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CHAPITRE IV.

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Table des matières

Commencement de la guerre.—Départ de M. de La Rochejaquelein.—Notre arrestation.

Je ne pourrais point donner de détails complets sur les premiers commencemens de la guerre de la Vendée; je n'en ai pas été témoin, et même je ne les ai jamais sus d'une manière très-précise, que pour quelques points; je raconterai seulement de quelle manière elle arriva successivement jusqu'à nous.

Le recrutement des trois cent mille hommes fut la cause d'un soulèvement presque général dans le Bocage. Ce mouvement prit d'abord de l'importance sur deux points assez éloignés, Challans, dans le Bas-Poitou, et Saint-Florent, en Anjou, sur les bords de la Loire. Il n'y eut aucun concert entre ces deux révoltes; on fut même très-long-temps sans savoir dans un de ces cantons ce qui se passait dans l'autre.

A Saint-Florent, le tirage avait été indiqué pour le 10 mars; les jeunes gens s'y rendirent dans le dessein presque arrêté de ne point obéir. Quand on les vit mal disposés, on voulut les haranguer; leur résistance augmentant toujours, on en vint aux menaces; et enfin la mutinerie se déclarant de plus en plus, le commandant républicain fit braquer une pièce de canon devant le district; un instant après, elle fut tirée sur les jeunes gens: personne ne fut tué. Ils s'élancèrent sur la pièce; on la leur abandonna; les gendarmes et les administrateurs se dispersèrent en fuyant; le district fut pillé, les papiers brûlés, la caisse distribuée. Le reste du jour se passa en réjouissances: puis les jeunes gens retournèrent chez eux sans trop savoir ce qu'ils deviendraient, et comment ils échapperaient à la terrible vengeance des républicains.

Jacques Cathelineau, du village du Pin-en-Mauges, voiturier colporteur de laines, père de cinq enfans en bas âge, était un des hommes les plus respectés de tous les paysans du canton: il était à pétrir le pain de son ménage, lorsqu'il entendit raconter ce qui venait de se passer; aussitôt il prit la résolution de se mettre à la tête de ses compatriotes, et de ne pas les laisser en proie à toutes les rigueurs qui menaçaient le pays. Sa femme le supplia de ne pas songer à ce projet; il n'écouta rien. Essuyant ses bras, il remit un habit, alla sur-le-champ rassembler les habitans, et leur parla avec force du châtiment que tout le pays allait subir, si l'on ne se déterminait pas à se révolter ouvertement. Cathelineau était fort aimé de tout le monde: c'était un homme sage et pieux. Le courage et la chaleur qu'il mit dans ses exhortations entraînèrent les jeunes gens. Aussitôt une vingtaine s'arment et promettent de marcher avec lui; ils partent sur-le-champ; le nombre s'accroît: ils arrivent au village de la Poitevinière. Cathelineau fait sonner le tocsin, rassemble les habitans, leur répète ce qu'il a persuadé à leurs voisins; bientôt sa troupe est de plus de cent hommes. Alors il se détermine à aller attaquer un poste républicain de quatre-vingts hommes, qui était placé à Jallais avec une pièce de canon; on marche en recrutant sans cesse sur la route. Le poste est enlevé. On y fait des prisonniers; on s'empare de la pièce, que les paysans surnomment le Missionnaire; on prend aussi des armes et des chevaux.

Encouragé par ce premier succès, Cathelineau entreprend le même jour d'attaquer Chemillé, où se trouvaient deux cents républicains et trois pièces de canon. Les révoltés étaient déjà plus de quatre cents; ils essuient une première décharge, fondent sur leurs ennemis, et emportent un avantage prompt et complet.

