Читать книгу Les arts et les industries du papier en France, 1871-1894 - Marius 1850-1928 Vachon - Страница 9
La Fabrication du Papier il y a cent ans et aujourd’hui
ОглавлениеDe la collaboration constante et intime de la chimie et de la mécanique, l’industrie contemporaine du papier a subi une transformation radicale dans les conditions techniques, économiques et sociales de sa production. Un parallèle entre les procédés d’il y a un siècle et ceux d’aujourd’hui, d’après un type de grande usine, celle des Firmin-Didot, à Sorel-Moussel, sur l’Eure, par exemple, ne saurait manquer d’intérêt.
Usine Firmin-Didot, à Sorel-Moufsel (Côté sud)
Prenons d’abord la préparation du chiffon, en excluant celle de la pâte de bois qui n’était pas encore inventée avant la Révolution. Les deux premières opérations sont le triage et le délissage. On amène les ballots de chiffons dans un vaste atelier, très clair et à l’aération facile, en considération des poussières qui se dégagent constamment dans l’atmosphère. A Sorel, Ambroise Firmin-Didot, par un caprice original d’érudit et d’artiste, s’est inspiré, dans sa construction, de l’architecture de Santa-Maria-Novella à Florence. Une immense table occupe le milieu de l’atelier; elle est divisée en vingt bancs de délissage, opération qui a pour but de déchiqueter et couper les chiffons sur une faux ébréchée, d’ouvrir les coutures et les ourlets, d’enlever les boutons, les agrafes et les œillets, et, ce travail fini, de classer les chiffons dans des casiers, suivant la qualité et la nature de la matière première. Le chiffon blanc doit servir pour les papiers de luxe; avec le gris, on fera du bulle; avec le bleu, de l’azuré, et avec le rouge, du buvard rose. La toile est séparée du coton; le lin, du chanvre; la laine, de la soie. Les auteurs de manuels et de guides du papetier établissent une classification de soixante-dix sortes de chiffons à séparer utilement avant leur emploi dans la fabrication. Parfois, on se sert pour le délissage de machines dites coupe-chiffons. A voir les chiffonnières, pour la plupart des femmes âgées, la tête couverte de la traditionnelle marmotte et vêtues de robes de coutil bleu, dans cet atelier sans machines, on pourrait se croire encore au dix-huitième siècle.
Atelier de délissage des chiffons
Usine Firmin-Didot
Trié et délissé, le chiffon est bluté dans un grand tambour en toile métallique, armé de bras et de pointes de fer, qui l’entraîne dans un mouvement rotatif, précipité et vigoureux. La poussière et les impuretés tombent dans une chambre inférieure; elles constitueront un engrais recherché par les paysans. Le nettoyage des chiffons blutés dans la pile laveuse, munie d’un cylindre rotatif pour l’eau claire et d’un tambour laveur à écopes, d’où le chiffon est conduit par des valves de fond dans les réservoirs d’égouttage, ne diffère pas sensiblement de la méthode employée autrefois. Mais là s’arrête l’analogie des procédés. Au dix-huitième siècle, et de temps immémorial, après le blutage, le chiffon était déposé dans une cave, le «pourrissoir», où il devait séjourner jusqu’à ce que la fermentation et la putréfaction eussent déglutiné les tissus. Aujourd’hui, la chimie se charge de cette besogne, dans des conditions de rapidité extraordinaire et d’innocuité absolue pour la cellulose. Des réservoirs d’égouttage, le chiffon est versé, par des wagonnets à bascule, dans un lessiveur sphérique, d’une contenance moyenne de 1000 kilogrammes de matière et pourvu d’un engrenage dé rotation continue, où il est soumis, sous une pression de vapeur de 3 kilogrammes, à l’action d’une lessive