Читать книгу Le mariage de Renée - Marthe Lachèse - Страница 3

I
DEUX COUSINS.

Оглавление

Table des matières

Comme onze heures sonnaient à toutes les horloges qui, dans la grande ville, semblent les voix plaintives du temps rapidement emporté, un jeune homme descendait d’une voiture de place et pénétrait dans une maison de belle apparence dont le porche était surmonté d’une large plaque de marbre noir portant ces mots: Grand Hôtel de Bourgogne. Il ouvrit la porte vitrée derrière laquelle on voyait une femme assise devant un bureau et demanda:

«Monsieur Gauthier de Montpollin?

–Au quatrième, au–dessus de l’entresol, corridor à gauche, no75, répondit la comptable.

–Mais est–il chez lui?

–Oui, Monsieur.»

Le jeune homme monta lestement l’escalier que des pierres de rairie, une rampe de velours et un tapis tigré n’empêchaient pas de posséder cent douze marches. Il s’arrêta un moment sur le cinquième palier; puis, lorsqu’il eut retrouvé une respiration libre, il tourna par le chemin indiqué et frappa enfin à une porte dont le numéro se laissait à peine reconnaître tant le corridor était obscur.

«Entrez,» dit une voix partant du fond de l’appartement.

Le visiteur ouvrit, s’avança joyeusement, puis s’arrêta court. il ne voyait personne.

Un éclat de rire, sortant d’une alcôve à sa droite, le fit se retourner. Sous des rideaux de damas que le siècle dernier avait dû trouver encore bleus, une tête se dressait et deux mains se tendaient en avant.

«Au lit! s’écria le nouveau venu. Est–ce que tu es malade?

–Pas le moins du monde, mon cher; mais je n’avais rien à faire. D’ailleurs, il est onze heures tout au plus. Je n’ai encore fumé que quatre cigares.

–Quel plaisir! aussi c’est à peine si l’on aperçoit quelque chose ici. Eh bien! je suis charmé de voir que tu as fait un bon voyage. Mais cependant, si tu te levais, Alphonse, nous n’en causerions que mieux. J’éprouve un véritable malaise à te regarder à travers la fumée de ton cigare et sous le reflet vert de ce rideau.

–Je le veux bien, répondit Alphonse en bâillant. Ranime un peu le feu, Xavier, pendant que je vais m’habiller.»

Bientôt les deux jeunes gens furent assis l’un près de l’autre devant le foyer pétillant.

«Je ne m’attendais pas à te voir si promptement à Paris, dit celui que le voyageur avait nommé Xavier. Dans ta dernière lettre, tu me laissais penser que tu allais entrer comme clerc chez un notaire.

–Pouah! Je me suis cru vraiment menacé de ce malheur. Ne sachant trop de quel bois faire flèche, je m’étais livré à de profonds calculs. Je m’étais dit: Dans une petite ville, une étude de notaire vaut toujours bien une centaine de mille francs. Celle de M. Malvarais… Tu connais M. Malvarais?»

Xavier inclina la tête affirmativement. Alphonse continua:

«Celle de M. Malvarais me semblait à peu près de cette importance. De plus, il est riche, le bonhomme, il possède depuis la mort d’un sien parent, huit ou dix mille francs de rente au moins. Sa fille unique n’a que dix–sept ans, elle ne se mariera pas avant un ou deux ans. Donc, me disais–je, en entrant maintenant comme clerc chez M. Malvarais, j’ai le temps de me faire connaître à fond par le bonhomme. Pendant ces mêmes années de patience, je danse à tous les bals avec Mlle Malvarais, je me montre empressé envers Madame, je me trouve sur le chemin de la grand’mère quand elle s’en va, appuyée sur le bras de quelque vieille Jeanneton, et je sollicite parfois l’honneur de remplacer cette dernière. Je.

–C’est assez, dit Xavier en riant. Résumons. Clerc, valseur, courtisan, tous ces titres viennent un jour se fondre dans celui de fiancé.

–Admirablement défini. Je me marie. Ma femme reçoit comme dot l’étude paternelle. Au bout de quelques mois, je vends ladite étude.

