Читать книгу Les arts et les industries du papier en France, 1871-1894 - Marius 1850-1928 Vachon - Страница 7

La Genèse du Papier La Nature et la Science

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Un court préambule historique est nécessaire en tête de cette rapide étude sur la fabrication contemporaine du papier. L’auteur toutefois n’y poursuit point le but de faire facilement montre d’érudition; les nombreux livres publiés sur cette très antique industrie, depuis Pline et Théophraste jusqu’à Lalande, Lacroix et Payen, et les encyclopédies de tous genres contiennent tout ce qui peut s’écrire de plus savant. Mais l’analyse, même succincte, des phases diverses de la création de ce produit, si précieux pour l’humanité, est d’une telle suggestion de pensées philosophiques et sociales sur la puissance du génie de l’homme, quand il s’appuie solidement sur l’observation des phénomènes de la nature, qu’il n’est pas inutile de faire précéder la description des progrès réalisés pendant ce dernier quart de siècle de quelques lignes résumant les évolutions de l’industrie dans le passé et de signaler en même temps certaines analogies technologiques, assez curieuses, du domaine de l’histoire naturelle, que le dépouillement de mémoires et de travaux scientifiques, tant anciens que nouveaux, peu connus, permet de révéler.

Les érudits ont écrit, les uns, que le papier était dû aux Chinois; les autres, aux Égyptiens. Il a été beaucoup disserté à ce propos, sans qu’on ait pu parvenir à s’entendre sur la question de priorité, qui n’est pas, il est vrai, d’une bien grande importance historique et ne pourrait porter un grave préjudice d’amour-propre ni à ceux-ci, ni à ceux-là, en raison de leur éloignement dans la nuit profonde du passé. Chez les Égyptiens, l’usage du papier ou papyrus semblerait, en effet, remonter à des temps extrêmes; car l’on possède aujourd’hui des papyrus trouvés dans des tombeaux datant d’au moins dix-huit siècles avant Jésus-Christ. Ce papier était fait au moyen d’une plante qui croît sur les rives du Nil et qui a donné son nom au produit. Pline en a sommairement décrit le procédé. Après avoir dépouillé le papyrus de son écorce, on en tirait, par un tour de main particulier, d’assez larges pellicules étendues ensuite les unes sur les autres, en entre-croisant les fibres, et rendues adhésives par le frottement ou la compression; on les polissait à l’aide d’une dent de cheval, et les feuilles pouvaient recevoir l’écriture ou le dessin. Pendant que les Égyptiens préparaient ainsi le papyrus, les Chinois produisaient un autre papier par un système différent, celui de la fabrication à la cuve, tout en s’inspirant évidemment du même principe industriel, le feutrage par agglutination des fibres du bambou ou du mûrier. D’autres écrivains déclarent que le papier chinois a été transmis à l’Occident par les caravanes qui, de l’Asie Mineure, entretenaient un commerce incessant avec les Indes et l’Extrême Orient. Les Arabes, dont la civilisation a été si puissante et si féconde, qu’ils aient découvert ou reçu le procédé, installèrent en Afrique et dans la péninsule Ibérique des fabriques de papier de coton, qui, dès le neuvième siècle, firent au parchemin et au papyrus une concurrence écrasante. L’Europe ne devait pas tarder à importer cette industrie. L’érudition nous révèle, grâce à l’étude des vieilles archives, qu’un évêque de Lodève, en Languedoc, autorisait, par une charte en date de 1189, l’établissement de moulins à papier sur l’Hérault; elle nous informe encore, avec moins de précision, toutefois, de la date de la substitution du fil au coton, dont l’importation occasionnait de très grands frais; ce fut à la fin du treizième siècle, ou dans les premières années du quatorzième. On sait nettement, au moyen de documents authentiques, reproduits par Henry Havard dans son Dictionnaire de l’Ameublement et de la Décoration, que, vers la fin de ce dernier siècle, le papier était devenu si bon marché qu’on s’en servait pour les comptes de cuisine. Une «Ordonnance au sujet des finances du duc de Bourbon», rendue en 1374, oblige le trésorier du prince «à faire papier et registre» de toutes les sommes encaissées pour le compte de son maître et l’argentier «à faire escripre en papier journal du clerc d’offices ou du contrerolleur» le détail de tout ce qu’il «acheptera et prendra au meilleur marché qu’il luy sera possible». Dans les Comptes des rois de France se trouve la trace de nombreuses acquisitions de papier destiné à des usages analogues.

