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I

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«S’il vous plaît, achetez-moi une corbeille!»

La petite voix se faisait plaintive et traînante pour apitoyer les bonnes âmes; deux grands yeux bleus regardaient timidement à travers une broussaille de cheveux châtains; les petits pieds nus se posaient dans l’herbe, au hasard, sur le bord d’un fossé, tandis que, le nez en l’air et les bras tendus, un panier dans chaque main, le petit marchand répétait sans se lasser son refrain:

«S’il vous plaît, achetez-moi une corbeille!»

Il s’était posté près de ce fossé et n’en bougeait pas, ayant de bonnes raisons pour ne pas quitter la place; par-dessus la muraille qui longeait la route, il apercevait le haut dossier d’un fauteuil et un journal déployé dans toute sa largeur.

Donc ce mur bordait une terrasse, et dans ce fauteuil s’étendait, selon toute probabilité, un lecteur invisible qui, tôt ou tard, s’apercevrait de sa présence. Le petit marchand avait deviné juste; mais ce qu’il ne pouvait voir, c’est que ce lecteur, qui, par parenthèse, était une lectrice, venait de s’endormir profondément sur la politique, après avoir étendu son journal au-dessus de sa tête comme une moustiquaire.

«S’il vous plaît, ache...»

Le reste ne fut pas entendu; un grand tumulte éclatait sur la terrasse; des voix se croisèrent bruyantes et joyeuses.

«Nous avons gagné ! ils ont perdu!

— Ah! la bonne partie!... que j’ai chaud!...»

Le journal s’envola; la tête, visible maintenant, s’était redressée inquiète:

«Qu’est-ce? Qu’arrive-t-il?

— Oh! grand’mère, vous dormiez? Nous vous avons réveillée peut-être?

— Peut-être est joli! dit une voix qui domina toutes celles des enfants; cette pauvre grand’mère, vous lui faites peur, avec vos surprises!»

Là - dessus il y eut une poussée; tout le monde se jeta à la fois dans les bras et sur les genoux de la grand’mère; c’était à qui l’embrasserait pour lui demander pardon.

«Maurice, donne-moi le journal,» reprit la même voix au bout d’un instant.

Le petit marchand avait laissé retomber ses bras; il écoutait, oubliant son refrain.

«Il y a un monsieur, se disait-il, il va me renvoyer...»

Ce fut justement le monsieur qui, avant tous les autres, découvrit le petit homme.

Son journal à la main, il se pencha par hasard sur le mur.

«Monsieur, achetez-moi une corbeille!»

C’était murmuré pour l’acquit de sa conscience, mais déjà le petit s’apprêtait à tourner les talons.

Heureusement les enfants l’entendirent; ils se précipitèrent en avant.

«Oh! grand’mère, venez voir un des petits vanniers de la voiture!

— Quelle voiture?

— Vous savez bien, ces gens qui sont campés au bord de l’eau et qui font leur dîner en plein air.

— Des gens bien recommandables, du reste,» dit le monsieur; et il se mit à lire son journal sans plus s’occuper du petit marchand.

Les enfants l’examinaient, au contraire, avec curiosité.

«Pauvre petit! dit une des fillettes d’un air de pitié.

— S’il était lavé et peigné, il serait très gentil! s’écria une autre.

— Achetons-lui une corbeille.

— Voulez-vous, grand’mère?

— Allez,» dit la grand’mère en souriant.

Tous descendirent sur la route, et le petit homme, qui les avait entendus, accourut au-devant d’eux.

«Je vous vends mon corbillon.

— Qu’y met-on? criait Maurice tout en courant.

— Ce que nous voudrons, répondit gaiement la petite Blanche; des fleurs, nos fraises, nos groseilles, tout ce que nous cueillons dans le jardin.

— Les œufs de nos poules,» ajouta Thérèse, la sœur aînée, qui était une fermière modèle.

Sans marchander, les petites filles achetèrent les deux paniers, et se montrèrent ravies de leur acquisition.

«Mais j’en voudrais un aussi,» s’écria une troisième fillette. Et, se tournant vers le marchand:

«Tu n’en as plus? dit-elle, désappointée.

— Je vous en apporterai un demain matin,» répondit le garçon, dont les yeux brillaient.

Il y avait longtemps qu’il n’avait fait d’aussi belles affaires, et il pensait d’avance à l’accueil qu’il recevrait des siens au retour.

Maurice le regardait.

«Tu as l’air content, dit-il; l’argent est-il pour toi?»

Le petit secoua la tête:

«Oh! non; il me prend tout, même les sous qu’on me donne.

— Oh! firent les enfants, visiblement choqués de ce manque de délicatesse.

— Mais c’est assez juste, reprit-il aussitôt, parce qu’il me nourrit et m’habille.

— Il t’habille... à peu près! dit Maurice en riant; ta toilette ne doit pas lui coûter cher!»

Le petit marchand haussa les épaules d’un air insouciant.

