Читать книгу Procès de la conspiration dite républicaine de décembre 1830 - Émile Babeuf - Страница 4
ОглавлениеPREMIÈRE NOTICE.
CAVAIGNAC (ÉLÉONORE-LOIUS CODEFROY), né à Paris, en 1800, du conventionnel Cavaignac-Delalande (J. B. ), l’un des fondateurs de la République Française, et qui, depuis, la défendit vaillamment aux armées, ce qui lui valut de mourir dans l’exil, après douze années de proscription sous la rancuneuse restauration des princes de la maison de Bourbon. Il est neveu du général Jacques-Marie Cavaignac, baron de Barogne, militaire distingué qui s’est acquis beaucoup de réputation aux, armées d’Italie, à Austerlitz, en Sicile, en Russie où il fut chargé de protéger la retraite de l’armée française, après avoir pris part aux brillans exploits de cette mémorable campagne.
Le jeune Cavaignac naquit donc avec le siècle aux tems brillans de la France républicaine; comptant dans sa famille des hommes aussi éminemment illustres par leurs nobles travaux et leur caractère, il devait nécessairement prendre son rang parmi les amans passionnés de la liberté, et détester les artisans du despotisme et de l’arbitraire. Son éducation et l’exemple de ses parens lui firent concevoir pour la patrie, un amour ardent, un entier dévouement de corps et d’âme, non pas comme des fanatiques qui s’enivrent d’un vain mot, mais comme des gens de cœur qui sont heureux de trouver en ce monde quelque objet auquel il soit noble, juste et doux de consacrer ses affections et sa vie.
Suppléant par ses études, sur les causes et les suites de la révolution française, à ce qu’il n’avait pu voir par lui-même, il étudia à froid l’histoire de son pays; il vit les abus énormes qui avaient amené la chûte d’un trône; mais en même tems il reconnut aussi les efforts monstrueux de l’aristocratie qui avait employé tous ses efforts pour ramener une dynastie anti-nationale, et il concut un vif amour d’ordre et de bonheur public. En effet, la convention déchirée dans son sein par les factions, dût exciter ses recherches; en même tems, elle devint l’objet de son admiration quand il la voit surmonter tous les obstacles, maîtriser ses ennemis, et déposant d’elle-même son immense pouvoir, le 13 vendémiaire, au moment où elle venait de le consolider, abdiquant sans crainte, après avoir gouverné sans peur. L’histoire du consulat aurait pu charmer ce jeune publiciste si le premier Consul ne fût devenu Empereur des Francais; l’admiration succédait à l’estime et ne fut, pour ainsi dire, que la cause et le moment de la décadence du grand homme. M. Cavaignac entrait dans l’adolescence, au moment où le colosse impérial délivra par sa chûte les rois de l’Europe de l’effroi où il les tenait depuis quinze ans; la Charte constitutionnelle donnée aux Français par Louis XVIII, pouvait faire considérer le retour des Bourbons, à l’ombre des canons étrangers, comme une restauration, mais l’astuce frauduleuse du monarque renversa cette attente si légitime. Le système de bascule employé avec un charlatanisme évident, prouva qu’il n’entrat point dans les vues des Bourbons de restaurer la nation française, mais seulement l’ancien régime. Cette marche ne pouvait s’accorder avec l’esprit franc et éclairé de la majorité des Français, et les hommes serviles et rampans pouvaient seuls adopter en silence ce système équivoque. Ce fut bien pis sons Charles X, qui, en continuant les mêmes projets que Louis XVIII, voulut se délivrer de toute condescendance et de toute concession, en laissant de côté le système de bascule, pour conserver des ministres impopulaires, haïs de la nation. Le châtiment fat aussi prompt que le parjure; Rambouillet, Cherbourg et Holy-Rood furent franchis en peu de jours par les nouveaux Stuarts, heureux dans cette circonstance, où ils auraient pu, s’ils l’eussent voulu, sauver le capitole, de n’avoir point rencontré sur leur route la roche Tarpéienne.
M. Cavaignac combattait depuis longtems la restauration dans les feuilles libérales de la Belgique et de la France, auxquels il prêtait l’appui de son jeune talent. Le Courrier Francais, le Constitutionnel, etc., l’ont compté longtems au nombre de leurs rédacteurs; il fut un des plus fervens défenseurs des libertés publiques que prétendaient nous ravir, avec si peu de pudeur, ces hommes qui, ayant si mal compris la nation, disaient, dans leur insultant langage, que le peuple Français avait donné sa démission, comme si ses droits n’étaient pas imprescirptibles!
