

– Moi aussi, je t’aime, Paul!

– Mais tu ne viens jamais au cinéma avec moi!

– Si j’avais un peu de temps pour moi, je l’aurais fait avec un si grand plaisir!

– Maman, je te promets, que bientôt tu auras tout ce que tu souhaiteras!

– Comment tu le sais?

– Parce que je t’aime! C’est suffisant! Et comment cela adviendra, on verra.

– Pour l’instant il faut que j’aille travailler, pour qu’on puisse avoir le minimum essentiel… ne rêve pas trop, d’accord?

– Au revoir, maman!

– Passe une excellente journée, Paul!

Dès que la mère ferma la porte derrière elle, Paul se précipita devant l’ordinateur. Il était très impatient durant les quelques minutes d’attente pendant lesquelles toutes les fenêtres s’ouvraient. Ce temps-là lui paraissait éternel.

– Allez, allez, ouvre-toi! J’ai un message urgent à recevoir! Allez!

Les fenêtres s’ouvraient l’une après l’autre. Enfin, celle qu’il attendait! Paul se précipita sur le terrain de jeu où il avait rendez-vous avec ses coéquipiers. Il s’est rendu vite dans le village des Trolles, et y resta à attendre, sous l’Arbre des Souhaits. Personne ne venait, pourtant ils avaient rendez-vous à sept heures du matin.

La veille, Caroline les avait prévenus qu’elle avait réussi à convaincre Bill sans grandes difficultés et il était en train de voler vers Paris. Elle avait dit à Kim de prendre le premier vol Shanghai-Paris pour se retrouver presque en même temps avec Bill sur le territoire français. Elle avait réservé des chambres dans les hôtels voisins pour Bill et Kim et elle avait envoyé la lettre à la direction de l’hôtel avec les instructions concernant la venue de Bill. Ils devaient préparer la suite selon les goûts de Bill, et lui laisser sur la table la lettre avec le lieu du rendez-vous.

Paul attendait avec une impatience montante. Kim devait déjà avoir atterri depuis longtemps, mais Caroline ne voulait pas qu’ils se rencontrent avant, elle n’avait pas expliqué pourquoi. Paul n’insistait pas, car il ne savait pas encore quoi écrire à sa mère pour expliquer sa fugue. Il ne voulait surtout pas la blesser, ni l’inquiéter, et toute la nuit il inventait sa lettre. La dernière version n’était pas bien meilleure que la première, et il disait tout simplement «qu’il allait chercher l’endroit où l’on apprendra l’accomplissement de tous les rêves». Il n’a rien trouvé de mieux. «Maman, elle est intelligente, elle comprendra!», pensa Paul, fermant l’enveloppe avant de la mettre sur la table de la cuisine.

L’ordinateur a fait un bzzz! Paul se retrouva à la vitesse d’un éclair devant son écran. Caroline, plutôt un gros Trolle, était déjà là!

– Salut, Paul! Ça va, tu es prêt? Caroline était plus laconique que d’habitude. Paul voyait arriver Kim, ou plutôt un Elfe avec un chapeau ridicule.

– Super, on est tous là! Kim, comment tu as trouvé ton voyage?

– Tout s’est passé comme prévu, j’avais amené le whisky préféré de Bill, que tu m’as envoyé, et je lui ai laissé à la réception. Je pense qu’il a dû le recevoir déjà. Et la lettre aussi, et les roses, tout est complet!

– Bravo Kim!

Paul ne comprenait pas quel rapport avec Bill avaient les roses, le whisky et la lettre, et comment Kim, étant la veille à Shanghai, avait pu recevoir ce paquet de Caroline, qui se trouvait en ce moment à l’autre bout de la planète. Mais il avait décidé de ne s’émerveiller de rien et d’accomplir cette mission jusqu’au bout. Il avait une seule pensée dans sa tête: sortir sa maman chérie de ce cercle de vie misérable et aller au cinéma avec elle voir son film préféré avec Bill Games. Il faisait confiance à ses coéquipiers et était prêt à recevoir les ordres.

– Maintenant, chers amis, il faudrait que je vous donne le lieu de rendez-vous!

– Tu crois que nous saurons nous reconnaître? demanda Paul.

– Les apparences physiques n’ont aucune importance dans cette mission. C’est votre inconscient qui compte!

Paul n’avait rien compris de ce qu’est cet Inconscient. Il ne connaissait pas ces termes.

– Tu peux nous expliquer, qu’est-ce que c’est cet «Inconscient»? demanda Paul.

– Je n’ai pas trop de temps maintenant, mais c’est ton essence intérieure, si tu veux.

Paul comprit encore moins et décida de cesser de poser des questions idiotes pour ne pas décevoir ses coéquipiers.

– Votre rendez-vous sera à six heures de l’après-midi sous la voûte ouest de la tour Eiffel, Kim va se mettre face à l’est et Paul face à l’ouest, tournant le dos à Kim. Ainsi Bill vous reconnaîtra, aucune autre explication ne lui est fournie, donc, soyez précis.