La généalogie du papier peut donc être établie assez exactement. Mais ce que, sans aucun doute, avec beaucoup de peine et après des tâtonnements infinis, le génie des Orientaux avait inventé ou découvert, la nature le réalisait avec perfection. De simples insectes, depuis que le monde est monde, bien avant l’homme, surent faire du papier et avec plus de science qu’il n’en montrera lui-même plus tard. Un chimiste, Aimé Girard, que cette citation révèle un naturaliste subtil, d’un tempérament à la Buffon, va le prouver éloquemment, dans une de ses conférences des Arts et Métiers:

«Avez-vous quelquefois observé dans nos bois les nids qu’y construisent les guêpes avec une habileté merveilleuse? L’étude en est bien instructive: voyez celui-ci. C’est une sorte de boule faite de feuilles minces s’enveloppant les unes les autres et portée encore par la branche de viorne sur laquelle le nid a été construit. Ici la paroi en est arrachée, laissant voir à l’intérieur la ruche avec ses alvéoles. Détachez un fragment de cette enveloppe, détachez la paroi d’une des loges de cette ruche, et vous serez tout étonnés de voir l’une et l’autre composées de fibres végétales entre-croisées, feutrées et collées entre elles.

«Portez alors au microscope une feuille de papier lâche, c’est du papier Joseph; étudiez-en la structure, et vous la voyez formée, comme le papier chinois de tout à l’heure, par l’entre-croisement d’une multitude de fibres se recouvrant et se feutrant de mille manières. A cette vue, substituez ensuite l’image d’un fragment détaché de ce nid, faites abstraction des impuretés: grains de sable, poussières, etc., dont le vent l’a nécessairement couvert, et c’est en face d’une structure identique à la précédente que vous vous trouverez. Ce résultat, comment les guêpes papetières l’ont-elles obtenu? C’est en broyant, à l’aide de leurs mandibules, les jeunes pousses des plantes, en dégageant la cellulose fibreuse du tissu végétal, en collant ensuite à l’aide d’un liquide gluant qu’elles sécrètent les fibres ainsi dégagées, qu’elles ont, confectionné le tissu de leur nid.»

Il y a plus encore. La nature a résolu le même problème par d’autres procédés techniques, devançant ainsi la science, qui, tout en ayant eu sous les yeux la preuve de la solution, ne sut pas en dégager immédiatement la leçon expérimentale. L’auteur de l’Art de fabriquer le Papier, Lalande, écrivait en 1761: «M. de Réaumur avait pensé que les bois qui se pourrissoient pouvoient aussi être employés à former du papier. La nature même opère sans le secours d’aucun art un papier très fin avec des plantes pourries au fond de l’eau; M. Guétard a observé dans des mares d’eau de la forêt de Dourdan, qui avaient été desséchées, des masses d’une matière totalement semblable à du papier.» Or ce n’est qu’en 1801 qu’on tentait de faire industriellement du papier de bois! Et, environ un siècle seulement après les constatations dé Réaumur et de Guétard, Payen découvrait la cellulose et en donnait l’analyse chimique, avec l’indication de ses propriétés industrielles, dont l’application allait provoquer une révolution en papeterie. Il y a dans le règne végétal une substance scientifiquement dénommée cellulose, que les botanistes définissent: «matière insoluble qui forme essentiellement les parois des cellules, des fibres et des vaisseaux.» Le bois n’est autre chose que de la cellulose épaissie et condensée. Étant révélée la cellulose à l’état de fibrilles infiniment divisées, toute la théorie de la fabrication du papier basée sur son emploi se réduit à obtenir avec ces éléments végétaux un feutrage analogue à celui que donnent les poils d’animaux, pressés et foulés. Une feuille de papier est, en somme, un mince feutre végétal, le tissu qui le constitue étant formé par l’étroite adhésion des brins de cellulose.

