Читать книгу La liturgie romaine et les liturgies françaises : détails historiques et statistiques - Melchior Du Lac - Страница 5

DES DISCUSSIONS SUR LA LITURGIE.

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Déjà publié sous une autre forme, l’écrit que nous offrons au lecteur a été l’objet de plaintes sévères et d’approbations bienveillantes; on a surtout blâmé, on a surtout loué le fait même de la publication. Ces jugements contradictoires, émanés de personnes également respectables par leurs vertus, leurs lumières, leur rang et leur autorité dans l’Eglise, n’ont rien qui doive surprendre: les choses se passent toujours ainsi lorsque deux opinions sont en présence, dont l’une a intérêt au combat, parce que, pour elle, combattre c’est vaincre; dont l’autre a intérêt au silence, parce que le silence est son seul espoir. Ceux qui veulent le maintien des Liturgies introduites dans nos Eglises au dix-huitième siècle, s’effraient des développements que prend la controverse; ils croient cette controverse fâcheuse et pleine de périls: leurs teneurs sont fort naturelles. Mais les hommes dévoués au triomphe de la Liturgie romaine ont d’assez bonnes raisons pour ne pas les partager; ils jugent de l’avenir par le passé, et disent avec M. l’Evêque de Langres:

«Que résulte-t-il donc aujourd’hui de tout ce qui s’est dit

«et de tout ce qui s’est passé au sujet de la Liturgie, en

«France, depuis quelque temps? Il n’en résulte que deux

«faits certains, mais déjà très précieux: le premier, c’est

«que l’attention publique est complètement éveillée, et les

«études sérieusement dirigées vers la science liturgique,

«abandonnée en France depuis long-temps. Le second, c’est

«que la propagation de la Liturgie parisienne est arrêtée, et

«que le mouvement de retour à la Liturgie romaine la remplace.

«A nos yeux, ce double fait est d’une grande importance,

«parce que, surtout, il est d’un grand avenir. Le plus

«difficile était de remettre en faveur des études discréditées

«et de faire réfléchir sur des habitudes dominantes; or, voilà

«ce qui est obtenu. D’une part, un point d’arrêt est mis à

«certaine propagande, et cela nous paraît définitif; de l’autre,

«le travail de régénération est commencé, et certainement

«il se poursuivra .»

Parmi les défenseurs des Liturgies modernes, plusieurs ont, cependant, confiance dans la bonté de leur cause; et s’il y a discussion, si d’abord le combat s’est engagé, si plus tard la controverse, après avoir langui quelque temps, s’est tout à coup ranimée, on le doit à leurs écrits. Sans prétendre diminuer le mérite du livre publié en 1840 par l’Abbé de Solesmes, il est permis de remarquer que les Institutions liturgiques ne sont pas une œuvre de polémique: ces deux gros volumes, pleins de recherches et d’érudition, s’adressaient manifestement aux gens d’étude et de cabinet, et n’avaient en aucune manière la prétention de passionner le public. Je sais que, depuis, la vogue ne leur a pas manqué, qu’ils sont devenus comme un arsenal où les critiques de nos Liturgies vont, l’un après l’autre, choisir leurs meilleures armes (le lecteur verra bien que nous comptons parmi ces plagiaires), et, M. l’Evêque d’Orléans l’a très bien dit, comme un drapeau autour duquel se rangent les défenseurs de la Liturgie romaine; mais il est douteux que l’ouvrage eût jamais obtenu ce genre de succès, si M. l’Archevêque de Toulouse ne l’avait pas signalé. De fait, ce ne fut qu’après la première brochure, partout répandue du vénérable Prélat, que les recherches silencieuses et pacifiques firent place à ce qu’on appelle proprement la controverse; le mouvement lent et régulier, de retour vers les doctrines d’unité, aux mouvements plus précipités d’une vive polémique. Toutefois, cette ardeur semblait s’amortir, on revenait paisiblement aux études patientes et calmes, lorsque, au commencement dé l’année dernière, M. l’Archevêque de Toulouse publia un nouvel écrit, et M. l’Evêque d’Orléans son Examen des Institutions liturgiques. A dater de ce moment, la discussion reprit avec une vigueur dont rien jusque-là n’avait pu donner l’idée, et eut bientôt un tel retentissement qu’il devint impossible aux journaux lus par les catholiques et par le clergé, de ne pas en rendre compte.

L’Univers dut subir la nécessité commune. Ses rédacteurs ne s’en plaignirent pas: encouragés par les paroles que nous rappelions tout à l’heure de M. l’Evêque de Langres, et aussi par les exhortations que leur adressaient directement plusieurs de ses vénérables collègues, ils étaient, d’ailleurs, pleinement rassurés par l’exemple de M. l’Archevêque de Toulouse et de M. l’Evêque d’Orléans. Quand les deux prélats n’apercevaient dans l’état des esprits, dans la situation de l’Eglise au milieu des partis, rien qui dû) les empêcher de donner à cette controverse un si grand éclat, c’eût été à des journalistes une fort sotte et fort ridicule vanité d’imaginer que leurs articles pouvaient avoir de l’inconvénient.

Telle est l’origine de notre opuscule: né de la controverse, il n’en peut être responsable; bonne ou mauvaise, utile ou dangereuse, la controverse avait lieu sans lui, elle aurait continué sans lui: cette simple réflexion sera notre excuse auprès des hommes tranquilles, sages et circonspects que le bruit fatigue, mécontente, inquiète. Quant à ceux qui trouvent la discussion fâcheuse, mais seulement lorsqu’elle est favorable à la Liturgie romaine, et auxquels tout plaidoyer pour les Liturgies françaises paraît au contraire excellent, utile, nécessaire et fort opportun, ils sortent de la question d’opportunité, ou plutôt ils la résolvent dans le même sens que nous, car s’il est opportun pour une opinion d’attaquer l’opinion contraire, il est manifestement opportun pour celle-ci de repousser l’attaque. Vous faites des articles, des brochures, des livres pour vos Liturgies; cette cause vous l’étayez tant bien que mal, de principes faux et dangereux, de faits dénaturés ou controuvés; dans l’intérêt de vos bréviaires et de vos missels vous inventez une histoire inouïe, une théologie encore plus étrange et plus nouvelle que ces missels et que ces bréviaires, et puis si quelqu’un s’avise de contredire, vous criez au scandale, vous l’accusez de troubler la paix, de jeter la division parmi les catholiques! Vous voulez qu’on se taise, afin de parler seuls: de la part des défenseurs de la Liturgie romaine, cela pourrait se comprendre, cette Liturgie est celle de l’Eglise même, et vous n’avez pas le droit de la juger; mais de votre part rien n’autorise une telle prétention, vos Liturgies, purement tolérées, ne sont pas inviolables. Il faut donc vous résigner à la contradiction, souffrir qu’on examine vos récits et vos arguments; permettre, quand on les rejette, d’expliquer pourquoi.

«Du moins faut-il le faire avec modération et ne jamais blesser ni la charité, ni les convenances.» — J’accorde ce point d’autant plus volontiers, qu’à mon avis vous-mêmes le mettez en oubli. Vous n’en conviendrez pas: tout est modéré, convenable et parfait dans vos écrits; tout se trouve excessif, inconvenant, anti-évangélique dans les écrits de vos adversaires. A vous entendre ce serait même là votre seul grief contre la Liturgie romaine, votre seul motif de tenir aux Liturgies modernes; peu s’en faut que vous ne promettiez d’accueillir la vérité lorsqu’on la présentera d’une façon plus aimable. Je crois bien qu’en effet, écrits d’un autre style, les livres que vous incriminez seraient un peu moins lus; que négligés du public ils n’auraient pas la vertu d’exciter vos colères; mais quoique vous prétendiez, le ton plus ou moins vif de la polémique n’est pas la vraie cause de votre irritation: vous n’êtes plus des enfants, vous êtes des hommes raisonnables, des hommes graves, et le fond vous touche beaucoup plus que la forme. Vous aimez vos Liturgies, vous ne voulez pas qu’on les tue; or, qu’on en parle froidement ou avec chaleur, qu’on les traite avec égards ou sans ménagements, dès qu’on parle contre elles, évidemment il s’agit de les immoler; c’est là ce qui vous fâche.

Nous comprenons votre douleur et nous la respectons. Dieu nous garde de flétrir le sentiment d’où elle procède, ce pieux attachement à la Liturgie qu’on a long-temps pratiquée, qu’on est habitué à vénérer comme l’œuvre de l’Esprit Saint, comme l’héritage sacré, comme la tradition léguée par les aïeux! Nous voudrions pouvoir suivre les conseils pacifiques de ceux qui nous disent: «laissez-les; à quoi bon les tourmenter? Leurs Liturgies sont déjà caduques, elles tombent d’elles-mêmes; le temps, la force des choses, sans qu’il soit besoin d’y mettre la main, les feront disparaître.» Mais nous savons que le temps ne fait rien tout seul, que la force des choses n’est qu’un mot si elle n’est pas le résultat des efforts et des travaux de l’homme; nous savons que le silence et l’inaction ne suffisent point à guérir un mal invétéré, et que la pitié est insensée lorsqu’elle se rend aux supplications du malade qui se plaît dans sa lèpre et la veut garder. Si déjà les Liturgies françaises ont perdu tout prestige; s’il y a un mouvement de retour vers la Liturgie romaine, on le doit aux écrits, aux discussions qui ont attiré l’attention sur ces Liturgies, qui ont fait connaître leur nature et leur origine; il faut continuer l’œuvre commencée, pour que la ruine expiatrice s’achève, pour que le mouvement réparateur se propage et s’accroisse.