– Mais comment on se reconnaîtra, moi et Kim, insista Paul.

– Dans cette position! C’est évident, n’est-ce pas?

– Oui, oui, ne t’inquiète pas, on se retrouvera, hein, Paul! Pas d’inquiétude devant une telle aventure!

– Ok! J’y serai!

– Maintenant, la chose suivante. Vous devez expliquer à Bill le sens de sa mission, que je vous fournis dans ce fichier joint. Vous aurez le temps d’apprendre tout par cœur, et pas de fantaisies! Suivez les règles strictes de ce jeu, pour la parfaite réussite.

Dans une fenêtre séparée est arrivée une lettre sur l’écran de Paul. Il l’ouvrit et la mit en attente pour continuer à saisir les indications de Caroline.

– Le soir même, vous devez vous rendre à l’aéroport, tous les trois, et embarquer dans l’avion pour Séoul. Dans vos lettres, vous trouverez les numéros de vol et de réservations, ainsi que le nom de votre hôtel à Séoul.

– Quel service! s’éclata Paul. J’ai vu tout ça dans les films de James Bond!

– On a l’habitude de fonctionner comme ça. Bill n’acceptera pas autrement. C’est son style de vie. Vous devriez vous y habituer vite.

– Il doit être un sacré gaillard, ce Bill! J’ai hâte de le connaître! s’enthousiasma Kim. J’aime les gens sans complexe!

– Maintenant je vous souhaite bonne route, on se retrouvera pour la prochaine réunion à sept heures du matin, le lendemain de votre arrivée à Séoul. Vous avez tout votre temps pour faire connaissance. Tu as toujours ton ordi portable avec toi, Kim?

– Oui, c’est ma deuxième nature. Je ne me sépare jamais de mon ordinateur.

– Très bien! On se retrouvera sous le même arbre après-demain. Au revoir!

– Au revoir, Caroline. À tout à l’heure, Paul, dit Kim.

– Au revoir, Caroline. Oui, à toute, Kim, répliqua Paul et il ferma le jeu.

Il décida de prendre l’air avant de lire la lettre de Caroline, et sortit pour faire un tour devant son collège. Comme c’était le premier jour des vacances de Pâques, ses amis pouvaient encore être là, il voulait leur dire au revoir… on sait jamais…

Paul longeait les murs de son collège. Les arbres étaient déjà en plein feuillage, d’un vert vif et brillant, sans aucune tache de poussière qui apparaît au milieu de l’été.

Il n’y avait personne sur le boulevard. D’habitude cet endroit est plein de monde, mais, apparemment, ils étaient tous déjà partis en vacances. Les portes étaient fermées, Paul se retourna pour repartir à la maison. Mais il n’était pas pressé de quitter cet endroit qui le rattachait à sa vie «normale», il voulait encore planer dans cette certitude.

– Salut, mec! Paul se retourna, mais il ne vit personne autour de lui. Le boulevard était complètement vide.

– Hein! Ça va? Paul regarda toutes les fenêtres du collège. Elles étaient toutes fermées. Pourtant, la voix venait du haut.

– Ne te casse pas la tête! Tu ne nous verras pas! Ha ha ha! dit la voix, un peu plus basse.

– Nous sommes là, au-dessus de ta tête! Tu veux boire quelque chose? demanda la voix plus aiguë.

Paul continuait à tourner la tête.

– Tiens! dans les mains de Paul tomba une boîte métallique, la même qu’il avait ramassée la veille. Elle était de couleur mauve, mais dès qu’il la toucha, elle devint toute rose.

– Vas-y, goûte! Ça va te plaire! Yodji aime ces boissons de gosses, il en a amené une tonne, toute la soucoupe est remplie de ces boîtes! Ha ha ha!

– Arrête de te moquer de moi! La voix plus fine était vexée. Paul ouvrit la boîte et goûta la boisson rafraîchissante. Il se sentit plein d’énergie, d’un seul coup.

– Alors, ça va? T’as vu, c’est bon! Yodji l’a amené exprès, pour plaire aux terriens, ha ha ha!

– C’est comme ça que tu concevais le premier contact avec les terriens? La voix plus aiguë était légèrement énervée. Paul reçut une deuxième boîte dans ses mains.

– Tu vois, je vise bien! Comment t’appelles-tu, hein?

– Paul, et toi?

– Moi, je suis Yomma, et lui, c’est Yodji. Il est encore jeune, il ne comprend rien dans la vie! Il faut être simple! Non? Tu as aimé ma petite blague, hier, dans le couloir?

– Comment t’as fait? répondit Paul, comme si l’on parlait d’échanges de cartes Yho Gui Yo.

– C’est facile! On le fait souvent, c’était une téléportation holographique. Une image, une sorte de télé! Et toi, tu as pensé aux fantômes, extraterrestres… Ha ha ha! Les nouvelles technologies! Voilà, ce que c’est! T’as vu? Oh, regarde, quelle caisse d’enfer! Waouh!

Une voiture de sport passa en vitesse sur le boulevard.