Depuis la seconde moitié de ce siècle, la science a mis à la disposition des industriels, en même temps que les théories les plus exactes et les plus fécondes, des agents chimiques et mécaniques, qui leur permettent de les appliquer et qui ont donné ainsi à la fabrication du papier un développement prodigieux...

Autrefois, dans la première opération de la papeterie — la formation de la pâte à papier — l’empirisme tenait presque exclusivement le rôle que la chimie y occupe aujourd’hui, en possession d’un outillage et de procédés relativement infaillibles, qui deviennent de jour en jour plus puissants et plus variés. On ne connaissait alors, comme matière première usuelle, que le chiffon, dont la rareté et la concurrence industrielle élevaient le prix de façon à empêcher la généralisation de l’emploi du papier, en dépit de la diffusion de l’instruction publique et du développement du commerce. Il ne fallut rien moins que la découverte par Berthollet du blanchiment par le chlore, pour l’utilisation de matières jusqu’alors considérées comme impropres à la papeterie. Et, en même temps, on se préoccupait, pour parer à cette rareté, de trouver des succédanés du chiffon. Cette recherche, qui se poursuit toujours avec activité et acharnement, est une des évolutions caractéristiques de l’industrie contemporaine. Déjà, en 1765, un livre singulier avait été publié à Ratisbonne, formé de spécimens de papiers fabriqués avec des pâtes de coton, de mousse, de sarment, de paille, de jonc et de feuilles de choux. Vingt-deux ans après, paraissait en France un ouvrage avec texte sur papier de tilleul, relatant les expériences de Léonce Delisle sur l’utilisation en papeterie de l’ortie, du houblon, de là mousse, du roseau, de la racine de chiendent, du coudrier, de l’écorce de chêne, du saule, du tilleul et du peuplier d’Orient. En 1834, un industriel, nommé Delestrade, expose un papier fait avec l’algue marine des Martigues et des étangs de Berre. En 1849, on essaye d’utiliser le bananier et le palmier nain d’Algérie; les Didot, vers ce même temps, fabriquent dans le Vaucluse du papier avec le bois de saule haché et passé sous la meule de moulin. Dans son rapport sur la Papeterie, à l’Exposition universelle de 1851, Ambroise Firmin-Didot écrivait relativement à ces succédanés du chiffon: «Après bien des essais infructueux on est cependant parvenu à employer avec plus ou moins de succès la paille et le bois, mais sans pouvoir détruire jusqu’à présent le principe colorant, qui ne permet d’en faire l’emploi que dans des proportions restreintes et dans les papiers de qualité inférieure. » Pendant longtemps, la paille a été, en effet, pour l’industrie française, le principal succédané ; l’industrie anglaise avait choisi l’alfa d’Algérie. Introduite par Seguin dans la papeterie, au commencement du siècle, la paille tient en Occident un peu le rôle, en Orient, du bambou, par ses multiples applications à la vie matérielle: la nourriture, le vêtement, l’outillage, l’habitation et le papier. Cette matière première est utilisée de deux façons. Abandonnée pendant quelques semaines à la macération à froid, au contact d’un lait de chaux ou bien lessivée rapidement sous pression à l’aide soit de cet agent chimique, soit de la soude caustique, elle fournit sous la meule un défilé coloré, qui tantôt, soumis à un raffinage sommaire, est employé à la fabrication du papier de pliage, sa première application et la plus généralisée; tantôt, blanchi au chlorure de chaux liquide, constitue l’élément essentiel de la fabrication des papiers blancs pour journal, emploi qui date de 1851 et qui a été perfectionné par le procédé Lespermont, remplacé lui-même récemment par un mode de lavage par déplacement du chlorure de chaux. Cette même année, il était pris un brevet pour fabriquer une pâte chimique de paille. La fabrication du papier de paille a toujours été en progrès de qualité et en augmentation de quantité. Actuellement des usines nombreuses sont outillées pour produire 15 000 kilogrammes par vingt-quatre heures de travail.

