Читать книгу Lettres de Madame de Sévigné - Marie de Rabutin-Chantal marquise de Sévigné - Страница 19
9.—DE Mme DE SÉVIGNÉ A M. DE POMPONNE.
ОглавлениеJeudi 11 décembre 1664.
M. d'Ormesson a continué la récapitulation. Quand il est venu sur un certain article du marc d'or, Pussort a dit: Voilà qui est contre l'accusé. Il est vrai, a dit M. d'Ormesson; mais il n'y a pas de preuves. Quoi! a dit Pussort, on n'a pas fait interroger ces deux officiers-là? Non, a dit M. d'Ormesson. Ah! cela ne se peut pas, a répondu Pussort. Je n'en ai rien trouvé dans le procès, a dit M. d'Ormesson. Là-dessus Pussort a dit avec emportement: Ah! monsieur, vous deviez le dire plus tôt; voilà une lourde faute. M. d'Ormesson n'a rien répondu; mais si Pussort lui eût dit encore un mot, il lui eût répondu: Monsieur, je suis juge, et non pas dénonciateur. Ne vous souvient-il plus de ce que je vous contai une fois à Fresne? Voilà ce que c'est: M. d'Ormesson n'a découvert cela que lorsqu'il n'y a point eu de remède. M. le chancelier a interrompu plusieurs fois encore M. d'Ormesson; il lui a dit qu'il ne fallait point parler du projet, et c'est par malice; car plusieurs jugeront que c'est un grand crime, et le chancelier voudrait bien que M. d'Ormesson n'en fît point voir les preuves, qui sont ridicules, afin de ne pas affaiblir l'idée qu'on a voulu donner.
Mais M. d'Ormesson en parlera, puisque c'est un des articles qui composent le procès. Il achèvera demain. Sainte-Hélène parlera samedi. Lundi, les deux rapporteurs diront leur avis, et mardi ils s'assembleront tous dès le matin, et ne se sépareront point qu'après avoir donné un arrêt. Je suis transie quand je pense à ce jour-là. Cependant la famille a de grandes espérances. Foucault va solliciter partout, et fait voir un écrit du roi, où on lui fait dire qu'il trouverait fort mauvais qu'il y eût des juges qui appuyassent leur avis sur la soustraction des papiers; que c'est lui qui les a fait prendre; qu'il n'y en a aucun qui serve à la défense de l'accusé; que ce sont des papiers qui touchent son état, et qu'il le déclare, afin qu'on ne pense pas juger là-dessus. Que dites-vous de tout ce bon procédé? N'êtes-vous point désespéré qu'on fasse la chose de cette façon à un prince qui aimerait la justice et la vérité, s'il les connaissait? Il disait l'autre jour, à son lever, que Fouquet était un homme dangereux; voilà ce qu'on lui met dans la tête. Enfin, nos ennemis ne gardent plus aucune mesure: ils vont à présent à bride abattue; les menaces, les promesses, tout est en usage; si nous avons Dieu pour nous, nous serons les plus forts. Vous aurez peut-être encore une de mes lettres; et si nous avons de bonnes nouvelles, je vous les manderai par un homme exprès à toute bride. Je ne saurais dire ce que je ferai si cela n'est pas; je ne comprends pas moi-même ce que je deviendrai. Mille compliments à notre solitaire et à votre chère moitié. Faites bien prier Dieu.
Samedi 13 décembre.
On a voulu, après avoir bien changé et rechangé, que M. d'Ormesson dît son avis aujourd'hui, afin que le dimanche passât par-dessus, et que Sainte-Hélène, recommençant lundi sur nouveaux frais, fît plus d'impression. M. d'Ormesson a donc opiné au bannissement perpétuel, et à la confiscation de ses biens au roi. M. d'Ormesson a couronné par là sa réputation. L'avis est un peu sévère[44]; mais prions Dieu qu'il soit suivi. Il est toujours beau d'aller à l'assaut le premier.