«De pareilles controverses ont de grands inconvénients?» — Qui le conteste? La question est de savoir si les inconvénients du silence ne sont pas mille fois plus grands? Sans doute il serait désirable que, sur toutes choses, les catholiques se trouvassent complètement d’accord; mais puisque, en fait, cet accord n’existe pas, puisque sur des questions graves, deux pensées, deux doctrines, deux traditions: la tradition antique ou romaine, la tradition moderne ou gallicane, se disputent les intelligences, il est bon, il est nécessaire, que les deux doctrines s’examinent, se scrutent l’une l’autre, afin que la doctrine fausse disparaisse, et que l’union se fasse dans la vérité. Après tout, de quoi s’occupera donc le clergé s’il ne s’occupe point de ce qui le regarde? Quelles questions attireront son attention s’il dédaigne les questions ecclésiastiques? Ne vaut-il pas mieux discuter sur la Liturgie que de prendre parti pour ou contre des systèmes de philosophie ou de politique?

«En présence des ennemis de l’Eglise et de la guerre ardente qu’ils lui font, pourquoi ces luttes intérieures? Lorsque l’incrédulité sera vaincue, nous pourrons étudier en paix les questions ecclésiastiques, et les discuter sans inconvénient. » — Objection spécieuse, mais qui n’a rien de solide. Et d’abord, ces luttes nous fortifient au lieu de nous affaiblir: on peut les considérer comme des exercices salutaires par lesquels nous nous préparons à de plus sérieux combats, car elles ne vont point à déchirer le drapeau de l’unité, car elles ne nous divisent pas sur le terrain où l’on peut rencontrer l’ennemi. En second lieu, ce n’est point par la philosophie, par la science humaine que l’on triomphera des philosophes; on les vaincra par la science divine: c’est donc cette science qu’il importe surtout d’étudier, d’approfondir dans toutes ses parties. Pour faire la guerre, il faut des armes: les sciences ecclésiastiques, voilà les armes du Sacerdoce, et non pas la chimie, la physique, ou la philosophie profane. Or, après des révolutions qui ont tout bouleversé, qui ont interrompu la tradition des hautes études, et laissé le clergé en France sans universités, sans enseignement supérieur, il est tout simple que les sciences ecclésiastiques soient peu connues, qu’il y ait des points obscurs, douteux pour un grand nombre d’esprits; que des solutions diverses soient proposées, et que la discussion s’engage. Ces controverses sont un signe de puissance et de vie, une preuve irrécusable du goût, de l’amour renaissant du clergé pour les études qui lui rendront sa force et sa gloire.

Je sais bien qu’au dire de certaines gens, la question liturgique est de peu d’importance, que c’est à leur avis une question purement accessoire qui ne mérite pas d’occuper les hommes graves et dont il faut ajourner la discussion aux calendes grecques, quand on n’aura rien de mieux à faire. Mais une pareille opinion montre plus clairement que tous les syllogismes la nécessité d’éveiller l’attention publique et de diriger les études vers la science liturgique abandonnée en France depuis long-temps. Il faut en effet que cette science soit bien abandonnée pour que des personnages, distingués d’ailleurs par leur savoir et leurs lumières, aient pu en méconnaître à ce point la grandeur, l’étendue, les rapports intimes et profonds avec toutes les autres parties de la science sacrée. Nous n’entreprendrons pas de prouver que dans la religion catholique la Liturgie tient à tout, qu’un catholicisme sans Liturgie ne serait qu’un catholicisme incomplet, mutilé et faux; que, par conséquent, sans une connaissance réelle de la Liturgie, on n’a qu’une connaissance incomplète, mutilée et fausse du catholicisme; mais nous remarquerons que M. l’Archevêque de Toulouse et M. l’Evêque d’Orléans reconnaissent, comme M. l’Archevêque de Reims et M. l’Evêque de Langres, la gravité de la question. Les deux prélats n’auraient pas daigné descendre dans l’arène pour une question oiseuse.

On m’arrête et l’on dit: «M. l’Archevêque de Toulouse et M. l’Evêque d’Orléans n’ont pris la plume pour défendre les Liturgies françaises que parce que l’on avait critiqué ces Liturgies et exalté à leur détriment la Liturgie romaine.» — J’en conviens; mais pourquoi les ont-ils défendues, sinon parce qu’ils ont cru l’attaque digne d’attention? Et comment de semblables attaques seraient-elles graves, si les Liturgies n’ont par elles-mêmes aucune valeur? Ou vraiment la Liturgie est en soi chose indifférente; ou, au contraire, comme on l’a toujours cru dans l’Eglise, la Liturgie est chose sacrée, qui tient par son fond même à la religion, qui agit puissamment sur l’homme intérieur, qui a sur les peuples la plus grande influence. Dans le premier cas, pourquoi s’irriter contre ceux qui attaquent les Liturgies particulières? Pourquoi les réfuter avec tant d’ardeur? Si la Liturgie n’est qu’une affaire de goût; les goûts sont libres, et il est très permis de préférer la Liturgie romaine aux Liturgies françaises. Si les changements en cette matière sont sans inconvénient, il n’y a pas grand danger, ce semble, à s’occuper de Liturgie; il n’y a pas grand mal à dire que la Liturgie romaine devrait remplacer les Liturges modernes, à prier, à travailler pour amener cette restauration. Dans le second cas, la gravité même de la question justifie le zèle et la persévérance de ceux qui la traitent de bonne foi. Si de pareils changements ont des conséquences telles, qu’on doive flétrir et repousser avec indignation toute atteinte portée à des Liturgies nées d’hier et circonscrites dans les limites de quelques diocèses, ne doit-on pas, à plus forte raison, déplorer les atteintes portées, au dernier siècle, à la Liturgie romaine, les changements opérés depuis cette époque, et, par conséquent, chercher à effacer la trace de ces innovations? Si les Liturgies particulières sont dignes de quelque intérêt, la Liturgie universelle a bien aussi des droits à l’amour des chrétiens; et, lorsqu’on s’échauffe, lorsque l’on s’emporte pour la gloire des Liturgies nouvelles, on devrait pardonner quelque chose à ceux qui combattent pour l’honneur de la Liturgie antique.

On a évalué à trente-quatre millions les sommes dépensées pour l’introduction et l’établissement des Liturgies françaises; l’on sait d’ailleurs quelle résistance rencontra, parmi le clergé et parmi les fidèles, cette nouveauté. Or, on ne viole pas les décrets des Conciles et du Saint-Siège, on ne brave pas le mécontentement des populations, on ne dépense pas trente-quatre millions pour rien, ou (ce qui est la même chose) pour le vain plaisir de donner à la prière une forme plus littéraire. Il est donc permis de croire que, si les auteurs des nouvelles Liturgies n’avaient attribué à la Liturgie aucune valeur ils n’auraient pas pris tant de peine, ils ne se seraient point imposé tant de sacrifices pour la transformer. Cette transformation avait un but, sans doute: plus on exalte le talent, le génie des hommes auxquels nous devons ces beaux chefs-d’œuvre, plus il est impossible de croire que de si grands esprits aient agi comme des enfants, et sans aucun dessein. Ce but, quel pouvait-il être, sinon d’ôter de la Liturgie romaine certaines choses qui leur déplaisaient, et de les remplacer par d’autres plus conformes ou moins contraires à leurs idées, à leurs sentiments? Ils n’ont changé que la forme, dit-on. Mais qu’est-ce donc que la forme d’un livre, sinon les paroles qui le composent; et conçoit-on qu’on puisse toucher aux paroles sans toucher plus ou moins aux pensées que ces paroles expriment, En tout cas, si les Liturgies nouvelles ne diffèrent en rien d’important de la Liturgie romaine, nous ne pouvons comprendre pourquoi l’on y tient, pourquoi l’on refuse obstinément d’en faire le sacrifice au bien de la paix, aux avantages incontestables et incontestés d’une plus parfaite et plus intime unité avec l’Eglise mère et maîtresse? Mais, si elles en diffèrent réellement, si elles ont été conçues et exécutées dans un autre esprit, si leurs auteurs ont voulu amoindrir ce que la Liturgie romaine rehausse, rehausser ce qu’elle amoindrit, s’ils ont prétendu faire prévaloir des tendances que cette Liturgie exclut, exclure des tendances que cette Liturgie consacre, nous comprenons encore moins que des catholiques puissent attacher quelque prix à leur conservation.

La question est grave assurément, répliquent certains Docteurs, et elle mérite d’être discutée; mais plus elle est grave, plus il importe qu’elle ne soit traitée que par des hommes compétents: or, en fait de Liturgie, les seuls juges compétents sont les Evêques; il est scandaleux de voir de simples Prêtres, ou même des laïques, entreprendre sur les droits de l’Episcopat, s’ériger en maîtres, trancher, décider en de telles matières. — Ce beau raisonnement va plus loin qu’on ne pense: si les laïques ne peuvent ni étudier les sciences ecclésiastiques, ni en parler, ni écrire sur les questions qui s’y rattachent, parce qu’ils ne font pas partie du corps sacerdotal; si, d’autre part, la même interdiction pèse sur le clergé du second ordre, parce que ses membres sont inférieurs aux Evêques, seuls chargés de régir les Eglises, de les gouverner, de prononcer comme juges, ne faudra-t-il pas aussi refuser le droit d’écrire aux Evêques eux-mêmes, sous prétexte que le Pape est leur supérieur et le seul juge souverain? Je connais des logiciens qui ne reculent pas devant celle conséquence et pour lesquels une Eglise ainsi pétrifiée, où tout membre serait immobile et toute intelligence muette, est le beau idéal. Par malheur, Notre Seigneur Jésus-Christ en a disposé autrement; le Sacerdoce qu’il a établi ne ressemble en rien aux Sacerdoces du paganisme, qui s’attribuaient le monopole de la vérité et la dérobaient aux regards des profanes avec un soin jaloux; ses Prêtres sont les Apôtres de la doctrine sainte, ils n’en sont pas les propriétaires, et laïques ou clercs, Prêtres ou Evêques, tous ont le droit ou plutôt le devoir de la connaître, de l’aimer, de la servir, de la propager, chacun dans la mesure de ses forces et des grâces qu’il a reçues; à tous il est défendu de tenir la vérité captive.

