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QU’EST-CE QUE LA LITURGIE?

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Le mot grec λειτoυργία, dit Bergier, «signifie ouvrage,

«fonction, ministère public; il est composé de λειτὸς (public)

«et de ἔργoν (ouvrage, action). Mais puisque ce terme est

«plus spécialement consacré à désigner le culte divin et les

«cérémonies qui en font partie, il est plus naturel de le dériver

«de λεɩταὶ, qui se trouve dans Hésychius, au lieu de

«λɩταὶ, prières, supplications, vœux adressés à la divinité,

«d’où est venu le latin Litare, prier, sacrifier. A proprement

«parler la Liturgie n’est autre chose que le culte rendu

«publiquement à la divinité .»

«Dans les saintes Ecritures le mot Liturgie exprime un

«ministère sacré ; l’Eglise grecque l’emploie pour signifier

«tantôt le Saint Sacrifice même, tantôt les prières sacrées

«qui l’accompagnent: plusieurs Pères latins l’ont employé

«dans le même sens; mais les exemples ne manquent pas,

«même dans l’antiquité, d’une acception plus ample donnée

«à ce terme générique. Ainsi, dès le cinquième siècle, nous

«le trouvons, dans une lettre du faux concile d’Ephèse à

«l’empereur, employé à signifier l’Office du matin et celui du

«soir ; au douzième siècle, Zonaras, à propos d’un canon

«du IVe concile d’Antioche, nous apprend que le mot Liturgie «signifie non seulement la célébration du Sacrifice, «mais encore toutes les fonctions sacrées du souverain Sacerdoce . «De là est venu que, dans les deux derniers siècles, «le mot Liturgie est entré dans le domaine de la science «ecclésiastique pour exprimer l’ensemble des rites sacrés .»

De nos jours des auteurs profanes, peu instruits des choses de la religion et de la langue ecclésiastique, parlent de la Liturgie comme si elle consistait uniquement dans les cérémonies qui accompagnent les prières publiques de l’Eglise; et M. l’Evêque d’Orléans semble adopter ce sens nouveau, lorsqu’il reproche à l’auteur des Institutions Liturgiques de confondre le culte divin et la Liturgie et de ne faire ainsi de la religion qu’une espèce de brillant symbolisme, où tout est disposé moins pour le cœur que pour les yeux : ces paroles ne supposent-elles pas en effet que les cérémonies symboliques destinées à frapper les yeux constituent toute la Liturgie?

On voit donc que le mot Liturgie peut être entendu de diverses manières: dans le sens antique et restreint, conservé jusqu’à nos jours par les Eglises orientales, ce mot désigne plus particulièrement le Saint Sacrifice, parce que, dit Bergier, c’est la partie la plus auguste du service divin, parce que la consécration de l’Eucharistie est l’acte Liturgique par excellence. Mais on peut retenir ce sens, sans exclure une signification plus étendue; que si on prétend exclure toute autre signification, le Missel sera le seul et unique livre de la Liturgie.

Le sens moderne et jusqu’à présent inouï, que nous venons d’exposer, au lieu de réserver le mot Liturgie pour la partie la plus auguste, le consacre exclusivement à la partie la moins élevée, la moins importante, à la partie purement cérémonielle du culte divin. Si on l’adopte, il faut dire que le seul livre purement liturgique est le Cérémonial. Mais outre le Cérémonial, qui règle les cérémonies, la nature, le lieu, le temps, l’ordre des mouvements que doivent accomplir les ministres de l’autel dans les fonctions saintes, l’usage universel range encore parmi les livres liturgiques: et le Missel qui contient la forme selon laquelle est offert le Saint Sacrifice, avec les prières et les cérémonies qui l’accompagnent; et le Rituel qui renferme l’ordre des cérémonies, les prières, les instructions que l’on doit faire dans l’administration des Sacrements; et le Pontifical où sont les prières que prononcent, les rites et les cérémonies qu’observent le Pape et les Evêques dans l’administration des sacrements de Confirmation et d’Ordre ainsi que dans les autres fonctions réservées à leur dignité ; et le Bréviaire que composent les saints Offices, et les livres de chant, recueil des harmonies musicales adaptées aux paroles du service divin. Il est naturel de croire que les livres liturgiques ne sont pas remplis de matières étrangères à la Liturgie, et par conséquent de conclure que la Liturgie dans son ensemble comprend toutes les choses que ces livres réunis contiennent.