–Oh! c’est bien peu respectueux, cela.

–Eh! que diable, mon cher, quand Jacob eut obtenu la main de Rachel, il ne se crut pas obligé de rester à garder les moutons.»

Xavier riait de plus en plus.

«Exposons les choses avec ordre, reprit Alphonse enchanté de voir son interlocuteur mis en si belle humeur. Quand j’ai réalisé les cent mille francs de valeur, j’achète à la campagne une jolie maison, près d’une belle chasse, et je suis un homme heureux. L’hiver je chasse, l’été je pêche, j’ai un fermier, je fais bâtir, débâtir.

–Ah! il est sublime! s’écria Xavier en se renversant sur le dossier de son fauteuil. Il se voit déjà châtelain! quelle imagination! Mais, mon cher ami, si joliment construit que soit ton roman, explique–moi par quel détour étrange tu passes dans Paris pour te rendre à l’étude de M. Malvarais.»

Alphonse se leva, se croisa les bras et, regardant Xavier d’un air radieux:

«C’est là mon triomphe! s’écria–t–il. Tu n’y es plus, mon bon. Je t’expose mes idées au sujet du père Malvarais comme on fait d’une défroque que l’on va échanger contre un vêtement de velours. Je laisse aux Baugeois M. Malvarais, son étude, sa fille, tout le reste…

–Et tu prends en place?

–Une jeune fille ravissante, une dot de sept cent mille francs, une propriété toute meublée dans le centre de la Touraine.

–Ah! ciel! mais c’est un rêve! Parles– tu sérieusement?

–Très–sérieusement.

–C’est incroyable.

–Et pourquoi? reprit Alphonse. Tu es donc bien étonné de me voir faire un mariage avantageux?

–Non, non, j’en suis très–heureux, au contraire. Seulement, dans ce monde, les choses ne s’arrangent pas toujours si facilement.

–Eh bien! je serai une exception à la règle. Enfin, pour te narrer mon aventure, voici comment le tout est arrivé. Tu sais que ma mère avait une sœur aînée, mariée à un général autrichien, le baron de Grénaff?

–J’ai même vu ton oncle, il y a cinq ou six ans, à une soirée donnée au ministère de la guerre.

–Oui, il était venu à Paris, mais il ne nous en avait rien fait savoir. Oh! c’était un ours, un avare.

–Je crois qu’il est mort?

–Oui, Dieu merci.

–Oh!

–Mais, je le répète, oui, Dieu merci. Cette exclamation entre dans mon récit. Si je n’étais pas à même de la faire, le reste devrait être également supprimé. Il a donc laissé ma tante Aurélie veuve après l’avoir tenue pendant trente ans loin du monde qu’elle aime à la folie. Lui, le général n’aimait que ses livres et mettait sou sur sou pour aller ensuite faire le philanthrope chez les vieux troupiers.

–Tu disais qu’il était avare?

–Pour toutes les dépenses un peu agréables, il n’y avait pas moyen de lui tirer un écu. Il donnait à ma tante une somme pour sa toilette, il ne lui aurait pas, en outre, payé une paire de gants. Quand il la voyait embarrassée, il lui disait durement: «Tant pis pour vous, il ne fallait pas vous acheter tant de robes.» Oh! elle était bien malheureuse!…

–Évidemment» répondit Xavier, non sans une légère ironie. Il avait connu un ami intime du baron et savait à quoi s’en tenir sur la sévérité de M. de Grénaff à propos du luxe de sa femme.

«Aussi, depuis qu’elle est veuve, elle fait danser les écus de son douaire, reprit le neveu apologiste d’une tante si bien inspirée. Mais le vieux ladre ne lui a pas laissé grand’chose. Cependant elle a de quoi voyager.

–Allons au fait de ce qui te regarde, interrompit Xavier qui venait de jeter un coup d’œil sur sa montre. Je n’ai plus que cinq minutes à te donner.