de soude et de chaux, qui lé décolore et le dégraisse. Après le lessivage, des cylindres à lames d’acier ou de bronze, mus rapidement, déchiquettent le chiffon et le réduisent en bouillie; c’est là le défilage, qui dure de deux à trois heures. Cette opération, autrefois faite au moyen de batteries de pilons actionnés par une roue de moulin, était suivie de l’exposition du chiffon au soleil et à la rosée, pour le blanchir par l’oxygénation atmosphérique. Aujourd’hui, les piles blanchisseuses ont supprimé ce procédé, fort pittoresque sans doute, mais ausssi lent qu’incertain, par suite des variations de la température. Dans de grandes cuves doublées en ciment et de forme elliptique est jeté le chiffon, auquel on mélange la pâte de bois chimique ou demi-chimique, suivant les besoins. Sur la masse, on verse un bain de chlore liquide, avec addition d’acide sulfurique étendu d’eau pour le dégagement rapide de cet agent. Sous l’action d’un cylindre à spatules de sapin, la matière est maintenue constamment dans un mouvement lent de rotation et d’agitation. Elle ressemble à un ruisseau de neige à demi fondue, ou mieux à un pantagruélique sorbet granité. Les grandes piles contiennent jusqu’à 700 kilogrammes de matière, dont le blanchiment, suivant la qualité à donner à la pâte, exige de trois à cinq heures d’immersion. Au bout de quelques semaines d’usage, la pile présente un aspect à ravir un amateur de patines antiques; le ciment ressemble à de l’albâtre, et le cuivre des énormes robinets de distribution et de vidange, à du bronze pompéien. Des piles blanchisseuses, la matière est conduite par des tuyaux dans les piles raffineuses, où elle subit l’addition de la pâte mécanique et une trituration nouvelle, qui réduit la cellulose en une pâte très fine et fort homogène, ressemblant à des œufs à la neige. La trituration aux trois quarts achevée, la pile reçoit les matières propres au collage et à la coloration. Pour cette opération du raffinage, on se sert aussi fréquemment de machines à force centrifuge, le pulp-engine, d’une énergie exceptionnelle. Dans une auge, à la forme singulière d’une oreille humaine, une meule en fonte est calée sur un arbre horizontal, faisant trois cents tours à la minute. En regard des deux faces de cette meule tournante se trouvent deux autres meules fixes, l’une conique concave, l’autre conique convexe, armées sur leurs deux faces de lames d’acier en rayon. La trituration de la matière y est aussi complète que rapide. Ailleurs est préparée la colle par une série d’opérations fort délicates. Dans une cuve en tôle d’acier, remplie au tiers d’eau chaude, sont dissous 20 pour 100 de carbonate de soude Solvay et 50 pour 100 de colophane. La dissolution ne s’effectue qu’après deux ou trois heures de cuisson lente et bien soignée. Ce mélange est versé dans une série de cuves en ciment, où il reste jusqu’à complet refroidissement, pour en extraire tout le réactif qui se dégage à la surface. Après huit ou dix jours de repos, décantation. Le savon, devenu semblable à une crème au café, est mis en dissolution de nouveau dans une cuve en tôle d’acier, renfermant 80 pour 100 d’eau tiède, pour obtenir un lait de colle bien blanc, qu’on filtre d’abord et qu’on mélange ensuite à une bouillie de fécule, d’asbestine ou de kaolin. Il sort de cette cuve un liquide un peu épais, qui est transporté dans les piles raffineuses par une ingénieuse combinaison de tuyaux distributeurs. Quant aux produits chimiques destinés à colorer la pâte, ils sont fournis tout préparés à la papeterie. Cette série d’opérations terminée, la pâte à papier est faite.
