Читать книгу Les casseurs de bois - Michel Corday - Страница 6

IV
RÉMY PARNELL

Оглавление

Table des matières

C'est autour d'une table à thé, dans cette tribune-buffet fleurie, festonnée, animée de musique, qui fut l'étincelante trouvaille, le joyau au front de la Grande Quinzaine, où les yeux, le palais, l'oreille—trois sens sur cinq—trouvaient ensemble leur satisfaction.

Depuis une heure, Rémy Parnell, sur monoplan Victorine, domine l'espace. Malgré la grande hauteur, on distingue jusqu'à la ceinture sa silhouette assise et courbée. Il fait vraiment corps avec son appareil. Ils se complètent. Sa trajectoire est tellement inflexible et tendue, droite et pure, qu'il semble fuir à la surface étale d'un lac aérien. Et son vol somptueux, d'une impériale majesté d'aigle aux ailes toutes grandes, écrase les autres essais, les aplatit à ras de terre. On ne voit que Rémy Parnell dans le ciel. Il règne.

Popette le suit, les yeux agrandis, la gorge sèche, la tasse de thé en arrêt, entre la soucoupe et les lèvres. Sa mère reste décidément à la ville. Elle prétend qu'à regarder ces casseurs de bois, elle se casse la barre du cou. Et elle a confié sa fille à la tutelle de Loulou. Mais le petit frère de Popette se soucie bien de son rôle! Il éclate d'orgueil d'être attablé près de Lucien Chatel et de ses amis, parmi la curiosité de la foule qui se montre le jeune inventeur. Cependant Popette, extatique, dit à Chatel en désignant du menton le glorieux appareil:

—N'est-ce pas, que c'est beau?

Bien que d'une école opposée à celle des «Victorine», Chatel est trop intelligent pour être injuste:

—Oui, dit-il, je comprends qu'il séduise. C'est un idéal réalisé. Nos yeux y retrouvent des formes familières et jolies, la carène et les ailes. Puisqu'il se proposait d'imiter l'oiseau, il touche à son but. Il atteint sa perfection. Il ne peut plus s'améliorer qu'en vitesse.

—Et le biplan? interroge gravement Popette, initiée de la veille et fière de sa science toute fraîche.

—Le cellulaire est dans l'enfance. Non seulement il n'a pas dit son dernier mot, mais il parle à peine. Il balbutie. Ses formes se modifieront très rapidement. Soyez persuadée que l'an prochain nous verrons ici même des silhouettes nouvelles.

Et comme Popette esquisse un hochement de tête satisfait:

—Oh! poursuit Chatel, je sais bien qu'actuellement il n'est guère joli. Je n'ignore pas les noms dont on l'accable: la caisse, la voiture de déménagement, la cabane-bambou. Ce ne sont pas des noms d'oiseaux! Mais c'est qu'aussi nous ne sommes pas habitués à ses lignes. Nous devrons nous y accoutumer pour en découvrir la beauté. Question de temps. C'est ainsi que les enfants d'aujourd'hui sentent tout naturellement la splendeur d'une locomotive...

Mais le charmant et clair visage de Popette se ternit de mélancolie. Elle s'intéresse, décidément, plus aux aviateurs qu'à l'aviation. Elle ne connaît Rémy Parnell que par les journaux, par les portraits, les interviews publiés à l'occasion de téméraires et retentissants insuccès qui l'ont paré d'une auréole de héros malheureux. Avide de détails avérés, elle met la tablée à contribution. Il y a là Letipe, l'ingénieur de Chatel, et l'enthousiaste correspondant d'une grande feuille sportive. Popette stimule leurs confidences.

Et peu à peu la figure de Rémy Parnell se dégage, une de ces figures diverses et contradictoires que sculpte la causerie: figures vivantes, figures ressemblantes cependant, car ne sommes-nous pas nous-mêmes divers et contradictoires?

On tombe d'accord que Rémy Parnell est un gentleman au sens que le mot a pris en passant le détroit et qui évoque, dans la forme et dans le fond, une élégance naturelle, une correction aisée, une parole et un vêtement qui tombent juste et bien.

Puis quelqu'un déplore qu'il manque de technique, qu'il prenne son appareil des mains du mécanicien comme un jockey qui monte en course reçoit son cheval des mains d'un lad. Avantage, risquent les uns. Inconvénient, répliquent les autres. Par contre, à l'unanimité, on salue en Rémy Parnell un merveilleux pilote.

Popette et Loulou écoutent de toutes leurs oreilles. La jeune fille s'émeut surtout de la légende dont se pare déjà la courte vie de l'aviateur. On raconte que, se croyant gravement malade—hantise commune à beaucoup de jeunes gens—il résolut de vivre au moins une existence intense et riche en émotions. Il chassa, des régions polaires aux forêts africaines. Puis l'aviation vint. Il cassa du bois avec frénésie et recouvra, au vif de l'air, une santé d'acier.

Par exemple, on discute ferme la question de savoir si Rémy Parnell a gardé des façons simples ou si sa gloire rapide l'a quelque peu grisé. Ses détracteurs aiguisent leurs traits et sortent leurs preuves. Ainsi, la veille, après avoir tenu, à la tombée du jour, l'espace pendant plus de deux heures, Rémy Parnell atterrit enfin; on l'entoure et on l'acclame. Mais il écarte les enthousiastes, prend par le bras un de ses amis, l'entraîne et lui demande: «Connaissez-vous les résultats d'Auteuil?». A quoi ses partisans de répliquer que Parnell s'intéresse aux courses et qu'ayant vécu loin du monde pendant toute la fin de la journée, il a bien le droit, en retombant sur terre, de s'enquérir des événements survenus en son absence.

Soit. Mais lorsqu'une jolie jeune femme le supplie d'apposer sa signature sur une carte postale, comment excusera-t-on Parnell de témoigner de l'impatience et de déclarer sèchement: «Seulement les initiales...»? Parbleu! La réponse est facile. Pour le juger, il faut se mettre à sa place, imaginer les milliers de demandes pareilles dont il est assailli, submergé. Et puis, la morgue, c'est souvent le masque glacé de la timidité.

Cependant, le monoplan Victorine fuit toujours de son allure sûre et tendue, décrit ses grands cercles sur sa piste invisible, comme s'il dessinait dans l'air autant de prodigieuses couronnes ajoutées à la gloire de son pilote.

Popette regarde, Popette écoute. Secrètement, elle est du côté de ceux qui défendent Rémy Parnell. Sera-ce lui, le gentleman-volant, sera-ce lui qui fixera le petit cœur de Popette? Elle se penche vers Chatel:

—Vous me ferez signer une carte par lui, n'est-ce pas, quand il sera descendu?

Chatel promet et tient parole. Il emmène Popette aux hangars, où une véritable foule assaille le héros, le presse contre la palissade, le bloque, lui met le stylo sous la gorge. Ah! comme on comprend qu'il ne signe que les initiales!

Popette tend timidement la carte qui reproduit le portrait de Rémy Parnell. Et il faut voir le séduisant, l'audacieux, l'ingénu sourire dont elle pare sa figure charmante, tandis que Chatel présente sa requête... Rémy Parnell regarde, écrit, rend le carton. Et Popette, ivre de joie, d'orgueil, éblouie d'un présage de victoire:

—Il a mis son nom tout entier!

35

Les casseurs de bois

Подняться наверх