Or, dans ces livres je trouve des rites ou formes d’actes dont les uns sont des signes sensibles, à l’aide desquels la grâce est conférée, signes que les Pères de l’Eglise désignaient par le nom générique de symboles; dont les autres sont des signes sensibles à l’aide desquels se manifeste l’adoration, l’action de grâce, la prière, la louange, etc., signes que nous nommons des cérémonies; j’y trouve en second lieu des chants qui accompagnent ces actes, c’est-à-dire des formules de profession de foi ou symboles, des formules de prières et de supplications toutes remplies d’une poésie divine et dont la plupart sont destinées à être chantées; j’y trouve enfin le chant proprement dit et je conclus que la Liturgie en général est un ensemble de symboles, d’actes et de chants.

Maintenant, je demande à qui et de qui sont les livres liturgiques? — De l’Eglise sans doute? les symboles, les chants et les actes de la Liturgie sont donc aussi de l’Eglise. L’Eglise sait ce qu’elle fait et ce qu’elle dit: ces actes, ces chants, ces symboles, soit qu’on les considère isolés les uns des autres, soit qu’on les prenne dans leurs rapports et leur harmonie, ont donc un sens, expriment des sentiments et des pensées. L’Eglise ne peut avoir des sentiments, des pensées profanes; ce sont donc des sentiments, des pensées de religion et me voilà forcément amené par la seule inspection des livres liturgiques à définir la Liturgie en général: l’ensemble des symboles, des chants et des actes au moyen desquels l’Eglise exprime et manifeste sa religion envers Dieu.

On repousse cette définition et pourquoi? parce que la Liturgie proprement dite n’a aucun rapport nécessaire avec la vertu de Religion ; parce que la religion est une vertu morale qui ne produit par elle-même que des actes intérieurs d’adoration, de louange, de sacrifice, etc., et qui n’a par conséquent rien à démêler avec la Liturgie ; parce que enfin définir ainsi la Liturgie c’est la confondre avec le culte divin et prendre la forme pour le fond . Mais lorsque je dis: la Liturgie est l’ensemble des symboles, des chants et des actes au moyen desquels l’Eglise exprime et manifeste sa religion envers Dieu, n’est-ce pas comme si je disais: la Liturgie est l’expression de la religion de l’Eglise. Il y a donc deux choses dans cette définition, l’expression c’est-à-dire la forme, et la chose exprimée c’est-à-dire le fond; bien loin de les confondre, je les distingue. Il est vrai que tout en les distinguant je les unis, mais elles sont inséparables: qu’est-ce en effet qu’un fond qui n’a pas de forme, ou une forme qui n’a pas de fond? La Liturgie serait donc une forme sans fond, une forme vide, une expression qui n’exprimerait rien, une vaine apparence extérieure à laquelle aucune réalité intérieure ne correspondrait? De plus, le fond c’est-à-dire le culte divin, la religion intérieure, serait informe, inexprimé, inexprimable, inaccessible à l’intelligence humaine; d’où il suivrait que l’Eglise, société visible composée d’hommes, c’est-à-dire d’êtres intelligents unis à des corps, aurait un culte, une religion tout-à-fait invisible, tout intérieure, dont les esprits purs pourraient seuls voir les actes et saisir les manifestations; en d’autres termes il s’ensuivrait que l’Eglise en tant qu’Eglise, n’aurait ni religion ni culte. S’il n’en est pas ainsi, si l’âme et le corps de l’Eglise sont indissolublement unis, si le culte intérieur se manifeste au dehors, si le culte extérieur, est vivifié par le culte intérieur, si le fond tient à la forme et la forme au fond, si un lien intime et profond subsiste toujours entre ces deux éléments de tout être humain, si on ne peut essayer de les arracher l’un de l’autre sans faire violence au langage et à la nature, les propres paroles de l’auteur que nous réfutons obligent de conclure que notre définition de la Liturgie est la véritable. En reprochant à cette définition de prendre la forme pour le fond, il reconnaît que la Liturgie est la forme de cette même chose dont le culte divin intérieur, dont la religion intérieure constitue le fond, et par conséquent il reconnaît que la Liturgie exprime et manifeste ce culte, cette religion. Ce qu’il ajoute que la Liturgie n’a aucun rapport nécessaire avec la vertu de religion, que cette vertu ne produit que des actes intérieurs, est détruit par la même raison, puisque manifestement la forme a un rapport nécessaire avec le fond, le rapport même qui fait qu’elle est la Arme de ce fond et non pas d’un autre; puisque manifestement les actes du culte extérieur, les actes liturgiques, par exemple, peuvent être bons et ne peuvent l’être s’ils ne sont des actes humains, s’ils ne sont voulus et délibérés, c’est-à-dire s’ils ne sont l’expression des actes intérieurs de la volonté qui entend, en les produisant, servir et honorer Dieu.

