Читать книгу Les arts et les industries du papier en France, 1871-1894 - Marius 1850-1928 Vachon - Страница 11
Les Dynasties de Papetiers
ОглавлениеLes anciennes Papeteries de France
Toutes ces inversions mécaniques, toutes ces découvertes de la chimie ont donné à l’industrie française de la papeterie un développement immense. Sa production générale atteint aujourd’hui à un chiffre, qui, il y a un demi-siècle, aurait été considéré comme invraisemblable. En 1789, on ne fabriquait en France que 8 millions de kilogrammes de papier; en moins de cinquante ans, ce chiffre est presque triplé ; quarante ans plus tard, en 1879, on le décuple. Cette progression, déjà bien rapide, va devenir vertigineuse. En 1889, elle arrive à 250 millions de kilogrammes et, en 1893, à 300 millions. La France compte actuellement environ cinq cents usines, avec un personnel de vingt-huit mille ouvriers. Ces usines sont disséminées un peu sur tous les points du pays; mais certaines régions montagneuses, abondamment pourvues d’eau et de forêts de sapins, pour leur alimentation en force motrice et en matières premières, les Vosges et le Dauphiné, en ont concentré un certain nombre.
L’Eure & Saint-Roch. Vue prise de l’Usine Firmin-Didot
La papeterie française peut s’honorer de véritables dynasties industrielles et d’établissements séculaires. Les Johannot, d’Annonay, remontent, comme papetiers, à l’année 1634. Deux frères, aux prénoms de Mathieu et Barthélemy, employés aux papeteries d’Ambert, quittaient l’Auvergne pour aller chercher fortune dans le Vivarais. Ils s’arrêtèrent à Annonay et y construisirent avec leurs modestes économies une petite usine, qui, grâce à leur intelligence et à leur activité, ne tarda pas à prospérer. En 1780, un autre Mathieu achète une chute d’eau dans le voisinage et fonde l’établissement de Marmaty. La célèbre manufacture de Vidalon-lès-Annonay, dont la création remonte au seizième siècle, n’a jamais cessé d’appartenir aux descendants de ses fondateurs: Canson et Montgolfier. De nombreux membres de cette dernière famille ont essaimé de là sur tous les points de la France: Charles de Montgolfier, en 1858, à la Haye-Descartes, sur les bords de la Creuse; Vincent de Montgolfier, en 1849, à la Tour-Clermont, par Charavines, dans le Dauphiné ; un troisième, à Montbard, dans la Côte-d’Or.
Usine Firmin-Didot, à (Sorel-Moufsel (Côté ouest)
Les Laroche et les Joubert, aujourd’hui réunis, avaient formé deux maisons de papeterie de l’Angoumois, dont la généalogie industrielle s’établit avec certitude et sans intermittence pendant deux cents ans. A la fin du dix-huitième siècle, Pierre-François Didot, créant l’établissement Didot à Essonnes, commençait une famille glorieuse de papetiers, qui en est aujourd’hui à la cinquième génération, dont chacune a apporté à l’industrie nationale des découvertes et des perfectionnements. Pierre-François fait les premiers essais de la machine Robert à fabriquer le papier continu. Léger, son second fils, inaugure, en 1801, à Dartford, une fabrication nouvelle et l’importe, en 1811, à Sorel. Frédéric Firmin II, fils de Firmin Ier, dirige pendant plusieurs années jusqu’en 1836, date de sa mort, l’usine du Mesnil, où le papier fut séché pour la première fois à l’aide de cylindres chauffés à la vapeur; Alfred Firmin IV, fils d’Ambroise Firmin III, gère ensuite les papeteries de Saussay, Sorel, Muzy et l’Estrée, où lui succède, en 1892, son fils cadet René Firmin V.
Les anciennes papeteries sont fort nombreuses. Le Marais a été fondé au commencement du dix-septième siècle. Dès le seizième, on trouvait des pilons à papier au village de Paviot, près Voiron, en Dauphiné, où il y a encore actuellement d’importantes usines. Les papeteries d’Arches et d’Archettes, dans les Vosges, ont conservé des titres de propriété datés du 23 juillet 1498. La première, à partir de l’année 1784, fut exploitée par la fameuse Société littéraire et typographique, fondée par Beaumarchais pour fabriquer les papiers de l’édition de Kehl de Voltaire. Depuis 1789, elle est entre les mains de la même famille, les Couad-Morel. L’usine de Cothiers, près d’Angoulême, a été créée en 1550. L’établissement Peyron frères à Vizille existait au quinzième siècle; il fut, pendant de longues années, la propriété du dernier connétable de France, le célèbre Lesdiguières. Les usines des Castilloux sur la rivière de l’Isle, près de Thiviers (Dordogne), datent au moins du commencement du dix-septième siècle; leur directeur actuel, L. Gaillard, descendant d’une des plus anciennes familles de papetiers du Périgord, possède un bail du moulin des Castilloux signé le 21 mars 1632. Les papeteries des vallées de Valeyre et de la Force, en Auvergne, figurent parmi les premières installées en France. L’usine de Notre-Dame-du-Port (Haute-Vienne) remonte à l’année 1682. La plus ancienne papeterie de France serait Essonnes. On croit que ses moulins ont été établis en 1340. Les premières mentions historiques, précises et détaillées, datent de la fin du quinzième siècle et du milieu du seizième. «En 1480, dit l’abbé Lebœuf dans son Histoire du diocèse de Paris (1757), il y avoit un autre moulin à papier nouvellement bâti par Hugues Denison en une petite isle à Essone et on l’appeloit le moulin du Pré.» En 1562, les moulins à papier, dont les ouvriers se disaient les suppôts du recteur de l’université de Paris, furent renversés dans la rivière d’Étampes par les soldats de l’armée du prince de Condé, qui ravageait le Gâtinais.
