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II
OBLIGÉ D’ATTENDRE.

Table des matières

Xavier congédia la voiture et, franchissant le porche de cette riche maison, s’engageant dans un escalier aussi large que facile à monter, il vint sonner à la porte qui donnait sur le palier du premier étage. Un vieux domestique en livrée ouvrit et s’écria:

«Ah! Monsieur le vicomte, Madame la marquise n’est point encore rentrée. Ce maladroit de concierge vous a laissé monter inutilement.

–Je ne lui ai pas même parlé, dit Xavier très–vivement déçu. Je croyais être sûr de trouver Mme de Valbret.»

Une voix partit du fond du vestibule:

«C’est M. le vicomte de Bois–Rougès!»

Et un autre domestique, également âgé et de bonne mine, s’approcha avec empressement.

«Madame la marquise est sortie pour jusqu’à trois heures, dit–il. Elle a écrit à Monsieur le vicomte pour le prier de remettre à ce moment la visite qu’il voulait bien lui faire. C’est moi qui ai porté, hier, la lettre à la poste.

–Je n’ai rien reçu, dit Xavier.

–Est–il possible! est–ce désagréable!» gémirent les deux bons vieux pendant que Xavier reprenait:

«Cela ne fait rien, c’est un très–petit malheur, l’essentiel est que je puisse voir Mme de Valbret aujourd’hui. Je reviendrai à trois heures et, si elle n’est pas encore de retour, je l’attendrai.

–Si Monsieur voulait entrer tout de suite? dit un des domestiques.

–Non, merci. Cela me donne une heure. Je vais aller un moment à côté.»

Un sourire d’intelligence, passant respectueusement sur les lèvres des deux vieillards, prouva qu’ils croyaient comprendre.

«Quand Monsieur voudra, tout à son service,» dirent–ils pendant que le jeune homme descendait en leur faisant de la main un geste d’adieu et de remerciement.

«Quelle bonne figure, hein! Pierre, dit l’un d’eux en refermant la porte.

–Ah dame! Si tous étaient comme cela, le monde serait meilleur, répondit l’autre en retournant essuyer les plats d’argent qu’il avait dû quitter.

–Ne trouves–tu pas qu’il ressemble un peu à notre pauvre petit M. Jean?

–Pauvre cher petit ami! M. de Bois– Rougès est bien gentil, c’est vrai, mais pas encore autant que l’était notre pauvre chéri. Je ne peux pas y penser, il me semble toujours le voir dans sa robe blanche, avec ses yeux fermés. Un ange, quoi! en le regardant, on n’était plus sur la terre.»

Et le vieillard passa à plusieurs reprises sa main sur ses paupières, puis il finit par dire:

«Tiens, essuie l’argenterie, toi, Jacques, moi je ne peux plus, je cours risque de la ternir.»

Mais Jacques ne le pouvait pas davantage; les mêmes larmes mouillaient le visage des deux vieux serviteurs, des deux humbles amis pleurant le fils unique de leurs maîtres.

Xavier s’était rendu à côté, comme il l’avait annoncé, c’est–à–dire qu’il venait de s’agenouiller dans la chapelle des fils de saint Ignace, et priait avec ferveur, les yeux fixés sur les dalles étincelantes qui recouvrent les corps des religieux martyrs. Un demi–jour mystérieux enveloppait le sanctuaire, un vague parfum d’encens s’y répandait encore. De ces voûtes enlacées, de ces murs aux saintes effigies, de ces autels couverts de fleurs, de ces couronnes vermeilles, de ces pierres sépulcrales qui chantent la douceur et la gloire dans la mort, le calme et la force venaient à l’âme.

Heureux ceux qui savent se dérober à l’activité du dehors, pour se réfugier un moment dans cette enceinte bénie, comme dans une île fraîche et ombreuse conservée par la Providence au milieu des flots d’un torrent!