Peut-être l’auteur veut-il dire simplement ( car enfin il faut chercher à ses paroles un sens moins déraisonnable) que la forme extérieure de ces actes pourrait être différente, que le fond pourrait avoir une autre forme, que la religion de l’Eglise peut se manifester par des Liturgies multiples et diverses? Mais alors au lieu de dire: La Liturgie n’a aucun rapport NÉCESSAIRE avec la vertu de religion, il devait dire: telle ou telle Liturgie; car, à moins de bouleverser toute l’économie et tout le plan du christianisme, il faut avouer que dans l’Eglise la religion se manifeste nécessairement par une Liturgie quelconque. Puis, de ce que le même fond peut avoir diverses formes, il ne suit nullement que la forme dont il est revêtu hic et nunc, ne soit pas véritablement sa forme. Il est incontestable que ma pensée pourrait être exprimée par d’autres paroles que les paroles dont je me sers; s’ensuit-il que ces paroles n’expriment point ma pensée? Très certainement, Dieu aurait pu unir l’âme de tel homme à un autre corps que le corps qu’elle anime; s’ensuit-il que ce corps ne soit pas vraiment le corps de cette âme? De même, la Liturgie pourrait être, absolument parlant, autre qu’elle n’est, et cela n’empêche point cette Liturgie d’être actuellement et réellement celle de l’Eglise, c’est-à-dire la forme extérieure, l’expression, le corps visible, la manifestation de sa religion envers Dieu. Enfin, il ne faut pas croire que dans l’Eglise les formes liturgiques soient purement arbitraires: croit-on qu’entre le corps et l’âme d’un homme, il n’y ait qu’un rapport fortuit, que Dieu ait uni ce corps à cette âme sans raison, qu’il n’ait pas fait l’un pour l’autre? Croit-on que la parole ne tienne pas à la pensée par un lien mystérieux et intime? Si depuis Babel la confusion des langues a relâché ce lien, l’Ecriture n’atteste-t-elle pas que les noms imposés par Adam exprimaient la nature dès êtres ? Les Liturgies particulières sont à la Liturgie de l’Eglise ce que les langues corrompues et dégénérées de la dispersion sont à la langue primitive; et ce que la langue du premier homme était pour les êtres qu’il nommait, la Liturgie de l’Eglise l’est pour la religion que cette Liturgie manifeste et exprime. L’Eglise est l’épouse du Christ, du Verbe fait chair, de la Sagesse du Père; la Sagesse l’inspire: la Sagesse l’inspire surtout quand il s’agit de l’honneur de Dieu, de sa religion, de son culte. Toutes les Liturgies ne sont donc pas égales en soi; et, abstraction faite des désirs et des volontés de Pierre à qui les brebis comme les agneaux doivent obéissance, il n’est pas indifférent de s’éloigner ou de se rapprocher, de rejeter opiniâtrément ou de reprendre la Liturgie de l’Eglise avec laquelle le Christ demeure jusqu’à la consommation des siècles.

