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LETTRE A M. Gabriel Lackmyer,

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POUVANT SERVIR

DE PRÉFACE A TOUTES LES ŒUVRES POÉTIQUES DE L’AUTEUR.

Mon cher Ami.

C’est dans nos longues courses de vacances, où tantôt nous franchissions les montagnes Savoisiennes avec l’ardeur de nos quinze ans, et où tantôt assis près de quelque torrent sauvage, nous écoutions soupirer la brise dans les arbres; c’est dans nos promenades pleines de confiants épanchements ou de muettes rêveries, que le premier germe poétique s’est développé en mon sein. Déjà, quoiqu’enfants, nous pressentions une langue sacrée, déjà nous étions poètes par le cœur sans savoir le nom même de la poésie. —

D’une autre part, c’est vous encore qui aujourd’hui m’avez forcé, pour ainsi dire, à sortir du carton où ils dormaient enfermés, quelques-uns de ces fragments; il est donc bien juste que je vienne faire peser un peu sur vous la responsabilité de leur publication.

Votre indulgente amitié s’efforce en vain de me rassurer en me disant que quelques-unes de ces productions écloses entre quinze et vingt ans ont un certain parfum comme les fleurs montagneuses du pays qui les a vues naître; hélas! je crains bien en premier lieu que votre attachement pour l’auteur ne vous permette pas de juger la question avec impartialité ; puis, je vous le demanderai, qui donc lit encore des vers?....

Nous ne sommes plus au temps où chaque poésie nouvelle faisait une certaine sensation, où l’on discutait la valeur d’un ouvrage, où il amenait des dissertations plus ou moins ingénieuses dans les ruelles et à la Cour.

Maintenant, le livre le plus favorisé, étalé sans qu’on ait pris la peine de le lire, orné d’une couverture plus ou moins élégante sur une console de salon, entre un magot chinois et une revue pittoresque, devient meuble de maison. Le visiteur ou la visiteuse que l’on fait attendre le feuilletent parfois négligemment, et le referment bientôt en murmurant: des vers.... cela endort!

Hélas! il faut l’avouer, nous avons trop souvent justifié ce dédain en donnant des livres où l’absence totale de pensées avait cru pouvoir être remplacée par des rimes riches et des mots sonores. De nos jours, le vêtement de la poésie a étouffé la poésie elle-même; heureusement semblable au phénix ne s’envole-t-elle que pour reparaître tôt ou tard sous quelque forme rajeunie....

Puis, ce n’est pas seulement des vers que l’on fait peu de cas, que pense le monde en général du poète?

Cherchez, mon cher ami, si vous le pouvez, un plus ineffaçable ridicule que celui d’avoir commis un livre de poésies?

Pour les uns, le poète est nécessairement. un homme incapable de s’occuper sérieusement des choses sérieuses de la vie; les choses sérieuses de la vie! quel accouplement de mots si l’on considère ce que nous entendons ordinairement par là ; mais passons... D’autres les considèrent au contraire, comme un géomètre qui ne fait que poser des rimes au bout d’un nombre mesuré de syllabes et consacre quelques heures au moins par semaine à ce travail. Sans doute on peut, de cette manière, aligner froidement quelques pensées communes; mais il y manquera ce noble élan, ce désordre même qui en est la plus touchante beauté.

Non, non, le poète, vous le savez bien, vous qui avez une âme de poète, — ne s’assied point devant son pupitre à un moment convenu de la journée, avec de l’encre rose, du papier satiné et des plumes de première qualité à sa disposition.

La poésie, de même que l’enthousiasme, est complétement involontaire.

Je ne me suis jamais mis, je crois, de propos délibéré, à composer des vers.

Mais à quoi employer un jour de brouillard où l’on est seul et où l’on sent d’instants en instants, la tristesse vous monter au cœur?... A quoi consacrer une nuit d’insomnie où le sang enflammé bat avec violence dans vos artères?... Comment épancher tour-à-tour ces joies, ces douleurs qu’on ne confie à personne?... Comment traduire son admiration à la vue d’une nature grandiose qui vous frappe pour la première fois?... En ces circonstances et en mille autres diverses, le flot de pensées qui gronde dans le cerveau, déborde en poésies ardentes, graves ou mélancoliques et l’on est soulagé !

Parfois, au milieu d’une chasse dans les forêts, fatigué, j’appelais mon chien, et m’asseyant au pied d’un arbre, je prenais un morceau du papier destiné à comprimer le plomb et la poudre, et cherchant un crayon souvent à moitié ébréché, les pages que j’écrivais ainsi le front battu par le vent, étaient peut-être les moins médiocres!