Atelier de trituration pour la préparation des pâtes
Fabrication du papier & du carton. Usine Vacquerel
Piles raffineuses. Usine Firmin-Didot
Machine à papier & à carton continua. Dessin technique de l’ensemble
Usine Vacquerel
Machine à fabrique le papier & le carton. Cuver & Epurateurs
Usine Vacquerel
Vient ensuite la transformation de cette pâte en papier. Pour le dix-huitième siècle, Lalande nous servira de guide, Cette digression rétrospective est indispensable, pour montrer par comparaison les immenses progrès accomplis dans cette industrie, depuis cinquante ans. «Quand la pâte a reçu sa dernière façon, dit Lalande, elle n’est plus que comme de la bouillie, sans aucune consistance; un des ouvriers, qu’on appelle laveur, la tire de la pile avec une petite bassine de cuivre et en remplit une auge de pierre qui est à sa portée. Aidé de l’ouvrier, il décharge sa bassine dans cette cuve. L’ouvrier ajoute la quantité d’eau qu’il juge nécessaire suivant la force du papier qu’il est question de faire; il remue cette pâte avec une fourche de bois pour la bien mêler et délayer avec l’eau. Dans cet état, la pâte ne paraît plus que comme du petit-lait ou de l’eau un peu trouble. On entretient la cuve dans une chaleur à y pouvoir tenir la main pendant tout le temps qu’on y travaille. Il faut avoir soin de brasser la cuve plusieurs fois dans la journée. L’ouvrier, que l’on appelle aussi ouvreur ou plongeur, monte dans sa nageoire (espèce de niche) et, dans l’échancrure de cette espèce de table qui borde le contour de la cuve, tient une forme à deux mains par les extrémités, avec le cadre ou la couverture appliquée exactement dessus la forme. Alors, l’inclinant un peu, il la plonge dans la cuve. Aussitôt il relève horizontalement la forme chargée de cette pâte liquide, dont le superflu s’écoule à l’instant de tous côtés et dont la quantité suffisante est retenue par le contour de la couverture et par son épaisseur. L’ouvrier étend cette pâte sur la forme en secouant doucement de droite à gauche et de gauche à droite, comme s’il voulait la tamiser; c’est ce qui s’appelle «promener» ; de même, par un autre mouvement qui se fait en avançant et reculant horizontalement la forme d’avant en arrière et d’arrière en avant, cette matière se serre, s’unit, se perfectionne; c’est ce qu’ils appellent «serrer». Ces mouvements sont accompagnés d’une légère secousse qui sert à enverger la feuille, c’est-à-dire à la fixer. La feuille se précipite sur le grillage de laiton, tandis que l’eau passe au travers des intervalles, et il reste sur la forme une vraie feuille de papier. Le plongeur pose aussitôt sa forme sur le bord de cuve et il en ôte la couverture. Le coucheur prend la forme sur le trapan de cuve avec la main gauche; il la roule doucement en l’inclinant sur le coin du bord carron (le coin qu’on pince en levant la feuille), afin de le renforcer; ensuite, il la redresse et l’appuie contre des petits bâtons implantés dans la bordure de la cuve. Pendant qu’elle s’égoutte, le coucheur étend un feutre et la renverse dessus. Il la rend au plongeur et trouve sur le trapan de cuve une seconde feuille à coucher. Lorsqu’on a le nombre de feuilles et de feutres suffisant pour former une «porse», c’est-à-dire un nombre de feuilles traditionnel correspondant à la grandeur du papier, on porte la porse sous la presse. Quatre hommes pressent avec toute la force dont ils sont capables sur un levier de douze pieds et emploient ensuite le cabestan. Cela fait, le coucheur et l’apprenti vireur retirent la porse de dessous la presse et la remettent à un quatrième ouvrier nommé le leveur. La fonction du leveur consiste à détacher les feuilles de dessus les feutres. Le leveur pince le coin de la feuille qui est de son côté avec le pouce et l’index de la main droite; dès que le coin de la feuille est levé d’environ un pouce, le leveur le prend de la main gauche, soulève la feuille en glissant en même temps la main droite vers le milieu de la feuille jusqu’à l’autre coin. Alors qu’elle est levée au tiers, il l’enlève hardiment des deux mains et l’étend sur la planche. Cette nouvelle porse, dite «porse blanche», est portée ensuite sous une pressette qui en exprime encore le peu d’eau qui pouvait y rester; cette pressette donne du corps au papier, rend le grain plus uniforme en effaçant les impressions de la vergeure. Ainsi formée d’environ huit cents feuilles, la porse se porte aux étendoirs. Le papier ayant séché, on descend les feuilles de dessus les cordes, le leveur les met en moules, c’est-à-dire en piles, puis il les frotte avec une lisse de bois, les manie, les secoue pour en faire tomber la poussière et les détacher les unes des autres; ensuite il les met en pile dans le magasin où l’apprenti vient les prendre pour le collage. Le «saleran», ouvrier colleur, debout devant son «mouilloir» ou «mouilladour», où a été versée la colle de la grande bassine, mélangée avec de l’eau et où l’on fait infuser de l’alun rouge au moment du travail, reçoit les «pages» (sept à huit feuilles) des mains de l’apprenti, en fait des poignées ou «empages» et les plonge dans le mouilloir avec des petites palettes de carton ou de sapin mince. Pendant que d’une main il tient les palettes, de l’autre il feuillette les feuilles de papier pour que la colle puisse s’insinuer facilement partout. On porte ensuite la poignée sous une presse pour en dégager la colle superflue.»