Ces paroles étranges: la Liturgie n’a aucun rapport nécessaire avec la vertu de religion; la religion est une vertu morale qui ne produit par elle-même que des actes intérieurs, sont réfutées par la notion même de la vertu de religion, telle que la donnent, sans en excepter un seul, tous les traités de théologie et tous les Catéchismes ; l’on se demande comment elles ont pu être écrites? En y réfléchissant, on voit que la logique impose inexorablement le principe qu’elles expriment aux partisans de la variété liturgique et que tous admettraient ce principe ou renonceraient à leur système s’ils étaient conséquents. On ne peut en effet soutenir qu’il est indifférent d’avoir telle Liturgie ou telle autre, que la meilleure est celle qu’on a, que le choix dépend uniquement du temps, du lieu, des circonstances (que par conséquent on n’est en aucune façon obligé de réagir contre les circonstances présentes, de travailler à les modifier, dans le but de préparer, de rendre possible un choix qui au fond, ne serait pas préférable), sans soutenir par là même que, en soi, toutes les Liturgies sont égales devant l’Eglise et devant Dieu. Or, elles ne peuvent être égales qu’autant qu’elles expriment et manifestent également bien la religion, le culte intérieur. Elles ne peuvent le manifester également bien si elles n’ont pas toutes un rapport égal avec le culte intérieur, avec la religion, car évidemment un rapport plus parfait donnerait une expression plus parfaite. Le rapport ne peut être égal s’il n’est pas, toujours et pour toute Liturgie, fortuit, arbitraire, purement conventionnel, car des rapports fondés sur la nature même de la religion, seraient plus ou moins vrais, auraient une valeur plus ou moins grande, selon qu’ils procéderaient plus ou moins directement, plus ou moins pleinement de cette nature; et si le rapport est arbitraire, purement conventionnel, on ne peut pas refuser d’admettre le premier principe de M. l’Evêque d’Orléans: la Liturgie n’a aucun rapport nécessaire avec la vertu de religion.

Ce que l’on dit de la Liturgie, des formes, des actes liturgiques, on doit le dire à plus forte raison des autres formes, des autres actes extérieurs par lesquels l’homme exprime et manifeste au dehors les sentiments de sa religion envers Dieu. L’homme privé n’a comme tel aucun privilège qui puisse donner à ses actes extérieurs plus de valeur et de dignité qu’aux actes du Prêtre comme Prêtre, et il ne peut tomber dans la pensée d’établir entre les actes extérieurs des particuliers et la vertu de religion qui est en eux, le rapport que l’on détruit entre les actes extérieurs de l’Eglise en tant qu’Eglise, et la vertu de religion qui est en Elle. Cette proposition: la Liturgie (c’est-à-dire l’ensemble des actes extérieurs de religion de l’Eglise) n’a aucun rapport nécessaire avec la vertu de religion, implique donc cette proposition plus générale: les actes extérieurs de religion n’ont aucun rapport nécessaire avec la vertu de religion; et comme il y a nécessairement un rapport entre la vertu qui produit et les actes qu’elle produit, il faut conclure que la vertu de religion ne produit pas par elle-même des actes extérieurs de religion. Nous voilà donc amenés au second principe de M. l’Evêque d’Orléans: la religion ne produit par elle-même que des actes intérieurs; d’où il suit entre autres conséquences qu’il n’y a réellement pas d’actes extérieurs de religion, car si la religion n’en produit pas, on ne voit nullement ce qui pourrait les produire.

Une telle théorie est contraire non seulement à tous les enseignements du christianisme, mais encore au langage humain, à la nature humaine elle-même. Il n’y a pas de langue qui ne reconnaisse, qui ne nomme des actes extérieurs de religion; il n’y eut jamais, il n’y a pas de peuple qui ne distingue ces actes de tous les autres, qui ne les regarde comme produits, sauf les cas d’hypocrisie, par la religion intérieure, par la vertu qui est dans l’âme; enfin, malgré le déluge de vices et d’erreurs qui, depuis le premier péché, ont couvert la face de la terre, malgré la multiplicité des fausses religions, la diversité des mœurs, des usages, du génie des nations, etc., un certain nombre de ces actes sont demeurés toujours et partout consacrés à exprimer, à manifester la religion de l’homme envers le Souverain Maître. Pourquoi cela, sinon parce que ces actes sont l’expression vraie, la manifestation naturelle de cette vertu, parce qu’il y a entre eux et elle un rapport fondé sur la double nature de l’âme et du corps de l’homme; parce que la religion les produit d’elle-même comme l’arbre produit son fruit? Tous les sentiments, toutes les passions ont ainsi leur expression naturelle, leur manifestation extérieure à laquelle nous les reconnaissons: la tristesse et la joie, la colère et la pitié, la haine et l’amour, éclatent et agissent au dehors; en tout et pour tout le corps traduit fidèlement l’intérieur de l’âme, et l’on voudrait que le sentiment le plus profond, le plus intime, le plus indestructible de l’homme, que la religion ne trouvât pas dans notre nature son image et son expression, qu’elle seule demeurât ensevelie au fond de la conscience, invisible et muette!