– J’aurais bien voulu une comme ça! J’en ai marre d’être coincé ici, dans cette soucoupe! Eh, Paul, qu’est-ce que tu fais là?

– Je fais mes adieux à toutes les choses auxquelles je tiens.

– Oh! Pourquoi ce ton si pathétique? La vie est belle! Fais gaffe avec Caroline, elle veut t’embrouiller! Elle n’est pas mal, hein, ha ha ha!

– Vous connaissez mes projets?

– On connaît tout!

– Vous savez où je veux aller ce soir?

– Bien sûr! Tu vas partir avec ton héros préféré et le vieux professeur à la recherche des Connaissances, cachées sur les îles de Noureev! N’est-ce pas? Mais fais, quand même, gaffe avec Caroline, même si elle a des beaux nichons, je ne l’aime pas du tout! Salut, Paul, bon voyage, une troisième boisson pour la route? Du haut tomba une troisième boîte métallique de couleur ciel et les voix disparurent.

Paul prit la troisième boîte et la mit dans sa poche avec les deux premières. Il avait décidé de ne pas réfléchir à propos de cet incident dans la rue, car il ne trouvait aucune, vraiment aucune, explication à cela. La boisson faisait de l’effet, et il marchait dans la direction de sa maison avec plein d’énergie et savourait l’approche du moment du grand voyage. La vie normale restait derrière lui, et pourquoi pas! Il avait franchi ce pas et il ne voulait plus revenir en arrière. Il fallait encore apprendre les instructions de Caroline, à laquelle «il devait faire gaffe». Il ne s’inquiétait pas pour autant, mais décida de se souvenir des conseils de Yomma. Il le trouvait sympathique. «Pauvre Yodji, il doit supporter toutes ses moqueries toute la journée!», pensait Paul sans trop se soucier de qui ils étaient et qu’est-ce qu’ils faisaient là-haut. Il se préparait à son grand départ.


Bill se réveilla quand les aiguilles montraient quatre heures de l’après-midi. Sa tête était plus claire que ce matin, le brouillard se dissipait lentement, et les sensations lui revenaient. Il se souvint de Christine en premier, il se souvint que, avant de se saouler, il voulait l’appeler, lui parler, mais après… le vide total! Il regarda les fleurs et une aiguille lui pinça le cœur.

«Elle, existe-t-elle vraiment? Ou c’est mon imagination, bien malade? Je travaille trop ces derniers temps… Ah, oui, je me souviens maintenant: on m’a envoyé en vacances pour que je retrouve mes esprits! Voilà! J’ai les traces! Parfait! Et pourquoi je suis venu en France? Pour un rendez-vous! Avec qui? Qui sait! Excellente situation!» Il relut la lettre: «Il est déjà quatre heures, j’ai deux heures pour faire ma valise et me rendre à la tour Eiffel!» Il regarda par la fenêtre, située au dernier étage de l’immeuble: «Voilà où je dois aller! J’irai à pied, ce n’est pas très loin, comme ça je visite un peu cette ville, dommage qu’on doit la quitter aujourd’hui, je n’ai rien vu ici.»

Il jeta son dernier regard sur la suite, l’arrêta sur les fleurs, puis il prit les fleurs, complètement fanées, et les mit dans le sac, avant de le fermer, et franchit la porte.

Dans les couloirs il faisait frais, les bougies électriques, dans les bras dorés, ne chauffaient pas l’atmosphère. Un léger courant d’air lui soufflait dans le dos. Le couloir était vide et, en quelque sorte, c’était le dernier refuge avant son bain de foule qui l’attendait dans la rue. Encore ici, il nageait dans le brouillard du matin, livré à ses sensations, il pouvait réfléchir, sentir, s’en souvenir.

Au premier instant de son apparition dans le hall de l’hôtel, la réalité lui éclata au visage: vingt personnes s’étaient précipitées vers lui en lui tendant les bouts de papier, des journaux, des magazines de la mode et des enveloppes déchirées. Il se mit mécaniquement à faire ses signatures sur tous les supports, qui ne diminuaient pas, mais au contraire, poussaient autour en une progression arithmétique.

Il essayait d’avancer vers la sortie, mais les mains des gens l’attrapaient, le retenant en place. Il fit un effort et réussit à se séparer de la foule. Il se mit à marcher très vite en enfilant en même temps des lunettes de soleil et une casquette. Les gens continuaient à se retourner lorsqu’il passait devant eux, mais il regardait vers l’autre coté pour pouvoir avancer vite. Dans le jardin des Tuileries la situation se calma un peu, la plupart des gens bronzaient sur leurs chaises et ne regardaient pas les passants. Il put ralentir et admirer le paysage.


Christine décida de rentrer de la gare à pied, et le fait, qu’elle devait traverser la moitié de la ville, ne la gênait pas, puisque la journée était belle, remplie de la douceur et du soleil. Traînant sa petite valise derrière elle, Christine contemplait les tulipes en pleine fleuraison, les cerisiers, les pommiers et écoutait les oiseaux.

