Читать книгу Lettres de Madame de Sévigné - Marie de Rabutin-Chantal marquise de Sévigné - Страница 12
2.—DE Mme DE SÉVIGNÉ A M. DE POMPONNE[33].
ОглавлениеAujourd'hui lundi 17 novembre 1664, M. Fouquet a été pour la seconde fois sur la sellette; il s'est assis sans façon, comme l'autre fois. M. le chancelier a recommencé à lui dire de lever la main: il a répondu qu'il avait déjà dit les raisons qui l'empêchaient de prêter le serment. Là-dessus M. le chancelier s'est jeté dans de grands discours, pour faire voir le pouvoir légitime de la chambre; que le roi l'avait établie, et que les commissions avaient été vérifiées par les compagnies souveraines.
M. Fouquet a répondu que souvent on faisait des choses par autorité, que quelquefois on ne trouvait pas justes, quand on y avait fait réflexion.
M. le chancelier a interrompu: Comment! vous dites donc que le roi abuse de sa puissance? M. Fouquet a répondu: C'est vous qui le dites, monsieur, et non pas moi: ce n'est point ma pensée, et j'admire qu'en l'état où je suis, vous me vouliez faire une affaire avec le roi. Mais, monsieur, vous savez bien vous-même qu'on peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste; le lendemain vous le cassez: vous voyez qu'on peut changer d'avis et d'opinion.
Mais cependant, a dit M. le chancelier, quoique vous ne reconnaissiez pas la chambre, vous lui répondez, vous lui présentez des requêtes, et vous voilà sur la sellette. Il est vrai, monsieur, a-t-il répondu, j'y suis; mais je n'y suis pas par ma volonté, on m'y mène; il y a une puissance à laquelle il faut obéir, et c'est une mortification que Dieu me fait souffrir, et que je reçois de sa main: peut-être pouvait-on bien me l'épargner, après les services que j'ai rendus et les charges que j'ai eu l'honneur d'exercer.
Après cela M. le chancelier a continué l'interrogatoire de la pension des gabelles, où M. Fouquet a très-bien répondu. Les interrogations continueront, et je continuerai de vous les mander fidèlement; je voudrais seulement savoir si mes lettres vous sont rendues sûrement.
Vous savez sans doute notre déroute de Gigeri[34]; et comme ceux qui ont donné les conseils veulent jeter la faute sur ceux qui ont exécuté, on prétend faire le procès à Gadagne; il y a des gens qui en veulent à sa tête: tout le public est persuadé pourtant qu'il ne pouvait pas faire autrement. On parle fort ici de M. d'Aleth, qui a excommunié les officiers subalternes du roi qui ont voulu contraindre les ecclésiastiques à signer. Voilà qui le brouillera avec monsieur votre père, comme cela le réunira avec le P. Annat[35].
Adieu, je sens l'envie de causer qui me prend; je ne veux pas m'y abandonner: il faut que le style des relations soit court.