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III

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Ce jour-là M. Pichard était particulièrement bien disposé, et voyait tout en rose.

Il avait fait le matin un voyage d’exploration et en rapportait une provision de découvertes plus intéressantes les unes que les autres.

Ce pays offrait de grandes ressources. A l’exception de Friquet, toute la famille était réunie au campement; les enfants dormaient sur l’herbe; Mme et Mlle Pichard tressaient des corbeilles, et M. Pichard, confortablement adossé à un arbre, les regardait faire.

«Un bon temps pour les poules, dit-il la pipe à la bouche; il y a une noce aujourd’hui.

— Où cela? demanda avec intérêt Mme Pichard, qui sembla comprendre très bien le sens de cette phrase mystérieuse.

— Tout près d’ici, dans une espèce de ferme, derrière la belle maison où je suis allé ce matin. Ils ont décoré une salle; c’est là qu’ils danseront. Le poulailler est loin, dans une grande cour; il y aura quelque chose à faire par là cette nuit.

— Mais il y a des murs?

— Ils sont bas; et puis je connais dans un coin une vieille porte, ajouta M. Pichard d’un air entendu. Friquet en a vu bien d’autres. C’est lui que j’emmènerai, il est devenu adroit comme un singe.

— Cela se peut; mais vous finirez tout de même par vous faire prendre.

— Pas ce soir, toujours; ils seront tous à boire ou à danser, il n’y a pas de danger qu’ils nous entendent.»

M. Pichard se tut et s’allongea sur l’herbe, disposé, selon toute apparence, à faire sa sieste; mais son esprit était agité sans doute, car, après s’être retourné plusieurs fois, il se leva enfin, s’assura que tous les enfants étaient bien endormis, et se rapprocha de sa femme.

«Je suis entré ce matin dans la grande maison, dit-il à demi-voix; ça paraît très beau là dedans.».

Mlle Pichard, qui jouissait de la confiance: absolue de ses parents, releva la tête.

«Encore un coup à faire?» demanda-t-elle audacieusement.

Son père parut effrayé, et du geste lui imposa silence.

«Tais-toi!... Non, non..., dit-il tout bas; comme tu y vas!... Ça demanderait réflexion, un coup comme ça.

«C’est très bien, cette maison-là, reprit-il peu après; j’ai attendu dans la cuisine; pas méfiant, ces braves gens!... Il y a de l’argenterie tant et plus. Mais, attention! ça ne s’attrape pas comme des poules. Nous resterons quelques jours ici,» ajouta M. Pichard, qui jugeait utile sans doute de compléter ses observations.

Là-dessus il s’étendit sur le dos, rabattit le bord de son chapeau sur ses yeux, et s’endormit bientôt du sommeil du juste. Décidément la fortune leur souriait ce jour-là. La récolte de sous avait été excellente, et voilà maintenant que Friquet, à lui tout seul, apportait le dîner.

Le saucisson fut reçu avec des acclamations enthousiastes, qui réveillèrent le seigneur et maître de la bande.

«Où l’as-tu pris? demanda la pratique Mlle Pichard, qui ne connaissait que deux façons d’acquérir: voler et mendier.

— On me l’a donné, répondit Friquet, qui ne semblait pas disposé à entrer dans de longues explications.

— Donné ! s’écria la cousine avec stupéfaction; où donc? On ne donne pas comme cela un saucisson à propos de rien.

— A la grande maison, répondit Friquet avec répugnance; j’avais porté un bouquet.

— C’est égal, ils sont généreux, dit M. Pichard, qui écoutait attentivement; est-ce que par hasard ils te prendraient en amitié ?»

Friquet regarda son oncle, et se sentit très mal à l’aise; il redoutait vaguement quelque chose.

C’était l’habitude, dans cette estimable famille, de réunir en commun tous les renseignements topographiques que, de côté et d’autre, on avait l’habileté de recueillir au passage en parcourant le pays.

Cela alimentait la conversation, et rendait au besoin de grands services à la communauté ; aussi M. Pichard ne négligeait-il jamais de questionner ses enfants au retour de chaque expédition, et ceux-ci montraient toujours la plus grande sagacité dans leurs réponses.

Ils s’orientaient à merveille, et ne se trompaient jamais sur les avantages qu’offrait la situation de tel potager, de tel champ de pommes de terre, de telle grange isolée; leur instinct sur ce point était très développé, et cette sage éducation le perfectionnait encore.

Peu importait à Friquet d’où venaient les oignons dont Mme Pichard les nourrissait généreusement. Il n’avait que des notions très vagues sur la propriété, et ne voyait pas grand mal à cueillir quelques fruits, à arracher quelques légumes dans un grand jardin qui en était rempli; il avait toujours obéi aveuglément aux ordres de son oncle, et M. Pichard lui rendait strictement justice quand il reconnaissait qu’il était devenu adroit «comme un singe», et supérieur en cela à ses propres descendants.