En même temps, deux autres rassemblemens s'étaient formés dans les environs. Un jeune homme, nommé Foret, du village de Chanzeaux, paysan un peu plus instruit et intelligent que ses camarades, qui venait de rentrer en France après avoir suivi un émigré, avait paru exercer assez d'influence sur les jeunes gens à Saint-Florent. Les gendarmes vinrent pour l'arrêter le lendemain; il s'y attendait: dès qu'il les vit approcher, il en tua un d'un coup de fusil; les autres s'enfuirent. Foret courut à l'église, sonna le tocsin, rassembla les habitans, leur prêcha la révolte, et leva une forte troupe dans tous les villages voisins. Stofflet, garde-chasse de M. de Maulevrier, en fit autant de son côté; et le 14 mars au matin, ces deux troupes vinrent se joindre à celle de Cathelineau. Le jour même on se porta sur Chollet qui est la ville la plus considérable du pays; on eut à combattre cinq cents républicains qui avaient du canon. Le combat ne fut pas plus incertain ni plus long qu'à Chemillé; mais le résultat était plus important. Chollet était un chef-lieu de district; on y trouva des munitions, de l'argent et des armes.

Le temps de Pâques approchait; les paysans croyaient en avoir assez fait pour être craints; ils voulurent retourner chez eux: l'armée fut entièrement dissoute; tout rentra dans l'ordre accoutumé. Une colonne républicaine envoyée d'Angers parcourut le pays, ne trouva pas de résistance, mais n'osa pas exercer de vengeances. Après les Pâques, on songea à faire une nouvelle révolte et à chasser encore les républicains: mais les paysans voulurent se donner des chefs plus importans; ils allèrent dans les châteaux demander au peu de gentilshommes qui étaient restés de se mettre à leur tête. M. d'Elbée était tranquillement auprès de sa femme qui venait d'accoucher, et il n'avait pris aucune part à la première insurrection. M. de Bonchamps, qui était avec lui l'homme le plus considéré du canton, fut entraîné de la même façon.

L'insurrection du Bas-Poitou commença le 12 mars, à peu près en même temps que celle de l'Anjou; elle fut plus générale. De Fontenay à Nantes, presque aucune paroisse ne se soumit au recrutement, et il se forma sur-le-champ un grand nombre de rassemblemens qui résistèrent ouvertement aux républicains; les plus importans furent ceux de Challans et de Machecoul. Un nommé Gaston, perruquier, commanda le premier. Il avait tué un officier, avait revêtu son uniforme, et s'était donné quelque importance. Après s'être emparé de Challans, il marcha sur Saint-Gervais, et il y fut tué. Des rapports mal rédigés, de faux récits, firent de ce Gaston le commandant de Longwy qui avait ouvert ses portes aux princes, en 1792. Pendant long-temps la France entière crut que tous les insurgés de la Vendée étaient commandés par ce général Gaston, tandis qu'en Poitou sa prompte mort faisait qu'on ignorait jusqu'à son nom.

Les révoltés du district de Machecoul eurent encore de plus grands succès; mais ils en usèrent pour faire des atrocités, et c'est le seul point de l'insurrection où il s'en soit commis. Peu après le soulèvement, on alla chercher M. de Charrette dans son château, pour le mettre à la tête de ces deux troupes qui devinrent bientôt l'armée la plus considérable du Bas-Poitou. Il avait jusqu'à ce moment vécu tranquille et très-soumis. Les révoltés, qui le firent leur chef, étaient fort indisciplinés et difficiles à commander; il eût sans doute inutilement essayé de s'opposer à leurs cruautés; il ne les approuva point, mais songea, dit-on, qu'il pouvait compter plus entièrement sur des hommes qui n'auraient ni grâce à espérer, ni arrangement à faire. En peu de temps, il fut le principal chef de cette partie; cependant cinq ou six petites troupes conservèrent des commandans particuliers.