Eh quoi! s’écrie-t-on, prétendez-vous que le Prêtre soit égal au Pontife? — Sous le rapport de la science, le Prêtre lui est quelquefois supérieur: Saint Jérôme ou Saint Thomas d’Aquin, par exemple, avaient assurément plus de savoir que la plupart des Evêques de leur temps. D’ailleurs un homme est rarement universel, et le Prélat le plus instruit ignore toujours quelque point de la science ecclésiastique sur lequel le moindre de ses Prêtres peut avoir fait des études spéciales. Enfin il faut des livres au Prêtre, au fidèle, et ces livres, il est matériellement impossible que les Evêques les composent tous. C’est pourquoi l’Eglise n’a jamais défendu ni aux Prêtres ni même aux laïques d’aider, de suppléer l’Episcopat dans ce labeur. D’après le principe que nous combattons, il faudrait commencer par livrer aux flammes tous les ouvrages écrits sur les matières ecclésiastiques par d’autres que des Evêques! En attendant qu’on offre à la sécurité des Liturgies françaises ce léger sacrifice, on peut en sûreté de conscience, même sans être Evêque, écrire sur la Liturgie, ainsi que l’ont fait, dans les siècles passés, tant de liturgistes qui n’avaient pas reçu la consécration épiscopale et dont l’Eglise a béni les travaux.

Nous avons quelque honte de nous arrêter si long-temps à de pareilles objections. Ceux qui nous les adressent et qui prétendent par elles défendre les droits incommunicables de l’Episcopat, ne veulent pas voir qu’ils confondent de la façon la plus ridicule deux ordres de questions. Un Evêque, M. de Langres, a daigné pourtant le leur expliquer: «Quant à la

«question pratique de la Liturgie, elle se développera d’elle-même

«avec le temps; mais elle doit marcher plus lentement

«que la question doctrinale. Cette dernière est ouverte à l’examen

«de tous; mais l’autre est exclusivement entre les mains

«du chef de chaque diocèse. Partout c’est à l’Evêque seul

«qu’il appartient, et de donner le premier signal, et de faire

«arriver au but .»

L’auteur des Institutions liturgiques ne tient pas un autre langage: «Le mouvement de régénération de la Liturgie en

«France doit être accompli avec lenteur et prudence et par

«l’autorité des Evêques .» Et ailleurs: «Si j’ai cru pouvoir,

«à mon tour, écrire sur la Liturgie après tant et de si

«illustres Prêtres, les Mabillon, les Le Brun, les Zaccaria,

«et cette innombrable nuée de liturgistes, je me suis fait un

«devoir, dès qu’il s’est agi de la question pratiqué, d’en remettre

«exclusivement l’application à la prudence de nos

«Prélats .» A la suite de ce passage nous lisons: «Plusieurs

«Archevêques et plusieurs Evêques de l’Eglise de

«France, loin de se tenir pour offensés de mes conclusions,

«s’étaient donné la peine de m’écrire pour me témoigner

«leurs sympathies et leurs encouragements. Depuis la publication

«de votre Examen, Monseigneur, d’autres Prélats

«que je n’en avais pas sollicités, ont bien voulu m’adresser

«les témoignages de leur honorable intérêt, etc.» Les Evêques approuvent donc et font eux-mêmes cette distinction si simple entre le droit d’écrire sur la question et le droit de décider la question dans les diocèses.

Enfin nous invoquerons une autorité que nos adversaires ne sauraient récuser: celles des Evêques du dix-huitième siècle. A qui confièrent-ils la composition, la rédaction, l’ordonnance des Liturgies nouvelles? A des Prêtres, à des acolythes, à des laïques; ils ne croyaient donc pas que ce fût un péché à des Prêtres, à des laïques, de travailler sur ces matières? — Ce n’est point, dira-t-on, ce qu’ils firent de mieux! — Oh! pour cela, d’accord: mais nous, nous n’allons pas si loin; nous n’avons garde de revendiquer pour le Prêtre, pour le laïque, le droit d’écrire, la Liturgie, de mettre sur les autels à la place des Liturgies antiques, les œuvres de son esprit; nous demandons simplement pour le Prêtre, pour le laïque, la permission d’écrire sur la Liturgie, de défendre la Liturgie consacrée par l’autorité de l’Eglise et conservée depuis l’origine du christianisme par la tradition.

Cette permission, quelques-uns veulent bien l’accorder au clergé ; mais les laïques, à leur avis n’y peuvent prétendre, de semblables questions ne les regardent pas. — Pourquoi donc? Les laïques n’appartiennent-ils pas à l’Eglise? Ce qui intéresse le clergé, ce qui intéresse l’Eglise par conséquent, leur peut-il être indifférent? La Liturgie ne les touche-t-elle pas encore plus que tout le reste? Le laïque prie avec le Prêtre dans le temple et alors même que le Prêtre prie seul, il prie pour le peuple. Quand le Prêtre récite son bréviaire il remplit une de ses fonctions les plus saintes: député pour cela, par l’Eglise, il prie au nom de l’Eglise et non pas en son propre et privé nom; comment interdirait-on à des chrétiens de savoir ce qu’est sa prière? Pourrait-on d’ailleurs citer une loi de l’Eglise qui défende aux laïques de s’occuper des questions que les Prêtres, que les Evêques discutent publiquement? Cela même serait-il possible? Interdira-t-on aux laïques de lire les écrits des Prêtres et des Evêques, et s’ils les lisent de se laisser convaincre? de juger que de deux opinions contraires l’une est vraie, l’autre fausse, et de prendre la liberté que se donnent les membres du clergé, les membres de l’Episcopat, en embrassant la doctrine qui leUr paraît plus conforme à l’enseignement catholique. Ah! loin de détourner les laïques de l’étude des sciences sacrées, que le clergé les y engage au contraire! Que craint-on? est-ce qu’une connaissance plus approfondie de la religion peut nuire? Est-ce que l’Eglise a quelque intérêt à voir ses enfants demeurer étrangers à ce qui la regarde et consacrer exclusivement toutes leurs facultés aux choses du monde, aux études profanes? Est-ce que l’Eglise les a jamais empêchés de connaître la doctrine sainte et de la défendre? Boëce était laïque, et les plus grands docteurs ont commenté ses écrits; saint Prosper, l’ami de saint Augustin, était laïque et combattait les hérétiques ennemis de la grâce; Arnobe était païen, il demanda le Baptême; on y mit pour condition, qu’il composerait et publierait, avant de le recevoir, ses livres contre l’idolâtrie: que d’exemples ne pourrai-je pas citer? — Vous voulez bien que le laïque prie, qu’il accoure dans nos Eglises, qu’il se plaise à nos solennités? Comment s’y plaira-t-il s’il ne comprend rien à ce qui s’y passe, si les divins offices ne sont pour lui qu’un vain spectacle, s’il est incapable d’en suivre les paroles, d’en pénétrer le sens. Laissez-le donc étudier la Liturgie, et même, si cette fantaisie lui vient, laissez-le prendre parti dans la querelle; il y met de l’ardeur, de la passion, tant mieux! c’est qu’il aime Dieu et la sainte Eglise; qui ne les aime point ne se soucie guère de telles discussions!

Sans doute on a le droit de demander au laïque qui se mêle d’écrire, du talent, du savoir, des études sérieuses, une réelle connaissance des questions débattues; mais cela même, on a le droit de le demander au Prêtre: tout bien considéré, un bon écrit par un laïque instruit, vaut mieux qu’un méchant livre par un clerc ignorant.

Entre Prêtres et laïques la solidarité est plus étroite qu’on ne pense: il y a action et réaction de la société ecclésiastique sur la société séculière et de celle-ci sur celle-là. Un niveau commun s’établit au-dessus de l’une et de l’autre; le clergé subit toujours à quelque degré l’influence du monde et ressent inévitablement quelque atteinte des maladies qu’il ne sait pas guérir. Chez un peuple où les laïques, en matière de religion, croupissent dans l’ignorance, il est fort à craindre que les Prêtres n’aient pas toute la science qu’ils devraient avoir. De même quand les laïques s’instruisent, la science du clergé grandit et s’élève. Si donc, aujourd’hui, les laïques, en France, commencent à se préoccuper des questions religieuses, à s’enquérir de ce que fait et ne fait pas le clergé, à trouver de l’attrait dans les sciences ecclésiastiques, à diriger de ce côté leurs recherches et leurs travaux; malgré quelques écarts, et pour eux et pour le clergé c’est un fort bon symptôme.

Dans les questions controversées, c’est-à-dire dans les questions comme la question Liturgique, où il voit ses guides naturels partagés et divisés, le laïque, s’il est prudent, se rangera toujours du côté de l’autorité la plus haute: entre quelques Eglises particulières et l’Eglise universelle, entre quelques Evêques et tous les autres Evêques unis au Saint-Siége, il se décidera pour ces derniers; voilà tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui. Mais on ne peut point demander qu’il se bouche les oreilles, qu’il ferme les yeux, afin de ne pas entendre et de ne pas voir ce que disent, ce que font à la face du monde, les Prêtres, les Evèques et le Pape. On ne peut point, par exemple, lui imposer l’obligation d’ignorer que le Concile de Trente a solennellement proclamé la nécessité de rétablir dans toute l’Eglise latine l’unité Liturgique romaine; que les Papes l’ont rétablie en effet et déclaré qu’elle devait l’être par l’autorité du Pontife, par des Bulles scrupuleusement exécutées dans toute l’Eglise, en France comme ailleurs; qu’au dix-huitième siècle, l’anarchie parmi nous remplaça l’unité, et que maintenant il s’agit de savoir si celle anarchie sera maintenue. Mais puisqu’il est impossible que le laïque, à moins d’être complètement étranger à l’histoire de l’Eglise et indifférent à tout ce qui touche la religion, n’ait pas de ces grands faits quelque connaissance, comment l’empêchera-t-on de les apprécier, d’en tirer les enseignements qui s’offrent d’eux-mêmes et d’en faire l’application. Il consulte le Bullaire, je suppose; et rencontre dans une Bulle de Clément VIII, les paroles suivantes:

«Puisque dans l’Eglise catholique, laquelle a été établie par

«notre Seigneur Jesus-Christ sous un seul chef, son Vicaire

«sur la terre, on doit toujours garder l’union et la conformité

«dans tout ce qui a rapport à la gloire de Dieu et à l’accomplissement

«des fonctions ecclésiastiques, c’est surtout dans

«la manière d’offrir la prière, sous une seule et même forme,

«contenue au Bréviaire romain, que cette communion avec

«Dieu, qui est un, doit être perpétuellement conservée, afin

«que, dans l’Eglise répandue par tout l’univers, les fidèles de

«Jésus-Christ invoquent et louent Dieu par un seul et même

«rit de chants et de prières .»