Xavier ne quittait pas du regard les plaques de marbre où se lisent les noms qu’une haine impie a faits grands pour l’éternité: Olivaint, Clerc, de Bengy, Ducoudray, Caubert.…

«0mon Dieu! répétait–il, vous ai–je bien compris? Se peut–il que vous me permettiez de prétendre à un tel honneur? Ah! ce sont les vertus de ma mère que vous récompensez en moi. Ayez pitié de ma faiblesse!…

Il y avait une demi–heure environ qu’il s’absorbait dans sa méditation quand il en fut distrait par le bruit d’une chaise glissant sur le pavé de la chapelle. Il s’aperçut alors qu’il n’était plus seul devant l’autel dédié aux martyrs. Une jeune fille venait de s’agenouiller à quelques pas de lui. Les mains croisées sur le dossier d’un prie– Dieu, elle tenait la tête levée pour regarder les trois bienheureux qui, debout au fond du rétable, dressent leurs croix victorieuses. La lueur d’un cierge d’ex–voto jetait un reflet enflammé sur son visage. Hélas! les tristesses de la vie avaient sans doute touché cette jeune existence, car des larmes coulaient de ces yeux fixés sur l’image des martyrs et une expression où la fierté, l’amour et la douleur semblaient se réunir, donnait une poétique grandeur à ces traits déjà beaux par eux–mêmes. Ainsi devaient être Cécile et Agnès quand, dans les catacombes, elles allaient se prosterner devant les corps sanglants de leurs frères morts pour la foi; elles devaient apparaître comme des anges de pureté, de courage et d’espérance.

Xavier ne put s’empêcher d’être frappé d’une sorte d’étonnement mêlé d’admiration. Il crut cette jeune fille étrangère et la pensée de la Pologne avec ses enfants héroïques se présenta d’abord à son esprit. Mais, dans l’exil, les filles de la Pologne sont pauvres et portent le deuil de leur patrie; la jeune chrétienne, au contraire, était mise avec une élégance qui décelait autant la fortune que les joies apparentes, les joies qui ornent le vêtement tout en laissant saigner le cœur.

«Voici une âme qui souffre,» se dit Xavier. Puis il ajouta:

«Si elle combat, mon Dieu, donnez–lui la force: et que ses larmes lui obtiennent ce qu’elle est venue vous demander ici.»

Il s’éloigna sans bruit, craignant de troubler à son tour une fervente prière et, jugeant le moment à peu près arrivé, il retourna chez la marquise.

«Madame n’est point rentrée, dit le vieux Pierre. Cela commence à nous tourmenter car elle est toujours si exacte.

–Il n’est pas encore trois heures, rassurez–vous, mon ami, dit Xavier. Je suis revenu un peu d’avance dans la crainte de me faire attendre par Mme de Valbret.

–Ah! reprit le vieillard en laissant un sourire s’épanouir sur son honnête figure. Alors, c’est que Jacques a mal entendu l’heure qui a sonné chez les bons Pères. Et, voyez–vous, Monsieur le vicomte, nous avons toujours peur quand Madame fait des courses au loin, car il arrive tant de malheurs dans ce Paris et notre chère dame commence à n’être plus jeune!»

Tout en parlant ainsi, le valet de chambre ouvrait la porte du petit salon, avançait un fauteuil, relevait un store devenu inutile. Quand, enfin, tout lui sembla bien disposé, il s’inclina et se retira en disant: «J’espère que Monsieur le vicomte n’attendra pas longtemps.»

Resté seul, Xavier prit une brochure abandonnée sur la table, la feuilleta; il en fit autant d’un numéro de l’Union laissé à demi ouvert; puis, enfin, il se mit à regarder autour de lui, examinant cet appartement où bien des fois déjà il avait été reçu, ces objets qui souvent s’étaient trouvés sous ses yeux sans qu’il y prît une attention particulière.

Le petit salon de la marquise était une pièce octogone, haute d’étage et donnant au Levant. Sa tenture sombre faisait ressortir un portrait de Velasquez ne le cédant en beauté qu’à un Corrége placé sur le panneau voisin. Sur trois autres pans des murailles tombaient des tentures d’Aubusson voilant des portes qui donnaient, une dans le vestibule, une autre dans le grand salon de réception, et la troisième dans la chambre de Mme de Valbret. Une cheminée ornée d’un lambrequin armorié et une croisée occupaient deux autres des plans. Enfin, devant le huitième, était placé un vieux fauteuil de cuir, lourd, vulgaire, et qui aurait paru singulièrement hardi dans un tel voisinage si une petite escabelle recouverte de tapis indiens ne l’avait exhaussé avec respect et si une plaque en cèdre maintenue sur son dossier n’avait porté ces mots: Le12mai 1647, en visitant le marquis Hugues de Valbret, saint Vincent de Paul s’est assis dans ce fauteuil. Les traditions de famille ajoutaient que l’apôtre de la charité avait rendu cet honneur au gentilhomme dans un rustique pavillon de chasse et que le résultat de leur entretien avait été la fondation d’une église dans un hameau privé jusqu’alors de secours religieux et qui dépendait des domaines du marquis.