Peu de personnes, croyons-nous, seront disposées à admettre de telles conséquences; mais si on les rejette, on doit rejeter aussi les principes d’où elles découlent, on doit dire: il est des actes extérieurs de religion, et ces actes sont produits par la vertu de religion elle-même; entre ces actes et cette vertu il y a nécessairement un rapport (sans quoi on ne concevrait pas qu’elle pût les produire); ce rapport pouvant être faussé, altéré, ou même détruit par la faute de l’homme, tous les actes extérieurs de religion n’ont pas de soi une valeur égale, ils ne sont pas tous au même degré l’expression vraie, la manifestation fidèle de la religion; or, les actes liturgiques étant des actes religieux par excellence, ce qui est vrai des actes extérieurs de religion en général est vrai a fortiori des actes liturgiques en particulier, soit isolés, soit réunis et pris ensemble; les Liturgies ne sont donc pas égales en soi devant l’Eglise et devant Dieu; en d’autres termes, outre la valeur relative que donnent aux actes extérieurs les dispositions intérieures de ceux qui les accomplissent, les Liturgies ont encore une valeur propre et intrinsèque. Abstraction faite des circonstances qui obligent quelquefois de préférer un moindre bien, le choix entre deux Liturgies doit, évidemment, se régler d’après cette valeur intrinsèque et non d’après des motifs personnels et purement arbitraires: pour reconnaître la meilleure Liturgie, celle qui est l’expression la plus vraie, la manifestation la plus fidèle et la plus vive de la religion de l’Eglise, c’est au jugement de l’Eglise qu’on doit s’en rapporter et non au jugement particulier d’un ou de plusieurs hommes si grand d’ailleurs que soit leur savoir ou leur génie; l’Eglise a prononcé son jugement, l’Eglise a fait le choix Elle-même et ce choix Elle l’impose à toutes les Eglises de la langue latine; donc toutes ces Eglises, sauf les exceptions légitimes et autorisées, doivent accepter ce choix non seulement par obéissance, mais encore avec la conviction que la Liturgie de l’Eglise est de toutes la plus belle et la plus parfaite. Comment en serait-il autrement? Comment Dieu aurait-il pu permettre qu’une Eglise particulière prévalût en ce point sur l’Eglise universelle, qu’une autre que l’Epouse Lui rendit le culte le plus digne, le plus expressif, le plus vrai, le plus propre à manifester sa gloire et à attirer ses bénédictions sur les fils d’Adam?

On le voit, de cette simple proposition: il est des actes extérieurs de religion, on est amené par une suite de déductions rigoureuses à reconnaître qu’il est aussi une Liturgie supérieure à tout autre et que celte Liturgie est la Liturgie romaine; réciproquement de cette proposition: lu Liturgie romaine n’est pas supérieure aux Liturgies particulières, toutes les Liturgies sont de soi égales, la meilleure est celle qu’on aime le mieux, on est conduit non moins forcément à conclure qu’il n’y a pas d’actes extérieurs de religion, que, la vertu de religion ne produit par elle même que des actes intérieurs, que par conséquent la religion n’a rien à démêler avec la Liturgie. On ne saurait donc s’étonner de la franchise avec laquelle ces principes sont avoués, de la netteté avec laquelle on les formule; ils forment la base même du système de la variété en fait de Liturgie, et quand un principe fait partie intégrante et nécessaire d’un système, si absurde que soit ce principe, les défenseurs du système finissent toujours par le proclamer; la logique les y pousse, et, plus fort que le bon sens, l’esprit de parti, jetant un voile sur l’absurdité, les empêche de la reconnaître.

