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III
L’AGILITÉ D’ALPHONSE.

Table des matières

Depuis longtemps, M. de Bois–Rougès devait prendre patience. Arrivés avec lui au moment où son épreuve semble terminée, laissons–le voir s’il n’a pas espéré trop promptement, et retournons près d’Alphonse. Nous avons quitté ce dernier alors qu’étendu dans le moelleux fauteuil bleu, il se chauffait les pieds et, sincèrement, oh! en toute loyauté, il plaignait son cousin d’être si peu soucieux du bien–être. Il passa une heure environ à retourner dans sa pensée le compliment qu’il tâcherait d’adresser à Mlle Vangaramenghen.… ou bien à sa belle–mère? A la belle–mère d’abord, il est surtout important de conquérir ses suffrages. Mais, cependant, puisqu’elle veut marier sa belle–fille à tout prix?… Tiens, c’est une réflexion, cela. Décidément, il vaut mieux chercher à plaire à la jeune fille.

Ce point important décidé, Alphonse s’interroge pour savoir où il irait bien passer d’une manière agréable les trois heures qui le séparent encore du tête–à–tête à lui assigné par la baronne de Grénaff, sa tante et chère auxiliaire.

Depuis quinze jours déjà Novembre a jeté sur la nature son voile humide et mélancolique: il n’est plus de promenades au bois. D’ailleurs Alphonse comprend que, surtout à la veille d’un mariage, on ne doit pas faire certaines dépenses sans raisons.

«Xavier économise par goût, moi par nécessité, murmure–t–il avec un peu d’humeur. Voilà en quoi nous différons.»

Il sonne. Un garçon de l’hôtel paraît.

«Montez–moi les journaux d’hier,» dit Alphonse.

Le domestique en apporte une dizaine.

«Monsieur pense–t–il avoir besoin longtemps des journaux? demande–t–il en posant sur la table cette riche collection.

–Cinq minutes,» répond le jeune homme.

Cette durée d’examen, modeste cependant, ne fut pas atteinte. Dans le premier journal qu’il déplia, Alphonse vit l’annonce d’un concert donné par deux acteurs dans une salle particulière, voisine du Palais–Royal. Les billets étaient offerts pour un prix modéré.

«Voilà mon affaire,» dit–il.

Puis, continuant de lire: On commencera à deux heures et demie précises.

«Peste! il ne me reste qu’une heure pour m’habiller et me rendre jusque–là.»

Aussitôt il s’empressa de procéder à sa toilette et, soit dit en passant, cette toilette devant servir pour la présentation du soir, Alphonse y mit un soin digne d’un réel succès. Quand, à plusieurs reprises, la glace l’eut assuré qu’il était d’une élégance irréprochable et qu’on ne pouvait lui souhaiter ni meilleure grâce, ni un genre plus parfait, il sortit et, pour ne pas être trop en retard, il résolut de prendre, non une voiture, hélas! les remisages étaient vides, mais «le char accessible à tous,» comme parle le poète, l’omnibus pour l’appeler par son nom, l’omnibus dont il ne faut pas dire de mal car, s’il est le plus vulgaire des moyens de transport, il en est aussi parfois le plus complaisant et le plus facile à atteindre.

Tout en gémissant sur l’obligation où il se voyait de recourir à quelque chose de si peu distingué, tout en formant pour les temps futurs des projets où les coupés de Belvallette étaient mis en comparaison avec les calèches de Binder, Alphonse gagna le bureau qui s’ouvre sur le boulevard, et demanda:

«Palais–Royal.»

Malédiction! le numéro53lui fut remis et l’appel commençait au numéro14. Alphonse rejeta avec mépris le carton qui lui donnait un rang parmi les solliciteurs et prit à grands pas le chemin de la rue Lepelletier.

«Je trouverai la voiture, pensait–il, et pourrai peut–être en profiter. Quant à rester là, dans cette foule insensée, merci!»

La masse roulante apparaissait dans la rue Notre–Dame–de–Lorette. On la voyait de loin, faisant osciller le groupe qu’elle portait sur son faîte et se dressant au–dessus des équipages voisins comme autrefois les éléphants de Pyrrhus devaient surgir du milieu des rapides coursiers. Tout à coup, elle ralentit sa marche. C’est qu’une femme âgée, vêtue de noir et portant un sac dont le poids semble lourd, réclame son hospitalité. Mais la rue est encombrée, l’omnibus ne peut s’arrêter que lorsqu’il est un peu moins entouré et, bien que la pauvre femme se hâte, elle n’avance pas facilement. Enfin, il ne lui reste plus que la rue à traverser. Un coupé se montre; pour éviter ce nouvel obstacle, elle essaie de courir. A ce moment un jeune homme sort de la rue de Château– dun et, de loin, lève comme un appel le jonc qu’il tient à la main. Le conducteur répond par un signe négatif. Mais, d’un coup d’œil, le jeune homme a embrassé la scène, il a tout compris, il bondit… Ciel! quelle agilité! Il est certain que, sous ce rapport, la nature l’a merveilleusement doué. En deux pas il a franchi la distance, en un seul le haut marchepied. Il est entré, il est assis… et les doigts tremblants de la vieille femme ne font encore qu’effleurer la barre de fer.

«Complet,» crie le conducteur en faisant apparaître la plaque décourageante.

–Ah! soupire la pauvre femme, mon Dieu!»