Non, le poète ne s’occupe pas à faire des vers; souvent pendant des mois entiers son imagination peut même sembler engourdie; mais certaines influences ont-elles amené en son sein la vibration nerveuse nécessaire au jet poétique, il exhale en un instant sans le plus léger effort, des torrents d’harmonie.

Ainsi, dans ces contrées heureuses que l’oranger tapisse d’un réseau parfumé, s’il s’élève une brise un peu forte, elle fait vibrer ses branches., les pays voisins même en aspirent la tiède odeur, et quand le calme est revenu, on trouve le sol jonché de fleurs odorantes et de fruits d’or.

Voilà l’image de l’inspiration!

Faire de la poésie de propos délibéré, c’est un travail fatigant, presque toujours infructueux, et que je n’ai jamais pu comprendre.

La poésie prend à peine la millième partie de l’existence: c’est une crise; elle est d’autant plus courte qu’elle est plus violente; c’est l’éclair qui le soir découvre un instant les champs du ciel et les replonge soudain dans la nuit.

Mais la plupart des hommes savent-ils ces choses et ne regardent-ils pas comme un pénible métier ce qui est un besoin, un épanchement irrésistible et salutaire?...

Puis, disent encore quelques-uns: que prouve la poésie? A quoi sert la poésie? — Ah! ce n’est pas à moi à la défendre; les siècles sont là pour répondre de leur voix solennelle! La poésie, expression la plus élevée de l’homme, est ancienne comme le monde et durera tant que le cœur de l’homme pourra ressentir la joie, la tristesse l’admiration ou l’espoir!

C’est ce langage qui faisant pour ainsi dire les mot vivants et les images présentes, commence à flatter notre oreille par son exquise harmonie pour arriver plus facilement à notre cœur.

Que prouve la poésie? rien sans doute qui concerne le positif de la vie matérielle; mais que prouve la musique?... Et cependant, comme la poésie elle fût de tous les temps et de tous les lieux: Homère, aveugle, chantait de bourgade en bourgade les vers qu’il avait composés!

Ne voilà-t-il pas, mon cher ami, les réflexions que bien souvent nous fîmes ensemble? Mais le monde les fera-t-il? voudra-t-il admettre ces émotions indicibles qui ressemblent en rien aux émotions de salon?

Ne dira-t-il point: que m’importent à moi les mille impressions d’un jeune homme?

C’est ce qui m’a fait hésiter longtemps, je vous l’avoue, avant de livrer à la publicité ces quelques morceaux. Si je m’y suis enfin déterminé, mon cher ami, voici mon motif: depuis deux ans bientôt, des causes morales que vous n’ignorez point, ont exercé sur ma santé une influence si funeste qu’elle me laisse bien peu d’espoir de pouvoir de longtemps, peut-être, servir mon pays par la vie d’action. — Eh! bien, du fond de ma solitude précoce, du moins jetterai-je de temps en temps quelques pensées pures et religieuses, pour que mes amis ne m’oublient point tout à fait; du moins aurai-je la consolation d’apporter à l’édifice social le modeste et imperceptible grain de sable qui entrera inaperçu dans sa composition: quelques chants! Et hélas! quelques chants bien faibles, sans doute; car jamais, jamais ils n’ont été qu’un soulagement à quelqu’état plus ou moins maladif, et alors, vous le savez, la faiblesse du corps ne réagit que trop sur l’âme et permet à peine de coordonner ses idées.

Du reste, je ne saurais y avoir attaché d’autre importance que celle de ravir quelques heures à des réflexions plus ou moins décourageantes; oublier de temps en temps la vie par quelque moyen inoffensif, n’est-ce pas la sagesse?

Certes, je n’ai jamais songé à écrire une seule ligne pour le monde; le vrai poète a plus besoin d’amitié que de gloire;... il aime exciter la sympathie plutôt que l’étonnement;... un seul sentiment qui aurait répondu à un de mes sentiments c’est assez!... Un pressement de main vaut à mes yeux mille palmes!

Si donc j’étais assez heureux pour inspirer à quelques âmes rêveuses un peu de cet affectueux intérêt que je vous ai inspiré, pour faire vibrer à l’unisson du mien quelques cœurs qui pleurent, admirent, regrettent ou espèrent avec moi, oh! ce serait alors là ce que parfois je rêvai en silence, le plus doux, le seul triomphe que purent appeler mes vœux! — Adieu.

Décembre 1843.


Le jardin des glaciers. Premières fleurs. Fleurs de foi

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