«Je sais bien!...»

Et montrant d’un geste les loques dont il était vêtu:

«Tout cela, on me l’a donné, reprit-il.

— Eh bien, alors, s’écria d’un air surpris Germaine, la troisième sœur, pourquoi te prend-il ton argent?... D’ailleurs, tous les parents nourrissent et habillent leurs enfants.»

Puis, frappée d’une idée subite:

«Ce n’est pas ton père! dit-elle vivement.

— Non, c’est mon oncle; je n’ai ni père ni mère.

— Ils sont morts?.. pauvre petit! dit Thérèse d’un air compatissant.

— Est-ce toi qui fabriques ces jolies corbeilles? demanda Blanche.

— Oh! non, je n’ai jamais essayé.

— Alors qu’est-ce que tu fais?

— Rien, dit-il avec indifférence, je les vends; et puis je demande des sous et du pain.

— Tu mendies? s’écria Maurice; c’est très vilain!... Tu ferais mieux d’apprendre à tresser des paniers, au moins tu gagnerais honnêtement des sous.»

Le pauvre petit baissa la tête sous le regard de ce moraliste, dont il ne s’expliquait pas très bien la sévérité.

On lui faisait un reproche de mendier! que diraient-ils donc s’ils savaient...?

Thérèse était une bonne petite créature, toujours prête à défendre les malheureux; voyant l’embarras de l’accusé, elle se fit son avocat.

«Ce n’est pas sa faute si on le fait mendier, s’écria-t-elle, et si on ne lui apprend pas ce qui est bien et ce qui est mal; il ne peut pas le deviner tout seul.»

Puis, se tournant vers son client:

«Sais-tu lire? demanda-t-elle.

— Non.

— Quel âge as-tu?

— Dix ans.

— Alors tu vas au catéchisme? s’écria la petite Blanche, qui avait le même âge.

— Non.»

Les moralistes le toisèrent de la tête aux pieds d’une façon peu flatteuse, tandis que sa protectrice prenait un air découragé.

«Enfants! cria quelqu’un du haut de la terrasse, il faut rentrer.

— Oui, maman.

— N’oublie pas ma corbeille, petit,» cria Germaine en s’éloignant avec les autres.

Thérèse était restée en arrière; elle se rapprocha du petit marchand, et, très bas, se penchant vers lui, elle murmura:

«Sais - tu dire ta prière, au moins?»

Sans oser la regarder, il fit signe que non

«Eh bien, reprit-elle doucement, je crois que si tous les jours tu disais seulement:

«Mon Dieu, faites-moi la grâce d’être un

«bon garçon,» le bon Dieu t’aimerait malgré tout.»

Il leva sur elle des yeux étonnés, comme s’il ne comprenait pas; mais elle le regardait d’un air si doux, elle lui sourit si gentiment, qu’il voulut essayer de lui être agréable.

«Je le dirai,» fit-il naïvement.

Elle eut un cri de joyeuse surprise.

«Vrai? Oh! que je suis contente!» Et comme les autres l’appelaient avec impatience, elle se sauva en lui faisant un signe d’amitié.

Il se mit en marche, tête basse et plongé dans des réflexions sans fin; il entendait encore l’accent du petit monsieur:

«Tu mendies? c’est très vilain!» C’était décidément l’avis de tout le monde.

Combien de fois l’avait-on rudoyé et chassé avec mépris! Combien de fois avait-il entendu dire sur le passage de leur voiture: «Fermez bien la maison, voilà encore de ces vagabonds qui demandent aux portes et qui volent partout.»

Il était habitué à se voir traiter de cette façon; c’était pour lui aussi naturel que de marcher pieds nus et d’être à peine habillé, et il ne s’était jamais demandé pourquoi.

Mais cet interrogatoire l’avait mis mal à l’aise; ses réponses les avaient scandalisés, il le sentait; il y avait donc une bien grande différence entre leurs habitudes et les siennes.

«Ils savent lire, eux; ils apprennent toutes sortes de choses, se répétait-il, et le petit monsieur dit qu’il faut gagner honnêtement les sous.»

Il eut alors un mouvement de révolte.

«Je voudrais bien le voir à ma place, grommela-t-il à demi-voix; il ne serait plus si fier peut-être, et tâcherait d’abord de ne pas se faire battre.»

Il pressa le pas, et ses pieds nus soulevèrent un nuage de poussière autour de lui.

«Ils m’ennuient!... reprit-il au bout d’un instant, l’air mécontent et les sourcils froncés; je ne connais rien à tout cela... Pourquoi se mêlent-ils de mes affaires? pourquoi?»

Il s’interrompit tout à coup, déjà calmé ; il ne pensait plus au petit monsieur, c’était Thérèse qu’il revoyait.

«Elle est bonne, celle-là, et juste, murmura-t-il; quelle jolie petite voix douce! Demain je lui porterai un bouquet.»

Friquet

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