Toute la vie autour d’elle se réveillait après un très long hiver, pluvieux et triste.

Elle s’arrêta devant un bassin d’eau, en regardant les petits bateaux sillonner à la surface, à l’aide de petits moteurs. Elle décida de s’asseoir, avant de traverser la Seine. Elle ferma les yeux et écouta le bruit du jardin, de la rue à côté, les voix des enfants.

– Oh! Ce n’est pas vrai! Bill! Bill Games en personne! Les enfants, venez, venez!!! Excusez-nous, Monsieur Games! Pourriez-vous nous laisser une petite trace de votre passage à Paris! Please!!!

– Please, please, please!!! redondaient les enfants.

Christine ouvrit grand les yeux et ne vit qu’une foule de petites têtes, en train d’envahir l’espace autour de l’homme avec un sac de voyage sur une épaule. Ils étaient à deux pas d’elle. Christine ne voyait pas son visage, caché par la casquette et les enfants, mais le seul fait, que c’était lui, Bill Games, son idole de toujours, la magnétisa et la cloua au sol.

La prochaine pulsion était de se rapprocher, de regarder son visage de près, tellement rêvé et imaginé. Elle tardait à bouger, la foule augmentait, les gens repartaient heureux et tout excités par le contact proche avec leur star. Christine ne voulait pas paraître un stupide fan, mais elle comprenait que c’était maintenant ou jamais! «Il suffit que tu regardes dans ton agenda…», cette phrase fila dans sa tête. Christine continuait d’admirer de loin la foule et l’homme au milieu. Sans regarder dans le sac, elle sortit son agenda et le mit sur les genoux. La foule magnétisait son regard. Elle se leva, tenant son agenda dans la main, et, complètement hypnotisée, commença à s’approcher de ce groupe.

Le sang pulsait très fort, aucune pensée ne lui traversait la tête. Elle ne pouvait pas s’approcher de lui, tellement le cercle des gens était serré. L’énervement et la déception, l’impatience et le désir de le voir englobaient Christine complètement. Elle ne sentait plus ses pieds.

Soudain, elle leva sa main avec l’agenda et vit devant elle le visage de Bill! De son Bill! Il lui souriait, à elle toute seule!

– Bill!!! cria-t-elle de toutes ses forces. C’est moi, Christine!!! Elle s’étouffa de son effort et commença à tousser.

Tous les gens tournèrent la tête vers elle, la regardant avec mépris et admiration à la fois. Personne d’entre eux n’avait eu cette excellente idée pour attirer l’attention.

Du milieu de ce groupe apparut Bill, essoufflé, en se débarrassant des mains qui s’accrochaient sur ses bras, et il avança lentement vers Christine. Elle resta immobilisée. Bill enleva sa casquette et ses lunettes et s’arrêta juste devant elle, puis il posa son sac par terre, l’ouvrit, sortit le bouquet des fleurs fanées et lui tendit.

– Tu te souviens, je t’ai acheté des fleurs, voilà, je te les ai apportées… elles sont un peu fatiguées par le voyage, mais je tenais à te les offrir moi-même, en personne, en chair et en os! Bill la regarda droit dans les yeux. Alors, je ne suis pas fou-ou!!!! s’écria-t-il avec sa voix puissante, et un écho retentit des immeubles autour: «Fou, fou, fou…»

– Oh! Fou de joie! Bill fit son magnifique sourire, celui que Christine «connaissait déjà»!

– Oui, je te connaissais déjà… Christine ne pouvait ni bouger, ni respirer devant lui, ayant peur que le rêve se dissipe, mais le temps passait, et il ne se dissipait pas.

– Peut-on trouver un endroit tranquille pour parler? J’ai tellement de choses à te dire! Bill reprit son sac, prit la petite valise de Christine, et remit sa casquette et ses lunettes:

– C’est pour pouvoir marcher… dit-il avec un clin d’œil. Mais ça ne marche pas toujours!

– Quelle chance, que ça ne marche pas toujours! s’exclama Christine et elle se mit à marcher à côté de lui.

Elle eut du mal à reprendre son souffle. C’était la plus forte émotion de toutes celles qu’elle avait éprouvées ces derniers jours. Christine avait oublié les îles, les Mystères, le fait qu’elle soit une princesse en mission à côté de son Maître, le super héros. Cela lui paraissait si loin, comme le sujet d’un film. Maintenant, et seulement maintenant, à ce moment précis, elle marchait à côté de l’homme qu’elle avait rêvé de rencontrer depuis toujours. Et il était là, à un demi-pas d’elle, il marchait souriant, et il était, lui aussi, très heureux de la voir! Rien ne pouvait être plus grand et plus fort en ce moment!


Ils marchaient côte à côte, parlant de tout et de rien, évitant toutes les choses qui pouvaient les ramener à réfléchir sur le Grand Mystère de leur rencontre. Ils ne voulaient pas du tout toucher à ce thème, comme par superstition, ils protégeaient leur grand bonheur réciproque. La fragilité des premiers instants disparaissait peu à peu, laissant la place à la certitude de la réalité absolue de la présence de l’autre. Rien ne pouvait être plus beau et plus englobant que cette certitude. La poitrine de Christine montait suivant sa respiration avec le même rythme que la grande musculation de Bill.

