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II
HANGARVILLE

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A la grande Quinzaine d'Anjou, les hangars d'aéroplanes forment une ville, plutôt une place forte, défendue contre l'invasion avec des précautions féodales, une méfiance moyenâgeuse. Elle est entourée d'une sorte de chemin de ronde que borde sur ses deux rives une palissade aiguë et serrée et que parcourent sans cesse des piquets de fantassins et des patrouilles de cavaliers. Les rares issues pratiquées sur la piste ne livrent passage qu'aux appareils. Et une âpre sentinelle, rigide comme une consigne en marche, bat son quart devant ces brèches à la clôture.

Quant à la porte ouverte sur l'enceinte des tribunes, elle est gardée par une troupe de toutes armes et de tous grades, en même temps que par ces gardiens hargneux, ces fonctionnaires couronnés de casquettes, qui sont les innombrables rois d'une République.

A vrai dire, ce n'est pas trop d'une telle force pour résister à la foule qui se rue à l'assaut en masses profondes. Car Hangarville est très recherché, étant très défendu. Chaque assaillant brandit une arme: une carte, un brassard, un prétexte définitif. Mais l'homme à la casquette veille. Il veille tellement bien qu'il refuse l'entrée à Labarbette, le constructeur pourtant reconnaissable des aéroplanes «Victorine». Par contre, il s'efface, subjugué, devant deux quidams hauts en faux-col, dont le premier dit impérieusement, en montrant le second: «Laissez passer monsieur».

Grâce au «Sésame», signé de l'aviateur Lucien Chatel, Popette et son jeune frère Loulou parviennent à franchir le seuil sacré. La maman de Popette, lasse d'une journée d'enthousiasme et de piétinement, a préféré, au mystère des hangars, le confortable velours des tribunes. Popette a pris la mine fervente et recueillie d'une dévote qui pénètre dans le temple. Loulou, éperdu d'orgueil et de satisfaction, arrondit des yeux comme des objectifs.

Avec ses murailles de bois, son style uniforme, ses avenues rectilignes creusées d'ornières, ses carrefours où l'herbe pousse encore, Hangarville ressemble à ces jeunes cités américaines qui sortent du sol en une saison. Et l'illusion devient frappante du point où le regard embrasse la cabine du téléphone et son réseau de fils, le hangar de l'aviateur américain Hopkins et son drapeau étoilé.

On s'attend à voir le pionnier botté, le rifle à l'épaule, coiffé de feutre et ceint de la cartouchière. Mais personne ne sort des maisons de bois. La ville est déserte. Les nids sont vides. C'est que l'impatiente Popette n'a pas voulu attendre au lendemain. Elle parcourt Hangarville le jour même de son arrivée, dans le calme du crépuscule, à l'heure propice où les grands oiseaux de toile sont sortis et montent au-devant du soir qui tombe... Les aviateurs sont épars dans l'air ou sur la piste, terrain plus interdit, plus sacré que celui des hangars, presque aussi inaccessible que l'espace même.

Ni appareils, ni pilotes. Et nous errons au long des bâtiments vides. Popette penche à chaque seuil ouvert son petit nez curieux et son buste charmant. Elle s'extasie devant les installations sommaires qui trahissent pourtant le goût et la personnalité de chaque aviateur. Ici le désordre. Là des établis dressés. Ailleurs des sièges en cercle, une esquisse de salon.

Mais de grandes caisses, soigneusement abritées, intriguent Popette. Qu'est-ce qu'il y a dedans? Hautes d'un étage, bâties en voliges et garnies de papier-goudron, elles ont servi au transport des appareils. Maintenant, l'ingéniosité des ouvriers en a fait des chambres. On y trouve des lits, des chaises, et parfois même le luxe d'une toilette. Popette demande, émue:

—Est-ce qu'ils habitent ici?

«Ils», naturellement, ce sont les aviateurs. Non. Ces logis improvisés abritent des mécaniciens ou des gardiens de nuit. La plupart des pilotes regagnent au soir la ville dans leur auto. Cependant, certains couchent sur le terrain. C'est le cas de Lucien Chatel. Et c'est une des grosses attractions de la Quinzaine que de visiter ce campement, ces six tentes alignées au long du hangar, où dorment l'inventeur, ses pilotes, son ingénieur et ses ouvriers.

Popette ne voudrait pour rien au monde manquer ce pèlerinage. Se glissant à travers le réseau des cordes d'arrimage, elle admire l'ameublement, la couchette, la chaise, la bougie fichée dans une bouteille, le broc et la cuvette émaillée. Toute rose, elle sort de la tente vide de Chatel:

—Vous avez vu? Il a un pyjama!

Le hangar proche sert de cuisine et de salle à manger. Les casseroles brillent au-dessus du fourneau. Trente couverts s'alignent sur la longue table, garnie d'une nappe, s'il vous plaît. Et les bancs sont faits de madriers posés sur des caisses à essence.

Mais que disait-on, qu'il n'y avait pas d'appareils? En voici un, qui étend ses larges ailes. Et monté, qui plus est. Hélas! il est monté par un gros cuisinier vêtu de blanc qui, profitant de l'absence de ses maîtres, s'est hissé à grand'peine au banc du pilote et se fait photographier au volant, dans une posture de héros...

Cette alerte a secoué Popette. L'heure approche où les vrais aviateurs rentreront. Elle va prendre le fameux contact. Son émotion grandit à mesure que le jour décroît. Elle m'entraîne, abandonne Loulou, béant d'admiration et torturé de basse envie devant le glorieux cuisinier au volant. Oppressée, elle préambule:

—Vous allez me trouver bien bête. Promettez-moi que vous ne vous moquerez pas de moi.

Je promets. La grande crainte de Popette, c'est de paraître ridicule. On n'est jamais ridicule, quand on est jolie. Afin que je ne la raille pas, elle prend les devants et se raille elle-même. Elle rit. Elle a l'art de rire et de parler en même temps, comme un ruisseau qui court tout en gazouillant. Et cela lui donne une voix tintante, argentine, où les mots dansent dans le rire:

—Eh bien, voilà. Vous comprenez, je ne veux pas paraître sotte devant eux. Vous êtes mon ami. Dites-moi vite: quelle différence y a-t-il entre un biplan et un monoplan?

Pauvre Popette! Voilà donc ce qui la tourmentait... J'explique de mon mieux, le plus clairement et le plus brièvement possible. Et comme elle reste confuse de n'avoir pas pénétré un si simple mystère, comme elle s'effraie de son ignorance future devant eux, je la rassure:

—Mais vous avez eu parfaitement raison de m'interroger. Il n'y a pas de honte. Bien des gens en savent moins long que vous et n'ont pas votre modestie charmante. Tenez. Je sais un homme très haut placé, très expert en son art, à qui l'on expliqua minutieusement le mécanisme du biplan placé devant ses yeux. Il réfléchit, hocha la tête, ferma les paupières et demanda enfin: «Mais, où est le gaz?»

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Les casseurs de bois

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