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PORTRAIT DE MADAME DE SÉVIGNÉ
PAR LE COMTE DE BUSSY-RABUTIN;
TIRÉ DE LA GÉNÉALOGIE MANUSCRITE DE LA MAISON DE RABUTIN.
ОглавлениеMarie de Rabutin, fille de Celse-Bénigne de Rabutin, baron de Chantal, et de Marie de Coulanges, naquit toute pleine de grâces: ce fut un grand parti pour le bien; mais pour le mérite, elle ne se pouvait dignement assortir. Elle épousa Henri de Sévigné, d'une bonne et ancienne maison de Bretagne; et quoiqu'il eût de l'esprit, tous les agréments de Marie ne le purent retenir; il aima partout, et n'aima jamais rien de si aimable que sa femme. Cependant elle n'aima que lui, bien que mille honnêtes gens eussent fait des tentatives auprès d'elle. Sévigné fut tué en duel, elle étant encore fort jeune. Cette perte la toucha vivement: ce ne fut pourtant pas, à mon avis, ce qui l'empêcha de se remarier, mais seulement sa tendresse pour un fils et pour une fille que son mari lui avait laissés, et quelque légère appréhension de trouver encore un ingrat. Par sa bonne conduite (je n'entends pas parler ici de ses mœurs[23], je veux dire par sa bonne administration), elle augmenta son bien, ne laissant pas de faire la dépense d'une personne de sa qualité: de sorte qu'elle donna un grand mariage à sa fille, et lui fit épouser François-Adhémar de Monteil, comte de Grignan, lieutenant pour le roi en Languedoc, et puis après en Provence. Ce ne fut pas le plus grand bien qu'elle fit à Françoise de Sévigné: la bonne nourriture[24] qu'elle lui donna, et son exemple, sont des trésors que les rois même ne peuvent pas toujours donner à leurs enfants. Elle en avait fait aussi quelque chose de si extraordinaire, que moi, qui ne suis point du tout flatteur, je ne me pouvais lasser de l'admirer, et que je ne la nommais plus, quand j'en parlais, que la plus jolie fille de France, croyant qu'à cela tout le monde la devait connaître[25].
Marie de Rabutin acheta encore à son fils la charge de guidon des gendarmes de M. le Dauphin[26]; ce qu'elle fit habilement, n'y ayant rien de mieux pensé que d'attacher de bonne heure ses enfants auprès d'un jeune prince, qui a toujours plus d'égards un jour pour ses premiers serviteurs que pour les autres.
Les soins que Marie de Rabutin avait pris de sa maison n'y avaient pas seuls mis tout le bon ordre qui y était: il faut rendre honneur à qui il est dû. L'abbé de Coulanges, son oncle, homme d'esprit et de mérite, l'avait fort aidée à cela.
Qui voudrait ramasser toutes les choses que Marie de Rabutin a dites en sa vie, d'un tour fin, agréable, naturellement, et sans affecter de les dire, il n'aurait jamais fait. Elle avait la vivacité et l'enjouement de son père, mais beaucoup plus poli. On ne s'ennuyait jamais avec elle; enfin elle était de ces gens qui ne devraient jamais mourir, comme il y en a d'autres qui ne devraient jamais naître.
Voici un éloge que la seule justice me fit mettre au-dessous d'un de ses portraits:
MARIE DE RABUTIN,
MARQUISE DE SÉVIGNÉ,
FILLE DU BARON DE CHANTAL,
FEMME D'UN GÉNIE EXTRAORDINAIRE
ET D'UNE SOLIDE VERTU,
COMPATIBLES AVEC BEAUCOUP D'AGRÉMENTS[27].