Cette Bulle est du 10 mai 1602; notre laïque en voit une autre du même Pape du 4 août 1596, puis il remonte à Saint Pie V, et parcourt les deux Bulles du 15 juillet 4 668 et du 14 juillet 1570, ou redescend à Urbain VIII et aux Bulles du 25 janvier 1631 et du 2 septembre 1634. Dans les six Bulles, mêmes plaintes: sur les inconvénients et les dangers de la variété et des changements en fait de Liturgie, sur les erreurs et sur les désordres qui en sont la suite inévitable; mêmes enseignements: sur le prix de l’unité, et aussi mêmes défenses, sous les mêmes peines, et aux fidèles et aux Evêques, d’altérer en quoi que ce soit la Liturgie Romaine ou de prendre une Liturgie différente. Naturellement, le laïque demande comment il est possible d’accorder avec ces prescriptions pontificales l’infinie multiplicité et les variations perpétuelles de nos Liturgies? — Le Saint-Siége, se dit-il, a peut-être changé d’opinion? Mais on lui fait remarquer que le Saint-Siége a constamment maintenu et maintient encore ces Bulles, puisqu’elles figurent, par son ordre, en tête de toutes les éditions du Missel et du Bréviaire romains; d’ailleurs, on lui donne lecture du Bref adressé par S. S. Grégoire XVI à M. l’Archevêque de Reims, et il retient le passage suivant:

«La variété des livres liturgiques introduite dans un grand nombre d’églises de France s’est accrue encore, depuis la nouvelle circonscription des diocèses, de manière à offenser les fidèles.... Nous déplorons comme vous ce malheur, et rien ne Nous semblerait plus désirable que de voir observer partout, chez vous, les constitutions de saint Pie V... Tout récemment, un de nos vénérables Frères du même royaume (M. l’Evêque de Langres)...., ayant ramené tout son clergé à la pratique universelle des usages de l’Eglise romaine, Nous lui avons décerné les éloges qu’il mérite.... Nous avons la confiance que, par la bénédiction de Dieu. les autres Evêques de France suivront tour à tour l’exemple de leur collègue, principalement dans le but d’arrêter cette très périlleuse facilité de changer les livres liturgiques .»

Pie IX est un Pontife réformateur, et le laïque peut se figurer qu’il ne partage pas sur la Liturgie les idées de Grégoire XVI et de saint Pie V. Mais voilà que les journaux publient successivement: une lettre de la sacrée Congrégation du Concile à M. l’Evêque de Saint-Brieuc, pour engager ce Prélat à rétablir dans son diocèse la Liturgie romaine; la nouvelle d’un Bref adressé à M. l’Evêque de Montauban pour le féliciter de l’avoir déjà fait; et le Bref à M. l’Evêque de Troyes qui commence ainsi: «Notre cœur a été pénétré de la joie la

«plus vive quand nous avons connu, par vos lettres pleines

«de soumission, avec quel zèle et quelle prudence vous travaillez

«de tout votre pouvoir à faire disparaître de votre

«diocèse la diversité des livres liturgiques pour le ramener

«entièrement aux usages romains, etc., etc.»

Pour le coup, le laïque croit pouvoir sans scrupule se réjouir de ce qui réjouit Pie IX, s’affliger de ce qui l’afflige; pour le confirmer dans ces sentiments, on lui assure que M. l’Archevêque de Reims les partage. Dans le Bref publié avec l’agrément et sous les auspices de ce Prélat, Grégoire XVI s’exprime ainsi: Nous déplorons comme vous ce malheur, cette variété des livres liturgiques. D’où il suit manifestement que l’Archevêque avait fait connaître au Pontife combien ce malheur lui semblait déplorable. Le laïque ne peut avoir aucun doute sur l’opinion de M. l’Evêque de Langres, dont la brochure est sous ses yeux, et il retrouve quelque part une lettre de M. l’Evêque de Montauban que terminent ces paroles:

«Il est toujours plus opportun, dans l’Eglise, de se rapprocher

«de l’Eglise-mère et maîtresse de toutes les autres,

«que de se grouper ou de rester groupé autour d’une église

«particulière quelconque, à laquelle nulle prééminence n’a

«été donnée, aucune promesse n’a été faite, en dehors de

«ce qui appartient à toutes et à chacune des autres .»

Il voit M. l’Archevêque de Bordeaux, dans une lettre (datée du 9 novembre 1846) adressée à un recueil périodique, exprimer hautement sa foi-aux doctrines romaines sur l’unité de la Liturgie. «La lettre de M. l’Evêque de

«Viviers, que j’ai lue dans votre quatrième livraison, dit le

«savant Prélat, résume toute ma pensée, à part ce qui a

«rapport à l’unité de Liturgie; car j’espère que bientôt il n’y

«aura dans mon diocèse que des Antiphonaires, Missels et

«Bréviaires romains .»

Il lit dans le Mandement de M. l’Evêque de Périgueux au sujet du rétablissement de la Liturgie romaine dans son diocèse: «L’unité romaine a souri à notre cœur d’Evêque,

«en nous rappelant les vœux, les craintes et les espérances

«exprimés par le Prince des Pasteurs dans sa lettre

«à notre illustre prédécesseur immédiat (M. l’Archevêque de

«Reims). Les vœux du successeur de Pierre seront accomplis,

«ses craintes dissipées et ses espérances réalisées, dans

«ce beau diocèse qu’il a confié à notre sollicitude pastorale.»

Il entend M. l’Evêque de Gap, qui, dans sa lettre pastorale au sujet du rétablissement de la Liturgie romaine, après avoir cité un long passage d’un des plus savants défenseurs de la Liturgie romaine (lequel, par parenthèse, n’est autre que l’auteur des Institutions liturgiques), fait cette déclaration: «C’est pour répondre à la manifestation

«de ces besoins; c’est pour nous fortifier davantage au milieu

«des tempêtes que soulève, plus violent que jamais, le

«vent des variations humaines; c’est pour nous conformer

«aux Bulles si pressantes de plusieurs saints Pontifes et donner

«un éclatant témoignage de notre attachement au Saint-Siège;

«c’est pour obéir à la voix de notre conscience

«d’Evêque que nous avons cru devoir resserrer encore les

«liens déjà si étroits qui attachent l’antique église de Gap à

«l’Eglise mère et maîtresse, en lui rendant cette forme liturgique

«dont elle fut dépouillée en 1764, malgré les hautes

«et unanimes réclamations de sa Cathédrale et de tout son

«clergé.»

Dans la Circulaire par laquelle M. l’Evêque de Saint-Brieuc communique au clergé de son diocèse la lettre de la sacrée Congrégation du Concile, il remarque ce qui suit: «Cette

«réponse nous impose des devoirs à vous comme à nous, et

«aidés de la grâce de Dieu, nous nous soumettrons les uns

«et les autres avec une parfaite obéissance à ce qu’elle nous

«recommande. L’article 2 de la réponse exprime le vœu

«de l’établissement de la Liturgie romaine dans notre diocèse.

«Un simple désir du Vicaire de Jésus-Christ sera toujours

«pour nous un ordre auquel nous nous empresserons

«d’obtempérer. Ainsi, nos chers coopérateurs, nous vous

«déclarons que nous sommes déterminé à adopter cette Liturgie...

«changement qui ne sera propre qu’à fortifier et à

«resserrer les liens qui nous attachent à la Chaire de Pierre.»

Il est surtout frappé du Mandement de M. l’Evêque de Troyes sur le rétablissement de la Liturgie romaine dans son diocèse. rétablissement motivé, entre autres raisons, sur celles-ci:

«Que la Liturgie troyenne n’est point canonique, mais simplement

«tolérée par le Saint-Siège, jusqu’au temps opportun

«où les Bulles de Saint Pie V, Quod a nobis et Quo primum

«tempore, pourront être mises à exécution.... Que l’unité

«liturgique avec la sainte Eglise romaine présente les plus

«précieux avantages; que si l’intégrité de la foi peut, absolument

«parlant, se conserver sans cette unité, on ne peut

«nier du moins qu’elle en soit le plus puissant auxiliaire,

«au témoignage de tous les saints Docteurs et en particule

«lier de saint Célestin: Legem credendi lex statuat supplicandi;

«que la prière publique est un enseignement et

«une doctrine pour le fidèle, puisqu’elle règle l’exercice

«et la pratique de sa piété, et qu’il ne peut trouver une

«pleine sécurité dans cet enseignement et cette doctrine

«qu’autant que la prière publique est celle de l’Eglise universelle,

«ou du moins qu’elle est formellement approuvée

«par le chef suprême de l’Eglise; que les sectes hérétiques

«ont bien compris cette vérité, puisqu’elles n’ont pas trouvé

«de moyen plus puissant, pour répandre leurs erreurs, que

«le changement de la Liturgie et des cérémonies du culte;

«qu’en particulier la secte qui a fait tant de ravages sur la

«fin du dix-septième siècle et dans le siècle suivant, n’a

«travaillé avec tant d’efforts au changement de la prière

«publique et de la Liturgie dans un certain nombre de diocèses

«de France, qu’afin de se faire une porte détournée

«pour entrer furtivement dans l’Eglise et malgré l’Eglise.»