Machine Lhuillier à fabriquer le papier: la Sécherie
Usine Firmin-Didot
Machine Lhuillier à fabriquer le papier: Cylindres épurateurs
Usine Firmin-Didot
Machine Lhuillier à fabriquer le papier: Table de fabrication
Usine Firmin-Didot
Machine Lhuillier à fabriquer le papier: Vue d’ensemble
Usine Firmin-Didot
Vue d’ensemble de la Machine à fabriquer le papier & le carton; les Coupeuses & les Calandres
Usine Vacquerel
Voilà comment en France, au dix-huitième siècle et même dans les premières années de celui-ci, on faisait le papier. Combien cette opération était longue, pénible, coûteuse et aléatoire! Je vais montrer cette fabrication à la fin du dix-neuvième siècle. Le contraste entre les deux procédés sera saisissant.
Dans une grande galerie, dont les larges baies mettent partout de la lumière et de l’air, est installée une colossale machine, qui l’occupe tout entière, moins les dégagements nécessaires à la circulation des ouvriers. A l’extrémité de la galerie, deux vastes cuves de bois, élevées de 2 mètres au-dessus du sol, sont juxtaposées, pleines d’un liquide laiteux. La première par un tuyau énorme reçoit directement la matière des piles raffineuses situées à un étage supérieur, en même temps qu’une pompe y déverse de l’eau, dans de telles proportions graduées qu’elle puisse servir de régulateur de densité de la pâte. Dans la seconde cuve, réservoir d’alimentation de la machine à papier, une hélice agite constamment le liquide pour maintenir la cellulose en suspens. De cette cuve, le liquide se déverse dans un labyrinthe de bois, dit le sablier, dont le fond est garni de lamelles renversées, qui ont pour but d’arrêter toutes les parties siliceuses imparfaitement triturées, et gagne successivement, par les tourillons, une batterie de trois cylindres épurateurs rotatifs à mailles de bronze d’un demi-millimètre, d’où ne peut sortir aucune impureté. Des épurateurs, la pâte va tomber sur la table de fabrication, après avoir traversé le «réglard», qui a pour rôle de ne laisser passer par seconde que la stricte quantité de liquide exigée par l’épaisseur du papier à fabriquer. Mettez le doigt dans la pâte; il semble qu’on ne touche que de l’eau, tant est complète la diffusion de la cellulose. Comment cette eau pourra-t-elle se convertir en feuille de papier? La table de fabrication, de 8 mètres de longueur, sur une largeur variable, mais qui peut atteindre jusqu’à 3 mètres, est formée par une toile de fils de bronze, sans fin, qui se meut lentement, avec un mouvement de va-et-vient, par la rotation d’une série de soixante rouleaux, sur lesquels elle porte. Une partie de l’eau de la pâte filtre à travers les mailles de la toile d’un dixième de millimètre d’écartement; les fibres de la cellulose diluée, tout à l’heure impalpables, commencent à s’agglutiner, techniquement à «se cailler», sous les effets combinés du va-et-vient et du filtrage. La rapidité d’écoulement du liquide est encore cependant de plus d’un mètre par seconde. Mais tout à coup la lame d’eau, conduite par la toile métallique, passe au-dessus d’une sorte de caniveau, où fonctionne une pompe aspirante. L’agglutination des fibres de la cellulose, qui à ce moment ne contient pas moins de trois quarts d’eau, devient, sous cette aspiration, instantanément si rapide et si énergique qu’en quittant sur ce point la toile métallique, la pâte forme une feuille qui peut gagner sans support la batterie des presses humides. Elle est bien ténue; l’attouchement le plus léger, un souffle peut-être, la romprait, et l’on ne se défend pas d’une certaine anxiété, en