Mais cette conscience trop large, cette pauvre conscience faussée et endurcie par l’habitude du mal, avait maintenant un point vulnérable.

Ils ne sauraient rien par lui sur la belle maison.

Je ne veux pas, se disait Friquet avec résolution, je ne veux pas qu’ils prennent seulement un brin d’herbe chez elle.

Et, décidé à ne pas écouter de nouvelles questions, il courut enfourcher un des vieux chevaux pour le mener boire à la rivière.

M. Pichard, qui était à mille lieues de soupçonner le vrai motif de cette discrétion inusitée, se mit à rire.

«Pas bête, dit-il; il veut garder toutes les faveurs pour lui.»

Et il ajouta entre ses dents:

«N’importe, je saurai bien en tirer ce que je voudrai quand il le faudra.»

Ils avaient eu un festin somptueux, dont le saucisson faisait tous les frais, et maintenant la ménagère berçait sur ses genoux le plus jeune et le plus hargneux des Pichard, dont la dentition aigrissait encore l’humeur.

On n’entendait plus les autres. C’était dans leurs principes de se coucher à la nuit tombante quand leurs services n’étaient pas requis.

Dans la grande salle décorée de verdure où M. Pichard avait surpris les apprêts d’une fête, on dansait aux sons d’une clarinette et d’un robuste cornet à pistons dont les notes éclatantes traversaient l’espace.

C’était la première contredanse.

Sur la route, M. Pichard contemplait innocemment les étoiles qui brillaient de leur mieux en l’absence de la lune.

Une polka, puis une seconde contredanse...

M. Pichard sortit brusquement de sa rêverie.

11 quitta la route, et, revenant sous les arbres, il alla glisser sa tête dans l’ouverture d’une des petites fenêtres qui aéraient la voiture.

C’était la place de Friquet.

Avait-il pensé, avant de s’endormir, à la promesse faite la veille à sa nouvelle amie?

L’entendait-il dans ses rêves répéter la prière qu’elle lui avait apprise? Triste ou joyeux, son rêve fut brutalement interrompu.

Par la fenêtre ouverte, M. Pichard lui tirait les cheveux avec énergie.

C’était sa façon de réveiller son monde; impossible de faire la sourde oreille quand il appuyait son appel de ce signal impérieux.

«Friquet, lève-toi.

— Oui, mon oncle.»

Il avait tressailli, et, étouffant une plainte, il se soulevait, frottant sa tête d’un geste machinal; puis, à moitié endormi encore, il enjamba les deux Pichard qui lui barraient le passage, et sauta enfin hors de la voiture.

«Qu’est-ce que c’est? fit-il d’une voix dolente, en rejoignant son oncle sans le moindre empressement.

— Tu le sais bien! répondit celui-ci et sans répondre autrement à cette question. Viens,» ajouta-t-il brièvement. Mais comme Friquet hésitait et ne semblait pas disposé à le suivre, il se tourna tout à coup vers lui.

«Vas-tu faire des façons? Attends, je vais te réveiller tout à fait.» Il le saisit par le bras, le secoua si vigoureusement en tous sens, qu’il lui fit perdre pied; puis, le remettant d’aplomb sur ses jambes, il le poussa en avant au moyen d’un coup de poing dans le dos.

«Maintenant, murmura-t-il, marche!... Et que je te voie broncher!» Friquet n’avait pas crié ; ces sortes d’exécutions se faisaient en silence. On respectait le repos des dormeurs. Chacun son tour; c’était justice. Mais quand ils furent un peu plus loin sur la route:

«Tu sais, dit tout à coup l’oncle d’un ton menaçant, ne t’avise jamais de vouloir faire ta tête, tu t’en repentirais.»

Friquet ne répondit rien; son dos lui faisait encore mal, et la perspective d’un second coup de poing ne lui souriait pas.

La clarinette et le cornet à pistons luttaient d’entrain; la porte de la salle était grande ouverte, éclairant la route; on entendait distinctement les voix et les rires des danseurs.

Comme ils s’amusaient!

Friquet aurait bien voulu aller les voir, mais son oncle l’arrêta.

«Pas de ça! murmura-t-il, tourne derrière la maison.»

Arrivés devant la vieille porte, ils s’arrêtèrent, et Friquet reçut ses instructions.

«Tu vas escalader cela, dit M. Pichard en terminant; dépêche-toi, et qu’on ne t’entende pas.»

L’enfant n’avait plus envie de résister; à quoi bon, après tout? et que gagnerait-il à se faire maltraiter? L’escalade était facile. Comme l’avait dit son oncle, Friquet en avait vu bien d’autres.

En une seconde il fut de l’autre côté de la vieille porte.

En une seconde il fut de l’autre côté de la vieille porte.


Friquet

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