Batterie des piles Blanchisseuses

Usine Firmin-Didot


L’invention de la pâte de paille avait provoqué une transformation industrielle et économique de la papeterie; celle de la pâte de bois devait y produire une révolution. Les expériences de Léonce Delisle et des Didot étaient reprises avec des procédés nouveaux. On imaginait de défibrer mécaniquement le bois, et il paraissait, à l’Exposition universelle de 1867, une machine, inventée par l’Allemand Keller et perfectionnée par un papetier d’Idelsheim, nommé Welter, dont le principe technique est encore maintenu aujourd’hui dans les engins divers qui lui ont succédé. L’opération du défibrage mécanique par le procédé Welter se fait ainsi: le bois — ordinairement de l’épicéa et du tremble — est écorcé, puis taillé eh bûchettes de 33 à 50 centimètres de longueur et débarrassé de toutes ses nodosités; on place les bûchettes sous une meule en grès de 1m,25 à 1m,50 de diamètre, fixée sur un arbre horizontal faisant de cent vingt à cent cinquante tours à la minute, dans une auge en fonte divisée en compartiments, huit, douze ou seize, suivant la force à absorber. Chaque compartiment, dénommé tiroir, renferme un rinceur lavant la meule et entraînant les fibres au fur et à mesure qu’elles sont produites; le bois râpé, conduit par un courant d’eau, s’épure au travers de tamis cylindriques, d’où il est amené dans un raffineur composé de deux meules horizontales fonctionnant comme des meules à farine. La pâte, classée suivant sa finesse par des tamis, est mise sous presse pour former une galette de quelques millimètres d’épaisseur, qu’on expédie en ballots aux papeteries. De nombreuses et importantes usines se créèrent, pour cette branche d’industrie, en Belgique, en Suisse, en Autriche, en Allemagne, mais principalement en Suède et en Norvège. On utilisa non seulement le pin et le sapin, mais toutes les essences tendres et riches en cellulose: le tremble, le peuplier blanc, le tilleul, le charme, le saule et le noisetier. Dans les débuts de la fabrication, la pâte de bois mécanique présentait de fort graves inconvénients. Le papier, dans la composition duquel elle était entrée, jaunissait rapidement à la lumière, par suite de la présence d’une matière incrustante, dont la défibreuse ne pouvait débarrasser la cellulose; mais on ne devait pas tarder à trouver les moyens chimiques de purifier la pâte de bois. Cette découverte conduit rapidement à une autre: la défibration chimique par des procédés consistant à diviser la matière première en petites bûches, pour faciliter l’action des agents de transformation, à la lessiver sous pression dans un bain concentré de bisulfite de chaux ou de magnésie, puis à la laver, à la réduire en pulpe et à la blanchir par le chlorure de chaux.