Les autres meubles qui se trouvaient dans le petit salon étaient nombreux mais assez disparates. On comprenait que le sentiment qui les avait rapprochés n’était pas le goût, mais le culte des souvenirs. Ainsi une table de Boule, d’un admirable travail, supportait une écritoire en bois très–ordinaire. Une pendule de Sèvres laissait une petite Madone en plâtre cacher deux de ses merveilleuses fleurs. Des miniatures, dues au pinceau des maîtres du genre étaient posées dans de précieux écrins à côté d’une foule d’objets d’une valeur nulle et quelquefois d’une fraîcheur douteuse. Une âme vivait, on le sentait, au milieu de ces débris, de ces reliques dont les plus anciennes racontaient des grandeurs, et les dernières, les plus humbles, ne rappelaient que des tendresses et peut– être des douleurs. On aurait pu s’en convaincre si l’on avait tenté d’ouvrir la porte attenant au salon de réception. On aurait vu avec quel soin cette porte était fermée comme une barrière entre les relations générales et ces intimes pensées qui, dans le petit salon, donnaient à chaque chose un langage et un attrait. La porte introduisant dans la chambre de la marquise était ouverte, au contraire, et, derrière la tenture qui la dissimulait, on entendait gazouiller un oiseau, douce et innocente distraction gardée à ce foyer solitaire. Mais, un objet demeurait frappant entre tous dans cet appartement qui semblait ainsi élu pour garder les traces du passé. C’était un tableau suspendu au–dessus du fauteuil dont s’était servi saint Vincent de Paul. Ce tableau était–il un portrait? Ne pouvait–on le prendre plutôt pour la traduction d’une vision? Il représentait un jeune homme couché sur un lit funèbre. La tête était d’une beauté aristocratique et céleste à la fois. Les yeux étaient clos, les mains jointes: la pensée du ciel avait fait errer sur les lèvres un sourire que la mort y avait fixé. Ce jeune homme était revêtu de la robe dominicaine et une croix de bois reposait sur son cœur. Une indéfinissable impression saisissait devant cette image, trop calme pour être mélancolique et, cependant, imposante jusqu’à la majesté. A cette œuvre, nulle signature. Pourtant, la main qui l’avait tracée était savante; mais, devant ce modèle, le peintre s’était lui–même oublié. Sur le bas du cadre étaient gravées trois dates: 12avril1840–8décembre1861.

20mai1863. Des couronnes de roses en ornaient les coins supérieurs et, de chaque côté, sur des crédences de chêne, s’épanouissaient les derniers chrysanthèmes de la saison.

Xavier était venu se placer devant ce tableau et son visage portait l’empreinte de l’émotion qui l’avait déjà saisi dans la chapelle des martyrs.

«Jean, murmurait–il, je vous ai peu connu; j’étais encore un enfant quand vous vous êtes éloigné. Et, pourtant, je ne vous oublierai jamais. Je me souviendrai toujours de votre dernier baiser et, surtout, de vos dernières paroles. Vous m’aviez pris sur vos genoux, vous me disiez en souriant: «Soyez sage, Xavier, soyez sage, même petit. Il y en a tant qui sont fous, même grands.» Vous aviez raison. Le nombre des insensés est infini, dit l’Écriture. Vous saviez cela, vous, à vingt ans… Priez pour moi, maintenant, aidez–moi. Montrez–moi comment, dans le ciel, les amitiés restent puissantes.»

Il demeura longtemps à regarder cette figure angélique; puis, il se rassit et soupira:

«Mon pauvre Étienne! Chaque minute qui s’écoule emporte peut–être une partie de ses avantages.»

A ce moment, la pendule sonna trois heures et demie; mais, à ce moment aussi, le bruit de la porte d’entrée retombant sur elle–même se fit entendre. Xavier se leva en disant presque haut:

«Enfin!»

Le mariage de Renée

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