–Je ne m’éloigne pas de mon sujet. Ma tante voyage, te dis–je, et l’hiver dernier elle s’est rencontrée à Nice avec une famille d’origine belge, composée comme il suit: le père, M. Vangaramenghen, banquier, sa femme, une fille de dix–neuf ans, née d’un premier mariage, deux enfants du second. Mme Vangaramenghen, charmante, élégante, femme du monde tout à fait, s’est liée avec ma tante. Pendant les six mois de séjour hivernal, elles ont couru le pays ensemble, s’amusant à qui mieux mieux, et ne pouvant plus se passer l’une de l’autre. A ce moment, la fille aînée n’accompagnait pas ses parents. Elle avait été mise au couvent par une grand’tante maternelle qui était sa marraine. Comme, d’une part, elle s’y plaisait et que, de l’autre, sa belle–mère ne tenait pas à s’en charger trop promptement, elle s’y trouvait encore. Mais, enfin, le père a jugé qu’une fille de dix–neuf ans devait cesser de n’être qu’une pensionnaire et il l’a rappelée près de lui cet été. Ma tante l’a vue à Vichy. Elle est fort jolie, paraît–il, et a l’air d’une petite duchesse. Seulement, elle a quelques idées très–arrêtées et qui diffèrent un peu de celles de sa belle–mère. Ainsi, au premier déjeuner qu’elle fit chez elle un vendredi, la présence de deux invités ne l’empêcha pas de refuser net tous les mets somptueusement servis, à la grande irritation de Mme Vangaramenghen qui ne lui ménagea devant tous ni les reproches ni les railleries. La jeune fille était très–émue, mais rien n’a pu la faire céder. Il en a été de même pour certaines relations auxquelles, malgré tout, elle est demeurée étrangère, pour certains airs d’opéra que rien n’a pu lui faire chanter. Que sais–je? Enfin, c’est pour une foule de choses qu’il y a sans cesse des tiraillements entre la jeune femme et Mlle Renée. (Elle se nomme Renée.) Mais le cas grave, le cas déterminant, s’est, paraît–il, produit il y a huit jours. Toute la famille était à la campagne, dans cette propriété de Touraine qui appartient à la jeune fille et dont je t’ai déjà parlé. Voilà que Mme Vangaramenghen reçoit une invitation pour une soirée féerique, une soirée monstre, où elle aurait dansé avec un prince suédois. Ce billet arrive le vendredi soir et la soirée se donnait le dimanche suivant. Tout a beau être remué sur–le–champ, impossible de partir le samedi. Il fallait bien au moins emballer une toilette. Partir le dimanche dans l’après–midi, c’était arriver pour voir se fermer les salons. Il fut résolu qu’on partirait le dimanche matin dès quatre heures, pour se trouver à Tours au moment où passe le train le plus dévorant. Mais, à cette nouvelle, Mlle Renée s’est levée toute droite et a déclaré que jamais on ne lui ferait sacrifier un devoir d’obligation pour se rendre à un bal et qu’elle ne quitterait pas le château avant d’avoir entendu la messe. Mme Vangaramenghen, voyant la résistance s’annoncer de la sorte, a porté bruyamment le débat devant son mari, disant qu’elle n’était plus maîtresse de sa belle– fille, que Mlle Renée lui faisait souffrir toutes sortes de tourments.… enfin, elle a entrepris un plaidoyer en règle. La jeune fille ne s’est pas mal défendue, apparemment, car le père a déclaré en guise de jugement sans appel que, puisque sa femme parlait au nom de son plaisir et sa fille au nom de sa conscience, il ne pouvait sacrifier celle–ci à celle–là: que, par conséquent, Mlle Renée partirait le dimanche soir ou le lundi matin avec lui, Mme Vangaramenghen demeurant libre de partir seule auparavant si elle le désirait. Piquée au vif, la jeune femme a accepté cette combinaison. Elle a quitté la propriété avant l’aube, suivie de ses deux enfants et d’une femme de chambre, M. Vangaramenghen se réservant d’emmener le reste des gens. Mais comme, dans leurs voyages, c’est toujours lui qui s’occupe des bagages, je ne sais comment Madame a fait enregistrer sa malle (songe! une malle qui contenait la toilette pour le bal princier!), enfin, pendant qu’elle arrivait à Paris, la malle prenait le chemin de Montpellier.»