Raffineuses & Défileurs de chiffons & pâtes

de bois

Papeterie de la Haye-Descartes


Atelier des machines à fabriquer le papier

Papeterie de La Haye-Descartes


Blanchiment de la pâte de bois

Usine Firmin-Didot


Par toutes ces découvertes, l’industrie de la papeterie était entrée définitivement dans une période nouvelle, la période scientifique, exclusive de tout empirisme. Elle a marché à pas de géant, et ses progrès sont continus. Non seulement l’industrie analyse aujourd’hui, avec une précision rigoureuse, les phénomènes mécaniques et chimiques de la nature; elle en crée de nouveaux par des théories préventives, dont les expériences ‘de laboratoire démontrent l’exactitude et la fécondité ; elle arrive ainsi avec certitude à des procédés infaillibles. La genèse de la fabrication de la pâte de bois en est la démonstration. En 1801, Mathias Koops prend à Londres un brevet pour fabriquer du papier avec la paille, les déchets de chanvre et de lin, «différentes sortes de bois» et d’écorce, en les trempant ou les faisant bouillir dans l’eau, à laquelle il a ajouté, suivant les cas, de la potasse ou des cristaux de soude. Le procédé est assurément ingénieux; mais il n’a pas de base scientifique solide. Les papetiers accumulent successivement brevets sur brevets, pour exploiter l’idée; aucun n’arrive à une application raisonnée et pratique; tous font plus ou moins de l’empirisme. L’idée reste stationnaire et inutilisée. Intervient la science; elle va résoudre le problème, donner la vie au germe inerte de l’invention de Koops, qui produira rapidement une superbe floraison de découvertes précieuses et de procédés industriels merveilleux. Payen crée la théorie chimique de la cellulose. Il démontre que le tissu végétal, formé primitivement de cellules allongées; souples et fibreuses, constituées par de la cellulose pure, se complique peu à peu, en vieillissant, du fait de l’incrustation de ces fibres par des matières nouvelles, nombreuses et variées, qu’il désigne sous le nom générique de matières incrustantes, et qui sont caractérisées par ce fait qu’elles comportent en général dans leur composition plus de carbone que de cellulose pure; il établit encore que la cellulose résistant énergiquement aux agents chimiques peut impunément être soumise à l’action des alcalis bouillants et des acides étendus, tandis que les matières incrustantes se transforment aisément, au contact de ces réactifs, en produits solubles et colorés. Une théorie aussi nettement établie, son application industrielle ne pouvait pas tarder.

Moulins à broyer la pâte de bois

Usine Firmin-Didot


En 1857, Houghton traite le bois par l’emploi simultané des liqueurs alcalines concentrées et des pressions considérables à douze et quatorze atmosphères, et en tire 33 pour 100 de fibres encore colorées, mais transformables en pâte blanche d’une utilisation facile pour le papier. Il se fonde une Société anglaise pour l’exploitation du procédé, et la fabrication de la pâte de bois chimique commence régulièrement et avec succès. Depuis lors, il a été inventé une série considérable de procédés nouveaux, procédés Sinclair, Francke, Mitscherlich, i, Darblay, Eckmann, etc., qui apportent au premier des perfectionnements ou des transformations et se résument tous en un lessivage de la matière première, effectué à des températures variables, dans un bain de bisulfite de chaux ou de magnésie et de résineux, suivi d’un lavage destiné à enlever à la pâte toute trace d’acidité provoquée par ces violents traitements chimiques. Les procédés actuels sont si parfaits que le papier à pâte de bois au- bisulfite peut servir au tirage des plus belles gravures. La France possède à cette heure de nombreuses et importantes usines pour cette branche de la papeterie. On fabrique aussi actuellement de la pâte de bois demi-chimique, obtenue par la cuisson, à 160 ou 170 degrés, de copeaux, bûchettes et par le raffinage économique au pulp-engine, et le plus souvent sur des défibreuses à pâte mécanique.

L’invention de la pâte de bois, soit mécanique, soit chimique, a pris une immense extension. On estime qu’il se fabrique annuellement dans le monde 300 millions de kilogrammes de cellulose. Quelles forêts il a fallu abattre! Le bois rend en moyenne 33 pour 100 de cellulose; un stère de sapin écorcé donne 150 kilogrammes de cette matière par le traitement chimique, et 200 à 250 — suivant le régime, — par le traitement mécanique: cette production représente donc environ 900 millions de kilogrammes de bois détruit. Ne soulèvera-t-on pas, un jour prochain, le même problème que celui des mines de charbon: l’épuisement de la matière première? Pauvres Dryades, Sylvains, Faunes et Nymphes, qui, à travers les bois, «suiviez d’un pied furtif le dieu Pan vers la fontaine profonde, et dont les voix sonores répondaient à l’écho du sommet des montagnes, dans la prairie où le crocus et la jacinthe aux suaves parfums confondent leurs fleurs avec l’herbe touffue!» ce n’était pas assez des bûcherons et des charbonniers pour détruire vos retraites ombreuses; arrive la horde impétueuse des papetiers! Oui, vraiment, le grand Pan est mort!