la voyant s’engager sous le premier rouleau, dont la puissance de pression dépasse 20000 kilogrammes. Mais elle est déjà sortie, pour glisser sous un deuxième, et, de là, entre une nouvelle batterie de presses coucheuses: le papier est fait! Il s’est écoulé, du moment où la pâte est sortie torrentueusement du réservoir d’alimentation, jusqu’à celui où la seconde opération, le séchage, va commencer, une demi-minute! Le papier est tout humide; il recèle encore près d’un tiers d’eau. Une série de vingt-deux cylindres chauffés à la vapeur à une température graduelle, autour desquels, sur des feutres sans fin, s’enroule la feuille, le séchera en moins d’un quart de minute, jusqu’à son passage dans une calandre, où il recevra un lissage perfectionné, et à son embobinage définitif, après avoir été coupé mécaniquement à la dimension réclamée par le client. L’opération générale de la fabrication du papier a duré moins d’une minute! Une machine de ce type, la plus belle qui ait été montée jusqu’à ce jour en France, produit en vingt-quatre heures 12 000 kilogrammes de papier. Tout cet outillage prodigieux, qui compte plus de mille organes variés, actionné par une force motrice de cinquante chevaux, fonctionne paisiblement, avec la calme régularité d’une force inépuisable et consciente. Autour du colosse circule gravement, sans agitation ni inquiétude, un ouvrier à la figure intelligente, au regard fin et profond. De temps en temps, il se penche sur la table de fabrication, ou sur un cylindre; examine le papier; serre un écrou; verse un peu d’huile lubrifiante sur un engrenage; hausse ou baisse un rouleau; tâte du doigt un feutre sécheur; vérifie le manomètre, et, cela fait, s’accoude contre un bâti, silencieux et méditatif: personnification expressive et superbe du travail moderne, où l’intelligence active asservit et gouverne à son gré la force physique de la nature. De quelle puissance de l’esprit humain témoigne la création d’une pareille machine, à l’organisme si complexe et si simple à la fois dans la variété et l’unité de son action! De la première jusqu’à la dernière opération, ni interruption, ni arrêt, rien qui trahisse une hésitation ou une défaillance. Tout cela est d’une grandiose poésie.
Machines à fabriquer le papier
Usine Firmin-Didot
C’est la France qui a créé la machine à papier la plus perfectionnée; c’est à elle aussi que revient l’honneur de sa première conception. A la fin du siècle dernier furent faits à Essonnes, chez François Didot, les essais de la fabrication mécanique du papier continu, dont l’idée était d’un employé de l’usine, nommé Robert. On en obtint un résultat satisfaisant; mais les événements politiques firent ajourner les expériences décisives. Dès que la paix d’Amiens eut renoué les relations entre la France et l’Angleterre, le fils de François Didot, convaincu de l’avenir de l’invention, alla chercher outre-Manche ce que la France ne pouvait, à son avis, lui donner: des capitalistes, des mécaniciens et des fabricants audacieux. Il s’associa avec son beau-frère, John Gamble, et tous deux prirent, en 1801, un brevet anglais. Après une longue période de tâtonnements coûteux et pénibles dans la papeterie de Dartford, la fabrication mécanique du papier continu entra définitivement dans la pratique industrielle. Quel nouvel exemple des vicissitudes et des luttes du génie français; de celte fatalité, qui semble être une loi historique: l’expatriation des plus grandes découvertes nationales et leur retour de l’étranger sous une forme nouvelle, après de longues années de dédain et d’oubli!