Vue panoramique du Papeteries d’Essonnes
Fabrication du papier à lettres
Machines
à enveloppes & à gommer
Maison Paul-Auguste Godchaux & Cie
Autrefois, la classification officielle du papier ne comprenait pas moins de soixante dénominations, depuis le Grand-Monde, de 1m,64 de largeur sur 0m,846 de hauteur, jusqu’au Petit-Jésus ne mesurant que 0m,358 sur 0m,221. Quelques-unes étaient fort pittoresques: le Grand-Soleil, Pomponne, Pantalon, Petit-nom-de-Jésus, Pigeonne, Main-Fleurie. Aujourd’hui il n’y en a plus que vingt et une. Il serait impossible d’établir en quelques lignes, par suite de leur multiplicité, la simple énumération des articles de toutes sortes livrés aujourd’hui par les fabricants à leur clientèle, pour la consommation immédiate; force est de les résumer en six grandes catégories: 1° les papiers à imprimer, en bobines et en rames, collés et sans colle, coquilles pour travaux de ville et papiers de couleur pour affiches; 2° les papiers à écrire, subdivisés en vélins et vergés, papier ministre, cartes collées à la gélatine, bulles et colorés pour enveloppes et pâte à registres; 3° les papiers filigranés et parcheminés; 4° les bobines blanches et colorées pour papier de tenture; les raisins et les jésus pour bristols; les articles pour papiers couchés et de fantaisie; 5° les sortes minces, papiers à cigarettes, pelures, mousselines; 6° les papiers de paquetage et d’emballage.
Fabrication du papier à lettres: la mise en boîtes
Maison Paul-Auguste Godchaux & Cie
Atelier de papeterie
Maison Paul-Auguste Godchaux & Cie
A quels emplois protéiques le papier est destiné par ses innombrables transformations industrielles! De lui, plus encore que du bloc de marbre de la fable de La Fontaine, on peut dire philosophiquement:
Sera-t-il dieu, table ou cuvette?
Le matériel et l’outillage de la vie contemporaine en sont faits pour une grande partie. Mâché et comprimé, on en fabrique des roues de wagons, des panneaux de voitures, des coques de bateaux, des tonneaux à bière, des bouteilles à liqueur, des fûts de canons, des tables, des guéridons, des fauteuils, des tuyaux à gaz, des poulies de transmission, des fers à cheval, des parquets, des portes, des fenêtres, des toits et des cheminées d’usine. Papier peint et carton-pâte, il contribue à la décoration des intérieurs les plus luxueux et les plus modestes. Les cartonniers, avec la collaboration de peintres et de sculpteurs, le convertissent féeriquement en ces mille fantaisies exquises des vitrines des confiseurs, des papetiers, des marchands d’articles de Paris: bonbonnières, coffrets de baptême, boîtes à mouchoirs, corbeilles, jouets, accessoires de cotillons, etc. Tout ce qui, dans les industries et les commerces de luxe, sert à envelopper, à parer, à présenter avec élégance et séduction un produit, dérive directement de lui. Orné de quelques vignettes légendaires, il résume la passion du jeu; billet de banque, il deviendra un des puissants leviers du monde. Le développement de sa production constitue donc une sorte de criterium de la civilisation moderne. Mais la plus haute manifestation de son utilité universelle est de répondre à la fonction supérieure de l’humanité : la diffusion de l’Idée. Il sera l’Image, création d’artiste, qui reflète presque à l’infini, pour le plaisir du pauvre comme pour l’orgueil du riche, le rêve et la réalité, le passé et l’idéal, revêtus des formes les plus séduisantes de la nature: la couleur, la grâce et la beauté. Il sera le Livre, la moderne Boîte de Pandore, où le génie a renfermé, et d’où s’envolent sur le monde, quand une âme l’ouvre, les nobles espérances, les douces illusions, les rêveries profondes, les consolations réconfortantes, les aspirations généreuses et la foi dans la justice, la liberté et l’amour. Il sera le Journal, qui, à travers l’espace et le temps, met les hommes en constante communion intellectuelle; qui solidarise d’opinions et de sensations des millions de cerveaux et de cœurs; qui sème partout des germes de progrès, et par qui se fera peut-être un jour l’unité morale de l’univers dans l’harmonie des pensées et des ambitions.
Atelier de glaçage du papier
Maison Berger-Levrault, à Nancy
Usine Firmin-Didot (Côté nord)