Rassuré par tant d’autorités, il s’écrie: Eh! quoi, parce que je suis laïque, il me sera interdit de reproduire les Bulles des Papes, les Lettres et les Mandements des Evêques, d’exprimer les sentiments qu’ils expriment, de raconter les faits qu’ils racontent, de soutenir les doctrines qu’ils soutiennent; de souhaiter, avec eux, que les vœux du successeur de Pierre soient accomplis, ses craintes dissipées et ses espérances réalisées dans tous les diocèses de France; d’être persuadé, comme eux, qu’on donne au Saint-Siège un témoignage d’attachement en se conformant aux Bulles si pressantes des souverains Pontifes; que c’est un moyen efficace de resserrer les liens qui nous attachent à la chaire de Pierre; que les Jansénistes, en travaillant à l’introduction des nouvelles Liturgies, ont voulu se faire une porte détournée pour entrer furtivement dans l’Eglise; que les Liturgies françaises ne sont pas canoniques; qu’elles sont simplement tolérées, en attendant des temps meilleurs; que pour l’enseignement et pour la doctrine, la Liturgie romaine offre seule une pleine sécurité, etc. Parce que je suis laïque, il me sera interdit de croire ces vérités, ou du moins de le dire et de travailler de toutes mes forces, de toute mon âme, à répandre cette conviction!

De bonne foi, peut-ou répondre quelque chose de raisonnable au laïque qui tient ce langage? y a-t-il moyen de réserver aux seuls membres du clergé, en le lui déniant, le droit d’écrire pour la défense de la vérité, pour la propagation des enseignements que l’Eglise donne par la bouche des Evêques et du Pape? — Sur les lèvres du Prêtre un langage analogue aurait encore plus de force et prouverait a fortiori, si cela était nécessaire après ce que nous avons dit plus haut, que le droit de prendre part à la controverse n’est pas un privilège exclusivement épiscopal. Ainsi, laïques et clercs, Prêtres et Evêques, peuvent se faire entendre, et pour emprunter les expressions de M. l’Evêque de Langres: La question est ouverte à l’examen de tous.

Soit, nous dit-on, «mais tous n’ont pas une égale autorité, et les antécédents de plusieurs sont de telle nature qu’ils rendent, à bon droit, leur cause suspecte. On l’a remarqué, si tous les défenseurs de l’unité liturgique n’ont pas été Lamennaisiens, tous les Lamennaisiens demeurés fidèles à l’Eglise comptent parmi les plus ardents propagateurs de cette opinion. A leur insu, nous voulons bien le croire, ces gens-là ont conservé quelque chose de leurs vieilles erreurs, l’esprit de la secte, un esprit de révolte contre l’Episcopat, les anime encore; au fond de l’âme ils gardent un secret ressentiment de la condamnation qui les a frappés, manet alta mente repostum, et c’est pour se venger des Evêques qu’ils ont imaginé de leur chercher querelle au sujet de leurs Liturgies. » — Voilà qui est bien trouvé : «Ah! vous dites que

«Viger, Mésenguy, Coffin, Boursier, Santeuil, Le Brun-Desmarettes,

«Rondet et les autres furent Jansénistes! Nous ne

«pouvons nier le fait; mais nous dirons à notre tour que les

«défenseurs de la Liturgie romaine sont des hérétiques, et

«puisque nous n’avons pas sous la main d’autre hérésie,

«nous en ferons des Lamennaisiens.» Gomme il vous plaira; pourtant veuillez expliquer, de grâce, quel rapport il y a entre la Liturgie romaine et le système de la Raison-générale, entre cette Liturgie et les Paroles d’un Croyant? Les hommes dont vous parlez et sur les intentions desquels vous faites de si charitables hypothèses, n’ont pas entrepris, comme les Jansénistes du dix-huitième siècle, de vous donner des Liturgies de leur façon, des Liturgies imprégnées de leurs idées particulières; la Liturgie qu’ils vous proposent de prendre est celle de l’Eglise romaine, suivie dans toute l’Eglise latine, craignez-vous qu’elle ne soit infectée de Lamennaisianisme? Quant à nous, nous ignorons si l’on trouve encore des Lamennaisiens quelque part, mais il nous est très difficile de croire que les Evêques dont nous citions tout à l’heure les Lettres Pastorales et les Mandements, soient réellement affiliés à la secte, et nourrissent le perfide projet de servir ses vengeances; nous avons aussi quelque peine à nous figurer que la secte ait dicté à Grégoire XVI le Bref à M. l’Archevêque de Reims, à Pie IX, le Bref à M. l’Evêque de Troyes; en tout cas, il nous semble démontré que ni M. de La Mennais, ni aucun des siens, n’a inspiré à saint Pie V. les Bulles Quod a nobis et Quo primum tempore; or, comme nous ne demandons que l’exécution de ces Bulles, cela suffit amplement pour que nous puissions nous moquer du Lamennaisianisme et avoir sur ce point l’esprit en repos.

Vous-même, réplique-t-on, nous vous soupçonnons fort de n’être qu’un Lamennaisien déguisé ; vous vous trahissez à chaque instant, car dans tout votre écrit vous ne cessez d’exalter Rome et d’outrager l’Eglise de France. — Outrager l’Eglise de France! Comment cela serait-il possible? je ne la nomme point; et comment la nommerai-je? cette Eglise n’existe pas, n’exista jamais: les diverses Eglises situées dans le royaume forment un certain nombre de Provinces ecclésiastiques, chaque Province relève d’une Métropole, mais les Métropoles sont indépendantes les unes des autres et ne font pas corps. Avant la révolution, plusieurs de ces Provinces comprenaient dans leur territoire des Eglises situées au delà des frontières: Tournay et Namur, par exemple, relevaient de Cambrai; Lausanne et Bâle de Besançon; Maurienne et Genève de Vienne; Nice d’Embrun. Par contre, des Eglises françaises avaient leur Métropole à l’étranger: ainsi Strasbourg dépendait de Mayence; Metz, Toul, Verdun, Nancy et Saint-Diez (deux évêchés créés à la fin du dix-huitième siècle, en 1777) dépendaient de Trêves. Autre est la circonscription ecclésiastique, autre la circonscription politique: aux yeux del’Eglise il n’y a ni Français, ni Allemands, ni Espagnols, ni Anglais, ni Italiens, il n’y a que des catholiques; les divisions tracées dans le monde temporel n’entraînent pas nécessairement des divisions correspondantes dans le monde spirituel, et la réunion d’un certain nombre d’Eglises dans un même empire, ne suffit point pour constituer au sein de la catholicité un de ces grands corps qui ont leur vie propre et auxquels l’Eglise reconnaît le titre d’Eglises. L’Eglise grecque est une Eglise: les Eglises qui la composent sont liées dans une même dépendance, sous un chef commun, le Patriarche de Constantinople, soumis lui-même au Souverain-Pontife, car je parle de l’Eglise grecque-catholique. En France rien de pareil, grâce à Dieu! notre patrie n’a pas été démembrée du Patriarchat d’Occident, et nos Archevêques n’ont d’autre Patriarche que le Pape. Il est donc évident qu’il n’y a point d’Eglise française, d’Eglise gallicane, et par conséquent, l’outrage, puisqu’il est question d’outrage, ne peut avoir été adressé à l’Eglise, mais seulement, et tout au plus, aux Eglises de France.

Nous racontons avec l’histoire, nous déplorons avec les Souverains Pontifes, la révolution liturgique accomplie au dix-huitième siècle: voilà l’insulte. Mais toutes les Eglises n’ont pas pris à cette révolution une part égale: quelques-unes sont demeurées constamment fidèles à la Liturgie romaine, celles-ci, assurément, ne sont pas injuriées par nous. Quant aux autres, il y a mille distinctions à faire, et ces distinctions, nous les indiquons: nous mettons quelque différence entre les Eglises qui transformèrent une Liturgie propre, qu’aux termes des Bulles de Saint Pie V, elles avaient le droit de conserver, et celles qui opérèrent directement sur la Liturgie Romaine; nous nous gardons de confondre les Eglises qui donnèrent l’exemple avec celles qui se contentèrent de le suivre; nous ne plaçons pas au même rang les Eglises qui firent fabriquer leur Liturgie par des hérétiques, et celles dont les inventions liturgiques furent rédigées dans un autre esprit, etc., etc. Il faut donc reconnaître d’abord: que nous n’outrageons pas toutes les Eglises de France; ensuite: que les Eglises outragées ne le sont pas indistinctement de la même manière, ni au même degré.

Il y a plus, et, en y réfléchissant, il nous semble que nous n’outrageons ni peu, ni beaucoup, aucune de ces Eglises. En d’autres termes, il nous semble que nous ne faisons retomber sur aucune d’elles la responsabilité de la révolution dont elles furent victimes. Sous la direction de l’Evêque qui en est le chef et le Pasteur, une Eglise se compose du clergé et des fidèles. Or, nous avons soin de remarquer, si je ne me trompe, que, dans presque toutes les Eglises, les fidèles et le clergé s’opposèrent énergiquement à la révolution. Les documents contemporains attestent que le bouleversement liturgique consterna les populations: de temps immémorial, la Liturgie traditionnelle avait leur amour; les cérémonies, les usages nouveaux qui l’anéantissaient, leur furent à ce point antipathiques que, dès ce moment, elles tombèrent, à l’égard du culte divin, dans l’état d’atonie et d’inintelligente froideur où nous les voyons encore aujourd’hui. Jadis; le peuple s’unissait à l’Eglise, chantait avec elle, s’identifiait à ses joie; dans les jours de fête, à ses douleurs dans les jours de deuil. Maintenant, lorsqu’il n’a pas perdu tout sentiment chrétien, spectateur indifférent, il assiste, sans joindre sa voix à la voix du Prêtre, et, le plus souvent, sans même comprendre ce que le Prêtre fait pour lui et devant lui. La Liturgie était, non seulement pour le peuple, mais aussi pour la plupart des hommes, bourgeois ou grands seigneurs, presque tous absorbés par les plaisirs ou par les affaires, un enseignement vivant et sans cesse répété, le seul qui eût sur les masses une action véritable, qui fît empression sur leurs sens et sur leur intelligence, qui maintînt profondément gravées dans les coeurs ces leçons des premiers ans, si vite oubliées quand rien ne les rappelle. L’innovation eut pour résultat d’éloigner les populations, de les déshabituer de cet enseignement; c’est là un de ses effets les plus funestes. Qui peut dire combien d’âmes les nouvelles Liturgies ont perdues?