Nous n’insistons pas sur tout ce que cette doctrine a de commun avec les théories protestantes et rationalistes, sur tout ce qu’elle a d’incompatible avec les dogmes fondamentaux de la religion chrétienne; sous ce point de vue, comme Sous tous les autres, la question a été discutée à fond par l’auteur des Institutions Liturgiques, dans sa Première Lettre à M. l’Evêque d’Orléans. Nous y renvoyons le lecteur et nous contentons d’ajouter une page de Saint Thomas aux textes que produit le T. R. P. Abbé de Solesmes:

«La vertu de religion consiste dans l’opération par laquelle

«l’homme honore Dieu, en se soumettant à Lui; opération

«qui doit convenir et à Celui qui est honoré et à celui

«qui honore. Celui qui est honoré, étant esprit, on ne peut

«arriver à Lui par le corps, mais seulement par l’intelligence;

«ainsi le culte-qu’on Lui rend, consiste principalement dans

«les actes de l’intelligence, par lesquels l’intelligence est ordonnée

«à Dieu et tels sont surtout les actes des vertus

«théologales. En ce sens Saint Augustin a dit: Dieu est honoré

«par la Foi, l’Espérance et la Charité , et l’on doit

«ajouter par les actes des Dons qui ordonnent l’homme à

«Dieu, comme les Dons de sagesse et de crainte. Mais parce

«que nous qui honorons Dieu, avons des corps et recevons

«la connaissance par les sens corporels, des actions corporelles

«sont aussi requises de notre part pour le culte susdit,

«soit afin que nous servions Dieu de tout ce que nous sommes,

«soit afin que nous excitions les autres aux actes de

«l’intelligence ordonnés à Dieu. C’est pourquoi Saint Augustin

«a dit encore: Ceux qui prient font des membres de leur

«corps ce qui convient à des suppliants, lorsqu’ils fléchissent

«les genoux, étendent les mains ou même se prosternent contre

«terre, ou se livrent à toute autre démonstration sensible,

«quoique leur volonté invisible et l’intention du cœur soit connue

«de Dieu et qu’il n’ait pas besoin de ces signes pour que l’âme

«de l’homme lui soit ouverte; mais par là l’homme s’incite lui-même

«plus efficacement à prier el à gémir avec plus d’humililé

» et plus de ferveur . Ainsi tous les actes par lesquels

«l’homme se soumet à Dieu, actes de l’intelligence ou actes du

«corps appartiennent à la vertu de religion. Mais parce que

«les choses que nous faisons au prochain pour Dieu, sont

«faites à Dieu même, il est manifeste qu’elles appartiennent à

«cette même sujétion, dans laquelle le culte de religion consiste.

«Et ainsi, qui voudra bien examiner, verra que tout

«acte bon appartient à la vertu de religion. De là cette autre

«parole de Saint Augustin: Le vrai sacrifice est toute œuvre

«faite dans le but de nous attacher à Dieu par une société

«sainte . Et il ajoute: cela cependant dans un certain ordre,

«parce que, en effet, premièrement et principalement

«au culte susdit appartiennent les actes de l’intelligence

«ordonnés à Dieu; secondement les actes du corps faits

«pour exciter aux actes de l’intelligence, ou pour les manifester,

«comme les prostrations, les sacrifices et autres

«de la même espèce; troisièmement tous les autres actes

«exercés envers le prochain et ordonnés à Dieu. Par conséquent,

«de même que la magnanimité est une vertu spéciale

«quoiqu’elle use des actes de toutes les vertus, selon

«la raison spéciale de son objet, c’est-à-dire en mettant de

«la grandeur dans les actes de toutes les vertus; de même la

«Religion est une vertu spéciale, parce qu’elle considère dans

«les actes de toutes les vertus, la raison spéciale de son objet,

«c’est-à-dire le devoir envers Dieu: et ainsi elle est une

«partie de la justice. Cependant ces actes sont spécialement

» assignés à la religion qui ne sont d’aucune autre vertu,

«comme les prostrations et autres de la même espèce, dans

«lesquels secondairement le culte de Dieu consiste .»