Parmi les jeunes guerriers improvisés qui combattirent avec le plus brillant courage, contre les satellites du parjure, au milieu des barricades de juillet, on put remarquer MM. Cavaignac et Guignard; la garde nationale s’étant réorganisée simultanément durant les trois journée, ou y ajouta un corps d’artillerie. qu’elle n’avait pas avant son licenciement. M. Guinard fut le capitaine-commandant de la deuxième batterie, nous ajouterons qu’il fut nommé membre de la Commission des récompenses nationales. M. Cavaignac, d’abord nommé maréchal-des-logis, devint ensuite capitaine en second dans ladite deuxième batterie.
En juillet, la restauration ne fut pas complètement vaincue, le pouvoir resta entre les mains d’hommes qui avaient pactisé avec elle, accepté ses faveurs, sympathisé avec tous ses intérêts et qui s’étaient mêlés à tous ses calculs contre les intérêts du peuple. Le pouvoir qui s’éleva aussitôt oublia bien vîte qu’il devait son existence au peuple; que le peuple seul avait tout fait; alors furent perdus pour ce peuple, presque tous les heureux fruits qu’il eût dû recueillir en récompense de ces glorieux exploits contre le despotisme. Bien plus; les agens du Gouvernement semblèrent prendre à tâche de provoquer des conspirations afin de s’inaugurer plus sûrement et à paraître entouré de dangers, tandis qu’il n’en existait pas; semblables en cela à l’Athénien Pysistrate qui se fit lui-même des blessures, pour paraître entouré d’assassins, afin qu’on lui donnât des gardes à l’aide desquels il pût ensuite asservir la république: ce qui arriva.
La deuxième batterie d’artillerie dont étaient capitaines MM. Cavaignac et Guinard, fut dès son origine l’objet des défiances de la part des hommes du pouvoir. Les notabilités militaires dans l’armée avaient été bien étrangères aux journées de juillet, ce n’était pas dans les rangs des patriotes qu’on les avait rencontrées; M. Cavaignac crut devoir s’opposer avec force à ce qu’on choisît parmi elles les chefs supérieurs de la garde nationale; néanmoins la composition de la deuxième batterie ayant été exécutée par MM. Mesvil et Merillon, M. Cavaiguac y demeura tout-à-fait étranger; il put seulement voir avec plaisir qu’un grand nombre de meme bres de la société des Amis du Peuple y avaient été admis: lui-même, ainsi que M. Guinard, faisait partie de cette société, d’où vint leur liaison avec le président M. Trélat. L’étudiant Sambuc, connu de M. Cavaignac, chercha à entrer dans les rangs des artilleurs; ce fut un nouveau motif de défiance qui a été admis dans les pièces du procès.
Lors du procès des ex-ministres, des rassemblamens se portèrent au louvre pour s’emparer des canons, afin de les tourner contre Vincennes, d’où on prétendait qu’on devait ensuit les diriger contre les Chambres; mais les artilleurs, tout entiers à leur devoir, demeurèrent fidèles à leur poste. Néanmoins, un certain nombre d’entre eux n’en furent pas moins ravis à la liberté, sous prétexte d’avoir eu l’intention, de livrer leur pièces; quelques allées et venues qui avaient paru non motivées alors, mais qui furent justifiées plus tard, divers propos rapportés au colonel, et qui, à l’audience, ne furent pas prouvés; plus que tout cela, le patriotisme connu de ces braves citoyens, tel fut le concours de circonstances qui amenèrent sur les bancs de la Cour d’Assises des hommes qui, dans d’autres tems, eussent brillé dans un tribunat. Ce singulier procès est peut-être le premier de ce genre qui se soit rencontré jusqu’à ce jour dans les annales de la magistrature; semblable à la chimère dont le corps était un assemblage informe des parties diverses de plusieurs animaux, ce procès bizarre contenait en soi les élémens de trois causes bien distinctes que l’on avait affecté de confondre ensemble, en les rattachant à un même but, celui de renverser le trône de Louis-Philippe Ier. Le public a de suite démêlé clairement que le prétendu complot de livrer leurs canons, la soi-disant conspiration des étudians, dirigée par M. Sambuc, et les menées séditieuses attribuées à quelques-uns des membres de la société des Amis du Peuple, n’eussent pas dû être réunis ensemble dans la supposition où la réalité de ces divers faits eût été clairement établie.
M. Cavaignac qui a plaidé lui-même sa cause a déployé à cette occasion, comme dans le cours de son interrogatoire, une raison élevée, un caractère énergique; il s’est constamment exprimé avec la conviction d’une conscience pure. M. Thierry s’est plu à reconnaître publiquement les excellentes qualités de M. Cavaignac, qui a eu aussi sa part des éloges adressés aux accusés par M. Miller, avocat-général, et par M. le Président, sur leur conduite toujours noble et décente pendant la durée du procès.