Une autre armée se forma également le 12 mars, du côté de Chantonnay. Dès les premiers jours elle fut commandée par des gentilshommes, M. de Verteuil, MM. de Béjarry et quelques autres. Ce fut de ce côté, dans le département de la Vendée, que les révoltés obtinrent d'abord les avantages les plus marqués; et de-là est venu le nom de Vendéens, donné aux insurgés. Ils battirent un général républicain; les Herbiers, Chantonnay, le Pont-Charron, tombèrent en leur pouvoir. Au bout de quelques jours, ils se donnèrent pour chef M. de Royrand, qui était un ancien militaire fort respecté.

Pendant tous ces mouvemens, nous étions à Clisson parfaitement tranquilles, sans nous douter de rien. On était alors tellement dans l'inaction et la stupeur, qu'on ne savait en aucune façon ce qui se passait à quelques lieues plus loin. M. Thomassin était allé dans une terre de M. de Lescure, auprès des Sables; en revenant, il traversa le bourg des Herbiers, et trouva que tout y était fort calme. Il n'y avait pas plus de deux heures qu'il en était sorti continuant sa route, qu'il vit arriver derrière lui beaucoup de personnes qui s'enfuyaient au grand galop, et qui lui dirent que les Herbiers venaient d'être pris par dix mille Anglais débarqués sur la côte; il les crut fous, et poursuivit son chemin. En arrivant à Bressuire, il fut arrêté par plusieurs personnes, qui le questionnèrent avec inquiétude, et lui firent part de toutes leurs alarmes. La ville était en rumeur; deux cents volontaires étaient sous les armes; on ne savait que croire des bruits qui commençaient à circuler. M. Thomassin, qui avait continué à jouer à Bressuire son rôle de brave capitaine patriote, et qui portait toujours son uniforme de Paris, avait inspiré de la confiance aux autorités. Il se moqua de toutes leurs craintes, leur conta en riant qu'il venait des bords de la mer et des Herbiers, et leur dit qu'il se chargeait de défendre la ville contre toute attaque; ils le prirent au mot, et exigèrent sa parole qu'il reviendrait le soir même. En effet, après être venu nous rendre compte de tout ce qui se disait, il retourna à Bressuire, nous laissant inquiets et étonnés. Le lendemain il nous fit dire qu'il était vrai que les Herbiers et quelques autres bourgs venaient d'être pris; que l'on ne savait pas encore si c'était par des rebelles ou par des troupes débarquées. Un débarquement paraissait peu probable; de tels succès, obtenus par des paysans mutinés, n'étaient pas vraisemblables non plus. Cependant d'heure en heure on venait nous faire des récits absurdes et contradictoires. M. de La Rochejaquelein prit le parti d'envoyer un domestique chez sa tante, mademoiselle de La Rochejaquelein, qui demeurait à Saint-Aubin-de-Baubigné, dont les Herbiers sont éloignés de quatre ou cinq lieues seulement. Il écrivit une lettre insignifiante, et le domestique fut chargé de nous rapporter de vive voix quelques nouvelles.

M. le chevalier de ***, qui était ami et parent de mademoiselle de La Rochejaquelein, donna aussi au domestique, sans nous le dire, une lettre pour elle. Il lui envoyait une douzaine de sacrés coeurs qu'il avait peints sur du papier, et sa lettre contenait cette phrase: «Je vous envoie une petite provision de sacrés coeurs que j'ai dessinés à votre intention. Vous savez que les personnes qui ont foi à cette dévotion, réussissent dans toutes leurs entreprises.»