Ici, Alphonse fut interrompu par les applaudissements de Xavier. Le jeune homme riait à en pleurer. Alphonse ne pouvait s’empêcher de rire aussi.

«Comprends–tu, répétait–il, l’horreur d’une telle aventure? S’être levée huit heures plus tôt que de coutume, avoir contrarié son seigneur et maître (car M. Vangaramenghen n’était point content), avoir eu les embarras d’un voyage, le tout pour venir échouer à ce ridicule suprême, perdre l’occasion de danser avec l’Altesse, sans compter la peur d’avoir perdu en même temps une robe de cinq ou six mille francs… Enfin quand, deux jours après, M. et Mlle Vangaramenghen ont, à leur tour, regagné Paris, ils ont été accueillis par de tels reproches, par de telles colères que Monsieur, comprenant l’impossibilité de voir les choses continuer ainsi, a déclaré que sa fille serait mariée six semaines après. C’est, en effet, le seul moyen convenable de séparer les deux femmes. De ce moment, le reste se devine de lui–même. La jeune fille, possédant déjà sept cent mille francs, plus le château, et devant recevoir une fortune à peu près égale d’une parente dont elle est la seule héritière, n’a pas besoin de trouver un riche mari. On veut seulement pour elle un jeune homme de bonne famille, d’une réputation sans tache, distingué, spirituel, bon enfant, enfin ce que ton serviteur peut se croire en mesure de lui offrir. Ma tante qui me porte aux nues parce que, dit– elle, je l’amuse, s’est élancée sur la nouvelle et a saisi le projet de mariage au passage de tout ce que son amie lui racontait de ses griefs. Elle s’est écriée: «Mais j’ai votre affaire, mon propre neveu, un jeune homme charmant.

–Bravo! a dit Mme Vangaramenghen, faites–le venir par le télégraphe, car je ne me donnerai pas de repos avant d’en avoir fini avec cette petite sotte.» Ma tante a cependant voulu parler au père avant de me dépêcher cette merveilleuse nouvelle. Le père a fait beaucoup de questions. Ma bonne tante a répondu victorieusement; elle a donné en même temps une foule de noms et d’adresses dans le cas où l’on voudrait poursuivre les renseignements. Le tout a semblé convenable, j’ai été mandé en hâte, je suis arrivé hier au soir, comme tu sais; je dîne aujourd’hui chez ma tante; ensuite nous nous rendons dans une maison tierce, j’ignore encore laquelle; je la vois, elle me voit, nous nous trouvons ravissants, c’est certain d’avance; je l’aperçois à travers l’éclat d’un million, elle salue en moi la liberté, donc nous sommes fous l’un de l’autre et dans un mois au plus, Mlle Vangaramenghen est devenue Mme Alphonse de Montpollin.

–Gauthier a disparu, dit tristement Xavier.

–Non, on mettra Gauthier de Montpollin d’abord, pendant quelque temps. Mais, en conscience, mon cher ami, comment veux–tu que j’aille offrir à une femme d’un certain monde de s’appeler tout simplement Gauthier?… un nom que portent dix mille personnes.

–D’autres, cependant, l’ont trouvé suffisant, dit doucement le jeune homme; c’est celui qui, dans ta province, rappelle d’anciens et précieux souvenirs. Ta mère s’en est contentée et, pendant vingt–deux ans, la mienne aussi l’a porté joyeusement…

–Oui, mais quand il s’est agi de l’échanger contre le titre de vicomtesse de Bois– Rougès, elle n’a pas laissé échapper l’occasion.»,

Xavier secoua la tête. Il pensait au saint et profond amour qui avait uni ses parents et les paroles d’Alphonse le blessaient.

«Ce n’est point la vanité qui a déterminé le choix de ma mère, dit–il.

–Eh bien, reprit Alphonse un peu sèchement, la vanité, je l’espère, aidera celui de Mlle Vangaramenghen, et je trouve que c’est bien ainsi.»