L’euphorie de la rencontre avec la grande star cédait devant un sentiment plus profond, plus réconfortant de la rencontre avec son Bill, qu’elle avait rencontré dans son Inconscient, ou par l’intermédiaire de son Inconscient. Elle ne savait pas encore exactement le mécanisme, comment tout ça fonctionnait, mais elle était désormais sûre et certaine que cela s’était passé réellement, dans un temps et un espace donnés. Ce n’était pas ses hallucinations et ses fantaisies personnelles mais une vraie Réelle communication. C’est tout ce qu’elle savait pour l’instant.

Bill marchait à côté d’elle, le superman des écrans de cinéma, l’homme le plus aimé et le plus admiré du monde. Et en même temps, Bill marchait à côté d’elle, l’homme le plus intime, le plus proche, le plus familier de la Terre, le plus unique au monde, le sien.

Ils traversèrent le Pont des Arts. Bill était encore assez troublé. Il parlait de tout et de rien, de la beauté de Paris, des gens autour, des fans, de la vie aux Studios, pour éviter la vraie conversation. Il n’était pas encore cent pour cent sûr du lien entre la jolie femme qui marchait à côté de lui et bavardait comme si de rien n’était et sa passion qui l’avait tourmenté tous ces derniers jours. Il ne voulait pas aborder ce sujet, ayant peur que Christine ne le trouvât fou et excentrique. Une seule chose le raccrochait à l’idée d’un lien entre ces deux rencontres, c’est qu’il avait un immense plaisir à être à côté de Christine.

Un sentiment qu’il n’avait pas ressenti depuis des lustres. Il ne pouvait pas, tout de même, s’attacher à la première venue, lui disant «Bill!». Il en avait vu des milliers et des milliers de femmes qui perdaient connaissance en le rencontrant, en lui disant qu’il était l’homme de leur vie, etc., etc. Non, au moment où il avait entendu la voix de Christine crier «Bill!», il avait senti subitement Sa voix! Oui, la voix! Sa Voix!

Bill se mit à écouter ce que lui racontait Christine: «Oui… c’était la voix qui me venait de l’intérieur… Mais il y en avait une autre, plus grave… celle qui m’avait parlé des îles… Ah! Les îles! La lettre! Il faut que j’en parle à Christine! Elle devrait en savoir plus que moi… Ah, oui… elle était sur ces îles… elle connaît Noureev… elle devait parler à sa mère…»

– Qu’est-ce que t’a dit ta mère? demanda Bill, comme s’il continuait à parler dans la tête de Christine. Elle sursauta. Elle n’était pas sûre, si la voix venait de son intérieur ou de Bill qui marchait à côté.

– Tu as dit quelque chose? demanda-t-elle à Bill.

– Oui, tu n’as pas entendu ma question?

– Pardon, j’étais tellement dans mes pensées…

– Oui, c’est pour ça qu’il faut qu’on en parle, dit Bill d’un ton très sérieux, la regardant droit dans les yeux: je ne veux plus nager dans les non-dits, suppositions, pressentiments… Tu dois me dire qui tu es, d’où tu viens et pour quelles raisons? Dans le regard de Bill scintillait une vraie tendresse qui, malgré le ton sérieux de sa voix, la réconfortait dans l’idée, que «tout va bien».

– Peut-être, on fait une pause là, par exemple, dans ce restau complètement vide? Personne ne pourra nous déranger. Elle commençait à saisir les contraintes de la vie d’une star. Éclairé par la lumière du monde entier, il vivait caché, solitaire, fouillant le monde. «Ça ne devrait pas être un vrai bonheur…», pensa-t-elle.

– Oui, ici, c’est parfait, rentrons, répondit Bill.

Ils rentrèrent dans un petit restaurant sur les quais, qui était toujours vide à cette heure de l’après-midi. Le patron s’est montré un homme extrêmement délicat, en laissant passer Bill, comme une personne quelconque. Ou il n’allait jamais au cinéma, ne regardait pas de télévision, n’avait pas internet chez lui, ni la femme, ni les enfants, et vivait seul, coupé du monde… ou il était un excellent psychologue.

– Alors, qu’est-ce que t’a dit ta mère? Tu l’as vue?

Christine montra sa main avec la bague au doigt.

– Belle bague! C’est bien que tu aies déjà ta valise, car notre voyage continue ce soir, lui dit Bill sans prélude.

– Comment, déjà! Tu sais tout? Par qui?! s’écria Christine, impressionnée par le tournant que prenait la conversation.

– Pas tout, mais quelque chose. Il y a des choses qui m’échappent: qui voulait m’empoisonner hier soir avec du whisky, qui m’a mis cette lettre sur la table et qui sont ces deux personnes que je dois rencontrer dans une heure? Beaucoup de questions sans réponses. Ma seule certitude, c’est toi… et encore… il y a des choses que tu dois m’expliquer dans tout ça!