Le domestique fut arrêté à Bressuire; on ouvrit les lettres. Comme on disait que les révoltés avaient pour signe de ralliement un sacré coeur cousu à leur habit, la lettre du chevalier de *** produisit un terrible effet. Le lendemain, à sept heures du matin, nos gens nous réveillèrent pour nous apprendre que le château était cerné par deux cents volontaires, et que vingt gendarmes étaient dans la cour. Nous crûmes que l'on venait arrêter M. de La Rochejaquelein; nous le fîmes cacher; puis M. de Lescure alla demander aux gendarmes de quoi il était question. Ils répondirent que le district exigeait que le chevalier de*** fut livré ainsi que les chevaux, équipages, armes et munitions qui se trouvaient dans le château. M. de Lescure se mit à rire, et leur dit qu'apparemment on prenait sa maison pour une place forte, commandée par le chevalier; qu'il y avait sûrement du malentendu dans l'ordre du district; que le chevalier était un homme paisible et infirme qu'on ferait mourir de peur si on l'arrêtait; qu'il répondait de lui; qu'au reste il allait donner des chevaux, des fourrages et des fusils, parce qu'il pensait qu'on pouvait en avoir besoin.

Le brigadier des gendarmes prit alors M. de Lescure à part, et lui dit qu'il pensait comme nous; qu'il voyait bien que la contre-révolution allait se faire; que les révoltés ou les troupes débarquées avaient entièrement défait les patriotes à Montaigu. Il ajouta qu'il fallait, en attendant, tâcher de contenter le district au meilleur marché possible, et qu'il demandait en grâce à M. de Lescure de rendre un jour témoignage pour lui, afin qu'il conservât sa place. Mon mari écouta toutes ces confidences, sans y rien répondre: il se douta que ce gendarme était un patriote peureux. Nous en fûmes donc quittes pour quelques mauvais chevaux.

Deux jours après M. Thomassin arriva. L'insurrection faisait à chaque instant des progrès: Bressuire était menacé; le district et les autorités s'étaient retirés à Thouars; M. Thomassin avait trouvé moyen de s'évader. Il nous apprit la cause de l'expédition des gendarmes et l'histoire des sacrés coeurs. On avait d'abord voulu envoyer mettre le feu au château: il était parvenu à apaiser cette première fureur.

Nous passâmes la journée dans la joie, attendant toujours l'armée des royalistes. Les paroisses des environs de Bressuire avaient été désarmées après l'affaire du mois d'août; les plus ardens parmi les paysans avaient été tués ou réduits à se cacher. Ainsi tout notre canton était contraint d'attendre, pour se soulever, qu'on vînt à son aide.

Le lendemain nous sûmes que les rebelles avaient été repoussés, et que les autorités venaient de rentrer à Bressuire. Cette triste nouvelle nous consterna: c'était le signal de notre perte. Il fallait que M. de Lescure prît un parti. Toutes les gardes nationales des environs étaient convoquées pour aller défendre Bressuire. Il était, depuis quatre ans, commandant de sa paroisse; le château renfermait plus de vingt-cinq hommes en état de porter les armes, et sûrement l'ordre de marcher contre les rebelles ne pouvait tarder d'arriver. Nous aurions bien voulu aller les joindre; mais nous ignorions jusqu'aux lieux où ils pouvaient être, et il n'y avait pas moyen de s'échapper.

On se rassembla pour décider là-dessus. Henri de La Rochejaquelein, qui était le plus jeune, parla le premier: il dit vivement que jamais il ne prendrait les armes contre les paysans ou les émigrés, et qu'il valait mieux périr. M. de Lescure parla ensuite, et exposa qu'il serait honteux d'aller se battre contre ses amis. Chacun fut de cet avis; et dans ce triste moment personne n'eut l'idée de proposer un conseil timide. Ma mère leur dit alors: «Messieurs, vous avez tous la même opinion: plutôt mourir que de se déshonorer. J'approuve ce courage: voilà qui est résolu.» Elle prononça ces mots avec fermeté, et s'asseyant dans un fauteuil: «Eh bien! dit-elle, il faut donc mourir?» M. Thomassin répondit: «Non, Madame; j'irai demain matin à Bressuire, et j'essaierai de vous sauver; mais peut-être suis-je devenu suspect aux patriotes pour les avoir quittés; il est possible qu'ils m'arrêtent. N'importe; je suis décidé à m'exposer pour mes amis.» Nous le remerciâmes tous.