Le clergé du second ordre, qui comprenait les besoins du peuple et le danger de changer tout à coup ses habitudes religieuses, ne fut pas moins opposé à l’innovation. Nous verrons comment, pour venir à bout de ses résistances, il fallut l’aide des parlements. Echappés au bûcher, les écrits de plusieurs de ses membres témoignent encore des sentiments qui l’animaient. Il nous reste d’ailleurs des titres authentiques de manifestations plus solennelles, car elles émanaient non plus seulement d’individus isolés, mais de corps vénérables, ayant droit et qualité pour élever la voix. Ainsi, M. l’Evêque de Gap nous apprend que son Eglise fut dépouillée de la Liturgie romaine, malgré les hautes el unanimes réclamations du Chapitre de sa Cathédrale et de tout son clergé. Ces protestations, ajoute le Prélat, fondées sur le droit et formulées avec une respectueuse énergie, existent encore dans les archives du Chapitre . M. l’Evêque de Montauban atteste que le Parisien fut introduit dans son diocèse au mépris des réclamations et de l’opposition même du Chapitre . M. l’Evêque de Troyes, rappelle également, que dans son diocèse la nouvelle Liturgie fut imposée plutôt qu’acceptée. Le Chapitre resté fidèle aux traditions de ses devanciers fit une vive et légitime opposition . On connaît les protestations écrites du Chapitre de Lyon contre l’introduction de la Liturgie de Paris, par M. de Montazet; dans un de ses mandements, M. l’Archevêque d’Amasie annonçait l’intention de rendre à celte ancienne Eglise une Liturgie qu’elle n’avait quittée que par force . Presque partout il en fut de même, et là où les Chapitres consentirent, ce ne fut qu’après avoir résisté, que lorsqu’on eut formé dans leur sein, par des nominations ad hoc, une majorité complaisante. Or, nous constatons ces faits, nous louons ces nobles efforts, cette courageuse résistance des peuples, du clergé, des Chapitres; si les fidèles, le clergé, les Chapitres sont quelque chose dans une Eglise, comment peut-on dire que nous mettons les Eglises en cause?

En réalité, la responsabilité de la révolution liturgique pèse non sur les Eglises de France, mais sur la tête d’un certain nombre de Prêtres et d’Evêques du dix-huitième siècle. Encore, pour beaucoup d’entre eux, avons-nous soin de remarquer qu’ils ne savaient vraiment pas ce qu’ils faisaient: nous signalons les causes générales qui durent les entraîner et qui les excusent, nous plaidons les circonstances atténuantes, suivant en cela l’exemple que nous a donné M. l’Evêque de Langres, dans le savant écrit dont voici quelques paroles:

«Veut-on dire que le gallicanisme parlementaire ne se

«trouvait pas dans toute la vigueur de son règne quand les

«nouvelles Liturgies prirent naissance, ou veut-on dire que

«l’esprit de la secte, qui alors désolait la France, fut étranger

«à ces conceptions nouvelles et n’y laissa pas son empreinte?

«Que ceux qui pensent ainsi le prouvent, non pas

«en mettant en relief des exceptions, mais en examinant

«tout l’ensemble des faits; non pas, non plus, en relevant le

«mérite des personnes, mais en étudiant l’influence des évènements.

«Qui ne sait que quand cette influence atteint un

«certain degré de force et d’étendue, les plus grands génies

«la subissent et les plus saintes âmes en ressentent l’atteinte.

«Non, ce n’est pas les flétrir que de les soupçonner d’avoir

«commis une erreur, c’est dire ce que tout le monde sait,

«qu’ils furent des hommes .»

Un auteur contemporain de la révolution liturgique, le pieu x Ghanoine de La Tour, exprimait la même pensée: «Parmi tant

«d’artifices que les novateurs ont employés dans tous les

«temps, je remarque ceux-ci: Diminuer le culte de la Sainte

«Vierge, affaiblir le respect dû au Pape, affecter de n’employer

«que l’Ecriture, se déclarer partisans de l’antiquité.

«en citer fréquemment les Canons, faire parade d’une sévère

«critique, attaquer les légendes, les visions, les miracles des

«Saints; affecter l’élégance du style, n’estimer que ses propres

«ouvrages et mépriser ceux des autres, mendier des

«approbations, vouloir immortaliser son nom, se donner pour

«réformateur, etc.; tel fut dans tous les temps l’esprit de

«l’erreur et du schisme: tel est encore celui des esprits forts

«et des incrédules, dont tout le monde prend insensiblement

«le ton et se fait un mérite, jusqu’aux femmes et au

«peuple.

«J’ose dire que tel est l’esprit des nouveaux Bréviaires;

«tout y en porte l’empreinte, tout y tend. Un novateur, un incrédule

«chargé de les composer n’aurait pas agi autrement:

«il n’eût pas ouvertement débité l’erreur, c’eût été se faire

«rejeter; mais il l’eût insinuée furtivement. La bouche et la

«plume parlent de l’abondance du cœur, il n’eût pas tenu

«d’autre langage.

«C’est la marche de toutes les productions liturgiques; on

«n’attaque pas le dogme, mais on le mine insensiblement,

«on déracine peu à peu l’arbre. On alambique, on subtilise

«si fort la vérité, qu’elle échappe. On refroidit tellement la

«tendresse de la piété, on se met si fort en garde contre

«la simplicité chrétienne, on répand un si grand pyrrhonisme

«sur les faits édifiants, et sous prétexte de superstition

«on jette un tel ridicule sur les pratiques, les sentiments,

«les grâces extraordinaires, les expressions des

«Saints, que l’onction de la vertu se dissipe et s’évanouit.

«Peut-être l’erreur déclarée ferait-elle des plaies moins profondes.

«Ce n’est pas que les auteurs nouveaux des Bréviaires

«soient hérétiques, ni fauteurs d’hérésle, je les crois très

«catholiques, à un petit nombre près, qui dans les commencements

«ont artificieusement tâché de faire servir les prières

«publiques à répandre leurs sentiments par des voies d’autant

«plus efficaces qu’elles étaient plus respectables; la plupart

«des compositeurs n’ont point eu de mauvaise intention;

«mais telle est la faiblesse et pour ainsi dire le mécanisme imperceptible

«de l’humanité, que sans le vouloir et sans y penser

«on prend les goûts, les modes, le langage, l’accent du

«pays qu’on habite et du siècle où l’on vit. On peut même à

«bonne intention s’étudier à le prendre comme un ambassadeur

«s’accommode, pour mieux réussir, à l’esprit de la

«Cour où il négocie, comme un Pasteur se fait tout à tous

«pour les gagner tous. Le magistrat prend le style des lois,

«le courtisan se plie au goût du maître, les allures de l’officier

«sont toutes militaires, l’air des gens de la campagne

«n’est pas celui des habitants des villes. Chaque siècle,

«chaque pays, chaque état a des traits qui le peignent, et il

«ne serait pas difficile de caractériser un auteur par ses écrits.

«C’est aujourd’hui le siècle de l’anglomanie. C’est le ton dominant

«de l’incrédulité : crier contre la superstition du

«peuple, la crédulité des dévots, l’excès du culte de la Sainte

«Vierge et des Saints, le despotisme du Pape, la négligence

«de l’Ecriture sainte et des Canons, etc., etc. Pour écarter

«les reproches et apaiser des gens qui se disent alarmés,

«on dessèche, on décharne toute la religion; on supprime,

«on polit, on simplifie, on réduit à rien le peu même que

«l’on conserve. Terreur panique, fausse prudence, mauvaise

«politique. En matière de religion, la vraie règle

«est celle de l’Evangile: Qui non est mecum contra me est.

«Quœ societas lucis ad tenebras, quae pars fidelis cum infideli .»

«Ainsi, d’une part, il y a eu résistance à l’innovation liturgique; d’autre part, les Prélats qui la favorisèrent subirent, la plupart sans en avoir conscience, l’influence du temps; telle est votre apologie, répliquent nos critiques, et voilà comment vous vous justifiez de l’outrage que l’on vous impute. Mais n’est-il pas manifeste, d’après vos principes, que les Prélats en question, un peu plus pénétrés de l’esprit de l’Eglise, auraient un peu moins cédé à l’esprit du siècle? En second lieu, n’est-il pas certain que les nouvelles Liturgies finirent par s’établir dans presque tous les diocèses? Quoi que vous puissiez dire, pour la commodité du discours et suivant un usage reçu, on peut se servir du mot d’Eglise de France, afin de désigner l’ensemble de ces Eglises; en ce sens, l’Eglise de France tout entière doit être regardée comme responsable et solidaire d’un fait aussi général; et dès lors, flétrir ce fait, c’est la flétrir.»

Il y a du vrai dans ces paroles, et, tout en maintenant les observations qui précèdent, observations qui concentrent sur quelques têtes la plus grande part de responsabilité, nous reconnaissons que l’Eglise de France, au dix-huitième siècle, ne fut pas sans reproche. Hélas! la révolution liturgique n’est pas la seule faute dont cette Eglise se soit rendue coupable, ce n’est pas la seule qui ait attiré sur elle la colère de Dieu et les châtiments terribles dont nos pères ont été témoins. Si rappeler ces fautes est un outrage, il est vrai que nous l’outrageons; nous en faisons humblement l’aveu. Mais peut-être ceux-là sont-ils plus répréhensibles qui, pour flatter l’Eglise de France et cherchant à cacher la vérité , voudraient lui dérober les enseignements de l’histoire et la maintenir dans des voies funestes où elle n’a recueilli jusqu’ici que la honte et la ruine En tous cas, il est permis à tous d’étudier le passé, de le raconter, de l’apprécier, et ce serait une prétention étrange et inouïe dans l’Eglise, que la prétention d’imposer à des chrétiens, au nom d’un vain amour-propre national, le devoir vraiment nouveau de taire certains faits historiques ou même de les falsifier.