– Moi, cela peut attendre, mais le reste, c’est une vraie urgence! Montre-moi la lettre!

– Voilà l’e-mail, que j’ai reçu avant de quitter la Californie. Bill tendit le papier.

Christine commençait à tout comprendre, sauf une chose: «Qui était derrière tout ça? Les Forces Polaires qui vont les empêcher d’être ensemble? Et cet empoisonnement et le départ immédiat de ce soir étaient prévus pour empêcher qu’ils puissent se rencontrer un jour? De toute façon, la première étape de ce complot était ratée, de qui que ce soit qui se cachait derrière.» Elle sentait monter l’adrénaline, et le désir de tout découvrir dépassait ses incertitudes.

– On va aller à ce rendez-vous, et on va partir à Séoul ensemble, puis on ira sur les îles de Noureev pour protéger les Connaissances! Je suis là pour te protéger, car tu possèdes ces Connaissances. La lettre est fausse, elle te dit que tu es le descendant du grand tsar Dimitri, c’est faux, et heureusement, d’ailleurs! Une étincelle fila dans les yeux de Christine.

– Ah, bon, tout est faux ici?! Bill ne pouvait pas cacher sa déception.

– Non, pas tout. Le reste est bon. Tu dois trouver ton coéquipier et te rendre sur les îles de Noureev pour découvrir je ne sais pas quoi. Et moi, je suis là pour te protéger de tous les dangers, le rassura Christine.

– Il y a plus d’énigmes que de réponses. Tu me caches quelque chose! Bill la fixa des yeux.

– Je te dirai plus tard… Christine cachait difficilement le plaisir d’en savoir plus que lui.

– Non, je ne veux pas m’embarquer dans ce voyage avec des inconnus et avec un tel nombre d’incertitudes! Bill s’énerva légèrement.

– Si tu ne vaincs pas tes incertitudes, tu ne pourras jamais arriver là où on va aller! Christine ne comprenait pas d’un coup pourquoi elle avait commencé à parler comme un vieux Sage: Ok, je te raconterai l’histoire que m’a fait découvrir ma mère hier soir. Mais tu me promets de ne rien changer dans ton attitude?

– Quelque chose de sérieux?

– Oui, sérieux. C’est moi qui suis la descendante du grand tsar Dimitri.

– Ouf! C’est tout? J’ai pensé… Félicitations, Votre Altesse! Oui, quelque part, tant mieux, si je ne suis pas du même sang royal… dit Bill avec un grand éclat de rire. Christine rougit, mais, comme la salle était sombre, Bill ne remarqua rien.

– C’est Noureev qui a fait découvrir tout ça à ma mère, quand nous étions sur l’île, et la bague, c’est la preuve. Et je devrai trouver un deuxième rubis sur l’île… Paraît-il qu’il va nous protéger. Ces deux rubis appartiennent au grand tsar Dimitri, mon arrière-arrière-arrière grand-père. Paraît-il que sur cette île sont cachés les plus grands Trésors de la Planète, on les appelle les Connaissances.

– C’est quoi, au juste, ces Connaissances? demanda Bill.

– Personne ne le sait. Ma mère n’a pas pu me l’expliquer, Noureev lui a dit qu’on le découvrirait à la venue de deux prophètes, et que l’un des deux c’est toi! Christine regarda Bill avec gravité. Et nous devons nous rendre sur ces îles, pour que l’Humanité puisse garder ses Connaissances! C’est nous seuls qui pouvons le faire. À l’aide d’un deuxième prophète, que nous ignorons pour l’instant!

– Donc, maintenant, tu es ma protectrice, et moi le Héros qui devrai sauver le monde! J’ai joué des milliers de fois ce rôle dans mes films, mais dans la vraie vie, jamais!

– Non, pas le monde, les Connaissances de notre monde.

– Quelle différence?

– On le découvrira ensemble, maintenant que nous sommes des coéquipiers, d’accord?

– Et le reste? Bill fit son traditionnel regard de charmeur, auquel n’échappait aucune femme.

– Le reste on verra plus tard! Christine regarda sa montre. Il faut courir maintenant! Sinon, on ne sera jamais à l’heure et la mission va échouer!

– Mais on ne sait rien sur ces gens! S’ils sont les empoisonneurs? Et pourquoi ils m’ont envoyé des fausses données? Pourquoi ils ont voulu renverser nos rôles?

– On le découvrira en arrivant! L’unique chose que je sache, c’est qu’on doit y aller! Si eux aussi, ils connaissent les Mystères, on doit les tenir dans notre champ de vue. Ah, il y a encore une autre chose! Il faut qu’on découvre ce qu’il est arrivé à la fille du tsar, l’actrice Alexandra! Cette bague lui appartenait… Tu ne réalises pas encore l’enjeu de ce voyage?

– Non, pas vraiment, je sais seulement que je m’embarque, uniquement, pour te suivre partout où tu voudras aller. Votre plus humble serviteur, Votre Altesse!