En papeterie, dans le domaine de la mécanique, comme dans celui de la chimie, une découverte ou une invention en provoque une autre. A la suite de la construction des nouvelles machines à fabriquer le papier continu, la fabrication à la cuve ne pouvait rester stationnaire et continuer à évoquer, à la fin du dix-neuvième siècle, par son outillage et son principe, l’industrie du temps des Elzévier et des Pigouchet. En 1884, le directeur adjoint de la fabrication des billets de la Banque de France, A. Dupont, a inventé une machine à fabriquer le papier à la cuve dans les mêmes conditions de qualité. Cette machine, originale, d’une forme toute nouvelle, a été décrite comme suit, par le rapporteur de la Papeterie à l’Exposition universelle de 1889: «Elle possède quarante formes en bronze, montées sur une chaîne sans fin. Cette chaîne supportée par des galets se déplace d’un mouvement uniforme, dans un plan vertical, sur des chemins horizontaux, parallèles et superposés. Chacune des formes porte une couverte articulée sur un des côtés, formant charnière et pouvant se rabattre au-dessous du niveau de la toile sur laquelle se fait le papier. Contrairement à ce qui a lieu dans la fabrication à la main, on ne fait pas descendre les formes pour les plonger dans la cuve: c’est celle-ci qui monte vers les formes et les noie. Dans leur mouvement de translation, les formes viennent se présenter successivement au-dessus de la caisse à pâte qui, en s’élevant, les recouvre de pâte pour s’abaisser ensuite. Au sortir de la caisse, les formes, continuant leur mouvement, reçoivent sur une partie de leur parcours un tremblement analogue à celui de la toile mécanique d’une machine à papier ordinaire. Lorsque la pâte est suffisamment envergée et égouttée, une fourchette saisit la couverte par une oreille fixée sur un de ses côtés et la rabat, laissant la feuille complètement à découvert sur la forme et prête à être couchée. Le couchage se fait de bas en haut sur une toile mécanique sans fin qui passe sur un gros cylindre garni de flanelles mouillées. Après le couchage, les formes, continuant leur mouvement, descendent dans le chemin circulaire, au-dessous d’un plancher de service qui règne tout autour de la machine, et viennent se laver dans un bac rempli d’eau; elles remontent par le chemin circulaire opposé et reviennent à leur point de départ. La feuille couchée sur la toile sans fin passe à l’étage supérieur et rentre dans la sécherie; elle est d’abord essorée par des feutres, pressée entre les rouleaux d’une presse humide, séchée sur des cylindres chauffés à la vapeur et finalement à la sortie du dernier sécheur enlevée à la main par un apprenti. La toile passe ensuite dans des caisses remplies d’eau où elle est nettoyée par des brosses et revient au coucheur.» A la même Exposition figurait le modèle en réduction d’une machine inventée par le comte de Sparre pour fabriquer le papier à la cuve, également avec une combinaison de formes multiples et mobiles.
Calandres & Satineuser
Papeterie de La Hayes-Descartes
Calandres & Coupeuses
Usine Firmin-Didot
Ce n’est point seulement dans la construction de ces machines colossales que se manifeste le génie français moderne. L’ambition de certaines spécialités a enrichi l’outillage ordinaire d’innovations, précieuses et intéressantes par leur originalité et par leurs services industriels. Laroche-Joubert, le grand-père du chef actuel de la célèbre Coopérative d’Angoulême, a inventé le rouleau vergé et bâtonné. A lui sont dus aussi les rouleaux pour imprimer dans la pâte le filigrane, cette préoccupation constante des recherches de ceux qui fabriquent des papier fiduciaires et des papiers de fantaisie. Par des procédés spéciaux, les usines du Marais ont apporté récemment dans cette branche de fabrication une régularité mathématique, qui en fait la garantie la plus efficace contre la fraude, et permet à l’impression, sans repérage nouveau continuel, par un simple margeage, de coïncider rigoureusement avec le filigrane. D’autres, Morel, Bercioux et Masure, obtiennent des filigranes en vélins, par l’emboutissage ou le gaufrage des toiles mécaniques entre deux matrices gravées et envergées, présentant cette particularité caractéristique que la vergeure existant dans les parties unies de la feuille se continue et reste visible dans les parties sombres, comme dans les parties claires du filigrane, lettres, figures ou ornements.