Un des caractères distinctifs de l’Eglise catholique est le respect de la vérité ; elle ne veut pas être servie par le mensonge: elle ne commande point à ses historiens de jeter un voile sur les faiblesses, les fautes, les crimes dont ses ministres ont pu se rendre coupables. Lisez Baronius, l’annaliste officiel de l’Eglise romaine; il dit tout: loin de s’attacher à excuser les mauvais Papes, il les flétrit avec une énergie que la haine des hérétiques eux-mêmes n’a pas égalée. — C’est que l’Eglise n’a aucun intérêt à justifier la mémoire de ceux qui l’ont trahie; c’est qu’elle a au contraire l’intérêt le plus grand à la condamner. Il importe que les grands criminels, que les Pontifes prévaricateurs, que les impudents et les audacieux, et aussi que les faibles et les lâches aient à redouter le tribunal de l’histoire, la malédiction de la postérité. Il importe encore que les chrétiens ne s’habituent pas à confondre l’Eglise avec ses serviteurs, à juger d’elle par eux et d’eux par elle; à la rendre responsable de tous leurs actes; à s’imaginer qu’elle ne subsiste que par leur vertu. Un peuple dans l’esprit duquel se serait établie cette confusion courrait les plus grands périls: en voyant tomber les hommes, il croirait voir tomber l’Eglise; or, les hommes peuvent tomber; l’histoire l’atteste, les clergés, les Episcopats, même les plus fidèles, ont leurs jours de langueur et de défaillance. Si, pour le clergé et pour l’Episcopat français, le dix-huitième siècle fut un de ces jours, notre droit, notre devoir est de le dire. Nous ne le dirions pas, que tout, autour de nous, le proclamerait; il n’est pas possible d’anéantir les monuments, de faire disparaître les témoignages d’une époque entière, et qui les rappelle peut répondre, avec saint Bernard, à qui le trouve mauvais: «Je parle publiquement de ce qui n’est que

«trop public: eh! plût à Dieu que ces Noé modernes m’eussent

«laissé de quoi couvrir leur nudité ! Ma tête est meurtrie,

«et je croirais la pouvoir couvrir! tout ce que je mettrais

«par dessus serait ensanglanté ; ma honte serait plus grande

«d’avoir voulu cacher un mal trop visible .»

On répond qu’il ne s’agit ni de taire ni de falsifier les faits, mais bien de les raconter avec vérité.

A la bonne heure, sur ce terrain la discussion est possible à une condition cependant; au lieu de vous indigner, de nous injurier, de crier à l’hérésie, au blasphème, puisque vous reconnaissez que l’Eglise de France n’est ni impeccable ni infaillible, veuillez prendre la peine de nous écouter, et si les faits avancés par nous sont faux, ou exagérés, ou mal compris, de le démontrer. Nous pouvons être dans l’erreur, mais en tout cas c’est une erreur de fait, et pas du tout une erreur contre la Foi; c’est une appréciation injuste de la conduite de quelques hommes, et pas du tout un crime contre l’Eglise. Nous ne méritons pas pour cela d’être traités d’hérétiques; nous méritons tout au plus d’être signalés comme des gens qui, sur un point d’histoire, ont le malheur de se tromper. Cela dit, examinons:

Nous prétendons, et cela vous déplaît, que l’on compte parmi les auteurs de vos Liturgies des hérétiques, des excommuniés, des hommes à qui l’Eglise refusa les sacrements à l’heure de la mort. Mais vous ne contestez pas, vous ne pouvez pas contester le fait; M. l’Archevêque de Toulouse l’avoue lorsque pour l’expliquer et l’excuser il remarque: qu’il y avait parmi les Jansénistes des hommes fort instruits, très versés dans les saintes Ecritures, et par là même très en état de travailler à la correction des livres liturgiques . (Nous sera-t-il permis de dire respectueusement, entre parenthèses, d’abord que Viger, Mésenguy, Santeuil et Coffin, pour n’en pas citer d’autres, ont fait autre chose que travailler à la correction des livres liturgiques de Paris; ensuite que, n’eussent-ils rien fait. de plus, ce serait déjà trop. La correction des livres liturgiques n’est pas une œuvre sans importance et que l’on puisse remettre à des mains ennemies; le savoir, le talent, ne rendent pas les hérétiques moins dangereux; il y a eu de tout temps des sectaires instruits et versés dans les saintes Ecritures, vit-on jamais l’Eglise les prier de corriger ses livres? Les Evêques français du dix-huitième siècle sont assurément les premiers et les seuls qui leur aient témoigné une pareille confiance.) Nous prétendons, en second lieu, et cela surtout vous exaspère, qu’un certain nombre d’Evêques avaient été séduits par le jansénisme; mais que pouvez-vous répondre au passage suivant d’un livre, à notre avis, très digne de votre attention:

«Sans attaquer l’Eglise de France, on peut dire que, si le jansénisme eût rencontré dans l’Episcopat français cet accord unanime contre lequel se sont brisées au dix-neuvième siècle les doctrines lamennaisiennes, le jansénisme fût demeuré à tout jamais impuissant. Mais on ne détruira pas l’imposante autorité des faits et le témoignage de l’inflexible histoire...

«Dès 1665, quatre Evêques français ne refusèrent-ils pas de signer le formulaire d’Alexandre VII?

«Après la censure portée par le Pape, vingt-neuf Evêques français n’approuvèrent-ils pas le Rituel d’Aleth?

«Qui est-ce qui rendit si long-temps inutile la fameuse Bulle Unigenitus, sinon cet opiniâtre entêtement du Cardinal de Noailles, qui lutta pendant quinze ans contre la volonté du Roi et du Pape, et soutint, par sa résistance, l’opposition de quinze Evêques français, dont huit étaient ouvertement opposés au jugement du Saint-Siége?

«N’entendit-on pas ce même Cardinal en appeler au Pape mieux conseillé et au futur Concile?

«En 1724, sept Evêques osaient écrire au Pape en parlant de la Bulle Unigenitus: «Quelle consternation, très Saint-Père,

«à la vue de ce décret! Jamais le cri de la Foi n’a été

«plus éclatant et plus soutenu. Quelle agitation et quel mouvement

«parmi les Evêques! Quelle affliction parmi les théologiens

«les plus distingués par leur érudition et par leur

«piété ! Quel soulèvement dans le peuple! Et ce qui est encore

«plus triste, quel triomphe pour les protestants!»

«En 1735, l’Evêque de Saint-Papoul adressait ces tristes paroles à son peuple. «Satan nous fit voir non les royaumes

«du monde, mais ce qu’il y a d’éblouissant pour les

«charnels dans le royaume de Jésus-Christ. Nous en fûmes

«frappés, nous le désirâmes, et parce que nous n’eûmes pas

«soin de recourir à Dieu, nous succombâmes à la tentation.

«Nous avions eu le bonheur d’adhérer à l’Appel..... Non-seulement

«nous y renonçâmes, mais nous nous fîmes

«un mérite de porter les autres à y renoncer. De là la stérilité

«d’un ministère que nous avons eu la hardiesse d’usurper.

«Mais enfin la vérité a repris pour nous son premier

«éclat... Quand nous renonçâmes à l’Appel pour devenir

«Evêque, le motif était digne de la cause à laquelle nous nous

«unissions Maintenant que nous renonçons à l’Episcopat

«pour nous réunir à l’Appel, nous rendons à la vérité un

«hommage qu’elle seule peut inspirer.»

«Quelques années plutôt, l’Evêque de Bayeux publiait un

Mandement où on lit ce passage: «La Bulle est aujourd’hui

«ce qu’elle était quand elle parut en France, et si la crainte

«du mal qu’elle pouvait faire était d’abord si vive, quelle

«doit être notre affliction en voyant tout le mal qu’elle a

«déjà fait?»

«C’est vers ce même temps que Bossuet inaugurait à Troyes son audacieux missel, et méritait que les jansénistes appelassent son diocèse une terre promise.....

«N’aurait-il pas péri sans retour, l’audacieux jansénisme, si chaque Evêque eût mis à le bannir cet empressement dont on parle? Qui lui donna une force invincible, sinon la protection ouverte qu’il trouva parmi certains Pasteurs transformés en loups ravissants? — «Nous savons, s’écriait avec

«douleur l’Evêque de Sisteron, nous savons qu’il y en a

«dans des places respectables que le Parti nous oppose

«comme des boucliers impénétrables, qu’il les prône comme

«ses héros, qu’il les canonise sur ses autels particuliers,

«comme les Athanase de notre siècle, et qu’il les encense

«comme ses idoles!»

«Ils étaient loin, les beaux jours de l’Eglise, quand on entendait retentir ce cri de détresse poussé par un illustre Prélat (Languet, Archevêque de Sens): «O jour malheureux

«que le nôtre! Faut-il que nous voyions dans le mandement

«d’un Evêque ce que nous lisons avec horreur dans les

«écrits emportés d’un Luther et d’un Jurieu!»

«N’étaient-ce pas encore des Evêques français qui se chargeaient d’interpréter contre la Bulle le langage éloquent, selon eux, des scandaleux miracles du diacre Pâris? — Enfin (disait dans son instruction pastorale du 1er février 1733 l’Evêque de Montpellier, imité le 2G décembre de la même année par l’Evêque d’Auxerre), «enfin Dieu parle maintenant «contre la Bulle par des miracles et par des prodiges, dont «la voix pleine de magnificence attire l’attention des peuples, «console l’âme qui était dans la détresse, et jette l’effroi «dans le camp ennemi .»

De bonne foi, quand des Evêques, et en si grand nombre, pouvaient tenir une telle conduite et un tel langage, ne fallait-il pas que l’erreur eût jeté en France de profondes racines et y exerçât une grande influence? De pareils scandales seraient-ils possibles aujourd’hui, par exemple? Ces faits, pour être trop oubliés, n’en sont pas moins certains, ne peut-on les rappeler sans crime? Sera-t-il défendu de les alléguer dans une discussion historique, sous prétexte qu’on les trouve injurieux pour l’Eglise de France? Quand on songe que ces faits coïncident avec la révolution Liturgique, que les Evêques et les docteurs jansénistes furent toujours et partout, avec les gallicans parlementaires, les promoteurs, les fauteurs les plus ardents de cette révolution, n’est-il pas naturel de répéter cette question de M. l’Evêque de Langres: Veut-on dire que le gallicanisme parlementaire ne se trouvait pas dans toute la vigueur de son règne quand les nouvelles Liturgies prirent naissance, ou veut-on dire que l’esprit de la secte, qui alors désolait la France, fut étranger à ces conceptions nouvelles et n’y laissa pas son empreinte?