La science moderne a fourni à la papeterie une série considérable de succédanés du chiffon. Pour leur traitement et leur transformation en papier, elle mettra à sa disposition des produits chimiques et un outillage d’une puissance prodigieuse. A l’Exposition de 1839, le rapporteur général signale, comme un grand progrès, la généralisation du blanchiment par le chlore; en 1849, Ambroise Firmin-Didot, la substitution du chlore liquide au chlore gazeux, l’usage des antichlores et particulièrement des sulfites. Et, enfin, le jury de la Papeterie en 1867 constate, à défaut de découvertes importantes, des perfectionnements dans le lavage, le lessivage, le blanchiment des chiffons et l’épuration des pâtes de paille et de bois. Les usines à pâte et à panier sont devenues aujourd’hui de véritables laboratoires de chimie, tant est nombreuse la série des produits chimiques qu’on y emploie, qu’on y transformé et même très fréquemment, depuis quelques années, qu’on y prépare industriellement. L’eau est la base des opérations. Toutes les anciennes fabriques du Dauphiné, de l’Auvergne et des Vosges n’ont été fondées, n’ont vécu et ne se sont développées en de gigantesques usines que par suite de la qualité des eaux et de leur abondance pour les opérations de lavage, de blanchiment et pour la force motrice.

Atelier d’apprêt du papier

Usine Firmin-Didot


Dans l’Art de fabriquer le Papier, Lalande, au dix-huitième siècle, signalait avec soin les particularités des eaux d’Auvergne: «La différence des qualités du papier, dit-il, vient elle-même des eaux dont on est obligé de se servir dans les fabriques. L’eau qu’on emploie à Ambert y tombe immédiatement des montagnes; elle est plus vive et plus nette: souvent elle fait le papier plus blanc qu’à Thiers; mais elle cuit et dissout ou forme la colle moins bien que l’eau de rivière qui s’emploie à Thiers et contient plus d’air et de sels.» Aussi, l’eau employée dans les papeteries subit-elle de minutieuses analyses. Elle doit être complètement incolore, inodore et sapide; ne contenir ni carbonate de chaux ni sels de fer en dissolution. D’ailleurs, une série de réactifs, le chlorure de baryum, l’oxalate d’ammonium, le nitrate d’argent, le composé d’iodure de potassium et d’iodure de mercure, le sulfocyanure d’ammonium, l’hypermanganate de potasse à l’alun, l’ammoniaque et l’acétate de plomb en décèlent bien vite les traces nuisibles au papier. A l’eau réunissant les qualités requises, le chef d’usine mélangera, suivant la nature des matières premières et leurs transformations, la chaux vive, la soude, le sulfate d’alumine, le sulfate de fer, les extraits de bois brésiliens (pour les belles colorations), le carbonate de soude, le chromate de potasse, l’acétate de plomb, le manganèse, le prussiate de potasse, la colophane, l’ocre, le kaolin, la résine, l’amidon, l’hyposulfite de soude, le chlorure de chaux, le gaz muriatique oxygéné, l’acide sulfurique, le bisulfite de chaux, le bisulfite de manganèse, le sulfate de baryte, le carbonate de magnésie, le silicate d’alumine ou asbestine, etc., et beaucoup d’autres produits encore, dont l’emploi constitue des secrets de fabrication. Et comme l’électricité a l’ambition aujourd’hui d’intervenir partout, elle manifeste là sa puissance d’action par le procédé Hermitte, pour le blanchiment de la cellulose de sapin. Sous l’influence électrique et en présence de l’eau, le chlorure de magnésium se décompose en magnésium et en chlore, tandis que l’hydrogène et l’oxygène étant «électrolysés» également, le premier se dégage et le second se combine avec le chlore, produisant un composé, très instable, qui blanchit énergiquement la fibre de la cellulose. Mais le magnésium s’est oxydé pour former de la magnésie. De son côté, converti en acide chlorhydrique, le chlore s’est uni à la même matière. Alors, pendant que s’opérait le blanchiment, le chlorure de magnésium primitif a été reconstitué. Le procédé est donc d’une rare ingéniosité.


Les arts et les industries du papier en France, 1871-1894

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