Ainsi, d’après Saint Thomas et Saint Augustin, d’après tous les théologiens et tous les catéchismes, tous les actes soit de l’esprit, soit du corps, par lesquels l’homme se reconnaît dépendant de Dieu, appartienent à la vertu de religion: Omnes aclus quibus se homo subjicit Deo, sive sint mentis sive corporis, ad religionem pertinent; les actes extérieurs comme les prostrations et autres semblables sont cependant assignés spécialement à cette vertu, parce qu’ils ne sont d’aucune autre, et c’est dans l’ensemble de ces actes que consiste secondairement le culte de Dieu: Illi tamen actus specialiter religioni assignantur qui nullius alterius virtutis sunt, sicut prostrationes et hujus modi, in quibus secundario cultus Dei consistit. La raison en est simple: nous sommes des intelligences unies à des corps et nous devons servir Dieu de tout ce que nous sommes: ut ex tolo quod sumus Deo serviamus. En général pour quiconque y réfléchit il est évident que tout acte bon appartient à la vertu de religion: Diligenter consideranti apparet omnem actum bonum ad religionem pertinere; et que le véritable sacrifice est toute œuvre faite dans le but de nous tenir attachés à Dieu par une société sainte: Verum sacrificium est omne opus quod agitur ut sancta societate inhæreamus Deo; car la vertu de religion consiste dans l’opération par laquelle l’homme rend à Dieu un culte de soumission et de dépendance: Religio consistit in operatione qua homo Deum colit se Ei subjiciendo.

Les actes Liturgiques sont des actes bons, et la Liturgie a bien pour but de nous tenir attachés à Dieu par une société sainte, de rendre à Dieu un culte de dépendance et de soumission, de le servir de tout ce que nous sommes, de notre corps comme de notre âme, par des génuflexions, des prostrations et autres actes semblables: les actes liturgiques sont donc réellement produits par la vertu de religion; la Liturgie tient donc et à cette vertu, et au culte dans lequel cette vertu consiste, par un rapport, nécessaire, par le rapport le plus intime et le plus profond, le rapport qui unit la conséquence à son principe, l’expression à ce qu’elle exprime, ce qui est engendré à ce qui l’engendre. Cela est vrai quel que soit le sens qu’on attache au mot Liturgie, et quand bien même on ne voudrait voir dans la Liturgie proprement dite que les cérémanies: ce qui frappe les yeux; à plus forte raison, cela est-il vrai si l’on conserve au mot Liturgie le sens que l’Eglise lui donne, si la Liturgie proprement dite comprend encore ce qui frappe l’oreille, la parole, les formules de la prière: de tous les actes extérieurs, la parole est, en effet, celui qui représente le plus fidèlement les actes intérieurs; c’est l’expression la plus claire, la plus vive de l’âme, or, il n’y a pas de parole qui exprime d’une manière plus vraie, la religion de l’Eglise envers Dieu que la parole de ses prières. Sans doute, l’homme qui récite des lèvres ces formules saintes, l’homme qui accomplit les cérémonies sacrées comme une machine, sans que le cœur y ait aucune part, cet homme ne prie pas, ne rend pas à Dieu le culte qui lui est dû : mais il ne s’agit pas de cet homme, il s’agit de l’Eglise et l’Eglise n’est jamais distraite; c’est l’Eglise qui parle, c’est l’Eglise qui agit dans la Liturgie, puisque les paroles, puisque les actes liturgiques, sont prononcés, sont accomplis en son nom, puisque la Liturgie est établie par son autorité publique.

Qu’est-ce donc que la Liturgie? après tout ce qui précède, il me semble que nous pouvons la définir sans crainte avec Bergier: Le culte rendu publiquement à la divinité ; ou avec Muratori: La manière de rendre le culte au vrai Dieu, par les rites extérieurs légitimes, afin de témoigner l’honneur qui lui est dû, et d’attirer ses bienfaits sur les hommes ; ou avec Galliciolli: Le culte rendu à Dieu, non d’après l’idée de chaque particulier, mais d’après un mode commun, et une institution légitime ; ou avec Zaccaria: Tout culte de Dieu établi par l’autorité de l’Eglise ; ou enfin, d’une manière plus détaillée, mais dans le même esprit que ces illustres liturgistes, comme nous l’avons fait, avec l’auteur des Institutions Liturgiques: L’ensemble des symboles, des chants et des actes au moyen desquels l’Eglise exprime et manifeste sa religion envers Dieu .

La liturgie romaine et les liturgies françaises : détails historiques et statistiques

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