Pressés par l’évidence, nos critiques finissent par s’écrier: Il ne s’agit pas des Evêques d’autrefois, il s’agit des Evêques d’à présent. Mais qui donc a jamais prétendu rendre nos Evêques responsables des fautes et des erreurs des Evêques du dix-huitième siècle? Qui ne sait, qui ne comprend qu’en maintenant les Liturgies violemment ou frauduleusement introduites à cette époque, ils subissent une dure nécessité ? Qui ne connaît les obstacles de tout genre par lesquels, dans beaucoup de diocèses, on se trouve contraint d’ajourner le rétablissement de la Liturgie canonique? Qui ignore les modifications faites dans beaucoup d’autres aux Liturgies suspectes? Qui n’applaudit aux efforts tentés de toutes parts pour préparer le retour à l’unité, pour rendre facile, dans un temps donné, ce que la sagesse et la prudence commandent de remettre à des moments plus propices? Lors même que quelques Evêques, dominés par les idées et les opinions d’autrefois, refuseraient de suivre le mouvement général, ou le combattraient par une opposition active; quel catholique, bien que la question soit aujourd’hui connue, étudiée, entourée de lumières, bien que le Souverain Pontife ait si paternellement fait connaître ses désirs et manifesté ses espérances; quel catholique se permettrait de juger son Pasteur? Mais il n’y a pas lieu a celte tentation: tous nos Evêques approuvent, avec M. l’Archevêque de Toulouse, le désir si raisonnable et si orthodoxe de voir l’unité de Liturgie établie, s’il était possible, dans toute l’Eglise catholique; au moins dans l’Eglise d’Occident ; tous gémissent, avec M. l’Evêque d’Orléans, sur l’extrême diversité qui règne chez nous en matière de Liturgie, et verraient avec bonheur un mouvement favorable au retour de l’unité ; tous déplorent donc avec Grégoire XVI que cette unité ait été rompue, tous désirent qu’elle soit rétablie, et chacun d’eux répète avec M. l’Archevêque de Paris: Nous aussi, nous regrettons les remaniements et les changements faits sans nécessité ; nous aussi, et par le seul désir d’établir un nouveau lien avec le Saint-Siége, nous voudrions que, dans notre diocèse, une semblable mesure fût possible .

Les gens qui nous accusent d’outrager les Evêques se permettent de révoquer en doute la sincérité de ces déclarations; pures formules de politesse, disent-ils, et qui ne tirent pas à conséquence: «Le Saint-Siége ayant si souvent et si vivement manifesté le désir de voir les Eglises de France rentrer dans l’unité , nos Prélats n’ont guère pu se dispenser de parler comme ils l’ont fait. Mais ce n’est pas dans ces quelques phrases commandées par les égards dûs au chef de l’Eglise, c’est dans l’ensemble de leurs écrits et dans leurs actes qu’il faut chercher leur véritable pensée.» Nous soutenons qu’un tel langage est insultant pour les Evêques dont on veut parler; nous soutenons que leurs paroles sont sérieuses et qu’ils ont réellement dans le cœur le vœu que leur bouche exprime. S’ils paraissent se contredire, et travailler eux-mêmes à empêcher ce retour qu’ils verraient avec tant de bonheur, la contradiction n’est qu’apparente; le respect que nous leur devons, leurs vertus, leurs lumières, tout nous ferait une loi de l’affirmer a priori et lors même qu’il nous semblerait difficile de le démontrer. Heureusement la démonstration est aisée; ils la donnent eux-mêmes en déclarant que le rétablissement de la Liturgie romaine leur paraît impossible, et que leur opposition n’a pas d’autre cause. D’où il suit que le jour où l’abolition des Liturgies modernes leur semblera réalisable, ils chercheront à la réaliser et joindront leurs efforts à ceux de tant de vénérables Prélats dont ils partagent déjà le désir.

Or, le moment approche où l’on reconnaîtra qu’avec le temps et la grâce de Dieu, tout est facile aux hommes de bonne volonté et que lorsqu’il s’agit d’un abus à réformer, d’un mal à extirper, d’une œuvre bonne et sainte à établir, le mot impossible n’est pas catholique. Certes, il semblait plus difficile d’établir l’unité Liturgique dans l’Eglise entière, qu’il ne peut le paraître de la rétablir dans soixante diocèses; et pourtant cela s’est fait. Semblablement, il n’en a pas moins coûté pour détruire cette unité au dix-huitième siècle, qu’il n’en coûtera au dix-neuvième pour la reconquérir. Comment serait impossible pour la réédification ce qui fut possible pour la ruine? Mais à quoi bon tant de raisonnements? nous avons une preuve de fait; on niait la possibilité du mouvement, on marche: depuis 1839, la Liturgie romaine a été rétablie dans sept diocèses. Je le demande, nos Eglises se trouvent-elles dans des situations tellement différentes que sept d’entre elles aient pu, ce que les autres sont condamnées à ne pouvoir jamais? Nous comprenons une impossibilité actuelle, relative, tirée de circonstances transitoires et passagères; mais d’impossibilité éternelle et absolue, il n’y en a pas. Les Eglises de Langres, de Périgueux, de Gap, de Rennes, de Saint-Brieuc, de Troyes, de Montauban, ont eu la puissance de rétablir la Liturgie romaine; ce qu’elles faisaient hier, leurs sœurs pourront le faire demain ou un peu plus tard.

«Telle est aussi notre espérance, nous disent des écrivains que l’on prenait pour des partisans sincères du maintien de nos Liturgies, mais ne voyez-vous pas que rien n’est plus propre que la controverse à empêcher ou du moins à faire ajourner indéfiniment le retour à l’unité ? Plus vous démontrerez les avantages et la nécessité de ce retour, plus vous ferez ressortir les inconvénients et les dangers de l’anarchie liturgique et plus l’on s’obstinera à repousser l’unité, à conserver l’anarchie. Oh! que nous sommes bien plus habiles! que nous servons bien mieux cette cause, nous qui agissons en sens contraire, qui ne manquons pas une occasion de prêcher en faveur des Liturgies françaises, d’accueillir et de faire valoir les sophismes de leurs défenseurs, de combattre les hommes dévoués à la Liturgie romaine, de dénaturer leurs paroles, de flétrir leurs intentions! Imitez-nous; ou, si cela vous coûte, gardez le silence! Ce sont les Institution. liturgiques et autres écrits du même auteur, ce sont les brochures et les articles de journaux qui ont rendu, qui rendent le rétablissement de la Liturgie canonique impossible. On ne le refuse que pour faire pièce à ceux qui le demandent, le jour où ils n’en voudront plus on le leur accordera. » — Voilà dans sa nudité, la pensée que l’Ami de la religion exprima il naguère, sous un voile fort transparent . Ce journal, à ce qu’il paraît, considère les protecteurs des Liturgies françaises comme de véritables enfants, incapables de juger les choses en elles-mêmes et de se décider autrement que par esprit de contradiction. Il nous permettra d’en avoir une opinion plus respectueuse et de croire qu’entre catholiques la discussion sert à quelque chose, parce que, (généralement et sauf les esprits mal faits qui ne doivent pas compter) entre catholiques elle est consciencieuse et dominée par le désir sincère de reconnaître la vérité. On a toujours discuté dans l’Eglise; à toutes les époques les grandes questions ont été éclaircies par la controverse avant d’être tranchées par l’autorité souveraine. Dans sa maternelle condescendance l’Eglise tient à n’imposer l’obéissance qu’après avoir formé la conviction et c’est surtout par la discussion publique que la conviction générale se forme. Les faits présents comme les faits anciens donnent un démenti à la théorie de l’inaction et du silence: il y a dix ans, personne ne songeait au rétablissement de l’unité liturgique, on n’en parlait même pas; aujourd’hui on en parle, au grand déplaisir de nos adversaires, un grand mouvement s’est produit, et ce mouvement prend chaque jour plus de force; la réforme devient facile dans beaucoup je diocèses et dans plusieurs les Evêques l’opèrent déjà, sans embarras et sans résistance. Des causes multiples ont concouru à ce résultat, mais la controverse n’y a pas nui; M. l’Evêque de Langres le constate: «De tout ce

«qui s’est dit et de tout ce qui s’est passé au sujet de la Liturgie,

«il résulte que l’attention publique est complètement

«éveillée et les études sérieusement dirigées vers la science

«Liturgique. Que la propagation de la Liturgie parisienne est

«arrêtée, et que le mouvement de retour à la Liturgie romaine

«la remplace.»

Résumons: le vœu d’un retour à l’unité n’est pas chimérique; ce vœu n’est pas un outrage à nos Evêques, ils le partagent et l’expriment; ce n’est pas un outrage à l’Eglise de France, qu’une déviation passagère n’a pu engager à jamais dans des voies funestes; s’il appartient aux premiers Pasteurs et à eux seuls de choisir le jour et l’heure propice, pour en procurer l’accomplissement dans les Eglises qui leur sont confiées, tout catholique a le droit de dire combien ce vœu est légitime et de faire ressortir les avantages de l’unité, de signaler tous les inconvénients de l’état contraire; enfin la question est importante et la discussion utile, opportune. Tels sont les points que nous croyons avoir solidement établis; nous pouvons maintenant, en sûreté de conscience, entrer dans la controverse, examiner à notre point de vue les diverses opinions et donner notre avis, sans courir d’autre danger que celui de publier un méchant ecrit. Dans ce malheur, nous aurions du moins le droit de compter sur des consolations; plus d’une âme attendrie pourrait nous dire:

Haud ignara mali, miseris succurrere disco.

La liturgie romaine et les liturgies françaises : détails historiques et statistiques

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