– Ah, oui, encore un détail! On ne va pas dire à nos nouveaux amis qu’on a découvert leur faute. Laissons-les croire que tu es l’héritier du grand tsar. Voyons où ils veulent en venir.

– Et maintenant que je pense que c’est pour si peu, que j’ai failli ne jamais te rencontrer. C’était la seule chance au monde…

– Tu as oublié nos conversations! Il suffit de glisser dans un bon couloir de notre Inconscient, dans celui du Possible, pour que tout devienne vraiment possible! C’est important de ne pas rater l’entrée et le moment, quand tu peux encore glisser dessus! Sur les autoroutes de l’Inconscient tout va à une telle vitesse!

– Je pense que j’aurai besoin de temps pour comprendre tout ça… dit Bill d’un air pensif.

– Le temps du voyage! Christine brûlait d’impatience de partir.


Paul s’approchait de la tour Eiffel. Un léger frisson traversa son corps, quand il pensa dans quelle aventure il embarquait. Il était encore temps de renoncer…

Dans une seconde ce doute disparut à jamais: il voyait Kim qui l’attendait sur le lieu du rendez-vous.

Il avait une soixante dizaine d’années, la belle stature d’un homme sportif et tenace. Il lui rappelait James Bond vieilli, avec les cheveux gris, une petite barbe et les yeux très gentils d’un savant à la retraite. Kim n’était pas chinois, comme l’attendait Paul, il avait une apparence tout à fait européenne et lui rappelait son propre grand-père. Paul n’hésitait plus du tout sur sa participation dans cette aventure.

Kim l’attendait sous la voûte en regardant vers l’est, les mains croisées derrière son dos.

Il regardait vers l’horizon, très loin, et Paul comprenait que pour un tel homme, ce voyage n’était pas une simple plaisanterie d’un jeu d’internet, mais un enjeu très très sérieux auquel lui, Paul, serait ravi de participer.

– Bonjour, Monsieur Kim! C’est moi, Paul! Kim se retourna brusquement, et quelle était son émotion, quand il vit à la place d’un adulte qu’il attendait de voir, un garçon de douze ans!

– Pour l’amour de Dieu! Tu es Paul?!

– Oui, Monsieur! Rien à faire, je suis encore un garçon de cinquième…

– Ça, je n’aurais jamais pu imaginer!!! Une femme encore, un vieillard, une vieille sorcière, mais un gamin… Il s’éclata de rire! Voyons qui sera notre Bill, ha ha ha!!! Sa voix grommelait sous la voûte de la Tour.

– Quelqu’un m’a dit qu’il sera mon héros préféré…

– Qui est ton héros préféré?

– Au cinéma? Hmmm… Bill Games! Il est le seul qui pourrait être mon héros! Paul se mit à rire, le vieux professeur lui plaisait beaucoup. Et vous, vous aussi, vous pourriez être mon héros, Monsieur le Professeur!

– Pour le héros merci, mais comment tu sais que je suis le Professeur?

– Je vous l’ai dit, deux gars dans une soucoupe invisible, Yomma et Yodji, m’ont parlé de vous. Alors, je le savais déjà. Le Professeur éclata d’un rire encore plus fort:

– Des soucoupes, invisibles… Très bien, mon ami… Et tes copains, qu’est-ce qu’ils t’ont dit encore?

– Que je dois faire gaffe à Caroline, qu’elle est une embrouilleuse!

– Sérieusement?

– Je ne sais pas s’ils étaient sérieux tous les deux, ils se moquaient tout le temps de moi et entre eux, mais ils ont dit ça…

– Quand cela t’est arrivé?

– Tout à l’heure, devant mon collège… Et la veille, l’un d’eux m’avait envoyé une image holographique de mon directeur et une boîte de boisson! Voilà, elle est là! Paul tendit à Kim une boîte qui traînait dans sa poche.

– Oui, elle n’a pas l’air d’une boîte normale… À quoi ressemblaient tes copains Yo…

– Yomma et Yodji! Je vous ai dit qu’ils étaient invisibles! Ils me parlaient, en planant au-dessus de ma tête! C’est simple à comprendre!

– Simple, comme tu dis! Tu me diras quand ils viendront la prochaine fois, ok, hein?

– Bien sûr! Vous les entendrez vous-même!

– Pas sûr… vous, les enfants, vous avez une capacité cérébrale supérieure à nous. Vous pouvez voir l’invisible et entendre l’inaudible… Nous aussi, nous pouvons parfois, mais nous, les adultes, nous devons suivre des entraînements rigoureux, tandis que vous le faites sans aucun effort.


Bill et Christine accéléraient le pas. La tour Eiffel n’était pas loin, il suffisait de traverser un petit square, et elle s’imposerait devant eux dans toute sa grandiosité.

– Comment on va se présenter? Ma présence pour eux sera, je suppose, une très grande surprise? demanda Christine.