M. Thomassin partit. Chacun fit alors ses dispositions. Je renvoyai ma petite fille au village avec sa nourrice; puis ma mère, ma tante l'abbesse et moi, nous allâmes nous cacher dans une métairie. Ces messieurs restèrent préparés à tout, après avoir exigé que nous ne demeurassions pas avec eux. Nous restâmes pendant quatre heures dans cette métairie, à genoux et en prières, fondant en larmes. Enfin M. Thomassin nous envoya dire qu'il avait été assez bien reçu, qu'on n'avait rien décidé contre nous; que jusqu'à présent tout se bornait à quelques propos. Le domestique de Henri était toujours en prison: on avait parlé de le fusiller.

Nous passâmes une semaine dans l'anxiété. Nos domestiques ne pouvaient entrer dans la ville sans un laissez-passer; on les fouillait avec soin; M. Thomassin ne pouvait nous écrire.

M. de Lescure et Henri avaient entrepris de m'apprendre à monter à cheval. J'avais une grande frayeur; et même quand un domestique tenait mon cheval par la bride, et que ces deux messieurs marchaient à mes côtés, je pleurais de peur; mais mon mari disait que, dans un temps pareil, il était bon de s'aguerrir. Peu à peu j'étais devenue moins craintive, et je faisais au pas quelques promenades autour du château. Un matin, nous étions à cheval tous les trois, Henri, M. de Lescure et moi; de loin nous vîmes arriver des gendarmes; nous forçâmes Henri à gagner au galop quelque métairie. Les gendarmes demandèrent encore des chevaux, et spécialement ceux de M. de La Rochejaquelein. Il en avait encore un à l'écurie; M. de Lescure essaya de le sauver. Les gendarmes lui dirent que M. de La Rochejaquelein était beaucoup plus suspect que lui. «Je ne sais pas pourquoi, répondit-il; c'est mon cousin et mon ami, et nous pensons absolument de même.» Les gendarmes demandèrent où il était; on leur répondit: A la promenade. Ils emmenèrent le cheval, sans rien dire de plus.

Cependant nous apprenions tous les jours de nouvelles arrestations; tout ce qui restait de gentilshommes, la plupart vieux et infirmes, étaient mis en prison; les femmes n'étaient pas épargnées: nous attendions notre tour. L'ordre de tirer la milice arriva sur ces entrefaites; Henri était de la classe du tirage. Nos inquiétudes et nos angoisses redoublaient, lorsqu'il arriva un exprès que mademoiselle de La Rochejaquelein envoyait pour savoir des nouvelles de son neveu. Ce commissionnaire était un jeune paysan; il nous donna de grands détails sur l'armée royaliste. Châtillon était pris; toutes les paroisses des environs se joignaient aux révoltés. Le jeune homme finit par dire à Henri: «Monsieur, on dit que vous irez dimanche tirer la milice à Boismé: c'est-il bien possible, pendant que vos paysans se battent pour ne pas tirer? Venez avec nous, Monsieur; tout le pays vous désire et vous obéira.»

Henri lui répondit sans hésiter qu'il allait le suivre. Le paysan lui dit qu'il faudrait prendre des chemins détournés, et faire au moins neuf lieues à travers les champs pour échapper aux patrouilles des bleus. C'était le nom que les paysans donnaient aux troupes républicaines.