Xavier ne répondit rien. Possesseur d’un titre fort légitime et d’un des plus beaux noms du Poitou, il n’aurait pas cru délicat de poursuivre la discussion sur ce terrain que lui avaient fait cependant aborder sa loyauté de caractère, son amour pour sa mère et son respect pour l’héritage d’honneur qui accompagne un nom longuement vénéré. Au bout d’un moment, il reprit d’une voix grave:

«Alphonse, ce que tu me dis de cette jeune fille me donne confiance que tu seras heureux. Elle est belle et riche, c’est très– bien: mais ce qui me frappe le plus, c’est qu’elle est courageusement chrétienne. Si, comme cela paraît probable, elle devient ta femme, je pense que tu ne remplaceras pas la belle–mère dans le combat?

–Oh! pour cela, non, je te le jure. Te voilà qui te tourmentes pour elle, ma foi! Eh bien, sois tranquille, mon ami. Je la laisserai être chrétienne et dévote même tout à son aise, elle fera tout ce qu’elle voudra. Je ne m’occuperai point de ses idées, elle n’aura rien à dire. Parbleu! puisque je connais le côté désagréable de son caractère, si je l’épouse quand même, c’est que cela me convient.

–Ah! tu appelles cela le côté désagréable?…

–Enfin, celui qui lui cause des désagréments, si tu veux que je tourne ma phrase ainsi. Je ne m’en plaindrai pas, au contraire; je dirais même qu’il ne me plairait pas d’avoir une femme esprit–fort.

–Tant mieux, dit Xavier en se levant. Je reviendrai demain, à la même heure, je te trouverai sans doute. Si, cependant, tu étais sorti, rappelle–toi que je suis rentré chez moi à cinq heures. Je quitte le ministère à quatre.

–Tu vas donc toujours à tes bureaux?

–Toujours. Par exception, je suis libre aujourd’hui.

–Mon cher, tu me paralyses. A ton âge et avec ta fortune, t’astreindre à un pareil ennui.

–Je ne le regrette nullement, loin de là, j’en suis enchanté. S’il me fallait vivre dans l’oisiveté, j’en mourrais.

–Mais on doit savoir s’occuper.

–Il faut parler mieux, il faut dire que l’on doit savoir travailler, répondit Xavier en souriant et serrant une dernière fois la main que le bel Alphonse avait placée dans la sienne. Adieu, à demain, soit ici, soit chez moi. Je vais t’annoncer à ma mère et à ma sœur, mais sans fixer de jour, afin de te laisser libre.

–Je le crois bien, juge donc! il va falloir que je me multiplie. Courir ici, courir là, chez ma tante, chez les présentateurs, chez ma fiancée. Heureusement je suis agile, tu sais, toujours comme autrefois… quand j’escaladais les murailles et regagnais en courant la diligence… Te rappelles–tu?…

–Oui, cria Xavier en essayant de dégager son bras qu’Alphonse avait saisi, oui, je me rappelle tes exploits. De grâce, laisse– moi, Alphonse, je suis déjà en retard.

–Est–ce que tu as en bas un ronge– heure?

–Oui, mais cesse tes plaisanteries. Sérieusement, il me faut partir. Je suis attendu à un rendez–vous d’affaires.

–Va donc, esclave du devoir, et pense à moi ce soir.

–Je te le promets» dit Xavier qui s’élança enfin dans l’escalier.

Alphonse rentra dans sa chambre, s’étendit de nouveau dans un fauteuil, alluma un cinquième cigare et, posant ses pieds sur les chenêts, il demeura ainsi, suivant du regard la petite fumée bleuâtre qui s’échappait de son pur havanais et entremêlant cette contemplation de réflexions de ce genre.

«Ce diable de Xavier, quel original! Un charmant garçon, il n’y a pas à dire le contraire! Distingué, gentilhomme jusque dans le bout des ongles!… C’est incroyable! Avoir un beau titre, vingt–cinq ans, soixante mille livres de rente, et passer son temps à gratter du papier dans un ministère ou à faire la morale à une foule de petits malotrus… quand il devrait avoir une vie si agréable!… S’en aller en fiacre ou en omnibus comme un pauvre hère, quand il pourrait avoir trois coupés au lieu d’un. Enfin! c’est le cas de dire que, dans ce monde, il y a des gens de tous les goûts.»