Un rire, mêlé de niaises réflexions, éclate parmi quelques occupants de la voiture, mais sans que le jeune vainqueur prenne part à cette basse gaîté? C’est tout au plus si sa lèvre s’est plissée dans un dédaigneux sourire. Il jette par une des fenêtres ouvertes le bout de cigare qu’il tient entre ses doigts et, sans plus s’occuper de sa victime ni de son voisinage, il tire de sa poche le Figaro du jour. Mais une voix indignée s’est fait entendre tout au fond de l’omnibus:

«Arrêtez, conducteur, arrêtez sur–le– champ.»

La voiture qui s’ébranlait pour se remettre en marche, s’arrête de nouveau. Un jeune homme pâle, grave, et de la tournure la plus distinguée, s’est levé. Il passe, les sourcils froncés, entre les rieurs qui murmurent sourdement et l’agile promeneur qui le regarde avec une certaine impertinence comme s’il se sentait offensé du parti que prend cet inconnu. C’est que tous ont compris le motif de cette résolution soudaine. Debout sur le marchepied, le jeune homme attend que la vieille femme se soit approchée de nouveau. Il lui tend une main respectueuse et, quand il l’a introduite dans la voiture, il la salue et s’éloigne. Le conducteur le rappelle.

«Votre correspondance?»

–C’est vrai, répond–il en tendant le billet, j’oubliais de vous la remettre.»

La vieille femme se retourne à ces mots. Ils la confirment dans la pensée que le voyageur n’avait pas achevé son trajet. En effet, il marche en se pressant. Tant qu’une distance à chaque instant augmentée permet de le voir, la vieille femme le regarde. Lui ne songe point à conserver ainsi le souvenir de celle qu’il vient d’aider si charitablement. Il ne le pourrait même guère, car elle n’a fait que passer devant lui et un voile épais enveloppe sa tête. Sous ce voile on aperçoit de longues boucles de cheveux blancs; on devine plutôt qu’on ne les voit des yeux brillants et des traits aquilins. De là à un examen détaillé, il y a loin et puis qui songe à s’occuper d’une pauvre vieille de cette condition? Les vêtements qu’elle porte sont d’une rigoureuse propreté, mais d’une humilité complète. Ils se composent d’une robe d’étoffe très–commune et d’un châle noir serré sur ses maigres épaules. Elle appartient donc à l’innombrable famille des petits et des nécessiteux. Pourtant, lorsqu’elle a dit «Merci» à celui qui l’aidait à franchir le marchepied, sa voix avait un timbre d’une distinction étrange; et, quand elle a ôté un de ses gants de laine pour chercher dans son porte–monnaie une petite pièce difficile à saisir, elle a découvert une main d’une blancheur et d’une finesse rares parmi les femmes obligées à des labeurs quotidiens. Maintenant que le jeune homme charitable a disparu, c’est vers son agile adversaire qu’elle porte son regard. Alphonse ne s’en met point en peine, il est absorbé par un article de son journal favori. Il sourit.

«Ce diable de Villemessant, pense–t–il, il est incroyable, ma parole!»

Il lui faut pourtant interrompre cette agréable lecture. La voie s’est élargie tout à coup; à droite, jaillissent des fontaines; à gauche, une colonnade abrite les promeneurs. Voici le Palais–Royal avec ses splendeurs dégénérées, avec ses néfastes souvenirs. Pourquoi cette demeure paraît–elle avoir eu le triste pouvoir d’enfanter des rivalités coupables? De là sont partis jadis quelques–uns des coups sapant nos vieilles fidélités. Mais, dans la politique comme dans la légende, les flèches retournent souvent contre ceux qui les envoient. Hélas!… Quittons du regard ce palais vide aujourd’hui de ses vrais hôtes et retournons à nos voyageurs.

L’omnibus s’est arrêté. Alphonse descend le premier et s’élance dans la rue Saint– Honoré où l’attendent les derniers efforts des chanteurs. Plusieurs autres personnes se pressent dans la voiture pour descendre aussi. La vieille femme s’est également levée, mais voilà qu’elle aperçoit un petit portefeuille oublié dans le fauteuil qu’elle se dispose à quitter. Elle le prend, l’ouvre; il contient quelques notes au crayon et une vingtaine de cartes portant un nom et une adresse. Une dame assise en face se penche vers elle et lui dit:

«Ce portefeuille appartient au jeune homme qui vous a précédée. Je le lui ai vu sortir de son vêtement. Il faut le donner au conducteur.

–C’est inutile, répond la vieille femme, je me charge de le faire remettre à l’adresse qui s’y trouve indiquée.»

Elle glisse le portefeuille dans le sac dont elle est chargée. Puis, à son tour, elle sort de l’omnibus.

Elle attend; les voitures se succèdent; toutes sont remplies.

«Vous avez demandé Vaugirard, lui dit une femme debout près d’elle et qui gémit à chaque déception.

–Hélas! oui, répond–elle.

–Eh bien! vous avez le temps d’attendre.

–C’est ce dont je doute, au contraire,» murmure–t–elle en sortant discrètement de ses vêtements une montre à boîte épaisse, ciselée dans le style Louis XVI et garnie de rubis. Cette montre était un admirable bijou. A ce moment, elle marquait trois heures et quatre minutes.

«Il est impossible de compter sur ces voitures, soupire la vieille femme. Ce pauvre enfant va m’attendre. Une autre fois je ferai atteler.»

Au même instant, un remise traverse la place. Elle le voit, l’appelle, et s’y installe, regardant cette rencontre comme un secours providentiel. Elle donne une adresse au cocher et y ajoute sans doute une généreuse promesse, car, dérogeant à toutes les habitudes de ses semblables, il fouette son cheval et part au galop.

Le mariage de Renée

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