M. de Lescure voulait suivre son cousin: nous nous y opposâmes. Henri lui représenta que leur situation n'était pas la même; qu'il n'était pas forcé de tirer la milice; que ses paysans n'étaient pas révoltés; qu'il ne pouvait quitter Clisson sans compromettre le sort d'une famille nombreuse; qu'on ne savait pas encore au juste ce que c'était que l'insurrection. «Je vais aller examiner les choses de plus près, lui dit-il; je verrai si cette guerre a quelque apparence de raison. Mon départ ne sera pas remarqué; et si vraiment il y a quelque chose à faire pour la cause, alors il sera temps de vous décider; maintenant il y aurait de la folie.» Nous joignîmes nos prières à ces représentations; M. de Lescure céda, après avoir résisté long-temps. Mademoiselle Desessarts voulut ensuite empêcher Henri de partir, et lui dit que très-certainement il compromettrait son cousin et tous les habitans de Clisson, et que c'était nous envoyer tous en prison. Henri répondit qu'il n'avait rien à opposer à de pareilles objections, et qu'il serait au désespoir d'attirer la persécution sur nous. M. de Lescure lui dit alors: «L'honneur et ton opinion t'ont fait résoudre d'aller te mettre à la tête de tes paysans, suis ton dessein; je suis déjà assez affligé de ne pouvoir te suivre: certainement la crainte d'être mis en prison ne me portera pas à t'empêcher de faire ton devoir.—Eh bien! je viendrai te délivrer,» s'écria Henri en se jetant dans ses bras, et en prenant tout-à-coup cet air fier et martial, ce regard d'aigle, que depuis il ne quitta plus. M. de Lescure pria que l'on ne fît plus aucune représentation sur le départ de Henri, qui était irrévocablement décidé.

Après cette scène touchante, le chevalier de *** nous dit qu'il voulait aussi partir avec Henri pour aller se joindre aux royalistes. Depuis l'histoire de sa lettre décachetée, la peur le faisait extravaguer. Après lui avoir fait quelques objections, nous le priâmes de remarquer que M. de Lescure avait répondu de lui, par écrit, au district, et qu'il était indigne de le compromettre ainsi. Le chevalier de *** se mit à pleurer, dit qu'on voulait sa mort, qu'on le forçait de résister à la volonté de Dieu, qui lui avait inspiré le désir et donné les moyens de se sauver; puis il alla demander, à mains jointes, à M. de Lescure la permission de s'enfuir. Mon mari la lui donna par pitié et par dégoût. Alors nous nous inquiétâmes pour Henri. Le chevalier de *** avait cinquante ans; il était gros et lourd; nous lui dîmes qu'il retarderait la marche de son compagnon de voyage; qu'il ne pourrait faire neuf lieues dans une nuit, en sautant les fossés et les haies; qu'il serait cause de la perte de Henri, et le ferait tomber dans quelque patrouille. «Quand il entendra du bruit, il se sauvera et me laissera là.—Me croyez-vous aussi poltron que vous? répondit Henri; abandonnerai-je quelqu'un qui est avec moi? Si nous sommes surpris, je me défendrai, et nous périrons ou nous nous sauverons ensemble.» Le chevalier de *** se mit à lui baiser les mains, en répétant: «Il me défendra! il me défendra!»

Le soir, quand les domestiques furent couchés, Henri, armé d'un gros bâton et d'une paire de pistolets, partit avec son domestique, le chevalier de *** et le guide.

Le dimanche fixé pour la milice arriva: nos gens se rendirent au bourg; nous étions à déjeuner: tout d'un coup nous entendons crier: Pistolets en mains! et nous vîmes vingt gendarmes entrer au galop dans la cour; le château était cerné; nous descendîmes sur-le-champ; nous allâmes au-devant des gendarmes. Ils nous lurent un ordre du district, portant que M. et madame de Lescure, M. d'Auzon et toutes autres personnes suspectes qui pourraient se trouver à Clisson, seraient arrêtés. Ma mère déclara tout de suite qu'elle me suivrait en prison; mon père assura qu'il ne voulait pas non plus nous abandonner; ils persistèrent dans ce généreux dessein, malgré nos instances. M. de Marigny dit aussi qu'il était résolu à partager le sort de M. de Lescure.