Pendant ce temps, Xavier, roulant au gré d’un cheval efflanqué, s’entretenait mentalement de ce qu’il venait d’entendre.

«Pauvre Alphonse! pensait–il. Quel triste caractère! Il n’est pas méchant, pourtant, il s’en faut; car, avec son éducation, être resté honnête, c’est beaucoup; je dirai plus, c’est admirable. Mais enfin, jamais sa pensée ne va plus loin que son cigare, sa chasse ou son vêtement. Sans fortune, il n’a pas su se créer une position. Il a déjà essayé d’arriver à plusieurs; toutes lui demandaient trop d’exactitude ou un travail au delà de ses désirs, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il ne veut rien faire. Puisse–t–il trouver, ainsi qu’il y compte, un avoir tout acquis! Et encore! à quel puéril usage l’emploiera–t–il? Pourvu, surtout, qu’il rende cette jeune fille heureuse! Pauvre enfant, jetée au premier venu comme un fardeau dont on se débarrasse parce que, dans une famille sans foi, elle a su être forte et garder la loi de Dieu! Ah! la Providence ne l’abandonnera pas. Certes, si elle devient la femme d’Alphonse, j’userai de toute mon influence pour l’aider à faire pénétrer une idée sérieuse dans cette intelligence vide et un rayon de vrai amour chrétien dans ce cœur si léger. Mais, quelle triste situation sera la sienne! Alors même qu’elle ne sera pas contrariée, vivre dans l’isolement de l’âme, devant un mari indifférent, qui, plus tard, détruira peut–être une à une, sans même y songer, toutes les convictions que, péniblement, elle, la malheureuse femme, cherchera à mettre dans le cœur de leurs petits enfants!… C’est ainsi que se font aujourd’hui beaucoup de mariages, même quand la mère est là pour préparer l’avenir de sa fille; à plus forte raison quand elle a disparu et que la malveillance d’une étrangère remplace sa tendresse. On voit de tristes choses dans ce monde.»

Il ne put s’empêcher de soupirer puis, changeant le cours de ses réflexions, il tira de sa poche un portefeuille et en sortit une lettre qu’il relut afin de se bien pénétrer de ce qu’elle renfermait.

«Six mille francs d’appointements! Ce serait bon, cela, pour ce cher Étienne. La vieille grand’mère aurait son petit café et les sœurs des robes neuves. Ce ne serait pas trop de luxe, ma foi! Quel malheur qu’ils soient tous si fiers! Ma mère qui aurait tant de plaisir à les soigner, vieux et jeunes, n’ose pas en approcher. Étienne et Alphonse, quel contraste!»

Les yeux de Xavier retournèrent sur le billet déplié entre ses mains.

«Cher Xavier, disaient ces quelques lignes, je m’adresse à toi avec toute la confiance d’un ami. Une place est vacante au ministère de la Justice, elle donne droit à des appointements de six mille francs. Je ne me plains pas, loin de là, de la part qui m’est faite. Mais, tu le sais, les travaux si nobles du barreau laissent toujours incertain le côté matériel des choses, et dans ma position, je ne puis négliger cette question. On m’assure que tu connais la marquise de Valbret de Maulouars, belle–sœur du ministre actuel et qu’un mot de cette sainte femme pourrait avoir une grande influence sur la décision de son parent. Oserais–je donc te prier de plaider ma cause près d’elle? Je ne puis la remettre en meilleures mains que les tiennes, mon ami. Je serais allé te le dire de vive voix si je n’étais retenu par une affaire importante qui me demande beaucoup de travail. Excuse–moi donc et crois–moi ton bien profondément dévoué,

«Étienne LE MAHOUET.»

«S’il en est encore temps, nous gagnerons la bataille,» murmura Xavier en souriant d’avance au bonheur avec lequel il courrait dire: «Nous avons réussi.»

Mais, à ce moment, le cheval s’arrêta: le jeune homme vit qu’il était rendu dans la rue de Sèvres, devant un bel hôtel.

Le mariage de Renée

Подняться наверх