Fabrication du carton cf de la carte en feuilles
Atelier de collage
Usine Vacquerel
Et quelle nombreuse série de machines secondaires ont créées nos constructeurs; machines qui viennent compléter le travail de la fabrication du papier: bobineuses, coupeuses en long et en large à coupe droite et oblique, coupeuses en biais avec ramasse-feuilles, ébarbeuses, laminoirs et calandres! On lissait tout récemment encore le papier avec un outillage primitif et compliqué. Aujourd’hui, cette opération, qui s’applique aux sortes les plus vulgaires, a donné naissance à la calandre de papeterie, d’une puissance extraordinaire dans les dernières inventions françaises. Dans un bâti vertical de fonte et d’acier d’une hauteur de 6 mètres, sont superposées par accouplement des batteries de cylindres, douze fréquemment, de dimensions colossales, à rondelles de papier comprimé. Entre ces cylindres, entraînés dans un mouvement de rotation rapide, glisse la feuille de papier continu, qui, de la compression et de la friction simultanées, reçoit un apprêt de consistance et de poli, la rendant apte aux impressions des gravures les plus délicates. Deux calandres, dernier type de Lhuillier, peuvent en vingt-quatre heures de travail suivre la production d’une des nouvelles machines à fabriquer le papier. Avant d’être livré au consommateur, le papier subit souvent, dans la fabrique même, ou dans des usines distinctes, des préparations spéciales d’apprêt, de couchage et de teinture, pour le rendre propre à certaines impressions ou à des usages de fantaisie. Cette industrie se rattache à celle du papier peint.
La fabrication du carton ne présente pas, par rapport à celle du papier, de différences technologiques, comme matières premières, outillage et procédés. Les matières premières sont: les vieux papiers, les déchets de papeterie, les chiffons grossiers, la paille et la pâte de bois. Il y a là aussi des blutoirs, des lessiveurs, des piles raffineuses, des pulp-engine, qui nettoient, déchiquettent, triturent et blanchissent. On mélange également à la pâte de nombreux produits chimiques, de l’argile, de la craie et du kaolin. Le carton se fabrique à la cuve ou à la machine; cette dernière méthode acquiert de jour en jour de l’extension. On a construit dans ce but de puissantes machines, du type de celles de la papeterie, qui permettent de produire par vingt-quatre heures jusqu’à 20000 kilogrammes de carton, variant d’épaisseur et de poids, depuis 90 grammes jusqu’à 2 livres et demie. De ces machines le carton sort rogné, laminé, coupé et compté. Quand le carton doit, en raison d’un emploi direct, recevoir une teinte particulière — car le teint en pâte est réservé à quelques rares qualités superfines — il subit, en fabrique, des manipulations spéciales. Soit manuellement, soit au moyen de machines, on revêt les deux faces d’une feuille de papier de la couleur demandée. Les feuilles, après encollage, sont portées sous des presses hydrauliques, et, de là, conduites en wagons dans des séchoirs où la dessiccation se fait graduellement. Cette opération a déformé et gondolé les cartons; des laminoirs, dans lesquels ils passent entre des plaques de zinc, les rendent parfaitement plats et polis. Il est des machines à fabriquer le carton, où cette opération de l’encollage de la feuille de couverture se fait au passage de la matière liquide sous la presse humide; la fécule dont a été enduite la feuille se transforme instantanément en colle, quand elle entre en contact avec le premier cylindre de la sécherie. On fait encore du carton, solide et économique, en insérant entre les feuilles de papier des copeaux, des lamelles de bois et même des plaques métalliques; au moyen de feuilles de papier de paille, superposées, collées et pressées, du carton-planche, qui se rabote et se travaille comme du bois. Mais nous entrons là dans un domaine industriel qui n’est plus guère celui de cet ouvrage. L’analyse des applications si variées et parfois très extraordinaires du carton entraînerait fort loin.