Les gendarmes avaient toujours leurs pistolets à la main; il y en avait deux à mes côtés, qui me suivaient pas à pas; je leur demandai de me laisser monter dans ma chambre pour m'habiller, en leur faisant remarquer que si j'avais voulu j'aurais bien pu, à leur arrivée, essayer de fuir ou de me cacher: j'obtins avec peine qu'ils restassent à ma porte. M. d'Auzon représenta qu'il était fort malade: on lui permit de rester.

Quand les gendarmes virent que nous les recevions fort honnêtement, que le château était habité par des femmes et des vieillards, que tous nos gens étaient allés tirer la milice, ils commencèrent à s'adoucir. Un mot de ma mère les attendrit beaucoup; je la pressais de ne pas me suivre; un gendarme lui dit alors: «De toutes façons il aurait fallu que madame vînt; l'ordre comprend toutes les personnes suspectes.—Vous voulez donc m'ôter le plaisir de me sacrifier pour ma fille!» répondit-elle. Peu à peu les gendarmes nous prirent en amitié, et finirent par nous raconter que l'ordre était donné depuis dix jours; mais qu'on n'avait pas cru pouvoir se fier aux gendarmes du pays qui avaient montré de la répugnance à se charger de cette expédition. On avait attendu l'arrivée des brigades étrangères qui se rassemblaient contre les rebelles. Ils étaient arrivés la veille de Vierzon en Berri; ils ajoutèrent qu'ils étaient bien affligés d'avoir à arrêter des gens si aimés dans le pays, et qu'ils feraient pour nous tout ce qui dépendrait d'eux. Cette bonne volonté, qu'ils nous montrèrent de plus en plus, ne fut point achetée; nous ne songeâmes seulement pas à leur offrir de l'argent.

On attela des boeufs à la voiture, et nous partîmes tous les cinq, escortés par les gendarmes. En sortant de la cour, le chef leur dit: «Citoyens, j'espère que vous vous empresserez de rendre témoignage de la soumission avec laquelle on a obéi, et de l'accueil que nous avons reçu.» Quand nous arrivâmes à la porte de Bressuire, beaucoup de volontaires et de peuple se mirent à crier: A l'aristocrate! Les gendarmes leur imposèrent silence, disant qu'on serait bien heureux si tous les citoyens étaient aussi bons que nous.

La plupart des personnes arrêtées avaient été conduites au château de la Forêt-sur-Sèvre[3], qu'on avait converti en prison. Les gendarmes nous avaient dit qu'on n'était pas sans inquiétude sur la sûreté de ces prisonniers; qu'on craignait un massacre. Ils nous avaient promis de s'efforcer de nous faire rester à Bressuire. Ils demandèrent instamment au district qu'on nous laissât retourner à Clisson avec des gardes: cela fut refusé. Alors ils sollicitèrent que du moins on nous donnât la ville pour prison. Un officier municipal, fort honnête homme, qui était notre épicier, s'offrit à nous garder chez lui: on y consentit.

[Note 3: Il appartenait autrefois au fameux Duplessis-Mornay, dont on y voyait encore le tombeau. C'était un château assez fort.]

M. de Lescure se rendit au district; il était tellement respecté dans le pays, que les administrateurs furent interdits; ils s'excusèrent de l'avoir arrêté. Ils alléguèrent que l'ordre était donné autant pour sa propre sûreté, qu'à cause des soupçons qu'on pouvait avoir; qu'il ne pouvait se plaindre, puisqu'on ne s'était déterminé à cette mesure que bien après l'arrestation de tous les autres nobles. Mon mari leur parla avec assurance, demanda s'il y avait quelque reproche positif à lui faire, et réclama pour qu'on lui fît son procès s'il y avait lieu. On ne lui dit rien du chevalier de *** ni de M. de La Rochejaquelein: c'étaient là les seuls points sur lesquels il pouvait donner prise.

M. et mademoiselle Desessarts s'étant déguisés en gens de service, ne furent point arrêtés; mon père et ma mère auraient donc pu en faire autant.

Mémoires de Mme la marquise de La Rochejaquelein écrits par elle-même

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