– On verra sur place! Déjà il faut qu’on comprenne qui sont-ils! Trop d’énigmes en une seule journée, et ce n’est que le début! Ça commence à me plaire! Je retrouve le goût de la vie! Bill sursauta en marchant.

– Maintenant «le hier» me paraît si loin, comme si c’était dans une autre vie, et pas avec moi… Christine leva la tête pour admirer la majestueuse construction.

– On est déjà arrivé? Où est la voûte de l’ouest? demanda Bill.

– Celle de l’autre coté.

– Je ne vois pas grand monde, à part un garçon avec son grand père… Attends, le garçon se cache derrière le dos de son grand-père… le grand-père regarde vers nous, ça veut dire vers l’est… Nous venons de l’est? Toi, la Parisienne!

– C’est incroyable, mais à part ces deux personnes, loin d’être des super agents maléfiques, il n’y a personne. Elle regarda Bill avec un sourire. Et l’un regarde bien vers l’est et l’autre vers l’ouest! On y va!


Kim aperçut le premier l’arrivée de Bill et de Christine, dès qu’ils contournèrent les arbustes du square à l’est de la place. Il ne doutait plus sur le fait que le héros de Paul s’approchait d’eux. «Mais qui était la charmante femme qui l’accompagnait? N’était-elle pas par hasard Caroline en personne? Ne devait-elle pas être en Amérique en ce moment?» Même s’il était un adulte, il n’était pas si dupe. Il prit très au sérieux les mots de Paul. Dans sa vie il avait vu beaucoup de gens de tout âge, et il avait pris l’habitude de faire confiance aux bavardages des gamins.

– Il me semble, Paul, que tu ne vas pas tarder à découvrir ton héros!

– D’accord! Moquez-vous de moi! Je vais regarder vers l’ouest jusqu’à ce qu’il se retrouve devant mon nez! Alors je vous croirai volontiers, Professeur!

– Tu peux m’appeler par mon prénom, Kim.

– Pourquoi vous avez un prénom chinois? Vous ne ressemblez pas du tout à un Chinois!

– C’est une longue histoire, j’ai tout le temps de te la raconter! D’ailleurs, je ne suis pas chinois, Monsieur! Je suis coréen!

– C’est pour ça que notre premier voyage est à Séoul? Vous voulez nous montrer quelque chose d’extraordinaire, Professeur Kim?

– Tu as tout deviné, j’ai raconté quelques-unes de mes présuppositions, à propos de cette légende, à Caroline, et elle a trouvé très intéressants les résultats de mes recherches. Alors on a décidé avec elle, que ce serait mieux que j’explique quelque chose à Bill et à toi avant de débarquer sur les îles.

– J’ai hâte de découvrir votre atelier! Cela doit être très passionnant, d’être un chercheur…

– Si on finit par trouver ce que l’on cherche… Voilà, ils sont à deux pas de nous! Prépare-toi, j’aimerais bien voir jusqu’où tu seras capable de sauter…

– Oui, oui… moquez-vous!

– Bonjour, Messieurs, ne prenez pas cela pour une intrusion dans vos solennelles contemplations! Je suis Bill, Bill Games! Permettez-moi de vous présenter ma coéquipière, Christine!

Bill avançait, main tendue, avec son magique sourire. Kim l’attendait avec un sourire encore plus grand, imaginant… Paul ne pouvait plus résister au suspense… Il sortit sa tête de l’épaule de grand Kim et poussa un cri d’aborigène de la côte des King-Kongs.

– You-piii!!! Yio-yiu-yio!!! Paul sautait comme un Tarzan autour de tout le monde, exactement, comme l’imaginait Kim.

Sa joie était si grande, qu’elle explosait en mille morceaux, mille étoiles, mille exclamations et rires! Jamais il n’avait imaginé que son héros, son vrai héros, qu’il voyait toujours en grand sur les écrans du cinéma, apparaîtrait devant lui avec une telle simplicité. Son corps musclé s’imposait comme une montagne devant Paul, le soleil couchant lui frappait droit dans le visage, mais il le regardait droit dans les yeux, sans froisser les sourcils. Des simples jeans, un tee-shirt d’un teenager classique. Paul, lui aussi, portait des tee-shirts avec les spidermans et autres héros des bandes dessinées. Un vrai gamin, mais en plus grand.

– Salut, pote! T’as vu? Il est super! Une voix retentit derrière le dos de Paul. Il se retourna vers Kim:

– Vous avez dit quelque chose?

– Non, ce n’est pas moi, c’est tes copains! Il pointa son doigt vers le haut avec un sourire complice.

Bill et Christine admiraient silencieusement cette scène bien comique. Paul tourna comme une toupie et répliquait qui sait à qui, encouragé par son grand-père, vivement amusé par tout ce qui se passait autour.

Paul leva sa tête vers le haut et sourit dans le vide.

– Oui, oui c’est bien nous! On a voulu faire un saut par ici, pour admirer le coucher du soleil entre le pied droit et le pied gauche de la tour Eiffel! Ha ha ha!

Les Mystères de l’Inconscient, cachés sur l’île de Noureev

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